De l’ARRI à l’Alexa, 100 ans d’inventions !

Le 12 septembre 2017, la société Arri fête ses 100 ans d’activité. Une grande aventure technique passionnante, retracée à partir de la conférence animée par Laurent Mannoni à la Cinémathèque française en début d’année.*
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Ce n’est pas en 1917 que tout commence, mais bien en 1913 quand deux jeunes gens passionnés de technique se nouent d’amitié au lycée professionnel de Munich : August Arnold, né en 1898 près de Salsbourg, fils d’un ingénieur des eaux et forêts autrichien, et Robert Richter, né en 1899 à Nuremberg et fils de négociant. Pour gagner leur argent de poche, ils réparent des bicyclettes et des machines électriques. Un jour les parents de Robert Richter lui offrent un tour et c’est là que tout commence ! Ils bricolent pour des amis et récupèrent ainsi des objets bon marché et de vieux projecteurs de films qu’ils réparent et améliorent.

 

Leurs premiers films

En 1915, ils assistent pour la première fois à un tournage de film, grâce à un opérateur allemand, Martin Kopp, qui est en charge des actualités de l’époque. C’est à ce moment que la passion du cinéma s’empare d’eux. Les deux amis sont invités par Kopp dans son laboratoire où sont installées des développeuses et des tireuses. Le duo Arnold et Richter va faire des films !

Au début, les deux compères sont scolarisés, mais ils obtiennent le droit de réaliser par eux-mêmes des actualités, grâce à Martin Kopp, qui leur prête ses caméras Gaumont, Pathé, Ernemann, des modèles très répandus à l’époque. Ils s’intéressent aussi à l’éclairage, au développement et au tirage.

Tous deux assimilent très vite et reçoivent l’aide d’un chef opérateur et du pionnier du cinéma, Ernest Ostermayer. On leur demande de réaliser des petites comédies qu’ils vont tourner dans le studio vitré d’Ostermayer. Leurs parents et leur école sont peu enthousiastes ! Avec l’argent gagné, Richter achète une caméra d’occasion anglaise qu’ils améliorent. Ceci va leur permettre de filmer à leur guise, tout en poursuivant leurs études. En 1915, Arnold réussit son examen d’ingénieur, tandis que Richter doit continuer.

 

Création de la société Arri

C’est à cette époque que les deux amis songent à créer une entreprise cinématographique. Le 12 septembre 1917, ces deux jeunes, même pas majeurs, créent la société ARRI (contraction d’ARnold et RIchter) avec un simple atelier et un magasin au n° 85, Türkestrasse à Munich où se trouve encore la société. Leur jeunesse et leur passion ont fait qu’ils n’ont pas pensé à créer juridiquement et officiellement la firme.

La guerre va les mobiliser la même année et Arnold va servir comme opérateur radio. Après un accident, il se retrouve employé dans les Usines Kroop, tandis que Richter est mobilisé comme conducteur de véhicules. Le premier papier à lettres doté d’un logo de la firme est dessiné par la mère d’August Arnold qui tient aussi, à la main, la comptabilité de la firme. Ce logo évoluera vers les années 30 et figure sur les catalogues qui contiennent les premières descriptions d’appareils fabriqués par la firme à partir de 1933. Arnold et Richter ont aussi proposé un service de location de films.

 

Premières fabrications

Les premiers appareils proposés par ARRI après la guerre, conçus dès 1916, furent des tireuses 35 mm, très robustes et très simples de fonctionnement. Cette machine constitue le premier succès de la firme. Richter la montre à Amsterdam en 1920 pour une exposition industrielle. Immédiatement, il en vend 24 exemplaires à un producteur italien et, pendant son séjour aux États-Unis, il en vend encore douze unités, ce qui fait entrer de l’argent frais dans la société !

Parallèlement à cette production de tireuses, Arnold et Richter reprennent leur activité d’opérateurs ; ils tournent des comédies et des films policiers, et même un western. On estime qu’ils ont filmé plus d’une centaine de films en tant que chefs opérateurs. Certains films ont eu beaucoup de succès et ont permis à la firme d’avoir une assise financière très solide à une époque où la crise financière était importante en Allemagne.

