RFI : Le son 3D dans tous ses états

Responsable de RFI Innovation, Xavier Gibert, nous reçoit dans les studios de Radio France International. On y apprend comment cette radio française qui s’adresse à l’international s’est intéressée au son immersif et a développé, au fur et à mesure des projets, une véritable expertise en la matière.
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En tant que radio, RFI s’est naturellement intéressée au son 3D et notamment au binaural, un procédé qui présente l’avantage d’être facile à diffuser sur Internet, sachant que si on accepte le compromis de ne pas individualiser les HRTF, ces fameuses Head-Related Transfert Function qui reproduisent la géographie de notre tête et permettent un rendu plus précis, aucun player spécifique n’est requis et un simple casque suffit à l’auditeur pour en profiter.

« L’audience de RFI est principalement située en Afrique et il se trouve que notre audience nous écoute de plus en de plus en situation de mobilité, le plus souvent avec un casque branché directement sur une tablette ou un téléphone portable », précise Xavier Gibert, Responsable de RFI Innovation. « Nous avons donc décidé de suivre cette évolution, en proposant via Internet un son immersif grâce au binaural. À RFI, on sait raconter des histoires, et le binaural nous permet d’agrémenter l’immersion narrative de l’immersion sonore. »

Aujourd’hui, la nature des productions mixées en binaural dans les studios de RFI Innovation est extrêmement variée et touche aussi bien des concerts de musique électro, des programmes éducatifs pour apprendre le français, des portraits de chanteurs et musiciens réalisés en collaboration avec France 24 ou encore des films réalisés en VR dans le cadre d’expositions ou de projets muséographiques…

 

 

De RFI Labo à RFI Innovation

Créé initialement pour produire du contenu en parallèle de l’antenne qui réclamait à l’époque des moyens spécifiques, le Labo de RFI a, au fil du temps, vu ses missions se diversifier au point de devenir aujourd’hui RFI Innovation, un département composé de huit techniciens qui, au-delà de la production, doit assurer une veille technologique, mais aussi établir des méthodes de travail adaptées aux nouveaux modes de diffusion.

« Nous observons tout ce qui se fait en technique autour du son en général, et plus particulièrement autour son 3D, sur des sujets comme le format ADM ou le mixage orienté objet par exemple, le but étant d’acquérir les modes d’utilisation et de les faire rentrer dans la chaîne de production de RFI », résume Xavier Gibert. « Nous créons des méthodes d’exploitation pour chaque outil, nous collaborons avec leurs créateurs, créons des liens entre start-up et éditeurs de logiciel. »

Sur le Satis, la participation de RFI Innovation à la zone Son immersif présente sur le stand Tapages a ainsi permis aux visiteurs de comparer différents systèmes de captation 3D ou encore de montrer en grandeur nature un système de mixage complet adapté à la réalité virtuelle avec la solution développée par Noise Makers pour les besoins spécifiques du mixage VR. Mais au-delà de la technique, la réflexion sur l’écriture avance en parallèle : « On ne produit pas un reportage de la même façon en 3D, en stéréo, ou en mono. En accompagnant des journalistes qui venaient de la monophonie, nous nous sommes aperçus que les modes d’écriture devaient davantage prendre en compte le ressenti émotionnel chez l’auditeur. Par exemple, nous avons remarqué qu’il y avait moins besoin dans le commentaire de décrire les lieux et l’espace où se déroule l’action dans la mesure où il est directement perçu par l’auditeur. »

 

 

Infrastructures et équipements techniques

Pour les besoins quotidiens liés à l’antenne, RFI dispose de quatorze studios radio capables d’accueillir de trois à six micros suivant le type d’émission. Architecturés autour d’un système de production Dalet, ils utilisent une solution Netia pour la diffusion. En parallèle, RFI Innovation dispose de trois studios de production dotés d’un monitoring Neumann KH déployé respectivement en configuration 13.1, 5.1 et stéréo. Les stations audio utilisées sont soit des Pyramix, soit des Pro Tools pilotées depuis une surface Avid Artist Mix. Pour les enregistrements musicaux, le service bénéficie d’un plateau capable d’accueillir une douzaine de musiciens qui sert également aux tournages des émissions de France 24.

