Portrait en haute et basse lumière de la Varicam 4K avec Remy Chevrin

Rémy Chevrin a été le premier directeur de la photographie à utiliser la caméra Panasonic Varicam 4K sur un long métrage en France. Il s’agit du film d’Yvan Attal Ils sont partout. Retour sur la genèse du choix de la caméra, les impressions de tournage et les possibilités d’étalonnage. Récit, il n’en est pas coutume, à deux voix d’une collaboration : Rémy Chevrin et Patrick Leplat de chez Panavision.*
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Au début est l’idée du film : il sera constitué de plusieurs sketches dans l’esprit du cinéma italien des années 70 ; il y en aura sept. Les acteurs seront différents selon les sketchs : Charlotte Gainsbourg et Dany Boon, Valérie Bonneton et Benoît Poolevorde, François Damiens et Claude Perron, Grégory Gadebois et Denis Podalydès, Gilles Lellouche… Il sera tourné à Paris, dans une cité de banlieue, en Israël et en Cisjordanie.

En visite chez Panavision, Rémy raconte son projet à Patrick, son souhait d’obtenir des images différentes d’un sketch à l’autre et ses contingences de lieux de tournage. Une discussion sur les différents outils de prise de vue possibles démarre sans prérequis. Au début, ils envisagent d’utiliser une Alexa (Rémy en connaît le rendu, qui lui convient pour ce film) pour le jour et une Varicam pour la nuit. Tous deux savent qu’il faudra tourner de nuit dans le désert israélien sans apport de lumière. En effet, pour des raisons d’accès et de sécurité du territoire, il n’est pas possible d’utiliser des ballons, des projecteurs ou un groupe électrogène. Il faudra choisir une nuit de pleine lune ou tourner en nuit américaine. La Varicam, avec ses 5 000 Iso, offre un diaphragme supplémentaire par rapport aux autres caméras (qui peuvent être développées à 2 500 Iso sans problème).

À ce moment Eric Guichard, avec l’AFC et Angénieux, avait fait des essais prometteurs de nuit à 5 000 Iso. L’idée d’emporter quatre caméras (une Alexa et une Varicam, plus les corps de secours) semblait trop coûteuse et immobilisait trop longtemps trop de caméras à cause des délais de transit du matériel. À Paris, il faudra tourner dans une cité, en partie de nuit. Là-bas, les trois quarts des éclairages de rues n’existent plus ; ajouter des projecteurs serait dangereux.

Par ailleurs, Yvan Attal a fait une photo de la cité en repérages qui lui plaît beaucoup. Il a utilisé un appareil à 800 Iso avec une pose au quart de seconde et pense qu’il est impossible de réussir le même effet avec une caméra. Rémy lui répond qu’il existe une caméra à 5 000 Iso avec une pose au cinquantième de seconde qui permet d’obtenir un résultat équivalent. Dans l’image d’Yvan Attal, l’immeuble est brillant dans la nuit, les nuages ressortent, les hautes lumières sont brûlées, c’est une image très stylisée.

Rémy part faire des plans avec la Varicam en forêt. Dans son cadre : la lune, une cigarette et un téléphone portable ; il obtient une image de nuit éclairée comme un jour dense, des détails dans les noirs, des hautes lumières brûlées, des écarts de contraste importants avec du détail. C’est un résultat qui emporte l’adhésion du réalisateur et du chef opérateur. Finalement, toutes ces contraintes justifient un choix esthétique qui intéresse Rémy : filmer une cité brillante, sans éclairage en récupérant trois diaphragmes dans les basses lumières, sans bruit, tout en conservant les couleurs.

Rémy tenait à marquer ses retrouvailles avec Yvan Attal avec un nouvel outil et une nouvelle façon de filmer. La Panasonic Varicam 4K lui plaisait pour ses rendus en extérieur jour à 800 Iso et en extérieur nuit à 5 000 Iso, en y ajoutant le ratio du confort, de l’économie et du résultat, elle est devenue l’outil du film. Yvan Attal est surpris par le choix de son directeur de la photographie, mais conquis à la vision des essais. Sa seule réserve concernait les flares en étoile générés par les capteurs des caméras numériques. Daniel Delume, (producteur exécutif à La Petite Reine à l’époque), soutient Rémy dans sa décision.

Du côté des optiques, Rémy choisit d’utiliser des Leica Summilux T1.4 après plusieurs essais comparatifs avec d’autres optiques. En effet, il avait besoin d’une image propre, définie sur les plans larges ; il y a très peu de plans serrés dans le film. Ces objectifs correspondent à ce qu’il recherche ; ils ont la particularité d’être construits pour donner leur meilleur rendu entre 1.4 et 2.8. Or, le chef opérateur recherchait l’excellence en pleine ouverture étant donné les conditions de tournage. De temps à autre, l’équipe a eu besoin de zooms en Israël ; ils ont été loués sur place. Il s’agissait soit d’un 19/90 mm Fujinon, soit d’un 25/250 mm Angénieux. Sur certains sketchs, Rémy n’a pas utilisé de filtres ; sur d’autres, il s’en est beaucoup servi pour travailler l’image. Il avait choisi des glimmers, des glimmers bronze, des soft FX et des Pro Mist.

