Pour mener à bien ses projets, le groupe a choisi de posséder en interne ses moyens de postproduction. Cela offre du confort aux productions mais nécessite une grande agilité pour administrer les équipements, gérer les archives et répondre aux différentes demandes de projets. Entre documentaire, magazine, fiction, divertissement et corporate, un grand écart est nécessaire.
Nous sommes dans ce bâtiment au cœur du 9e arrondissement, à proximité de la gare Saint-Lazare. Depuis quand occupez-vous ce site ?
Julien Chambaud : Éléphant a déménagé ici en 2016. Nous avons quitté Boulogne par manque de place, et il y avait une ambition de développer l’entreprise. L’idée était de créer une verticalité chez Éléphant, avec des filiales, et de leur apporter un outil de travail à même de répondre à leurs exigences, leurs ambitions et les nécessités de développement. Étrangement, nous n’avons pas vraiment changé le nombre de salles de montage, même si cela a évolué par la suite. Avant tout, nous avons renforcé l’infrastructure technique et les automations dans les workflows. Cela s’est traduit par la mise en place de clusters de serveurs, de render farms, d’encodage avec Root6, et nous avons ajouté un Avid Interplay, etc., pour répondre à la plupart des demandes.
Les différentes filiales et activités du groupe produisent des programmes très diversifiés : actualités, médias, divertissement, séries, etc. Il y a un tronc commun qui permet de garantir des économies et une gestion de stockage plus efficiente. Il a fallu maîtriser les outils, notamment Avid Interplay. Cela a été concomitant avec le démarrage de la série documentaire Invitation au Voyage, une quotidienne pour Arte, qui a débuté en production en janvier 2017, soit six mois après le déménagement. Cela nous a permis de définir sur mesure le workflow de cette émission, d’en prendre la pleine mesure avec les outils. Nous avons produit plus de 880 épisodes, et aujourd’hui, avec plus de 880 sujets en machine, il serait impossible de le faire sans Interplay. Cela nous a permis de sécuriser, garantir et tracer des routes pour les monteurs, afin qu’ils se concentrent sur l’essentiel.
Cela a nécessité d’augmenter nos capacités de stockage avec un Matrix Store. L’an dernier, nous avons acheté un châssis d’un Petaoctet pour répondre aux problématiques de décommissionnement et d’obsolescence programmée. L’enjeu majeur de ce déménagement a été de faire passer Éléphant d’un workflow « artisanal » à une obligation d’industrialiser la postproduction, pour que nous puissions sortir les projets sans trop souffrir.
Toutes vos activités sont sur un site unique ?
Éléphant a toujours été monosite. Aujourd’hui, c’est un peu plus compliqué avec le nombre d’émissions à postproduire, mais nous avons toujours voulu centraliser le stockage et les métiers ici. Cependant, pour certaines productions spécifiques, comme des documentaires, nous avons trouvé des bouffées d’oxygène en collaborant avec Pixel et Décibel. Par exemple, tout le contenu produit pour le COJO durant Paris 2024 a été réalisé là-bas. Nous avons aussi une fibre noire entre Eliote et nous, ce qui permet de travailler sur nos stockages à distance, comme cela a été fait pour l’émission CJamy. Nous essayons d’externaliser de manière intelligente certains projets tout en garantissant l’archivage dans notre librairie LTO.
Combien de salles de montage avez-vous dans ce bâtiment ?
Nous avons plus de trente salles de montage ici. Deux audis, trois salles de montage son, dont 27 équipées d’Avid et 7 de Final Cut et Adobe Premiere Pro. Nous essayons de maximiser l’utilisation des anciens programmes via Cantemo, pour permettre aux rédactions d’accéder facilement aux productions antérieures. Cela demande une gestion rigoureuse, car nous avons un Matrix Store plein et un archivage intensif. Le nodal regroupe l’ensemble de notre capacité de stockage. C’est une volonté forte de la direction de centraliser tout ici, bien que la capacité ne soit pas illimitée, ce qui nous oblige à une gestion attentive de nos baies de stockage.
