La télé est morte, vive l’écran !
En ouverture du Forum Blanc 2016, Eric Scherer, directeur de la prospective et du MédiaLab à France Télévisions, a procédé à une « revue de détail des principaux enjeux de survie du média roi du… XXe siècle » et le moins que l’on puisse dire, c’est que le fameux petit écran – finalement plus si petit – a du souci à se faire.
Contrairement aux premières années du multi-écrans, on dispose désormais d’indicateurs, ce qui permet d’asseoir la démarche et la démonstration. Face à un secteur en explosion, « où tout le monde n’en profite pas de la même manière », Eric Scherer expliquait que « les contenus disruptifs les plus innovants apparaissent tous sur les nouvelles plates-formes ». Et bing ! Sur le nez des chaînes à l’ancienne. Pour que celles-ci puissent espérer survivre – mourir ou s’adapter, tel est encore l’enjeu – il a mis en évidence dix enjeux de transformation…
Le premier enseignement est en forme de couperet : « Les jeunes ne reviendront pas », sous-entendu devant l’écran de télévision. Une fois passée la période de rejet inhérente à toute adolescence, les chaînes estiment qu’un certain pourcentage va poursuivre l’attachement atavique au petit écran. Il n’en est (plus) rien : une étude de la BBC de 2015 montre que les personnes nées dans les années 90 reviennent beaucoup moins fortement qu’avant vers la télévision. Pire, ceux nés à partir de 1995, soit 20 ans aujourd’hui, ne s’y intéresseront tout simplement plus du tout. Inversement, les 13-24 ans passent en moyenne vingt-deux heures par semaine à regarder des vidéos on line. Comme le souligne Samantha Barry, directrice de la stratégie sur les réseaux sociaux de CNN, « On ne touche pas les ados via notre chaîne, ni sur notre site, ni même sur Facebook. Snapchat est le seul endroit où l’on peut les informer. »
Context is King !
Le smartphone est devenu le premier écran et la question qu’a posé Eric Sherer en guise de provocation est la suivante : « L’avenir de la vidéo se trouve-t-il dans notre poche ? ». À titre d’exemple, depuis 2014, le directeur du MediaLab précise que le temps passé sur les appli mobiles a dépassé le temps TV aux États-Unis. Et l’explosion des phablets (contraction de téléphone et tablettes, soit les derniers modèles en vente) n’a fait qu’amplifier le phénomène.
Avec le boom de la télévision à la demande et personnalisable, les indicateurs prévoient qu’à l’horizon 2020, « on tablera sur un partage 50/50 entre les offres linéaire et non-linéaire ». On arrive même à l’extrémité selon laquelle « si le contenu est primordial, son contexte est en passe de le supplanter ! Nous sommes passés du média de masse aux médias de précision » et l’une des perspectives est de parvenir à un équilibre entre une programmation éditoriale aboutie, des recommandations sociales de plus en plus fournies et des recommandations algorithmiques d’une rare précision. France 2 Zoom est l’une des tentatives en ce sens, qui propose un push personnalisé des contenus en fonction de l’historique de navigation et du temps que l’on souhaite bien accorder à ceux-ci.
La fin de la PDM au profit du Reach
La montée des fonctions de type « Facebook Article » va certainement bouleverser la donne de l’information, ce qui illustre parfaitement cet état de fait : la concurrence vient de l’extérieur de notre écosystème. Aujourd’hui, Facebook c’est huit milliards de vidéos vues chaque jour… Alors que ce service n’existait pas il y a 3 ans !
Il faut donc, selon Eric Sherer, repenser les business models dans ce marché en croissance mais invisible. La notion de « découvrabilité » qui donne au contenu « découvert » une vraie valeur dans cette ère d’abondance mondiale est centrale.
Si l’innovation est un facteur de succès, la sécurisation des données en est le gage : à ce titre, beaucoup de chaînes de télévision constituent des équipes « Big Data » pour (r)assurer son audience. Pour en terminer avec les enjeux de transformation, le directeur du MediaLab pointe ce qui, selon beaucoup, est l’étape suivante : l’immersion. « C’est réellement le nouvel engagement, qu’il s’agisse du 4K et l’UHD déjà présentes, et bientôt le 8K, la réalité augmentée et la vidéo 360 ». Cette abolition entre le narrateur et le spectateur va jouer de façon majeure dans la télévision de demain. Pour peu qu’elles acceptent de se réinventer et de ne pas perdre de vue que le « reach » est plus important que la PDM, ce qui ne semble pas évident de prime abord.
* Article rédigé à partir d’un éditorial publié pour la première fois en intégralité dans Mediakwest #16, pp. 58-59.
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