Prophot : un autre regard sur la vidéo

Depuis deux ans, David Serdimet préside aux destinées de Prophot. La société, acteur majeur de la photographie, présente dans le quartier emblématique du boulevard Beaumarchais à Paris, a entrepris de s’ouvrir au marché de la vidéo. À la fois pour proposer à ses clients photographes les outils adaptés à leurs besoins, mais aussi pour offrir aux vidéastes un autre regard, notamment en termes d’éclairage. Entretien éclairé avec David Serdimet, président de Prophot.*
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Mediakwest : Pourriez-vous tracer brièvement l’histoire de Prophot ?

David Serdimet : Prophot a été créée juste après la guerre, avec pour cœur de métier l’importation de films argentiques. La société s’est construite sur du négoce pur et dur. Son fondateur allait acheter du film un peu partout et le revendait sur Paris. Jusqu’en 2000, on venait chez nous acheter de la pellicule en grande quantité, que du film professionnel, bien évidemment : 24 x 36 mm, moyen format, grand format. Le film était vraiment notre spécialité.

Au fil des années, la société s’est spécialisée dans le studio, c’est devenu son ADN et cela l’est resté. Dans les années 50, les photographes professionnels ont commencé à s’installer de plus en plus dans la photo de studio, à la demande des magazines, catalogues, etc. En tant que spécialiste du grand et moyen format, Prophot s’est assez rapidement tournée vers le marché du studio, même si, globalement, la société s’adressait à tous les marchés.

Pour nous, la photo, c’est certes de la prise de vues, de l’éclairage ou de la postproduction avec des logiciels de retouche, etc., mais c’est surtout une chaîne de l’image jusqu’à l’impression. Notre philosophie n’a jamais changé ; petit à petit, nous avons numérisé chacune des étapes en commençant par les dos numériques. En 1996, nous fûmes les premiers à importer en France les dos numériques qui, au départ, étaient des scanners. Nous avons été des pionniers en France pour la photo numérique moyen format.

Nous avons accompagné cette progression au fil du temps jusqu’à la grosse révolution de 2000 avec les premiers DSLR numériques professionnels. Et comme nous n’avons jamais réellement fait dans les petits boîtiers, nous n’avons pas du tout été affectés par la révolution arrivée derrière, celle des smartphones, lesquels ont complètement évincé le marché existant des compacts.

Le fait d’être restés sur le haut de gamme nous a permis de conserver une réelle expertise, notamment dans le moyen format ! Avec les derniers dos, il est possible d’avoir cent millions de pixels ; on obtient ainsi des résolutions et des niveaux de détail extraordinaires. Phase One est maintenant pratiquement l’unique marque dans le monde à concevoir, de façon industrielle, du dos numérique. Nous restons aujourd’hui leaders dans le marché de la photographie professionnelle moyen format numérique.

 

M. : Depuis deux ans, vous vous développez vers la vidéo. Quels sont vos objectifs ?

D.S. : Le premier est d’accompagner tous nos clients de la photo vers le nouveau média de la vidéo. Au travers de contrats qu’ils récupèrent de leurs clients, il leur est de plus en plus demandé de travailler sur les deux médias. Évidemment, comme photographes, les commanditaires leur demandent de la vidéo additionnelle pour compléter leur production, afin de l’utiliser sur les réseaux sociaux, faire des making of, etc. Ensuite, nous avons rencontré un certain nombre de personnes du monde de la vidéo qui sont venues nous voir comme nouveaux clients. À ceux-là, nous enjoignons de faire quelques photos pour compléter leurs vidéos…

Photographes et vidéastes ont chacun leur domaine d’expertise qu’ils vont garder ; leurs deux mondes sont séparés : le monde de la photo est plutôt artistique, alors que le monde vidéo est davantage technologique. Les philosophies ne sont pas tout à fait les mêmes. Il y a aussi le cinéma, qui est encore un autre monde, auquel toutefois nous ne sommes directement liés qu’à travers certains accessoires de lumière que nous importons.

Dans l’essentiel de ce qui constitue le monde vidéo, hors le broadcast ou le studio TV, nous pensons détenir une valeur ajoutée. Nous sommes depuis fort longtemps des experts de la lumière au travers du flash, de la lumière continue, avec la complexité de la photo. La vidéo haut de gamme nécessite cette approche qui permet de donner à l’image un piqué un peu plus professionnel que ce que le lambda peut obtenir au jour le jour avec un éclairage sommaire.

