Le ST-2110 au menu des rencontres « Coffee To Media » de CTM

Mediakwest vous propose un point sur l'actualité SMPTE 2110 grâce à l'une des dernières rencontres « Coffee To Media », organisée par CTM avec la société 44.1.
Pierre Maillat détaille les éléments de l’architecture ST-2110 reliant les différents sites du groupe Canal+ © JC Perney – CTM

CTM organise régulièrement, sous l’appellation « Coffee To Media »,  des rencontres avec ses clients pour présenter les dernières innovations des marques que la société distribue ou faire le point avec les professionnels sur les tendances récentes de la production AV.

Pour  l’une de ses dernières rencontres, CTM avait choisi de s’appuyer sur l’expertise de 44.1 acteur du monde de l’audio professionnel que la société a racheté l’an dernier. Le rendez-vous avait pour thème : « Transition vers le SMPTE 2100, évolution ou révolution ? »…

Afin d’aborder le thème de la transition vers le SMPTE 2100, CTM et 44.1 avaient invité d’une part deux constructeurs, Stagetec pour l’audio et EVS pour la vidéo pour qu’ils présentent leurs dernières nouveautés autour du ST-2110, et d’autre part les responsables techniques de deux chaînes TV pour qu’ils détaillent leur déploiement ou leurs projets basés sur le ST-2100 et leurs retours d’expérience.

 

La première conférence est consacrée aux produits audio de Stagetec. La société a été fondée en 1993 par une équipe d’ingénieurs, anciens de chez Neumann, qui avaient commencé à travailler sur le transport de signaux audio numériques. Le principal produit de Stagetec qui a contribué à sa renommée, est la matrice audio numérique Nexus. Elle a été vendue à plus de 20 000 exemplaires dans le monde. Avec son architecture modulaire, elle offre des possibilités d’interface audio et de routing pour des signaux en bande de base, analogiques ou numériques, transportés sur fibres optiques en mode TDM et par réseau IP. Selon les cartes de traitement incluses, elle les complète avec des outils de type DSP et de conversions multicanaux.

 

Avec ses entrées/sorties analogiques et numériques, le Nexus Compact est une passerelle vers les réseaux IP à installer sur les lieux de captation. © Stagetec

Stagetec, au cœur des réseaux audio numériques

Avec la création de nouvelles cartes E/S, les matrices Nexus ont suivi depuis trente ans toutes les évolutions de l’audio numérique, d’abord sur des liaisons spécifiques, puis en audio sur IP. Jean-Paul Moerman, directeur du développement commercial, explique qu’avec cette structure hybride « un système Nexus installé il y a vingt ans peut évoluer en changeant seulement quelques cartes d’entrées/sorties. Il s’ouvre à l’AES67, à Ravenna, au Madi, au HD-SDI et bien sûr au ST-2110. »

Le cœur du système est installé dans un châssis modulaire 19 pouces regroupant les cartes CPU, de synchronisation, de traitement et d’interfaces. La capacité totale offerte par le système est de 65 535 entrées et autant en sortie. Un port optique offrira une capacité de 2 000 canaux en non compressé. Sur une interface IP AES67 il sera possible de transmettre un stream de 256 canaux et au total 32 streams.

 

Le système Nexus installé il y a vingt ans peut évoluer en changeant seulement quelques cartes d’entrées/sorties.

Plus récemment Stagetec a lancé le Nexus Compact. Sous la taille d’un petit ampli hi-fi, il regroupe à la fois des entrées et sorties audio analogiques (huit In et huit Out et une sortie casque) et numériques : 4 x AES3, ou Dante ou ST-2110 ainsi que des ports GPI/O. Il est également équipé de modules de traitement audio contrôlables à distance. Pour sa configuration et les réglages des traitements il est doté d’une interface Web mais est également pilotable depuis le réseau Stagenet. Il a été développé au départ pour raccorder un système de prise son multicanal. Stagetec a élargi ses usages pour le configurer en stage box ou en postes commentateurs.

Parallèlement au réseau et à la matrice Nexus, Stagetec a développé une gamme de mélangeurs audio numériques. Jean-Paul Moerman explique que les consoles peuvent être considérées comme des portes d’entrées au Nexus avec un accès à toutes ses ressources. Plusieurs consoles accèdent ainsi à l’ensemble des signaux transportés. Il cite l’exemple de l’Opéra d’Amsterdam qui dispose d’un réseau unifié dans l’ensemble du bâtiment avec trois salles de spectacles, huit régies avec des consoles et un studio de radio pour du live.

