Le superviseur musical est la personne en charge de la bande-son d’un film, d’une série ou d’un jeu vidéo. Depuis peu réunis dans l’Association des superviseurs musicaux, plus de trente professionnels répartis sur quinze structures différentes, entendent faire porter leur voix.
Parmi les métiers du cinéma et de l’audiovisuel, le poste de superviseur musical reste peu mis en lumière en France et en Europe. En quoi consiste-t-il précisément ?
Pierre-Marie Dru : Le superviseur musical est un professionnel qualifié qui coordonne tous les aspects liés à la musique dans le cadre de la production cinématographique et audiovisuelle. Engagés par le producteur, nous sommes souvent présents depuis le début du projet. Nous pouvons accompagner la préproduction et le tournage, mais la majeure partie de notre travail est réalisée en postproduction, avec la supervision de la composition, des enregistrements, du mix et de tout ce qui tourne autour des musiques additionnelles, avec les recherches et les négociations. Il peut aussi nous arriver de prendre en charge l’exploitation commerciale des bandes originales.
Comment décririez-vous votre métier ? Quels sont les principaux volets de l’intervention d’un superviseur musical sur une production ?
Le superviseur musical a différentes missions. La première est de nature artistique. Le superviseur accompagne le réalisateur sur tout ce qui concerne la création et la fabrication de la musique originale et le choix des musiques additionnelles. Superviser veut alors dire comprendre le type de musique et d’arrangements souhaités par le réalisateur et la forme qu’il veut donner à tout ça pour accompagner sa narration. Notre rôle est d’aider le réalisateur, notamment à choisir le compositeur, la personne clef dans la conception de la BO.
Notre devoir est ensuite de mettre le compositeur dans les meilleures conditions possibles, si besoin de mettre en place une équipe autour de lui, de faire le lien et de fluidifier la communication avec le réalisateur. Mais il est fondamental de laisser les auteurs travailler entre eux, c’est la condition sine qua none pour qu’une œuvre soit singulière et forte.
Sur chaque projet, notre quête au trésor est simple : que la musique soit la plus belle et juste possible. Après, il y a de nombreux chemins possibles pour y arriver. Pour ce qui concerne les musiques additionnelles, notre mission consiste en grande partie à faire des recherches et à négocier les droits d’exploitation.
On nous demande aussi des compétences techniques : sur le tournage, quand la musique est en jeu, et plus souvent pendant la postproduction quand on s’attaque à la fabrication de la musique, avec les enregistrements et le mix.
Est-ce que la pandémie vous a obligé à vous adapter, à travailler différemment ?
Il a déjà fallu accepter de voir de nombreux projets s’annuler ou se décaler considérablement dans le temps… Pendant le premier confinement, avec l’équipe de Pigalle Production, nous avons beaucoup travaillé sur le film Annette de Leos Carax. Le travail de supervision était assez colossal sur ce film. Outre notre participation à certaines séquences sur le tournage, il a fallu trouver le moyen d’organiser la production de la musique avec la « problématique Covid » qui rendait impossible le fait de nous retrouver, les compositeurs vivant à Los Angeles, le directeur musical en France et les musiciens entre l’Allemagne et la Belgique.
Outre les aspects artistiques, le superviseur musical est-il aussi comme le producteur, garant du respect du budget du projet ?
Tout à fait. Nous sommes en charge du budget de la musique. En fonction du budget réservé par la production pour la musique originale et l’achat de musiques additionnelles, c’est à nous de dessiner une stratégie pour que tout soit respecté : le budget mais aussi le planning. Notre métier touche aussi au juridique : nous participons souvent à la rédaction des contrats des compositeurs, des musiciens, des artistes interprètes et aussi à la négociation des musiques additionnelles.
Nous pouvons aussi avoir un rôle dans l’exploitation commerciale de la musique en obtenant un deal de licence ou de distribution.
Qu’entendez-vous par là ?
Une bande originale vient toujours accompagner un film mais elle peut aussi avoir un intérêt indépendamment du film. La sortie de la B.O. peut alors être un vrai plus marketing pour le film.
L’an dernier, j’ai travaillé sur le film d’animation J’ai perdu mon corps de Jérémy Clapin, dont la magnifique musique composée et arrangée par Dan Lévy a été récompensée d’un César et d’un Grammy Awards. Ce qu’il faut savoir c’est qu’une fois le film fini, le producteur Marc du Pontavice a bien voulu engager de nouvelles dépenses pour que Dan puisse retravailler ses musiques afin qu’elles soient plus adaptées au format d’un disque et ainsi faire de cette B.O. un « masterpiece ». Au final, ça a été un pari payant et un atout commercial certain pour aider la diffusion du film, notamment aux États-Unis.
Il y a aussi quelque chose qui a à voir avec le sacré dans cette histoire : toutes les personnes ayant travaillé sur ce film auront sans aucun doute une émotion particulière quand, dans plusieurs années, ils écouteront à nouveau cet album. C’est un beau cadeau.
Comment expliquez-vous cette méconnaissance du métier de superviseur musical en France ?
Historiquement, en France, la supervision et la production des B.O étaient partagées entre les productions et l’entourage des compositeurs. Face à la multiplication des productions, notamment des séries, ils ont eu besoin d’aide.
Aux États-Unis, le métier existe depuis longtemps. Gérer la musique de 8×52 minutes sur plusieurs saisons est un vrai travail. Il est impossible pour un compositeur de pouvoir tout gérer seul, il a besoin de quelqu’un à ses côtés du début à la fin du processus de création et de production pour l’aider à assurer une cohérence et une continuité dans son travail. Le producteur n’a ni le temps, ni forcément le savoir-faire, il a besoin d’un partenaire fort sur ces sujets : c’est le rôle du superviseur musical.
Outre-Atlantique, ce métier est mieux reconnu ; il y a même un prix en parallèle des Oscars pour récompenser les meilleures supervisions musicales.
Comment est née l’Association des superviseurs musicaux (ASM) ?
L’idée de nous regrouper a germé il y a un an et demi. Nous sommes des acteurs privilégiés de ce qui se passe aujourd’hui dans les métiers de la musique à l’image. Il nous a semblé important d’échanger davantage et, sur certains sujets, d’essayer de parler d’une même voix. Avec la pandémie, le projet a été retardé. Début 2021, nous avons pensé que c’était le bon moment de lancer notre association.
Nous avons de nombreux dossiers en commun, des sujets qui nous réunissent comme la façon dont la musique à l’image est produite et financée en France, les problématiques liées aux contrats, aux nouveaux usages ou au travail avec les plates-formes. La question de la transmission est une de nos préoccupations aussi.
L’ASM a pour vocation de devenir l’interlocuteur des pouvoirs publics, des syndicats professionnels, d’être le porte-parole des superviseurs musicaux et de valoriser la place de la musique dans le processus de création des longs-métrages, des téléfilms, des séries, des documentaires et des jeux vidéo. Faire de la pédagogie et créer un relais auprès des instances et corporations du métier (CNC, CNM, Sacem, SCPP, Adami, Api, etc.), les nouveaux acteurs (plates-formes, etc.) avec valorisation de la fonction de superviseur, le partage d’une charte et d’un code de bonne conduite.
Pour aller plus loin www.asm-supervisionmusicale.fr/
Article paru pour la première fois dans Moovee #7, p.52/53. Abonnez-vous à Moovee (6 numéros/an) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.