Une oeuvre en 3 dimensions: film, webdoc & appli

Avec Le défi des bâtisseurs, Seppia, en coproduction avec Indi Film, la ZDF, ARTE, le CFRT et Binocle, a tourné son premier docu-fiction sur la cathédrale de Strasbourg, considérée jusqu'au XIXe siècle comme le plus haut monument de l'Occident. Un projet titanesque d'autant plus qu'il est réalisé en 3D. En ajoutant la 3e dimension du relief, la cathédrale et les figures qui l'habitent deviennent spectacle et jouent une histoire intemporelle où se mêlent la beauté et la crainte, le mystère et la révélation. Ce projet est composé de trois médias interconnectés : un film, un web-documentaire et une application mobile. Seppia explore l'idée du transmédia pour son documentaire afin de proposer du contenu complémentaire à disposition des internautes et des utilisateurs de Smartphones.
2da7e6c037342f54c10e77c0d3e4a775.jpg

Le défi des bâtisseurs a déjà obtenu le Prix documentaire au Festival Dimension 3 2013. À cette occasion, MediaKwest propose une interview avec Cédric Bonin, producteur du film.

 

 

Médiakwest : Pouvez-vous présenter la Genèse du projet ?
Cédric Bonin : À l’époque, l’idée était de faire un film autour de l’histoire de la cathédrale de Strasbourg, d’une part, car la restauration
de la flèche de la cathédrale venait d’être finie après dix ans de travaux. D’autre part, car l’architecte Stéphane Potier, pour le compte de la Fondation de l’OEuvre Notre-Dame qui s’occupe de l’entretien du bâtiment, venait de faire une modélisation complète en 3D du bâtiment. Et il l’a fait avec un souci vraiment architectural. C’était une matière intéressante pour pouvoir commencer à travailler. J’ai proposé au réalisateur Marc Jampolsky de collaborer sur ce projet et il a été séduit. La Fondation de l’OEuvre Notre-Dame existe depuis plus de mille ans, c’est l’une des plus anciennes institutions qui existait au Moyen Âge. En 1289, les bourgeois de la ville ont « débarqué » l’évêque. Ils ont pris le pouvoir, par conséquence le chantier est devenu un chantier civil et non plus un chantier religieux, même si
le fondement de la cathédrale restait une oeuvre religieuse. En 1439, ils ont terminé la flèche et c’est devenu le plus haut monument de la chrétienté et même de l’Occident. La Révolution Française, du fait de cette dimension « républicaine », a épargné les archives et les plans de l’époque qui nous ont été utiles pour retracer avec précision l’histoire de cette cathédrale.

MK : Est-ce à cause ou grâce à cette richesse de contenus que vous avez souhaité faire un webdoc ? Comment êtes-vous arrivé à ce triptyque : film en 3D, webdoc et vision sur un mobile ?
CB : Oui, évidemment, la richesse des documents dont nous disposions nous a donné envie de faire un webdoc. Toutefois il faut faire aussi attention quand on fait un webdoc, de ne pas donner naissance à un pêle-mêle un peu joliment mis en images. Il faut avant tout raconter une histoire interactive. La Cathédrale de Strasbourg est la deuxième cathédrale la plus visitée de la France avec 4 millions visiteurs par an, juste après Notre-Dame. Tous ces visiteurs, quand ils arrivent devant, se demandent : « Mais comment ils ont fait ça ? » C’est une question naturelle. Et du coup, on avait envie de répondre à ça dans le film, mais d’y répondre aussi de différentes manières, notamment, avec la possibilité de faire cela depuis un mobile. L’idée, c’était de proposer aux visiteurs à Strasbourg une vision
augmentée de l’histoire de la cathédrale. J’ai fait appel à Julien Aubert, un « designer d’expérience ». Quand on fait un webdoc, un documentaire interactif, il y a une écriture spécifique, c’est une expérience pour les utilisateurs, il faut penser l’interactivité, penser le but, trouver des chemins et s’inspirer finalement d’autres codes de narration qui sont hérités du jeu vidéo ou des expériences interactives qu’on peut faire dans des musées. Nous avons ensuite fait en sorte que les trois médias (la télé, le web et le web mobile) se répondent, avec des ponts entre les uns et les autres, afin de trouver une expérience vraiment transmédia. Chaque média est une porte d’entrée dans l’univers du Défi des Bâtisseurs. Les gens vont être, d’abord, invités à vivre une expérience avec leur mobile, et ensuite, si
l’expérience est réussite et satisfaisante, ils vont avoir envie d’aller voir le webdoc ou envie de télécharger le film, ou acheter un DVD.

