Populaire, un grain de passion

Même si le numérique est devenu majoritaire pour les tournages en France, certains chefs opérateurs continuent à préférer la pellicule. Un choix artistique, et non un dogme. Il existe une gamme complète d'outils de prise de vue, et le 35 mm en fait partie. La seule question est pendant combien de temps il sera encore possible de filmer en pellicule et pendant combien de temps les techniciens auront le savoir-faire nécessaire pour tourner en argentique.
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Nous avons rencontré Régis Roinsard et Guillaume Schiffman, respectivement réalisateur et chef opérateur de Populaire. Ce qui est frappant, et cela n’a rien à voir avec la technique, c’est la complicité qui unit ces deux hommes. Tous deux sont passionnés, et cela se sent dans la vie et à l’écran. Populaire, sorti sur les écrans en 2012, conte, au rythme d’un clavier mécanique de machine à écrire, La Populaire de Japy, les aventures de Rose Pamphyle qui a un don exceptionnel, en cette année 58 : elle a une vitesse de frappe dactylographique hors du commun. Son patron, Louis Echard, a décidé de la transformer en bête de concours. Populaire a été filmé en 35 mm, et propose un univers coloré, festif, acidulé, pastel, qui donne la bonne humeur.

 

MEDIAKWEST – Comment vous êtes-vous rencontrés sur ce projet ?

Régis Roinsard : J’appréciais le travail de Guillaume sur l’image, ce qu’il avait fait sur les deux OSS 117 réalisés par Michel Hazanavicius mais aussi sur d’autres films comme Gainsbourg de Joann Sfar, ou L’Avocat de Cédric Anger. Je le connaissais de réputation et c’est pour cela que je voulais travailler avec lui. Nous sommes tous les deux de grands cinéphiles. Je savais que l’on pourrait communiquer, partager, et cela s’est fait naturellement et rapidement. Nous n’avons pas essayé de copier quoi ou qui que ce soit, nous voulions garder nos souvenirs de toutes les références que nous avions et les insuffler dans le projet.

Guillaume Schiffman : Moi, à cette époque, je ne voulais plus de faire de films d’époque. Alain Attal (Les Productions du Trésor) m’a envoyé le scénario. Je me suis dit je vais quand même le lire, je l’ai dévoré et j’ai décidé de rencontrer le réalisateur, et lorsque nous nous sommes vus j’ai eu l’impression de voir un vieux camarade. Il n’y a pas eu d’approche de séduction, tout de suite nous nous sommes entendus comme de vieux amis, nous avons parlé musique, films, enfants. Il a une vision, et pas uniquement des envies. Quand on fait des films avec des budgets conséquents, il faut une vision pour éviter de faire du plagiat. J’avais l’impression que je pouvais proposer quelque chose de différent, de nouveau, sur une image un peu datée de l’époque mais avec un esprit moderne. Il m’a donné envie et je ne me suis pas trompé. J’aime faire des films avec des réalisateurs qui font des films un peu comme si leur vie en dépendait. Faire un film doit être crucial pour eux. Je ne voulais pas non plus qu’il soit trop respectueux, et c’était agréable pour moi car je devais lui prouver quelque chose, et comme c’était avant le succès de The Artist, c’était d’autant mieux.

 

Les sources inspirations étaient plutôt des films américains ou français ?

RR : Plutôt des souvenirs de films américains, car les films français couleurs de l’époque étaient en général des films de genres, style Cape et d’épée, reconstitution historique. Nous avons en revanche visionné des documentaires en couleurs de l’époque. Concernant les films américains, nous nous sommes basés sur le souvenir, même si Guillaume savait très bien comment les films américains des années 50 étaient éclairés. Nous avons vu ensemble Zazie dans le Métro, mais qui a une lumière de documentaire.

 

Quand vous lisez un scénario, vous pensez image ?

 

GS : Il faut que l’histoire m’amuse, et je dois avoir envie de raconter une histoire avec mon image. Un film que j’ai envie de faire, c’est un film que j’ai envie de voir. Concernant ma décision, cela peut varier, ce peut être une envie de travailler avec un réalisateur, un acteur. Dans le cas de Populaire, je remettais en cause quelque chose que je savais déjà faire et cela m’excitait. Régis est devenu un très bon ami. En plus je rêvais de tourner avec Romain Duris et j’avais refusé 4 films à Alain Attal, donc cela faisait plusieurs raisons qui me poussaient à faire ce film.

 

Comment vous inspirez-vous ? La peinture, la musique, le cinéma ?

 

GS : La peinture, pas du tout ! Mon père était peintre, et je refuse de prendre la peinture comme référence. On parle musique, plaisir, jeu. Régis me disait comment il voyait évoluer les acteurs dans une image. On parle costume, décor, de toutes ses maniaqueries à lui. Il savait exactement ce qu’il voulait

Quelles sont vos références ?

RR : Le film se passe en 58, c’est une année cinéphilique importante avec la sortie de Vertigo d’Alfred Hitchcock, du Mirage de la Vie de Douglas Sirk, de Mon Oncle de Jacques Tati. Quand je pense à ces films, je vois des rouges, des bleus, des couleurs et des cadres qui viennent en tête, les mouvements de caméras de Douglas Sirk. Il y avait une idée de ballet et de rythme que nous voulions donner en permanence dans le film. Nous avions des confrontations intellectuelles avec Guillaume, je préparais en amont la mise en scène et lors de réunions de travail nous voyions ensemble comment cela pouvait évoluer dans le film, et on reparlait de la mise en scène, il me posait des questions sur le cadrage, sur le point de vue. Et sur le tournage, on pouvait encore changer des choses, comme les placements de caméra, car les acteurs nous donnent certaines choses qu’on ne prévoit pas sur le papier. La difficulté du film est qu’il coûte cher avec les décors, les costumes et comme le producteur Alain Attal le disait, il fallait que la mariée rentre dans la chaussure. Nous avions un budget confortable, mais que nous ne pouvions absolument pas dépasser. Nous n’avons fait aucun retake, aucune journée de dépassement. Ce poids financier risquait de nous figer, et nous nous donnions des ouvertures pour expérimenter.