 

1920, un incendie survient !

Le 8 décembre 1920, un incendie se déclenche au premier étage de l’entreprise et la ravage. Néanmoins, elle va renaître de ses cendres et fabriquer du matériel d’éclairage dès 1924, dont un groupe électrogène mobile avec lampe à arc, fabriqué à partir de moteurs d’avions de 180 CV. Ainsi, il permettait d’apporter l’électricité sur les lieux de tournage.

À partir de 1937, Arri fabrique des lampes de studio, avec des lentilles de Fresnel, qui resteront très longtemps au catalogue. Richter obtient son baccalauréat en 1920 et, suite à la mort de son père, il est obligé de revendre la firme paternelle, tout en continuant à travailler dans la jeune entreprise Arri avec son ami August Arnold. Entre 1923 et 1924, Richter travaille dans l’usine Triton à Hambourg, société spécialisée dans les sanitaires, puis il a l’opportunité de revenir à Munich, pour terminer ses études à l’université.

 

La Conquête de l’Ouest

En 1925, Richter effectue son stage de fin d’études à New York. Pour gagner un peu d’argent, il travaille comme serveur dans les hôtels, puis chez Ford à Detroit, puis à Chicago et à Hollywood. Il visite tous les laboratoires d’Hollywood. Il présente alors la première caméra Arri 35 mm, la Kinarri 35. C’est une caméra très simple avec un grand obturateur. Mais Richter ne parvient pas à convaincre les Américains d’acquérir cette caméra.

Néanmoins, ce passage à Hollywood est décisif, car il lui a fourni un enseignement sur l’économie américaine, le besoin des Américains en termes de caméras. On notera que Richter est l’aventurier du binôme ! C’est un passionné d’aviation et un grand sportif. En 1930, il fabrique une caméra alliant image et son, mais qui finalement n’a pas obtenu le succès attendu.

 

Fabrication de développeuses

Arnold et Richter voient qu’ils ne peuvent pas s’illustrer dans le domaine du sonore face à la concurrence qui s’installe. La firme reprend alors pied patiemment avec pugnacité dans l’industrie des laboratoires en fabriquant notamment des développeuses. Cette activité va rester longtemps constante, encore aujourd’hui, et ARRI continue d’alimenter les laboratoires, notamment avec l’Arriscan (2010), par exemple. En 1936, ARRI propose une développeuse 16 mm, format très utilisé en Allemagne. La firme se trouve présente pratiquement partout (table de montage, colleuse, éclairage…) dans le cinéma, sauf dans la projection.

 

Un tournant historique, la visée reflex

Le tournant historique pour Arri, qui va lui offrir une renommée internationale, se produit en 1937, à la foire internationale de Leipzig, quand Arnold et Richter présentent l’Arriflex 35 à visée reflex. C’est le chef de bureau d’études de la firme qui l’a conçue.

L’Arriflex 35 est dotée d’un moteur électrique à vitesse variable, de trois objectifs et surtout d’une visée reflex qui utilise des miroirs collés sur l’obturateur qui renvoie l’image filmée dans le viseur et permet de voir exactement ce que l’on filme. ARRI recevra un Oscar en 1982 pour cette visée reflex à obturateur miroir. Notons qu’en 1930, ce principe avait déjà été breveté par un autre Allemand, mais sans avoir été appliqué au cinéma. Le problème de la visée restera une préoccupation chez ARRI jusqu’à aujourd’hui.

 

L’Arriflex 35, le fleuron de la firme

L’Arriflex 35 se caractérise par son mécanisme simple à une seule griffe, efficace et robuste. L’Arriflex 35 édition 1 était de couleur blanche et fournie avec beaucoup d’accessoires, notamment un trépied adapté au boîtier de la caméra. À l’époque, ARRI travaille avec la firme allemande d’optique Astro, notamment pour équiper ses caméras de téléobjectifs de 2 000 mm.

