Le Raw est-il un codec comme les autres ?

Dans de nombreux esprits, il semble se dessiner une hiérarchie parmi les codecs disponibles en tournage. En haut du podium, le Raw, qui représente la meilleure qualité.
© William Wages, ASC

La médaille d’argent revient au « ProRes » et sur la troisième marche se bousculent ces nouveaux codecs H264, H265 AVC-Intra, XAVC, AVCHD… dont l’intérêt est souvent mal compris, et que l’on utilisera parfois par défaut lorsque le Raw et le ProRes sont inenvisageables pour des raisons techniques ou économiques. Nous allons voir pourquoi ce format Raw a autant la cote et quel est son impact sur le tournage, tout en expliquant les concepts et caractéristiques des différents Raw.

 

Comprendre ce qu’est le Raw… et ce qu’il n’est pas

Il y a dix ans, la plupart des caméscopes étaient « tri-capteurs » et la lumière incidente était séparée, par un bloc optique interne, en trois images : rouge, verte et bleue. Sur les mono-capteurs actuels, la séparation des couleurs se fait différemment : chaque cellule du capteur est surmontée d’un micro-filtre qui ne laisse passer qu’une couleur, suivant le motif de Bayer.

Alors qu’un tri-capteur donne directement une image complète RVB, le mono-capteur ne donne qu’une image incomplète, puisque chaque photosite du capteur ne fournit qu’une seule des trois couleurs RVB nécessaires pour constituer un pixel.

L’opération qui reconstitue l’image RVB s’appelle la débayerisation. Il s’agit d’un algorithme chargé d’approximer les valeurs manquantes d’un pixel en se basant sur les valeurs des pixels voisins.

Dès à présent, on peut donner comme définition simple du Raw : une image Raw est une image qui n’est pas débayerisée. Pour préciser cette définition, ajoutons que ces données sont accompagnées de métadonnées, précisant les réglages effectués sur la caméra au tournage.

Pour voir les choses sous un autre angle : dans le cas du Raw, la débayerisation, sera faite par le logiciel de lecture vidéo. Dans les autres cas, c’est la caméra qui fait la débayerisation avant enregistrement par un codec. C’est la différence fondamentale entre le Raw et les codecs. Cela étant posé, nous pouvons désormais dire ce que le Raw n’est pas.

 

Le Raw ne désigne pas un codec

Même s’il figure parmi les options d’enregistrement d’une caméra, le Raw n’est pas à proprement parler un codec. On peut parler de « codec Raw » lorsqu’on fait référence aux données Raw encodées et encapsulées dans un fichier.

Le rôle du codec est de réduire le débit vidéo et donc le poids des fichiers, en compressant les données (codage), puis de faire l’opération inverse pour lire les images (décodage). Or, nous verrons plus loin que le Raw peut être compressé… ou pas.

Si les technologies « ProRes Raw » et « Blackmagic Raw » sont présentées comme des codecs, c’est parce que leurs fonctions d’encodage et de mise en forme des données Raw dans un fichier unique sont une caractéristique importante de ces technologies. Une sorte de « deux-en-un ». Pour certains Raw (ArriRaw, V-Raw…) ce sont de outils codex utilisés pour enregistrer et encapsuler sans compression les données Raw de la caméra. Dans ce cas on ne parle de codec que par abus de langage.

 

Le Raw n’est pas un standard

Le Raw est un paquet de données brutes en sortie du capteur, accompagné de métadonnées. De ce fait, le Raw est intimement lié à un modèle de caméra et donc à son constructeur. Chaque constructeur a son propre Raw : ArriRaw, Redcode Raw, etc. Deuxièmement, les enregistreurs conventionnels (non Raw) qui utilisent des codecs se basent sur un signal d’entrée standard (en général, 4:2:2 10 bits). Ce qui permet d’enregistrer la sortie de n’importe quelle caméra.

Dans le cas du Raw, un enregistreur Raw externe doit être développé autour des spécifications du capteur de la caméra. C’est le cas aujourd’hui des enregistreurs Atomos, Codex, Convergent Design… Les specs du Raw de chaque caméra doivent être implémentées dans l’enregistreur. La qualité et les caractéristiques du Raw dépendent uniquement du constructeur de la caméra ; son packaging et sa maniabilité dépendent de l’enregistreur.

 

Gain en bande passante avant débayerisation

Comme nous l’avons vu, sur une caméra traditionnelle, la débayerisation multiplie par trois la quantité de données à enregistrer, en recréant les deux valeurs manquantes à chaque pixel. Les opérations qui suivent : sous-échantillonnage (4:2:2 ou 4:2:0), compression, devront être d’autant plus drastiques et destructrices que le poids du fichier de départ est important.