 

Vous prenez du plaisir à toutes les étapes ?

RR : Je prends un plaisir de dingue au moment de l’écriture, des recherches, un plaisir de malade quand je tourne, mais moins dans le montage. C’est parfois difficile de revoir les mêmes plans des centaines de fois. J’aurais peut-être pris plus de plaisir à travailler sur des tables de montage pellicule, car il y a moins cette répétition et cela laisse plus de temps de réflexion. Je pense que j’aurais voulu encore améliorer des choses au montage, mais dans la précipitation de la sortie du film on laisse sans doute passer des choses. Bien que j’adore le montage et mes monteuses étaient incroyables.

 

Pourquoi le choix de la pellicule ?

 

GS : Ce qui m’a plu c’est qu’il n’y avait pas de postulat de départ. Le producteur essayait de m’influencer pour tourner en numérique, mais Régis n’avait pas pris de décision avant le tournage, ce qui n’est pas le cas de tous les réalisateurs, et encore moins des producteurs qui, de plus en plus, imposent un format de tournage. Si un producteur a décidé à ma place avec quoi tourner, il faut qu’il fasse lui-même l’image du film. Il faut qu’il comprenne ce que c’est de faire l’image d’un film. J’ai parlé avec Régis et il m’a dit, moi, mon premier film, si je pouvais le faire en 35 mm, ce serait génial et je lui ai dit, n’hésite pas ! Nous sommes à une période charnière, et bientôt on ne pourra plus tourner en pellicule. Quoi qu’on dise, ce que nous avons fait sur ce film, nous n’aurions pas pu le faire en numérique. On fait d’autres images en numérique, mais pas cela. De plus, après une étude comparative des coûts, le producteur s’est rendu compte qu’il était quasi identique à un tournage numérique.

Alain Attal a dit si deux personnes (Régis et Guillaume) ont envie de 35 mm alors allons-y. On ne peut pas faire pas une photo d’époque avec le numérique. Il faut aller dans la parodie, ou dans une ré interprétation totale.

 

Que reprochez-vous au numérique ?

GS : Pour l’instant l’image des caméras numériques se ressemble. Le numérique est intéressant mais il ne faut pas vouloir copier le 35 mm, c’est quelque chose de différent. C’est une autre image, c’est un support différent. L’un des vrais problèmes est que le numérique a tendance à uniformiser les chairs. Pour palier ce défaut, on a tendance à sur-colorer l’image et, de ce fait, tout le monde est vert ou jaune.

Il ne faut pas faire n’importe quoi en numérique. Et l’idée de dire que cela va plus vite est fausse. Je dirais même qu’en pellicule nous n’avons pas les bugs que l’on peut avoir en numérique, ce qui arrive tous les jours, car nous sommes dans l’informatique. Avec le numérique, les gens ne prennent pas le temps de réfléchir. Les gens tournent, tournent, tournent.

Est-ce que le savoir-faire autour de la pellicule va se maintenir ?

GS : Je tourne actuellement un film d’auteur, je travaille avec un jeune chef opérateur, et cette nouvelle génération ne sait pas se servir d’une cellule, en revanche ils manient très bien l’oscilloscope. La jeune génération d’opérateurs ne pourra plus travailler avec la pellicule, la génération des 50 ans comme moi sera la dernière. Tant que ce sera possible, j’essaye de convaincre tout le monde de continuer à tourner en 35 mm. Tous les opérateurs qui travaillent avec les grands réalisateurs américains continuent à tourner en 35 mm et ce ne sont pas des « vieux » opérateurs. Ils sont éduqués au 35 mm, il y a une vraie passion pour le cinéma. Quand il n’y avait que de la pellicule, Kodak devait réinventer de nouvelles choses mais globalement la pellicule est très bonne depuis longtemps.

 

Et l’étalonnage?

GS : Je m’implique sur l’étalonnage, je décale les étalonnages pour être au maximum présent dessus. J’ai un assistant, qui va sur les séances de travail, en qui j’ai entièrement confiance même quand je ne suis pas là, il peut prendre des décisions à ma place. L’étalonnage fait vraiment partie du travail du chef opérateur. Il y a des films que ne ferais pas car je dois finir l’étalonnage. Lâcher l’étalonnage, c’est lâcher le film. C’est comme si on n’avait pas travaillé avant. C’est peut-être le seul endroit où le film ressemble à de la peinture et on en remet une deuxième couche.

 

Vos projets ?

GS : Le prochain film, avec Michel Hazanavicius, qui devrait être en 35 mm et qui un film de guerre dur, pas une parodie, sur la guerre de Tchétchénie.

RR : Normalement avec Guillaume, mais pour le moment le sujet est confidentiel. Il faut faire vite si je veux faire un prochain film en 35 mm.

 

En Bref

Guillaume Schiffman a commencé sa carrière de directeur de la photographie au début des années 90. Il a obtenu plusieurs nominations et récompenses pour The Artist dont le César de la meilleure photographie.

Populaire est le premier long-métrage de Régis Roinsard. Il a réalisé de nombreux courts, clips et films publicitaires.