Outre les mixages en multicanal et stéréo, l’ensemble des régies sont à même de produire en binaural. Par soucis d’homogénéité, l’écoute casque est assurée dans toute la maison par des préamplis Feichter et des casques Ultrazone Pro 550 tandis que suivant les projets, la binauralisation est assurée grâce aux plugs-in de b<>com, Noise Makers et au logiciel Spat Revolution de Flux. Sur le terrain, les équipes utilisent des enregistreurs multipistes Zaxcom (Fusion, Nomad et Max) afin d’enregistrer différentes sources mono, stéréo, binaurales et multicanales.

« Le but est de permettre aux journalistes de produire une émission en binaural à partir d’une base multicanale sans perdre l’outil traditionnel du journaliste, le micro main », explique Xavier Gibert. « Nous avons opté très vite pour des micros main, reliés en HF avec l’enregistreur multipiste de façon à permettre à l’ingénieur du son de se placer à distance pour composer ses ambiances multicanales avec le système de son choix (croix IRT, double MS Schoeps, VR Mike Ambeo Sennheiser, Lavalier DPA sur serre-tête…). Dans la mesure du possible, les ambiances sont enregistrées synchrones avec l’interview réalisée par le journaliste. On revient donc en studio avec une piste mono pour l’interview et les ambiances multicanales synchrones plus ou moins isolées de l’ITV en fonction du recul disponible sur les lieux. L’ensemble sert ensuite de base à l’émission qui sera produite en stéréo pour l’antenne et en binaural pour la diffusion digitale. »

 

 

Workflow 3D Audio : du 13.1 au binaural

« Nous avons fait le pari que la musique pouvait bénéficier d’un mixage en audio 3D qui, sans remplacer la stéréo, nous permet d’offrir de nouvelles expériences d’écoute à nos auditeurs », lance Xavier Gibert enthousiaste. Parmi les programmes musicaux traités en audio immersif, il y a donc Session Lab, une série diffusée sur les réseaux sociaux de France 24 et RFI sous la forme d’un portrait vidéo de deux minutes, disponible sur Facebook et Instagram, complétée d’un podcast audio plus long comprenant extraits musicaux et interviews.

« Cette émission nous permet d’offrir aux artistes leur premier morceau mixé en binaural, constitué soit à partir d’une captation audio et vidéo effectuée en live dans nos studios, soit à partir de stems qui nous sont fournis et que nous spatialisons en binaural. On part donc du mode canal pour terminer en binaural. » Sur cette émission, la spatialisation est réalisée dans un studio doté d’un monitoring 13.1 avec Pyramix. Chaque instrument est positionné dans l’espace avec un placement fixe ou mobile suivant l’intention voulue. Le passage en binaural est ensuite réalisé avec le plug-in b<>com.

« Chaque mixeur a le privilège de travailler avec ses propres fonctions de transfert (les fameuses HRTF NDLR) réalisées chez Orange Lab en chambre sourde. En vue de la diffusion sur les players Facebook, Instagram, YouTube, nous produisons le mix final en binaural toujours à l’aide du plug-in b<>com qui propose une HRTF lissée. Il s’agit d’une fonction de transfert moyenne qui sera moins précise mais conviendra à tout le monde car on s’est rendu compte que le cerveau est suffisamment plastique pour s’y habituer… ».

RFI Innovation produit également des programmes en VR mastérisés en binaural à partir d’un mix ambisonique comme par exemple la visite virtuelle du musée Ousmane Sow à Dakar, ou encore le mixage de programmes scientifiques réalisés pour Univers Science et diffusés dans le dôme de l’Espace Actualité à la Cité des sciences depuis les fauteuils équipés de masques VR. Dans ce cas, la solution Noise-Maker comprenant le plug-in Ambi Head HD et le lecteur vidéo VR Ambi Eyes hébergé sur un puissant PC déporté sont utilisés. La synchro image son et les informations qui permettent à l’audio de suivre les mouvements de la vidéo dans l’espace 360 ° sont véhiculées entre les deux stations via OSC, le duo formant alors un dispositif précieux pour évaluer la justesse du mixage par rapport à l’image 360°.