Notre légitimité est encore plus grande avec les nouveaux formats comme la 4K. Les moindres défauts dans l’éclairage sont perceptibles. Lorsqu’on dispose d’un téléviseur quelque peu évolué, on réalise bien que tout n’est pas tourné de façon optimale ! Techniquement parlant, ce qui auparavant pouvait « passer », apparaît aujourd’hui comme une image très pauvre ; et sur le web c’est encore pire, avec des tablettes ou des ordinateurs en très haute résolution !

Nous avons, par conséquent, souhaité capitaliser notre expertise de l’éclairage, du numérique. La photo numérique, c’est un capteur ; la vidéo, c’est un capteur. Il devenait assez logique, pour nous qui avons acquis des compétences certaines en optique, d’accompagner nos clients vers ce nouveau média. Nous avons donc recruté de nouvelles compétences et « packagé » des offres.

Notre légitimité en matière de photographie numérique nous apporte une réelle capacité à nous introduire sur le marché de la vidéo, l’apprentissage à effectuer est en cours avec l’idée de faire connaître et reconnaître Prophot au même niveau en vidéo que la société l’a toujours été en photographie.

Quelque part, ce sont les fournisseurs et les technologies qui nous y conduisent peu à peu, parce que nous estimons réellement que le photographe qui doit tourner de la vidéo devra se munir de deux équipements. Il peut cependant utiliser un équipement qui fait les deux ; celui-ci lui permettra de procéder à du repérage, voire d’effectuer certains jobs.

Pendant presque dix ans, les photographes ont perdu une grosse partie de la valeur ajoutée de la photo. S’ils se contentaient de la prise de vues, tout serait perdu. Petit à petit, ils ont donc regagné leur valeur ajoutée en reprenant la main sur le maillon de la postproduction dans leur métier. En reprenant celle-ci, en plus de la prise de vues, ils se sont aperçus que le marché de la photo était toujours rémunérateur.

Il ne faut pas penser que l’on peut tout filmer avec des DSLR ; cela dépend du média auquel on destine la vidéo. Si c’est pour le web et finir sur un espace de 5 x 10 cm, on aura tout ce qu’il faut avec les DSLR d’aujourd’hui. En revanche, si cette vidéo est supposée être utilisée sur les médias, voire diffusée sur un grand écran lors d’une conférence via un projecteur haut de gamme, un tel système ne sera pas le plus adapté. Pour moi, le DSLR et la caméra vidéo sont deux outils complémentaires.

 

M. : En matière de vidéo, avez-vous opté pour des marques, des partenaires précis, des choix spécifiques ?

D. S. : Par rapport au positionnement que nous avons choisi, nous avons jusqu’ici privilégié deux marques : Sony, pour la partie caméras haut de gamme et Canon (nous sommes déjà partenaires pour la photo) ; ce choix nous paraît être le plus pertinent. Nous serions capables de vendre tout ce qu’un client souhaite, mais notre but est vraiment de l’orienter. Notre cible première sera constituée des acteurs de la petite production et du reportage.

Notre objectif demeure de privilégier une offre susceptible de nous permettre d’orienter nos clients en fonction de la typologie de leurs futures vidéos, qu’ils veuillent du petit studio d’interview de deux-trois personnes, le corporate, le social, l’événementiel, la mobilité, etc. Proposer une offre complète qui leur permette d’avoir l’éclairage et les accessoires connexes, plutôt que de leur vendre uniquement la caméra.

C’est vraiment ce vers quoi nous évoluons. Nous ne sommes pas un leader de la vidéo ; notre légitimité s’établira par la valeur ajoutée que nous saurons apporter aux utilisateurs. En ce qui concerne les produits et marques, il n’y a pas longtemps, j’ai vu la présentation de la Panasonic EVA ; je trouve que le produit est intéressant, il faudra y réfléchir. Enfin, nous proposons aussi certains produits de la gamme Blackmagic et importons aussi les drones et autres Ronin, ou encore Osmo de chez DJI.

 

M. : En ce qui concerne la lumière, vous êtes-vous arrêtés sur des choix précis ?

D. S. : Nous n’avons pas de choix arrêtés ; nous importons des éclairages à Led qui sont très efficaces pour tout ce qui est DSLR ou équipements mobiles. Nous travaillons aussi avec différentes marques pour avoir une gamme de produits suffisamment large. Ce sont aussi bien des produits d’importation que de la revente, adaptés autant au studio qu’à la location, ou au shooting mobile.

La technologie Led est bien avancée, elle permet de faire beaucoup de choses au niveau du contrôle de la température de couleur et de la puissance désirée. Mais la lumière, ce n’est pas uniquement une lumière « plate ». Il faut pouvoir la travailler, la modeler… Il y a des choses réalisables en Led et d’autres qu’il faut entreprendre avec d’autres technologies d’éclairage. Un Fresnel restera toujours un Fresnel et, pour faire un Fresnel, il faut une source de lumière ponctuelle. Tant que les Led ne seront pas d’une puissance suffisante pour avoir une lumière ponctuelle, on sera obligés de combiner différentes technologies.