Par choix, Rémy Chevrin n’utilise pas de LUT de visionnage et n’a pas de DIT dans son équipe. En revanche, un data loader décharge et vérifie les rushes et fait son rapport de transfert. Rémy explique qu’il pose à la cellule et vérifie aussi son signal à l’oscilloscope. Il sait où il va et n’a pas de surprises à l’étalonnage.

Pour tourner les séquences de nuit dans le désert israélien, le directeur de la photographie a imposé les jours de pleine lune dans le plan de travail. Dans ces scènes, il y a des torches. Il fallait qu’elles soient petites et pas trop puissantes. Si elles l’avaient été, il aurait fallu fermer le diaphragme, et les montagnes au fond du plan éclairées par la pleine lune auraient disparu.

Un des enseignements tiré de l’utilisation de cette caméra à 5 000 Iso est qu’il faut maîtriser les hautes lumières qui peuvent très vite être brûlées dans les scènes de nuit. Cela suppose une grande connaissance de la lumière et de l’image pour obtenir un joli résultat. Par exemple, pour une séquence de nuit dans un appartement en région parisienne avec une découverte sur la ville éclairée, Rémy a utilisé un tube fluorescent entouré de Dépron pour éclairer les acteurs. Ainsi, ils sont présents à l’image et la ville en arrière plan est correctement posée.

La grande sensibilité de cette caméra n’est utile que s’il n’y a pas de très hautes lumières dans l’image, sinon les écarts de diaphragmes sont trop importants et il faut ré-éclairer les personnages de manière trop conséquente. Anecdote : la séquence dans le désert israélien a été tournée trois fois, trois jours différents, de trois points de vue différents : avec la Varicam, avec un drone équipé d’un GH4, avec une Go Pro fixée sur la tête de Gilles Lellouche. Les plans ont été retravaillés et salis pour certains à l’étalonnage de manière à les raccorder. D’autres plans de nuit ont été éclairés simplement avec un ballon à hélium équipé d’une lampe de 500 W à 20 m de hauteur ou avec une ampoule de 650 W derrière un cadre diffuseur en réflexion sur un poly.

Rémy Chevrin a beaucoup apprécié l’ergonomie de la tête de la caméra. Il est très facile d’assigner une LUT, le Vlog ou du REC709 sur le viseur ou les sorties de la caméra. Il la juge légère et bien équilibrée à l’épaule et il sait de quoi il parle : il raconte qu’ils ont tourné un plan séquence de 4 minutes 10 secondes de nuit dans un appartement moderne assez bas de plafond avec des baies vitrées, des projecteurs accrochés, des places précises de caméra et d’acteurs, et ils ont fait 54 prises ! Seul bémol : le capteur semble se salir très vite. Panasonic est en train de remédier à cet inconvénient.

À propos du workflow et de la postproduction : Rémy et Patrick ont beaucoup réfléchi à la question. Au moment de la préparation du film, l’enregistrement du Raw de la Varicam sur un Codex en était à ses débuts. Ils ont même fait les premiers essais mondiaux de ce procédé. L’algorithme de débayerisation n’était pas encore tout à fait au point et les labos tâtonnaient. Rémy a fait des essais comparatifs en tournant un même plan en Raw et en Ultra AVC 4.4.4 ; le laboratoire Technicolor rencontrait moins de problèmes de traitement de l’image avec la seconde solution et les résultats obtenus satisfaisaient Rémy. Par ailleurs, le fait de tourner à l’étranger, avec un retour plus lent des images sur le plateau, a poussé Rémy à choisir la solution du Codec pour plus de sécurité et de légèreté.

Finalement les rushes furent régulièrement rapatriés par les membres de l’équipe qui faisaient le voyage dans les deux sens. Le laboratoire envoyait un photogramme de chaque plan à Rémy tous les jours. En utilisant une courbe Vlog et l’Ultra AVC 4.4.4, les blancs sont clippés doucement, sans montée de magenta. À l’étalonnage, Rémy a apprécié les tons chair et le grand espace colorimétrique de cette caméra. Selon lui, il est équivalent à l’espace colorimétrique de la Sony F55. Il raconte que les images ont été harmonisées très facilement.

C’était le récit d’un Beta test grandeur nature, rendu possible par la collaboration de l’équipe image, du loueur de caméra et du laboratoire. Cette complicité tend à devenir monnaie courante pour le plus grand bien des films. Maintenant Panasonic sort une version plus légère de cette caméra et l’enregistrement en Raw est mature.

 

* Cet article est paru pour la première fois en intégralité dans Mediakwest #16, pp. 78-80.

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