On peut différencier deux types de productions : celles qui diffusent en live et celles qui créent du contenu qui sera diffusé après traitement en postproduction. Les deux requièrent du matériel et des technicités spécifiques, mais sont néanmoins confrontées à certaines contraintes similaires, à commencer par l’uniformisation des différentes images produites pour que le dispositif soit transparent pour les spectateurs.
Commençons par le cas des live, pour lesquels l’idée est de rassembler les images de différentes sources pour produire en direct un programme aussi riche et vivant que possible. Dans ce cas, la multiplication des caméras sert soit à dynamiser une scène, un débat par exemple, soit à mieux retranscrire l’ensemble de l’action qui se déroule, pour du sport notamment.
Julien Loubiou, directeur technique pour des retransmissions de divers types de sports, rappelle les similarités des plans de caméras : généralement un plan large, un plan serré, une portable pour la base. À cela vont se rajouter d’autres angles ou types de caméras en fonction du sport filmé.
« Pour le football, les caméras appelées 18 m droite et gauche servant à l’explication des hors jeux ; pour le rugby les caméras appelées “lourdes” équipées d’objectifs de longues focales (x60 à x80) se trouvant dans les angles du terrain pour apporter des détails pouvant servir à la réalisation comme lors de ralentis ; pour des sports extrêmes comme le skateboard ou le ski freeride, des caméras aux portes de départ pouvant être des portables ou des caméras robotisées. Si les budgets de production le permettent, nous pouvons voir apparaître d’autres angles de caméras, par exemple des caméras aériennes sur hélicoptère et/ou drone, ou des caméras Loupe ou Super Loupe qui tournent avec un nombre plus important d’images par seconde qu’une caméra classique : 75 images/s pour une loupe et 150 images/s ou plus encore pour une Super Loupe. Ces caméras sont utilisées comme des caméras classiques en réalisation et apportent une meilleure fluidité lors des ralentis. »
Arnaud Thomas, d’Obsess Medias, présente le set-up pour une coupe du monde d’escalade : « en général, une petite dizaine de caméras, sur pieds ou mobiles, la plupart avec cadreurs, mais aussi certaines qui sont pilotées à distance. Il s’agit de cable-cam en HF ou de PTZ fixées en haut du mur pour les vues plongeantes sur les grimpeurs, reliées via RJ45 en complément du SDI pour l’image afin de pouvoir être pilotées depuis la régie par un opérateur dédié. »
Julien Loubiou précise que pour les matchs les caméras sont reliées à la régie ou au car de production par des liaisons fibre optique ou Triax transportant tous les signaux audio, vidéo, commande, intercom et énergie pour être brassés vers les différents postes : réalisation, son, ralenti, ingénieur-vision, truquiste, opérateurs des caméras robotisées… Tout cela est organisé par un chef d’équipement qui est le technicien du dispositif ; c’est par lui que passent tous les signaux et la redirection de ceux-ci. Le NDI tend à faire son apparition sur ce type d’installation en remplacement du SDI, mais ce n’est pas encore la norme.
Quand on multiplie ainsi les caméras, la problématique majeure devient l’uniformisation de leurs images, afin que le rendu soit le plus transparent possible pour celui qui regarde le live.
Selon Julien Loubiou, « même si les parcs de caméras proposés par les prestataires sont les plus homogènes possible, nous pouvons nous trouver avec des caméras pouvant être de séries différentes ou encore de marques différentes (ce qui est plutôt rare). Mais même à modèle identique les caméras n’ont pas toujours le même nombre d’heures de tournage et ont donc un degré d’usure variable qui peut modifier le rendu visuel. Pour avoir un équilibre quasi parfait de l’ensemble des images, le poste d’ingénieur vision est essentiel. Suivant les productions et le nombre de sources à traiter, leur nombre peut évoluer, mais il est préconisé d’avoir une personne pour trois ou quatre caméras, car au-delà cela devient un travail très compliqué, surtout si la lumière est amenée à évoluer pendant le live. »
Ces problématiques ne sont pas propres au live, même si leur traitement doit alors être effectué en temps réel. On va voir que les enjeux sont les mêmes pour les vidéos qui passent par une phase de postproduction.
Dans le cas d’un tournage « classique », le nombre de caméras tend là aussi à se multiplier, encouragé notamment par la démocratisation du matériel et des supports d’enregistrement. À l’époque de la pellicule, les bobines étaient davantage comptées que le sont les gigas de nos jours !
Quand on regarde une émission de télévision aujourd’hui, on est souvent impressionné par la quantité de sources. Par exemple, le célèbre show Deadliest Catch de Discovery Channel, sur la pêche au crabe en Alaska, paraît n’embarquer qu’un seul cadreur par bateau, mais avec lui une dizaine de mini-caméras fixées à divers endroits pour capturer toutes les actions. On imagine facilement les heures d’enregistrement que les assistants monteurs doivent traiter par la suite !