Quelles sont les étapes de gestion des médias dans vos workflows ?
Dans la gestion des infrastructures de postproduction, le stockage est un point fondamental. Il faut gérer différentes strates : le stockage très chaud pour la production immédiate, le stockage à moyen terme et le stockage à long terme (LTO, cloud). Chaque média a sa propre vie, et il faut savoir prioriser ce qui doit être accessible immédiatement ou archivé. Par exemple, nous avons migré les anciennes bandes LTO sur le cloud Wasabi pour éviter les doubles bandes à chaque fois. Nous avons externalisé une partie de la migration tout en développant des scripts pour récupérer des volumes importants de données.
Nous sommes en pleine migration, avec l’achat d’un nouveau châssis d’un Petaoctet pour accueillir les 6 châssis de 88 To. Cela a intensifié les purges cet été, afin de garantir un archivage efficace et propre. Par ailleurs, nous avons acquis un Avid Nexis, qui sera le septième ou huitième. Il y a environ 720 To de capacité.
Quels sont les défis liés à la gestion des workflows et de l’archivage ?
L’un des grands défis est de répondre aux besoins des journalistes, qui demandent à accéder à des informations archivées, comme des faits divers. Pour cela, il est important d’avoir des mémoires vivantes dans l’équipe. Certains parlent d’intelligence artificielle (IA) pour automatiser tout cela, mais je reste sceptique. Si je scanne tous mes disques pour générer des métadonnées, j’aurai ensuite besoin d’un outil très puissant pour les gérer. Il est parfois plus intéressant de travailler manuellement ou d’utiliser des solutions simples, comme la transcription de voix, pour extraire l’essentiel.
Quelle est l’architecture technique de vos salles de montage ?
Nous passons progressivement à des switches 10 gigabits, ce qui fluidifie le réseau. Nos salles de montage sont actuellement sur du gigabit de base, mais avec l’arrivée de productions plus exigeantes, comme les documentaires multicaméra, nous avons dû faire évoluer notre architecture. Actuellement, certaines salles au premier étage sont fibrées pour des productions nécessitant beaucoup de puissance de calcul. Nous avons également optimisé certaines salles pour la postproduction d’émissions quotidiennes, comme 7 à 8 ou Invitation au Voyage.
Comment s’organise votre direction technique ?
Nous sommes six à la direction technique, avec un coordinateur de postproduction et quatre assistants, qui travaillent jusqu’à 2h30 ou 3h du matin. L’équipe totale est de neuf personnes. J’ai structuré la direction autour de plusieurs pôles : archivage, indexation, exploitation et media management. Cela permet une grande transversalité des informations. Nous travaillons dans un environnement très collaboratif, et l’exploitation nous parle directement, ce qui rend le service très réactif et humain.
Est-il pertinent de disposer de vos propres moyens de postproduction en interne ?
Oui, c’est un confort absolu pour nos équipes, qui bénéficient d’une réactivité immédiate. Quand vous travaillez avec un prestataire externe, chaque service supplémentaire a un coût, alors qu’en interne, nous pouvons ajuster nos workflows sans frais supplémentaires.
Comment jugez-vous vos relations avec Avid et CTM Solutions ?
Nous avons l’impression d’être écoutés. Nous pensons à des améliorations et elles sont prises en compte. Globalement, je trouve qu’il y a quand même, de la part d’Avid, et pourtant, je ne suis pas un Avidophile, loin de là, de meilleures versions d’Avid, qui sont plus stables et plus innovantes. Les promesses sont tenues, et il y a plus de pragmatisme, même dans la façon de promouvoir les produits avec une certaine humilité. En postproduction, pour la télévision, nous avons une exigence non seulement de qualité, mais aussi de tenue, des plannings, des budgets, des rendus et nos outils nous le permettent.
Article paru pour la première fois dans Mediakwest #59, p. 94 – 96