Dans le cas du Raw, le fichier non débayerisé est trois fois plus léger et nécessitera donc une compression plus légère. Si le poids des fichiers est souvent un problème en Raw c’est parce que les capteurs ont des résolutions énormes et que les taux de compression sont volontairement faibles ou nuls pour conserver la qualité. Cependant, quel que soit le taux de compression, le fichier résultant est trois fois plus petit en Raw que si on appliquait ce même taux de compression sur une image RVB débayerisée.

 

L’avantage de la flexibilité

Les codecs traditionnels enregistrent une image normalisée (transformation du signal RVB en signal luminance/chrominance, sous-échantillonage en 4:2:2 ou 4:2:0) pour des questions de compatibilité entre équipements vidéo. Le Raw s’affranchit de ces opérations qui ne sont plus indispensables. Aussi, le signal vidéo traditionnel subit un certain nombre de traitements souvent irréversibles et destructeurs, correspondant à des réglages de caméra : gain (ISO), courbe de gamma, réduction de bruit, correction de contour (sharpness)…

Le Raw permet de reporter ces choix de réglages en postprod et donc de travailler de manière non destructrice. Il peut être assimilé à un négatif (comme en pellicule) dont les données brutes devront être « développées » (d’ailleurs le format Raw d’Adobe ne se nomme-t-il pas DNG pour « Digital Negative »). Cette flexibilité est rassurante en tournage car elle limite le nombre d’erreurs ou mauvais choix.

 

Raw Log ou Raw linear

Un capteur code la quantité de lumière reçue de manière linéaire, c’est-à-dire qu’à chaque fois que la quantité de lumière double (+1 diaph), la valeur enregistrée double. Par conséquent, dans les basses lumières, si un écart de 1 diaph utilise les codes entre 10 et 20, le diaph suivant sera codé entre 20 et 40 puis 40 et 80, etc., pour arriver dans les hautes lumières à 1 000-2 000. Par conséquent, l’image enregistrée aura peu de nuances dans les noirs (10) et beaucoup dans les hautes lumières (1 000). Pour avoir suffisamment de précision dans les noirs, il faudra un codage sur 16 bits (64 000 codes).

Ce Raw 16 bits linéaire présenta l’avantage de garder les données brutes du capteur avec des hautes lumières extrêmement détaillées, mais fournira des fichiers plus volumineux (33 % de plus qu’en 12 bits).

La plupart des formats Raw n’enregistrent les valeurs en sortie de capteur qu’après correction par une courbe Log, ce qui permet de répartir les valeurs de manière qu’il y ait le même nombre de nuances codées dans chaque écart de 1 diaph, donc la même précision dans les basses et les hautes lumières. Cela permet d’encoder généralement sur 12 bits (4 000 codes) et d’économiser de la place.

 

Paramètres de débayerisation

Devant la débayerisation, tous les Raw ne sont pas égaux. Certains fichiers Raw seront développés par le logiciel de lecture sans possibilité d’agir sur les paramètres de débayerisation (ProRes Raw, V-Raw). D’autres, au contraire, permettront d’intervenir sur le développement du Raw pour optimiser le résultat (Redcode Raw, ArriRaw, Blackmagic Raw…).

Par exemple, en choisissant l’ISO ou la balance de blanc au moment du développement, ou en jouant sur des réglages plus avancés : sharpness, bruit, etc. Ces réglages appliqués en postprod sont non destructeurs puisqu’ils s’appliquent à la lecture de l’image sans altérer la source.

 

Séquence d’image ou fichier unique

Une des raisons de la « lourdeur » du Raw est l’enregistrement de séquences d’images (un fichier par image) qui rend la manipulation et les copies de fichiers plus difficiles. À poids total équivalent, la copie d’un fichier unique est plus rapide que celle de centaines de fichiers.

On trouve cet enregistrement par séquence d’image sur les Raw des caméras professionnelles, mais aussi du format Cinema DNG d’Adobe qui équipe bon nombre d’appareils photo hybrides. Aujourd’hui, des formats comme le ProRes Raw, Blackmagic Raw ou Canon Raw Light, proposent une encapsulation en un seul fichier.

 

Raw compressé ou pas ?