 

MK : C’est votre première expérience transmédia?
CB : Non, c’est notre deuxième expérience transmédia. Chaque écran est une expérience qui se suffit à elle-même mais qui doit donner envie d’aller voir au-delà. Pour moi, le cross-media c’est différent, c’est un complément de ce qu’il y a sur un écran et puis, on le décline
en quelque sorte sur un deuxième écran, qu’il soit mobile ou web. Dans les deux projets trans-media que nous avons produits, chaque
média est autonome et, en même temps, créé des liens qui donnent envie d’aller vers l’autre. Le premier projet que nous avons produit, s’appelle Bielutine, le Mystère d’une collection. C’est un film documentaire qui a été sélectionné à Cannes à la « Quinzaine des Réalisateurs » coproduit avec Arte. Ce film nous fait plonger dans l’univers d’Ely et Nine Bielutine qui sont deux collectionneurs d’art et qui ont chez eux à Moscou, dans leur appartement, la plus grande collection privée d’art de la Renaissance avec des peintures de Rubens, Van Eyck, Botticelli, Léonard de Vinci. Nous sommes dans un huis clos. Et en fait, le film soulève plein de questions. Les téléspectateurs sont tous fascinés par cette histoire, ils disent : « Mais est-ce que c’est vrai ? » Dès le départ, nous ne voulions pas donner toutes les réponses dans le film. C’est un objet plutôt cinématographique. Sur le site d’Arte, on a proposé un pendant au film, un webdoc qui est une expérience immersive pour découvrir l’appartement, son décor et les personnes qui connaissaient les Bielutine. Mais finalement ils n’ont pas forcément la vérité sur l’histoire parce que la vérité n’appartient qu’aux Bielutine. Mais on a créé une forme d’enquête interactive dans le mystère de cette collection.

MK : Pour revenir sur Le défi des bâtisseurs, le film est aussi un peu en challenge parce que c’est une fiction : vous avez tourné avec des acteurs en costumes etc., et en plus, en 3D. Qu’estce qui a motivé ce choix artistique ?
CB : Ce que nous avons voulu, c’était vraiment de plonger le spectateur à l’époque des bâtisseurs. Grâce aux traces historiques et documentaires, nous pouvions retracer l’histoire de ces personnages. Ce sont des personnages réels, ils ont vraiment existé, nous avons des traces, de leur naissance, de leurs actions. Nous avons décidé de mettre en exergue cette partie, en ayant recours à des comédiens qui incarnent ces Maîtres d’oeuvre, ces architectes. Nous avons plusieurs scènes où nous sommes dans leur bureau ou atelier, où ils dessinent et parlent de leur vision, des scènes plutôt intimes. Cela a servi la narration et a permis de rester dans un budget réaliste même si le film est un assez gros budget, il fait à peu près un million d’euros. Concernant la 3D, nous nous sommes posé beaucoup de question car c’était notre premier film en 3D relief. Nous avons fait des tests dans les ateliers des sculpteurs de Notre-Dame, on a filmé leur travail. Et là, on a vu, par exemple, comment la poussière de pierre s’élève sous le burin des sculpteurs. On était là avec des lunettes de 3D en train de regarder et on a compris que cela va être génial. Le relief marche très bien pour montrer l’architecture, la sculpture, le bas-relief, également dans les parties en image de synthèse avec le modèle 3D de la cathédrale qui se déconstruit. On peut montrer des éléments grandioses et d’autres très fins. C’est une vraie expérience en plus pour le spectateur.

MK : Et le film sera exploité sur place dans la cathédrale en 3D ou à la proximité ?
CB : Pour l’instant, le film a été diffusé sur Arte, en 2D, et il est sur le site de la chaîne en 3D. Il était aussi diffusé en parallèle sur le canal 3D Orange. En Allemagne, c’était sur le canal 3D d’Astra. Il y a eu des projections à Strasbourg, en Alsace. Une mini sortie en salle de cinéma a été faite après la diffusion TV en Alsace et chez nos voisins Allemands qui étaient les co-producteurs du film. Il y avait du monde en salles parce que les gens ont entendu parler du film, ils ont dit : « Je ne l’ai pas vu en 3D ! J’ai envie de le voir ! ». Nous continuons régulièrement à le projeter en salle, dans des festivals ou des soirées de projection événementielles.