La caméra ARRI 35 devient très populaire auprès des reporters pendant la Deuxième Guerre mondiale, car il fallait filmer toutes les victoires pour la Wehrmacht, afin de faire de la propagande. Après montage et une censure rigoureuse, les films de ces reporters du Troisième Reich seront diffusés dans toutes les villes occupées pour renforcer l’idéologie nazie et le pouvoir hitlérien. La Wehrmacht n’a pas utilisé que l’ARRI 35, mais aussi des Bell et Howell américaines, des Debrie françaises et l’Askania 35, de fabrication allemande, plagiat de la Debrie, ce qui n’est pas le cas de l’ARRI 35.

 

Transfert de l’usine pendant la guerre

Pendant la guerre, les attaques aériennes se font de plus en plus fréquentes sur Munich, et par précaution, toute l’usine est transférée dans un vieux château à Brannenburgh en 1942. C’est une sage décision, car le 13 juillet 1944 les bombardiers alliés détruisent tout le quartier munichois et toute l’usine ARRI part en flammes ! La reconstruction s’avèrera difficile ! Elle durera plus de 10 ans, en raison de la rareté des matériaux (briques, poutres en acier…).

En 1949, le bâtiment principal est reconstruit. La renaissance d’Arri s’accélère rapidement grâce aux contacts de Richter aux États-Unis, notamment la Fox qui cherche, à cette époque, à se réimplanter en Allemagne. ARRI est désigné pour tirer les actualités de la Fox destinées à l’Allemagne. L’usine de développement et de tirage est reconstruite très rapidement pour répondre à cette demande.

 

Un nouveau départ

Dès lors, ARRI prend la première place des films de tirage sur le territoire de la République fédérale allemande. Dès 1951, l’usine est agrandie. En 1953, ARRI construit un grand studio pour les films et la télévision, à Munich. Au milieu des années 60, le plus grand acheteur de la firme Arri est « l’Arriflex Corporation of America » d’Hollywood et de New York.

Le fait qu’Arri soit si apprécié par les Américains n’est pas un hasard. Le succès de la première caméra Arri a été retentissant et des stocks de ses caméras ont été saisis par l’armée américaine. Ces stocks ont été directement envoyés aux USA et confiés à des opérateurs d’actualités américains. Ils en furent très contents, car leurs Bell et Howell n’offraient que des petits magasins, et avec l’Arri, ils avaient des magasins plus grands, et la fameuse visée reflex.

En 1947, le réalisateur Delmer Daves et son directeur de la photographie, le grand Sydney Hickox, font sensation avec leur film, avec Humphrey Bogart, « Les Passagers de la nuit » où la toute première partie est filmée en caméra subjective avec l’Arriflex 35.1 saisie dans les locaux des armées nazies et achetées directement dans les stocks de l’armée américaine. Les plans subjectifs n’auraient pas pu être filmés avec une Mitchell de l’époque.

En 1948, « Louisiana Story », de Robert Flaherty, est filmé avec une Arriflex 35.1 par Richard Leacock. C’est un courant d’air frais qui circule auprès de cinéastes alors entravés par des caméras très lourdes. ARRI décide d’améliorer cette caméra et propose l’Arriflex 35 II disposant de quelques subtilités supplémentaires par rapport au modèle précédent ; puis succéderont la 35 IIB, la 35IIC, la 35III… La firme reçoit une grosse commande des Américains, ce qui lui permet, d’une part, de reconstruire ses usines et, d’autre part, de continuer ses recherches et son développement. Elle propose un nouvel accessoire, une crosse d’épaule plus pratique pour soutenir la caméra.

 

Les très grands noms du cinéma sont souvent derrière une ARRI

Parmi les références cinématographiques en France, citons Paul-Émile Victor qui l’utilisa pour sa robustesse lors de ses expéditions polaires françaises au Groenland, entre 1948 et 1950. Elle était souvent transportée dans des sacs à dos. La 35 II a été très appréciée par les documentaristes et tout le cinéma indépendant américain.

Il s’ensuit qu’Arnold et Richter reçoivent à nouveau un Oscar pour cette caméra, car son influence a été énorme sur le cinéma américain ; elle a été utilisée pratiquement par tous les réalisateurs de studio américains pour des prises de vues difficiles, comme la poursuite de voitures dans « French Connection ». Une des plus belles illustrations de ce succès auprès des jeunes cinéastes de l’époque est « Easy Rider » de Dennis Hopper, filmé en 1969, par Làszlo Kovàcs. Il a utilisé un blimp pour certaines scènes, car les Arriflex sont assez bruyantes, et Arri a développé des blimps pour ses caméras 16 et 35 mm.