Nous proposons beaucoup d’accessoires qui permettent de travailler la lumière autant à l’intérieur qu’à l’extérieur ; des produits qu’on retrouve chez la majorité des revendeurs vidéo qui ont pignon sur rue, mais ce que l’on sait moins, c’est que Prophot en est l’importateur en France, comme c’est le cas pour Lastolite, pour ne citer qu’eux.

 

M. : Mettez-vous aussi un pied dans la postproduction ?

D. S. : Nous n’apportons aucune valeur ajoutée en ce qui concerne les logiciels de postproduction. En revanche, en matière d’écrans, nous travaillons avec Eizo qui œuvre sur une gamme intéressante ; nous sommes un partenaire privilégié en région parisienne. Cela marche très fort au niveau des écrans calibrés dans toute la chaîne graphique. Nous abordons ici un gros challenge ! Nous proposons aussi les tablettes Wacom qui sont toujours très utiles.

Historiquement, nous sommes capables de fournir une grande partie de l’équipement de postproduction au niveau digital, puisque nous distribuons des disques durs, des systèmes de stockage et des stations de travail Mac pour couvrir une bonne partie des besoins… Nous affichons une approche orientée usage de la postprod au niveau matériel, plus qu’au niveau software, dans un premier temps.

 

M. : Avant le début de notre entretien, vous avez évoqué des bureaux en province, quel est leur rôle ?

D. S. : Pour le moment, ils ne sont pas très avancés dans la partie vidéo ; tous en vendent à certains clients dont on a identifié les besoins, mais sans en faire la publicité. À Lille et à Toulouse, cette approche sera mise en avant en 2018. En revanche, sur Lyon, notre acquisition de l’année dernière, la ville étant une grosse zone d’activité, nous allons démarrer rapidement la partie vidéo. Nous venons de recruter un responsable qui vient de l’univers Mac ; il est chargé de nous aider à lancer l’activité vidéo sur la grande région lyonnaise. Pour l’instant, la tête de pont vidéo est essentiellement à Paris, notre site web nous permettant de couvrir toute la France.

 

M. : Quelle est votre ambition en termes de vidéo ?

D. S. : À l’horizon 2020, la vidéo devrait représenter quelque 25 % à 30 % de notre activité. Notre objectif est de continuer à faire évoluer le chiffre d’affaires de nos différents métiers, y compris la vidéo pour atteindre ce fameux tiers. Après, tout dépend… Ce tiers peut être plus qu’un tiers… Où devrons-nous placer le DSLR ? En photo ou en vidéo ? Donc, quand je dis un tiers, je parle vraiment de produits strictement vidéo. Sur le plan de transformation pour les trois années à venir, ce programme reste assez ambitieux.

 

M. : Comment se structure votre espace du boulevard Beaumarchais, à Paris ?

D.S. : Une grande partie des professionnels doit maintenant travailler avec des équipements portables. Le rez-de-chaussée de notre showroom est donc spécialisé dans la prise de vues plutôt DSLR, photo et vidéo, avec toute la gamme d’accessoires, une partie trépied, et une partie d’éclairage nomade. La partie purement vidéo a été localisée, au niveau de l’éclairage studio dans le showroom du bas. Sur cet espace, nous avons une personne dédiée au service et au conseil appropriés aux produits vidéo, parlant le même langage que leurs usagers et comprenant leurs pratiques.

 

M. : Quels sont vos effectifs à l’heure actuelle ?

D. S. : Sur nos cinq sites, y compris notre stock centralisé, nous totalisons un peu plus de quarante personnes, dont la moitié s’occupe de la région parisienne ; la société tourne globalement à 16 millions d’euros. Nous sommes présents à Paris, Lille, Lyon et Toulouse. Nous disposons en outre d’une équipe commerciale qui couvre la France.

 

M. : Vous n’aimez pas le terme « boutique », auquel vous préférez « showroom », simple histoire de vocabulaire ?

D. S. : Nous avons des « showrooms », pas des « boutiques », simplement parce que notre philosophie n’est pas d’attendre le client, mais d’entretenir avec chacun une vraie relation continue sur place et à distance. Même si, à Paris, nous disposons d’un emplacement avec pignon sur rue accessible à toute personne, l’atmosphère y demeure professionnelle par l’accueil et le fait que seuls des produits « pro » y sont présentés.

 

* Article paru pour la première fois dans Mediakwest #23, p.84-86. Abonnez-vous à Mediakwest (5 nos/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur totalité.