La compression vidéo est une étape critique car elle dégrade la qualité de l’image en supprimant des détails et en créant des artefacts. Plus le taux de compression est élevé, plus les dégâts sont importants. Cependant, dans toutes les compressions de type Mpeg2 (ProRes et même H264, H265) il existe deux opérations de compression : la première basée sur la DCT (Direct Cosinus Transform) va éliminer les informations les « moins importantes » de l’image, c’est-à-dire les détails. La deuxième, dite « compression entropique », va compresser sans perte de données comme le ferait un fichier zip.

Lorsqu’un flux d’images HD (1,4 Gbps) est enregistré à 25 Mbps, un taux de compression de 60:1 est appliqué. Un tel ratio n’est pas acceptable en cinéma numérique, même si les technologies H264 (AVC) et H265 (HEVC) compressent de plus en plus intelligemment.

Dans le cas du Raw, Il est possible d’ajouter une compression légère (3:1, 5:1) avec un codage entropique seul ou accompagné d’une légère compression destructive et trouver un excellent compromis poids/qualité.

On trouvera alors sur le marché toutes sortes de Raw : non compressé comme le ArriRaw ou le V-Raw Panasonic, légèrement compressé comme Redcode Raw ou le Canon Cinema Raw Light, ou avec une gamme importante de taux de compression comme le Blackmagic Raw.

 

Les ProRes Raw et Blackmagic Raw (BRaw) sont-ils des bons choix ?

Ces deux formats Raw relativement récents sont présentés par leurs fabricants comme combinant les avantages du Raw (qualité d’image) et les avantages des codecs (vitesse et simplicité). Qu’en est-il vraiment ? Ces formats présentent effectivement les avantages du Raw précités : données non débayerisées donc plus légères, pas de 422 ni autre traitement destructif dans la caméra. Aussi, ils présentent les avantages des codecs : chaque plan est enregistré dans un fichier unique, plus simple et plus rapide à manipuler qu’une séquence d’images. Fichier que l’on pourra déposer directement sur la timeline.

Enfin, avant d’être encapsulées, les données passent par un encodage qui propose plusieurs niveaux de qualité : pour le BRaw une gamme de compressions de 3:1 à 18:1 en fonction de la qualité requise. Pour le ProRes Raw, deux qualités : « standard » et « HQ », mais Apple ne communique pas sur les débits ni sur le taux de compression. On est donc sur un concept « deux-en-un », Raw + codec, tout à fait alléchant. Aussi, ces deux codecs semblent pallier un des problèmes du Raw qui est de devoir générer des proxys pour pouvoir visionner les images.

Apple et Blackmagic nous affirment que leur Raw peut être visionné facilement, même sur un ordinateur portable, Apple mettant surtout l’accent sur la rapidité de décodage, de calcul de rendu et d’export. Mais alors quelles sont les limitations et défauts de tels codecs ?

Côté ProRes Raw, ce codec est particulier car il n’est pas lié à une caméra. Apple ne fabriquant pas de capteurs ni de caméras, le ProRes Raw est aujourd’hui possible seulement en enregistrement externe avec le partenariat des fabricants de caméras et des enregistreurs comme Atomos. Aussi ce format est compatible Mac seulement.

Côté Blackmagic, les puristes noteront qu’une débayerisation partielle est effectuée dans la caméra, et donc ce n’est plus du Raw « stricto sensu » et cela limite l’utilisation de ce Raw aux caméras Blackmagic exclusivement, dans le sens où même un enregistreur externe en BRaw ne pourrait pas s’adapter à d’autres caméras, contrairement au ProRes Raw. Cependant, ce compromis semble rendre l’opération de lecture de fichiers 4,6K ou 12K plus fluide, alors pourquoi pas…

 

Conclusion

L’industrie de la vidéo est toujours « lente » à abandonner les technologies caduques (signal luminance/chrominance datant du passage au noir et blanc, correction de gamma datant des moniteurs à tubes, etc.) Aujourd’hui en tournage, le Raw, qui fait un pied de nez au célèbre 4:2:2, n’est plus réservé qu’à l’élite. Du ArriRaw ou Redcode Raw au Blackmagic Raw et ProRes Raw, il existe une solution Raw adaptée aux grosses productions hollywoodiennes comme aux modestes « filmmakers », aux workflows lourds ou rapides. Si les codecs ont encore une importance considérable dans le monde du broadcast (ENG, transmission, Blu-ray, smartphones, etc.) la démocratisation du Raw en tournage semble désormais rationnelle, pertinente et justifiée.

 

Article paru pour la première fois dans Moovee #5, p.20/24. Abonnez-vous à Moovee (6 numéros/an) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.