Le long métrage d’animation Dilili, un ovni à Paris !

Projeté en avant-première au Festival international du film d’animation d’Annecy, Dilili à Paris de Michel Ocelot (sortie 10 octobre 2018) mêle la 2D et la 3D, et crée un pont entre Blender et Maya.
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« Je ne m’attendais pas à une telle levée de boucliers quand nous avons présenté le projet de Dilili à Paris », se souvient Michel Ocelot. Parce que le sujet évoque la maltraitance des femmes et les enlèvements de petites filles, la production n’a pas été aisée. Et ce, en dépit de la notoriété du réalisateur.

 « Certains partenaires classiques (institutionnels et fonds privés) ont été déroutés par ce film engagé, remarque Christophe Rossignon, producteur chez Nord-Ouest Films (Azur et Asmar, série Dragons et Princesses, Les Contes de la nuit). Déjà, sur Kirikou et la sorcière, Michel Ocelot avait rencontré des difficultés. On lui avait reproché les seins nus de la mère et la nudité de l’enfant ! Par contre, le financement d’Azur et Azmar n’avait posé aucun problème. »

 

Réunissant, entre autres nouveaux partenaires, Arte France Cinéma et Mars Films, le long-métrage ne peut tabler que sur un budget de 8 millions d’euros. Impossible dans ces conditions de le fabriquer entièrement en 3D comme Azur et Asmar et comme l’avait pensé au départ le réalisateur.

Devoir intégrer des parties en 2D n’est pas fait néanmoins pour lui déplaire (bien au contraire) ; par contre, déployer la fabrication sur trois sites distincts (Paris, Bruxelles et Montpellier) l’ennuie beaucoup : « Sur Azur et Asmar (9,5 millions d’euros, NDLR), nous avions pu réunir toute la fabrication dans un seul lieu à Paris, chez Mac Guff. Pour moi, le luxe, c’est tout le monde sur le même plateau. »

 

Vont donc intervenir sur Dilili à Paris, toujours Mac Guff (Paris et Bruxelles) et un nouveau studio, Les Fées Spéciales (Montpellier). Si les équipes se trouvent éclatées en trois lieux différents, la plupart des animateurs sont familiers de l’univers du réalisateur pour avoir travaillé chez Mac Guff sur Azur et Asmar, Les Contes de la nuit ou Kirikou et les hommes et les femmes. Reste à faire communiquer deux chaînes de production très différentes, l’une basée sur des logiciels comme Maya (chez Mac Guff), l’autre sur des logiciels libres (chez Les Fées Spéciales).

 

 

De Blender à Maya

Outre prendre pour cadre Paris à la Belle Époque, l’autre caractéristique de Dilili à Paris est de reposer sur des décors issus de photographies de rues et de monuments prises par Michel Ocelot, réfractaire à toutes reproductions en 3D de la capitale.

Fin 2014, une animatique de 7 minutes réalisée par Studio 0. , la structure de production du réalisateur dans laquelle s’affairent, entre autres, Éric Serre (premier assistant sur Azur et Azmar) et le programmeur Flavio Perez, atteste de la faisabilité technique et artistique de cette image hybride mettant en scène des personnages 3D sur des prises de vues réelles. Le pilote est réalisé sous Blender et Photoshop.

 

Commence alors la « découpe » du projet. Mac Guff, qui n’a pas hésité à entrer en coproduction (à hauteur de 700 000 euros en cash), se charge de l’animation 3D des personnages principaux, de leur rendu et du compositing.

Vu le grand nombre de figurants (plus d’une centaine), Les Fées Spéciales, que viennent tout juste de créer sous forme de Scop à Montpellier Eric Serre, Flavio Perez avec Virginie Guilminot et Ève Machuel, prennent le relais et fabriquent, en parallèle au layout 3D, les marionnettes secondaires en cut out, la foule en 2D, les véhicules (etc.).