Au fur et à mesure du temps, Arri se distingue par la fourniture de nombreux accessoires (optiques, trépieds, batteries, dollys, etc.) pour ses caméras afin d’occuper tous les domaines de l’industrie cinématographique, à l’exception de la projection. En 1955, Arri propose une caméra à son synchrone, l’Arricord, qui enregistre simultanément l’image sur pellicule 35 et le son sur bande magnétique perforée de 17,5 mm. Il ne semble pas qu’elle se soit imposée !

En 1972, ARRI propose des caméras auto-blimpées, avec la série 35 BL qui s’est déclinée en 35BL II, 35BL III, 35BL IV. Elles ont marqué le cinéma américain, notamment avec le réalisateur Martin Scorcese qui l’a utilisée dans « Taxi Driver ». Les caméras de cette époque travaillent avec plusieurs griffes (griffe et contre-griffe). Elles deviennent des instruments de précision.

 

Diversification

En 1982, ARRI fait une incursion dans la 3D avec l’Arrivision 3D qui utilise deux caméras Arriflex 35 BL (« Les dents de la mer » en 3D). En 1952, Arri commercialise une caméra 16 mm, l’Arriflex 16ST, légère, simple, qui fera le bonheur des documentaristes et qui connaîtra un gros succès. En 1963, l’Arri 16 ST devient sonore avec le système Pilot Tone et le Perfectone ou bien avec un dispositif d’enregistrement magnétique synchrone Gaumont-Kalee. Arri a développé en 1975 l’Arri 16 SR à griffe et contre-griffe, déclinée en plusieurs modèles : la SR II en 1985, la 16SR 3 Super 16 en 1992 et la 16SR Advanced en 1999.

 

Visée orientable

Ce qui caractérise la 16SR, c’est sa visée orientable (visée à gauche ou à droite) brevetée par ARRI. Il y aura d’ailleurs une querelle de fabricants, suivie d’un procès retentissant, entre 1983 et 1984, avec le concurrent français Aaton qui utilise aussi ce système et qui va conduire cette dernière presqu’au bord de la faillite !

Dans le 16 mm, les progrès vont se poursuivre avec des caméras de plus en plus portables, de plus en plus maniables et armées d’une nouvelle ergonomie. L’Arricam Studio sera la dernière caméra 35 mm de studio produite par ARRI en 2000. En 2006-2008, on découvre l’Arriflex 416 16 mm High Speed. En 1965, Arnold Richter propose l’Arriflex 16 BL équipée du single system, son magnétique et magnétophone, Arrivox Tanberg, développé pour enregistrer des sons synchrones.

Dans le domaine scientifique, en 1966 et 1970, apparaissent les caméras 16 et 35 mm (Arritecno) pour produire des images aux rayons X et radar. Puis apparaît l’utilisation du Time Code en concurrence avec Aaton, et enfin la Rolls-Royce des caméras de la marque apparaît en 1989 avec le format 65 mm : l’Arriflex 765. Il faut mentionner l’Arriflex 435 à obturateur électronique à miroir.

Puis, en 1990, c’est l’Arriflex 535 qui finalise la gamme. Elle est conçue pour tous les formats 35 jusqu’au Super 35 avec recentrement, visée normale et anamorphique, reprise vidéo anti-flicker N&B ou couleur, vitesse variable quartzée de 3 à 50 images/seconde, marche arrière à 24 im/s et magasins coaxiaux motorisés de 150 ou 300 mètres, time code…

Dès 2003, l’Arriflex 235 35 mm est lancée ! L’universalité des équipements ARRI est reconnue par tous les utilisateurs de ces matériels. Cette longue histoire aurait pu s’arrêter là, mais l’arrivée du numérique a relancé le prestige de la marque avec la gamme des fameuses Alexa (Alexa Mini, SXT EV, SXT W, SXT Studio et Alexa 65)…

 

* Article paru pour la première fois dans Mediakwest #23, p.38-40Abonnez-vous à Mediakwest (5 nos/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur totalité.