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Étalonnage: vision métier et conseils d’Alexandra Pocquet

Après avoir découvert l’étalonnage en travaillant dans un laboratoire photochimique, Alexandra Pocquet a évolué vers le télécinéma et l’étalonnage numérique.
« Tel Aviv on Fire » de Sameh Zoabi. © DR

Coloriste indépendante basée à Paris, Alexandra Pocquet se passionne pour le cinéma depuis son enfance. Elle travaille tour à tour sur des publicités, des vidéoclips, des longs-métrages et des documentaires.

Alexandra Pocquet est coloriste depuis 22 ans et a travaillé sur de nombreux longs-métrages qui ont été primés. Elle a dernièrement collaboré au dernier film d’Agnès Varda, Varda by Agnès. On la retrouve aussi au générique de Liberté d’Albert Serra et de And Then We Danced de Levan Akin, un premier film présenté à la Quinzaine des Réalisateurs de Cannes cette année. L’étalonneuse partage avec nous son approche du travail sur les images…

 

Mediakwest : Quels sont les changements de fond de l’industrie que vous remarquez ?

Alexandra Pocquet : Je suis vraiment heureuse de voir de plus en plus de femmes occuper des postes stratégiques dans les équipes de cinéma, comme la mise en scène et l’éclairage. Elles appartiennent souvent à une jeune génération et apportent de nouvelles idées, de nouvelles approches. Il semble qu’elles n’aient pas à se battre comme c’était le cas à notre époque et, donc elles conservent beaucoup d’énergie et une fraîcheur que j’apprécie beaucoup dans leur travail.

Dans le passé, la différence de salaire entre les hommes et les femmes était importante dans cette industrie… Les femmes étaient censées avoir des profils plus « artistiques » et les hommes plus « techniques ». Dix ans plus tard, les salaires ne sont toujours pas les mêmes mais la situation s’est améliorée, on voit enfin de plus en plus de jeunes femmes qui travaillent dans des emplois techniques, et c’est une bonne chose.

 

Le travail d’Agnès Varda est inspirant pour de nombreuses femmes. Que pouvez-vous nous dire d’elle ?

Travailler avec Agnès a vraiment été un grand moment de bonheur. J’ai été submergée d’émotion au Festival du film de Berlin lors de sa dernière projection publique. J’aurais aimé travailler plus d’une fois avec elle. Comme elle était débordée et devait se partager entre le mixage du film et l’ouverture d’une exposition, elle m’a fait confiance assez vite. Sa première préoccupation était le contraste de l’image, que je devais rendre très naturel et proche de ses films antérieurs. Pour y parvenir, j’ai visionné toute sa filmographie.

 

Vous avez dernièrement travaillé sur l’étalonnage de And Then We Danced, un film qui s’est retrouvé dans de nombreux festivals dont Sundance…

Oui, je suis vraiment contente pour Levan Akin, le réalisateur. Le film a remporté tant de prix dans le monde entier et Sundance était la cerise sur le gâteau ! J’ai vraiment adoré travailler avec Levan et le chef opérateur Lisabi Fridell, deux personnes vraiment talentueuses.

J’ai utilisé DaVinci Resolve. Levan et Lisabi voulaient une image sobre et cinématographique. C’est un film avec de nombreuses scènes de danse, ce qui n’était pas facile. Dans l’image se trouvaient de grandes fenêtres et avec, dans le fond, un temps changeant. J’aime beaucoup la dernière scène du film, avec le costume rouge. Je l’ai travaillé pour qu’il ait l’aspect de mon rouge préféré !

 

Qu’est-ce qui vous semble souhaitable pour l’avenir de l’industrie, tant du point de vue technique que commercial ?

Je pense que la place de l’étalonneur dans la chaîne de production d’un film est minorée. L’année dernière, j’ai étalonné un long-métrage en six jours sans réalisateur et sans chef opérateur. J’ai envoyé au directeur de la photo trois images pour une première validation, il a dit ok et j’ai étalonné seule. Lui, le réalisateur et le producteur étaient très heureux du résultat ! C’était un film de genre, donc l’étalonnage était vraiment important et je devais prendre des décisions artistiques sur presque chaque séquence. Si j’avais un premier souhait, ce serait donc celui d’une plus grande reconnaissance pour les étalonneurs.

Il y a aussi un problème de budget, les producteurs n’ont généralement pas suffisamment d’argent pour travailler correctement et, depuis des années maintenant, le nombre de jours dédiés à l’étalonnage d’un film n’est pas lié à sa difficulté mais au budget qui reste après le tournage… Mon second souhait serait donc plus de budget pour le cinéma.

Netflix et d’autres plates-formes changent l’industrie pour le meilleur et pour le pire… J’aime beaucoup leurs films, mais en tant que qu’étalonneuse, je préfère que les gens aillent au cinéma pour regarder les films. C’est l’endroit où notre travail est le plus respecté.

J’aimerais qu’on trouve un accord afin que nous puissions voir les films produits par la plate-forme au cinéma. J’ai eu tellement de chance de voir Okja dans un beau cinéma flambant neuf ; l’émotion n’avait rien à voir avec un visionnage à la télé ou sur téléphone portable. En plus, en France, une petite partie de chaque billet de cinéma vendu sert à la production de nouveaux longs-métrages. Nous avons donc besoin que les gens aillent au cinéma pour financer l’industrie.

Netflix modifie également le financement et la production des films et les petits laboratoires de postproduction n’auront jamais la possibilité de travailler avec eux car leurs exigences de spécifications sont vraiment trop élevées… Il me paraît pourtant utile de préserver cette diversité industrielle…

Mon avant-dernier souhait est que les caméras vidéo continuent de s’améliorer et se rapprochent de plus en plus du film négatif sans distorsion de certaines couleurs. Et « bien sûr » le dernier souhait concerne l’écologie. Cette industrie est très polluante et j’espère vraiment que l’on va trouver de plus en plus de solutions efficaces !

 

Enfin, quels conseils donneriez-vous aux aspirants étalonneurs ?

Mon premier conseil serait d’étalonner les images aussi naturellement que possible au début. Maintenant, avec des outils comme Instagram, tout le monde peut étalonner une image et trouver de jolis filtres mais il y a aussi une question de raccord colorimétrique entre les plans et, surtout, la couleur sert une histoire. L’étalonnage doit rester discret pour respecter cela.

Je pense qu’un bon étalonneur est une personne qui observe son environnement, exerce ses yeux en allant au théâtre, voit des peintures, des photos… Toujours à l’écoute des souhaits du réalisateur et du chef opérateur, il proposera quelque chose de différent si ce qu’on lui demande lui paraît être une erreur.

L’étalonnage est une question de pratique, alors soyez patients. Et si je n’avais qu’un seul conseil à donner ce serait : respectez bien les teintes de peau !

On peut retrouver une partie du travail d’Alexandra Pocquet sur Instagram, sous le nom « alexpoc75 »

Article paru pour la première fois dans Moovee #4, p.74/75. Abonnez-vous à Moovee (6 numéros/an) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.


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