 

MK : Est-ce que vous pouvez nous donner quelques précisions sur le temps qui était nécessaire sur la production ?
CB : L’idée du film est née il y a 4 ans. Le temps de faire murir l’idée… puis le temps nécessaire pour boucler le budget, trouver les fonds pour la 3D Relief qui a duré entre un et deux ans. Une fois notre financement quasi bouclé, nous avons commencé nos premiers essais techniques en octobre 2011 et le film a été fini en octobre 2012, un an donc. Il y a eu des moments de doute car la commission des NTP (nouvelles technologies en production) qui soutient la 3D au CNC, a rejeté le projet en première lecture. Nous avons réécrit le scénario, alors qu’on avait commencé à tourner. Nous leur avons montré la qualité attendue et ils nous ont soutenus unanimement pour finir.

Concernant la partie Web, le déclencheur, qui nous a poussés à avancer, c’était un appel à projet national du ministère de la Culture
intitulé « Service culturel numérique innovant » et nous avons proposé notre projet et nous avons été retenus. Le label du ministère de la Culture nous a servi même vis-à-vis d’Arte. Le Transmédia est nouveau pour tout le monde, y compris pour nous. Donc nous sommes en train d’inventer des nouveaux concepts au fur et à mesure. Les partenaires classiques n’arrivent pas toujours à comprendre si nous faisons un film, un webdoc. Il faut faire de la pédagogie et cela prend beaucoup de temps. Nous avons dû collaborer avec le clergé, avec l’État, avec Les bâtiments de France à qui nous devions expliquer ce que nous faisions et parfois ils nous prenaient pour des extraterrestres… mais ils ont fini par nous faire confiance, car la mutation vers le numérique leur semblait inévitable, ce qui a permis d’avancer.

MK : Et comment le webdoc marche pour la partie appli ? C’était nouveau pour vous. Est-ce qu’en termes de métier ou de langage c’était simple ou ce sont des choses qui vont se faciliter dans les prochains mois, prochaines années ?
CB : Dans les discussions que j’ai eues avec Julien Aubert, le Designer d’Expérience, (c’est un peu notre auteur Transmédia) on se comprenait bien. Autour de lui, nous avons constitué une équipe assez jeune, composée de « Digital Native ». Dans un projet interactif, il faut créer des schémas pour se comprendre. Alors que pour un film, comme c’est linéaire, c’est plus facile de raconter l’histoire. Dans les projets transmédia, il y a aussi de nouvelles étapes de production qui ne sont pas dans un film. Je dirais que le métier n’est pas encore vraiment bien défini. Quand on est sur un plateau, il y a l’assistant, le chef déco, les costumes, chacun sait ce qu’il faut faire. Pour le Transmédia nous sommes est en train d’inventer un langage et une organisation, il y a des nouveaux métiers à définir, de chef de projets, de suivi technique, éditorial, etc.

Là, où, dans le montage d’un documentaire, on a beaucoup de souplesse, en web-documentaire et en expérience interactive, il n’y a pas de marges de manoeuvres une fois qu’on arrive à l’étape de l’intégration ou du développement informatique, les décisions principales ont été prises et on ne peut revenir en arrière ou essayer autre chose. Et cela, on l’apprend à nos dépens… Pour que cela marche, il faut travailler très en amont, sur l’ergonomie, l’intuitivité, comment on fait agir les différents éléments…

MK : Est-ce que vous avez envie d’aller plus loin, notamment, sur des projets second écran ?
CB : Oui, ce sont des choses que nous regardons. Je pense que le documentaire peut bien s’y prêter. Et on a un projet sur lequel, peut-être, on va essayer de produire pour du second écran. Pour l’instant, ça marche bien sur les votes en direct ou pour les émissions de jeux. Sur le documentaire ou la fiction, il faut créer un événement pour que les gens arrivent à prendre leur tablette, à réagir en direct, à voter. Ce sont des choses nouvelles sur lesquelles nous réfléchissons.

MK : À partir du moment où l’on a goûté les nouveautés, est-ce qu’on a envie de revenir vers l’écriture traditionnelle ?
CB : Je pense que l’écriture traditionnelle ne va jamais disparaître. On a toujours besoin que les histoires soient racontées. Le véritable enjeu sur les nouvelles formes, sur le web, c’est d’arriver à créer un récit interactif où on garde les gens suffisamment longtemps devant leur écran pour qu’ils partagent une expérience.

 

Cédric Bonin partagera son retour d’expérience sur la formation Screen4ALL qui se déroule du 19 au 21 Novembre à la Halle Frayssinet de Paris.