 

Pour Dilili, comme pour Les Contes de la nuit, Nord-Ouest ouvre à Paris un studio temporaire dans le 10e arrondissement où se retrouve son équipe qui finalise les décors 2D (recadrage, nettoyage, etc.) à partir des éléments graphiques fournis par Studio Zéro, et celle, plus importante de Mac Guff (plus d’une trentaine de personnes en tout).

Début 2016, la production peut démarrer. « Nous nous sommes retrouvés, petit studio ayant fait le pari des logiciels libres, à collaborer avec Mac Guff dont la chaîne de fabrication s’articule autour de Maya », s’amuse Flavio Perez, fervent adepte du libre.

Le directeur technique des Fées Spéciales et le superviseur Malek Touzani chez Mac Guff mettent en place des procédures pour l’envoi des fichiers, et cette passerelle (réalisée un peu avant l’arrivée du standard d’échange Alembic) va permettre au studio montpellierain de fournir à Mac Guff des fichiers Maya ainsi que les fichiers décors élaborés par l’équipe de Nord-Ouest à Paris : « Vu la complexité des décors hybrides (les photos sont découpées en plusieurs plaques), il était plus facile pour nous de les placer directement dans l’espace 3D de Blender et d’y opérer au besoin des modifications de caméra, précise Flavio Pérez. Cette manière de procéder a évité bien des problèmes techniques. »

 

Les fichiers n’ont plus alors qu’à s’immiscer dans le nouveau pipe line basé sur Maya (Nuke pour le compositing et Shotgun en suivi de production), que Mac Guff vient de mettre au point : « Ce pipe est capable de gérer un travail collaboratif sans problème de traçabilité, précise Philippe Sonrier, cofondateur de Mac Guff. L’essentiel du travail peut donc être dévolu à l’artistique (modélisation, rendu, effets spéciaux…). Il n’était pas complètement finalisé lors de la production de Dilili. »

 

À la manière de Kirikou et les hommes et les femmes, le rendu se fait juste en aplat (cell shading) afin de ressembler à une matière 2D : « Michel Ocelot voulait ajouter un peu de maquillage sur les visages. Cela a fait l’objet d’un shader spécifique qui reprend à la fois les textures et les aplats. »

Grâce à ce pipe, Dilili a tenu les délais et sa fabrication n’a pas dépassé quinze mois (pour 1 200 plans) pendant lesquels Michel Ocelot, présent à chaque étape, a découvert le plaisir de peindre (des cheveux et des barbes), avec Z-brush, sur les modèles 3D. « Comme il s’écoule en général plusieurs années entre mes films, je découvre avec beaucoup de surprise les nouvelles possibilités du compositing et de l’étalonnage. Le logiciel libre m’a également beaucoup intéressé. »

 

Pour son prochain film personnel qui sera « plus doux et ironique », Michel Ocelot envisage d’adopter une technique « pas chère pour être très à l’aise et ne pas à avoir économiser sur les envies ». Il n’exclut pas néanmoins le recours à la 3D en coups de pouce. Quant à la production, elle se fera dans un lieu unique. Un autre projet, à plus longue échéance, sera européen mais « chaque pays réalisera son film, et dans sa langue », tient à préciser Michel Ocelot.

 

 

Dilili à Paris, la fiche technique

• Réalisation : Michel Ocelot

• Productions déléguées : Nord-Ouest Films (Christophe Rossignon et Philip Boëffard), Studio 0., Mars Films

• Coproduction : Arte France Cinéma, Wild Bunch

• Productrice exécutive : Ève Machuel

• Studios d’animation : Les Fées Spéciales, Mac Guff (Philippe Sonrier), Mac Guff Belgium

• Directeurs de production (Mac Guff) : Thomas Shöber et Marine Roques

• Postproduction son : Artemis Productions (Belgique)

• Mixage : Artefact

• Distribution : Mars Films

 

 

Un making of de Dilili à Paris sera présenté sur le SATIS 2018, à 15:00 le mercredi 7 Novembre avec des représentants des société Mac Guff, de Nord Ouest Production et des Fées Spéciales…

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #28, p.44/45. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.


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