La photogrammétrie au service du documentaire

Utilisée pour reconstituer des environnements muséaux inaccessibles au grand public, la photogrammétrie fait désormais partie des techniques employées dans le cas de documentaires de grande ampleur. Dernier exemple en date avec la série Pyramides : les mystères révélés produite par Label News pour RMC Découverte et Science & Vie TV et distribuée par Zed.
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Le documentaire n’est pas frileux quant à l’innovation ; c’est même un genre qui se renouvelle sans cesse, pour atteindre des publics de plus en plus connectés et inondés de contenus multi-plates-formes. Comment, alors, se démarquer sans pour autant sombrer dans un effet de mode ? C’est tout le questionnement dans lequel s’est engagée l’agence de presse Label News pour la série Pyramides : les mystères révélés.

« Il y a cinq ans environ, nous avons eu l’idée de réaliser un documentaire en Égypte, autour de la nécropole de Saqqarah, la plus vaste du pays », rappelle François Pomès, producteur et cofondateur de Label News. « Le tournage s’est parfaitement déroulé, mais s’est avéré très complexe à mettre en place, en termes d’autorisation notamment ».

De retour en France, en septembre 2017, Label News a l’idée de poursuivre ce travail avec une série autour des pyramides, mais pas uniquement les plus connues du plateau de Gizeh : Khéops, Khéphren et Mykérinos. Et pour renouveler le genre, la production choisit de s’appuyer sur la photogrammétrie pour reconstituer en modèles 3D les fameux édifices.

 

 

Un tournage de haut vol

A l’instar de nombreux pays, l’Égypte interdit le vol de drones autres que ceux des sociétés nationales autorisées. Autre difficulté : le temps. « Le temps documentaire est différent du temps scientifique », explique François Pomès. « Comme nous voulions produire un contenu qui soit à la fois “entertainment” mais aussi scientifique, nous avons donc conçu le tournage en deux temps : une phase de repérages durant le premier trimestre 2018, puis l’envoi d’une équipe technique pour le tournage et la phase de scan 3D et, à l’automne, l’envoi d’une seconde équipe en charge des plans au sol, des relevés et des interviews des archéologues et autres personnalités. »

Sur le versant technique, Label News a fait appel à Iconem, société mondialement reconnue qui s’est donné comme mission de contribuer à la conservation de sites architecturaux et patrimoniaux menacés dans le monde en les numérisant pour l’exploration et l’étude. « Iconem est un partenaire précieux pour Label News, qui dispose d’une expertise et d’équipes de tournage aguerries. Nous avons monté le projet ensemble, tout en gardant à l’esprit que le survol des pyramides serait effectué par une entreprise locale. »

 

 

Du scan, mais pas que…

La photogrammétrie permet donc de reconstituer des environnements en 3D à partir de l’assemblage de milliers de photos. Dans le cas de la série, ce sont quelque 10 000 photos qui ont été prises par des drones pour chaque pyramide. « Le drone est automatisé dans son plan de vol, ce qui lui permet de tracer, dans les airs, des lignes autour de la pyramide pour obtenir une base de données orthophotographique. » Simple ? Pas tant que cela. « Pour créer un modèle 3D pertinent, il faut une lumière homogène et zénithale pour garantir un éclairage suffisant et éviter les artefacts ». Un travail de précision réalisé par le pilote de drone égyptien et l’ingénieur photo d’Iconem.

Une fois les prises de vues engrangées, vient le temps du traitement : deux mois pour recalibrer chaque dalle d’image, effacer le public, les voitures et autres éléments perturbateurs, puis éditer les modèles 3D. Les données 3D ont ensuite été croisées avec celles des égyptologues qui sont sur le terrain.

Iconem a développé des viewers online et offline avec Potree, un outil de visualisation de nuages de points en WebGL open source pour échanger entre les équipes techniques et archéologiques et constituer un modèle fiable. « Le modèle numérique ne se substitue pas à des analyses topographiques de terrain, confirme François Pomès, mais la convergence des deux permet de réaliser des modèles photoréalistes et scientifiquement réels. »

 

 

Une technique qui a un coût

La série de 6 x 47 minutes disposait d’un budget d’environ 1 M€, soit plus de 150 000 € par épisode, « également répartis entre le recueil des datas et le traitement des données, plus évidemment les frais liés aux autorisations. La photogrammétrie demeure une technique onéreuse car elle requiert des temps de calcul importants. Il convient donc de savoir pourquoi on souhaite l’employer et ne pas se lancer uniquement parce que c’est spectaculaire », prévient François Pomès.

L’approche scientifique étant l’un des axes privilégiés par Label News, l’agence a mis les données recueillies à la disposition des scientifiques. Même la prestigieuse université d’Harvard a sollicité Label News pour pouvoir utiliser les modèles 3D des pyramides de Gizeh.

Au final, la série, réalisée par Maud Guillaumin, Marie Perrin et Lionel Langlade, entraîne l’audience à découvrir les secrets de fabrication des pyramides de Saqqarah, Kheops, Dahchour, Abou Rawash, Gizeh et Meïdoum.

Diffusée en mai dernier sur RMC Découverte, la série a également été distribuée par Zed sur de nombreux territoires : ZDF Info (Allemagne), SBS (Australie), Foxtel (Australie-Nouvelle Zélande), TV5 Québec Canada (Canada francophone), Mediaset Italy, DMAX Discovery (Spain), AMC Historia (Europe du Sud), FTV PRIMA (République tchèque), Viasat History (Scandinavie & Europe de l’Est), RTHK (Hong Kong), SVT (Suède) et NHK (Japon).

Deux autres documentaires, intitulés Saqqarah, les mystérieux textes des pyramides, réalisés par Julien Balestier et toujours produits par Label News, sont en cours de postproduction, se concentrant sur la nécropole de Saqqarah, où se trouve la pyramide du pharaon Pépi II. Fermée au public, elle renferme le plus vaste ensemble de textes des pyramides actuellement connus. Pour ces programmes de 52 et 75 minutes, distribués par Zed avec une diffusion prévue pour l’été 2020 (RMC Découverte), Label News a utilisé la photogrammétrie, des endoscopes, des caméras hyperspectrales et des photographies très haute résolution afin de reconstituer cet environnement inaccessible au plus grand nombre.

Une sorte d’archéologie 2.0 qui permet au plus grand nombre d’accéder à des sites somptueux… et d’en conserver une trace scientifique.

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #35, p.68/69. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.