 

L’architecture modulaire de la matrice Nexus facilite son évolution vers les nouveaux formats d’audio numérique. © Stagetec

 

La console la plus récente de Stagetec est le modèle Avatus qui fonctionne intégralement en IP. Basé sur une structure modulaire constituée de bacs de faders, de panneaux avec réglages rotatifs et d’écrans tactiles, le client définit la taille et les capacités de la console selon les besoins de production et les contraintes d’aménagement. Chaque élément constitutif de la console dispose de sa propre adresse IP de façon à dialoguer séparément avec des équipements distants. La structure modulaire des consoles et des matrices Nexus associée à l’outil de management Stagenet permet de définir les configurations d’exploitation, leurs interfaces de contrôle et l’affichage du monitoring. Il est facile de basculer rapidement les ressources vers un équipement alternatif ou de constituer des configurations fonctionnant en remote production. Dans ce domaine, il a détaillé le dispositif de gestion des signaux audio mis en place au centre de production des directs de la Formule 1 en Grande-Bretagne.

 

EVS, des serveurs de ralenti aux infrastructures tout IP ST-2110

La société EVS fête cette année ses trente ans et son nom reste associé aux serveurs de ralentis vidéo qui accompagnent tous les grands événements sportifs. Mais ces dernières années, elle a considérablement élargi sa gamme de produits. Dieter Backx, responsable des produits de contrôle, de monitoring et d’orchestration détaille leur répartition en trois grandes familles.

D’abord LiveCeption pour les serveurs de production live et de ralentis, associés à des outils de transferts et d’archivage. La gamme MediaCeption regroupe tous les systèmes d’asset management depuis l’ingest multiformats, la gestion des workflows SDR/HDR, la mise en forme et la validation des contenus. Enfin dernier grand domaine du portfolio d’EVS, les outils liés à la gestion des infrastructures, au routing et au processing, qui regroupent les passerelles de conversion et de traitement IP Neuron, le système de contrôle Cerebrum, les racks de traitement Synapse et enfin la solution de routage hybride IP/SDI MediaInfra Strada.

 

Face avant et face arrière de EVS Neuron © DR

 

EVS s’appuie sur les technologies IP depuis de nombreuses années, d’abord pour la connexion des utilisateurs à ses équipements puis le transfert de fichiers. En 2014, elle a lancé son premier serveur avec connexion directe en IP. Avec l’extension de ses activités vers les infrastructures, elle pénètre totalement dans le monde de la vidéo sur IP et du ST-2110 en particulier avec les châssis Neuron.

Dieter Backx passe ensuite la parole à Kristof Van Der Veken, architecte solutions pour les produits live IP chez EVS pour présenter plusieurs réalisations basées sur l’usage des liaisons ST-2110. Il y a d’abord le nouveau siège de Canal+ (lire ci-après). Il poursuit avec l’exemple de Fox Sports qui s’est équipé de deux systèmes Flypack, constitués chacun de vingt racks transportables. Mis en œuvre pour la première fois lors de la Coupe de Monde de Football au Quatar, et basés sur le système de routage IP MediaInfra Strada, ils regroupent 65 châssis Neuron associés à des switches Arista pour des fonctions de passerelles, de conversion, et de compression, le tout sous la supervision de Cerebrum. L’ensemble du système est capable de traiter près de 3 000 sources vers 4 000 destinations, tout en IP ST-2110.

Kristof Van Der Veken a terminé sa présentation en relatant quelques retours d’expérience autour du ST-2110. Le premier point abordé concerne la procédure de découverte et d’enregistrement des équipements raccordés en ST-2110. Une première méthode définie par la spécification NMOS IS-04, basée sur le protocole mDNS, est totalement automatique, à condition que tous les équipements se trouvent sur le même VLAN. Si ce n’est pas le cas, une alternative existe avec la procédure DNS-SD qui fonctionne en lien avec un serveur DNS. Mais tous les équipements ne sont pas pourvus de l’un ou de l’autre service. Dans ce cas il faut établir la table d’adressage de manière manuelle.

Il évoque ensuite le pilotage et le contrôle des machines ST-2110 en décrivant les modes « out band » et « inband ». Dans le premier cas, les ordres de commande et la supervision sont transmis via un port réseau dédié, alors que dans le second ils sont multiplexés avec les données images et son sur les ports média. Chaque méthode a ses avantages et inconvénients mais a des incidences sur la configuration des switchs réseaux.