Le choix en matière de ressources humaines est donc focalisé sur la postproduction davantage que sur la prise de vue, peut-être pour un rendu plus spontané ou pour ne pas avoir trop de cadreurs dans le champ dans un espace aussi réduit, mais aussi parce que cela a été rendu possible par le gain de qualité des action cams, robustes et faciles à fixer partout, sur un point fixe ou sur un personnage.
Pour Thibault Gachet de Supersize Films, société de production spécialisée dans les sports extrêmes, le nombre de caméras sur un tournage va dépendre du sujet et du budget, mais va systématiquement être multiple : « Ça peut aller de trois/quatre caméras, qui est la configuration “minimale” pour assurer la diversité de plans nécessaire : deux caméras au sol + un drone et/ou une caméra embarquée, à onze caméras comme sur le projet A Door in the sky (exploit de chute libre des Soul Flyers qui ont pénétré dans un avion en plein vol) : une follow cam (sur le casque d’un autre “sauteur”), un cineflex sur hélicoptère, deux caméras au sol, deux caméras embarquées, deux dans l’avion “cible” et trois à l’extérieur de l’avion. »
Le choix des caméras dépend là encore des mêmes contraintes et va donc varier selon les productions. Thibault Gachet précise « qu’étant amenés à évoluer sur plusieurs types de terrains allant de la haute montagne au confort des plateaux, ou encore de nuit, dans l’eau ou dans les airs, on adapte le matériel à notre environnement : le Sony A7SII est notre caméra de base, légère, petite, à objectif interchangeable, excellente sensibilité dans les basses lumières, idéale pour être rapide et mobile. Pour un rendu plus “cinéma” on va opter pour la Red Epic quand l’action le permet, car elle est plus longue à mettre en place. Pour les captations aériennes ce sera une Red Dragon en système GSS, ou un drone Mavic Pro facilement transportable. Une Phantom Miro/Flex 4K sera utilisée principalement pour les tournages de sports rapides, car sa très haute cadence de prise de vue permet d’arrêter le mouvement pour montrer ce qui est invisible à l’œil nu. En plus de cela, s’ajoutent de nombreuses GoPro, modèle idéal pour les caméras embarquées pour tous types de sports ou en cas de conditions de tournages extrêmes (météo difficile, environnement montagnard…). »
Sur un tournage de documentaire plus « classique » le choix des modèles pourra évoluer vers des DSLR ou des caméras type Sony FS7 par exemple, mais pour l’essentiel du temps, la captation sera faite avec plusieurs sources.
Julien Christe, de 5Elements Production, rappelle que la problématique d’une production multicam, comme pour un live, est liée à l’uniformisation des images, qui se pense dès la prise de vue : « Pour obtenir le meilleur résultat sur chacune des caméras utilisées, nous poussons les profils flat au maximum. Le but étant d’avoir une image vraiment neutre, avec peu de saturation et de contraste. Un profil Log est l’idéal. La grosse difficulté ensuite, lors de la colorimétrie, réside dans le fait de rattraper des tons entre une caméra qui filme en 8 bits comme la A7SII, un GH5 qui lui peut filmer en 10 bits et une Red en 12 bits. À l’étalonnage, Davinci est un outil vraiment puissant pour des tournages en multicam, mais il faut avoir le temps, et donc le budget, pour réaliser un étalonnage de qualité. »
Thibault Gachet complète : « Comme j’utilise Adobe Premiere Pro, je n’ai aucun problème de postproduction puisqu’il accepte tous les formats natifs des caméras que nous utilisons. La complexité de tourner avec plusieurs caméras vient surtout de leurs différences colorimétriques et de sensibilités, pas de leurs codecs. On passe simplement plus de temps à l’étalonnage pour faire correspondre les différentes sources entre elles. »
Le volume de rushes pour chaque production devient donc plus conséquent et il ne faut pas sous-estimer sa gestion ni son archivage.
Pour tous les types de tournages, qu’il s’agisse de live ou de documentaires, le nombre de caméras tend donc à se multiplier, avec ou sans cadreurs associés. Cela engendre bien sûr des contraintes d’uniformisation des images, mais surtout cela enrichit considérablement la réalisation, car davantage d’angles de prise de vue sont proposés, ce qui permet un montage plus dynamique et qui retranscrit mieux l’action. On peut donc imaginer que cette tendance va continuer sur le même chemin pour les années à venir.
Article paru pour la première fois dans Mediakwest #28, p.22/23.