 

 

À chaque projet sa méthode

Nous quittons l’environnement 13.1 pour retrouver un studio stéréo doté d’une console SSL Syst T S500 et d’un Pro Tools pour assister au mixage de Séquences-Electronic Live Sessions, une série dédiée à la musique électronique accessible sur Internet depuis le site Culture Box de France Télévisions.

« Nous avons pris la suite d’Hervé Desjardin à Radio France et assurons depuis deux saisons la captation et le mix 3D de cette émission qui est le fruit d’une collaboration entre Milgram, Culturebox et France Medias Monde », raconte Xavier Gibert. Cette fois, le mix binaural est effectué au casque grâce à l’application Spat Revolution de Flux qui communique avec Pro Tools grâce à un plug-in inséré dans chacune des voix. Le travail est effectué depuis l’enregistrement multipiste récupéré en postfader afin de retrouver les intentions du mixage live. La postproduction vidéo n’étant effectuée qu’après le mixage, la fenêtre vidéo affiche une mosaïque comprenant tous les axes caméra et c’est donc le montage image qui prendra en compte, si besoin, la spatialisation son.

Nous retrouvons ensuite un studio 5.1 utilisé ici pour le mixage binaural d’une série éducative diffusée sous forme de podcast audio sur le site RFI Savoirs et dont le but est d’apprendre le Français. « Ici, l’espace sonore apporté par le binaural est utilisé pour favoriser la compréhension de la scène par l’apprenant, mais aussi pour reproduire avec le plus de justesse possible les perturbations qui existent dans un environnement bruyant, simuler au plus proche les situations réelles de la vie quotidienne. »

Véritable dramatique radio, l’épisode a été ici enregistré en studio avec quatre comédiens placés autour d’un système double M-S Schoeps. En fonction des projets, différentes sources sont utilisées et mélangées avec des formats différents allant du binaural natif à la stéréo en passant par des micros cravates. Parmi les outils utilisés, on retrouve ici le plug-in Schoeps pour le décodage double MS, Ambi PAN et Ambi Head HD pour la binauralisation, mais aussi différentes réverbérations comme Altiverb, et 360 Reverb de Audio Ease.

 

 

Une nouvelle grammaire du mixage ?

Au fil des mixages et des projets, une nouvelle grammaire de la spatialisation prend forme, de nouveaux rapports image/son se créent et des questions apparaissent : « Doit-on placer la voix off en intracrânien ou faut-il la placer au nord afin de diriger l’attention de l’œil dans un programme VR ? » lance Xavier Gibert qui nous rapporte le fruit de ses expériences : « Si les sources diégétiques (visibles dans l’image NDLR) ne peuvent pas être placées n’importe où, on a plus de liberté avec les sources anti-diégétiques (non présentes à l’image) qui pourront éventuellement être placées derrière pour libérer la scène avant par exemple. En VR, le rôle du son peut parfois être d’attirer le regard du spectateur vers une direction où il se passe quelque chose à l’image », conclut notre interlocuteur. De nouvelles terres d’expérimentation pour les mixeurs ? Sans doute.

 

 

À PROPOS DE RFI

RFI, alias Radio France International, est une radio française d’actualité diffusée mondialement en français et dans seize autres langues. Elle fait partie de France Medias Monde, une entité qui regroupe la chaîne d’info multilingue France 24 ainsi que MCD (Monte Carlo Doualiya), une radio française diffusée depuis Paris en langue arabe.

Contrairement à Radio France et France Télévisions qui opèrent sous la tutelle du ministère de la Culture, RFI, à l’instar du groupe France Médias Monde, dépend du ministère des Affaires étrangères depuis 1997.

Parallèlement à la diffusion broadcast (FM, ondes moyennes, ondes courtes et satellite) la consultation via Internet et les applications connectées se développe et représente aujourd’hui 16,4 millions de visites chaque mois (moyenne 2018) ainsi que 22 millions d’abonnés sur Facebook et Twitter (avril 2019).

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #35, p.16/18. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.