Dernier sujet au cœur de nombreuses préoccupations : la gestion des signaux d’horloge PTP, élément clé de l’intersynchronisation des équipements ST-2110. S’ils sont répartis sur des domaines PTP distincts, Kristof Van Der Veken appelle à la prudence dans l’utilisation des numéros de domaine préconfigurés (0 ou 127) et dans la gestion des priorités.

 

Une architecture hybride SDI et ST-2110 pour le groupe Canal

En 2022, le groupe Canal+ a concrétisé le projet Canal One en regroupant une majorité des moyens de production sur un site unique à Issy-les-Moulineaux. L’occasion de refondre complètement les infrastructures techniques pour répondre aux challenges que doit relever le groupe. Pierre Maillat, responsable des études et de l’architecture technique à la direction de la production technique opérationnelle, en a détaillé trois.

Le premier concerne l’agilité pour gérer la multitude de formats des sources. « Canal+ a acquis les droits de la Champions League. Pour la première fois beaucoup de matchs seront transmis en HD progressif et en HDR. Le second élément à prendre en compte c’est l’élasticité. Canal+ diffuse beaucoup d’événements sportifs avec des aires de diffusion distinctes de celles de la métropole. Il est donc indispensable d’ajuster rapidement les moyens de production sans devoir pousser les murs. Le dernier élément à prendre en compte, c’est le partage des ressources. » Le choix d’une infrastructure en tout IP répondait parfaitement à ces besoins, mais en réalité c’est une architecture hybride SDI/IP qui a été mise en place car il fallait continuer à exploiter nombre d’équipements SDI non encore amortis.

 

Vue partielle du nodal installé à Canal One, basé sur les infrastructures ST-2110. © Mediakwest

Avec l’acquisition des studios de Boulogne en 2016, devenus Canal Factory, Canal+ avait déjà déployé des infrastructures vidéo sur IP (en ST-2022 à l’époque) pour y aménager trois régies et quatre grands plateaux. Ceux-ci servent en grande partie pour des émissions de sports en public ainsi que TPMP. Choisie au départ pour faciliter le passage en UHD, l’architecture vidéo sur IP de la Factory a révélé bien d’autres avantages que Pierre Maillat rappelle : « La vidéo sur IP regroupe toutes les ressources du site sur une grille unique et nous offre une plus grande flexibilité. On passe ainsi d’une logique câblée à une logique programmée. En SDI, la mise en place d’une nouvelle émission nous prenait une petite semaine pour sa configuration. Avec l’IP, cette préparation a été réduite à une ou deux journées. »

En complément aux chaînes à destination des DOM-TOM et de l’Afrique, le groupe Canal+ s’est largement développé à l’étranger avec une présence en Europe du Nord et de l’Est et plus récemment en Birmanie et au Vietnam. Comme l’explique Pierre Maillat : « En quelques années, nous sommes passés d’une chaîne mono programme et mono langue à un système de production et de diffusion couvrant de plus en plus de pays avec une multitude de langues et de déclinaisons. Au niveau technique, nous devons créer une synergie entre tous ces contenus et tous ces territoires. »

Le réseau déployé relie à la fois les trois sites de production : Canal One, la Factory et le pôle de Lagardère Media (Europe 1 et CNews) implanté quai André Citroën. Ce réseau est organisé en trois couches : le réseau média IPFM (IP Fabric For Media) fonctionnant en multicast pour les échanges de contenus, le réseau métier SDDC (Software Defined Data Center) destiné au contrôle et au monitoring et enfin le dernier réservé à l’informatique générale : gestion, accès Internet, téléphonie. Outre les centres de production évoqués ci-dessus, ces réseaux desservent également le centre de diffusion Cast, le prestataire Cognacq-Jay Image en charge de la diffusion des chaînes vers l’Afrique, un centre de diffusion situé en Pologne et plusieurs data centers installés chez Interxion. Pierre Maillat explique ce choix : « Nous essayons de déporter nos équipements dans des data centers plutôt que de les avoir sur les sites de production avec l’objectif de réduire considérablement notre empreinte sur les immeubles ».

Les trois réseaux sont organisés d’une manière identique et centralisés sur deux netcenters qui assurent l’interconnexion entre les sites mais aussi les accès vers l’extérieur. C’est un ensemble d’environ 120 équipements qui sont ainsi interconnectés selon une architecture Spine-Leaf. Concernant les débits, la liaison entre le siège One et son Netcenter offre une capacité de 400 Gb/s tandis que le pôle de diffusion Cast est alimenté par un lien de 800 Gb/s. Canal Factory est raccordé par une liaison de 100 Gb/s qui devrait passer prochainement à 400 Gb/s. La partie contrôle et supervision est assurée par trois systèmes Cerebrum d’EVS.

 

Le futur « Campus » de la RTS à Lausanne

Mathias Coinchon, directeur technique de la Radio Télévision Suisse romande (RTS), rappelle l’organisation des chaînes publiques en Suisse. Celle-ci est calquée sur les bassins linguistiques avec le français, l’allemand, l’italien et le romanche. Chaque zone possède son centre production avec une ou deux chaînes TV et quatre ou cinq radios.

Jusqu’à présent la RTS produisait et diffusait ses émissions TV depuis Genève alors que les programmes de radio étaient réalisés à Lausanne. Il a été décidé de regrouper les rédactions des journaux TV et radio et de transférer une partie de la production TV sur un nouveau site en cours de construction à Lausanne, dénommé Le Campus. Situé à proximité de l’EPFL et de l’Université, il doit démarrer ses activités à la fin de 2026. La production TV sera répartie sur les deux sites et celui de Genève conservera le centre de diffusion, le nodal et le data center.

La répartition des infrastructures sur deux sites distants de 60 km a poussé les responsables à réfléchir à une solution tout IP. D’autant que la SSR (Société Suisse de Radiodiffusion), la holding qui chapeaute les chaînes régionales, réfléchit également à la mise en place d’un réseau d’interconnexion entre celles-ci.

 

Mathias Coinchon présente la pyramide de l’EBU qui relate l’état d’avancement des travaux de normalisation du ST-2110 et des standards associés. © JC Perney – CTM

 

Malgré les normes ST-2110 et des recommandations NMOS du JTNM, les responsables du projet ont souhaité tester et valider l’architecture de systèmes encore complexes. Ils ont créé un laboratoire IP pour acquérir les compétences dans ces domaines et faire collaborer des spécialistes du broadcast et des ingénieurs issus de monde de l’IT.

Au niveau national, la SSR souhaitait harmoniser les choix entre toutes les chaînes régionales. Ainsi pour le contrôleur broadcast, c’est le système KSC Core de BFE qui a été choisi tandis que l’orchestrateur est le VideoIPath de Nevion. Le transport et le routing audio sont basés sur des équipements de Stagetec. Les générateurs PTP sont fournis par Meinberg. Les actifs réseau sont d’Arista déployés selon une architecture Spine Leaf.

Mathias Coinchon a insisté sur l’importance de la cyber sécurité dans le déploiement des infrastructures réseaux. « C’est n’est pas à la fin des études ou du déploiement technique qu’il faut engager les tests de pénétration. Dès le début du projet, les spécialistes de la sécurité doivent être associés aux études pour qu’ils interviennent sur le zoning concept et la segmentation des réseaux. »

Au-delà des informations techniques sur le passage à l’IP, Mathias Coinchon a aussi détaillé les conséquences de cette mutation technologique sur l’organisation des équipes techniques. « Il s’agit d’un changement total de paradigme et pour ceux qui ont toujours travaillé dans le broadcast c’est un bouleversement complet. »

Avec des infrastructures réseaux qui irriguent transversalement tous les équipements, l’organisation en silos séparés est inadaptée. La séparation radio/TV n’a plus lieu d’être et c’est un ensemble de flux vidéo/audio qu’il faut gérer quotidiennement. Les services IT ne sont plus une compétence sollicitée ponctuellement. Ils sont désormais partie intégrante des équipes d’exploitation. Il relate les débats autour de l’évolution des profils de compétences. Certains responsables défendaient le choix de former à l’IT des exploitants chevronnés alors que de son point de vue, il est indispensable d’engager des ingénieurs réseaux avec un sérieux bagage dans ce domaine puis de les former à l’exploitation broadcast. Il insiste néanmoins sur l’importance des formations IT à donner à l’ensemble des équipes d’exploitation soit au travers de formations dispensées par des organismes ou par les constructeurs eux-mêmes.

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #57, p. 92-95