Entretien avec Jacques Braun, directeur exécutif de Médiamétrie et vice-président d’Eurodata TV Worldwide

« Je travaille depuis toujours dans l’univers de la communication, des études, des médias et, aussi, de la grande consommation. J’ai toujours été un passionné de l’opinion publique, au sens large du terme, et ce, quels que soient les sujets. Déjà en France puis, très vite, au-delà des frontières. J’ai démarré à la Sofres, par un stage sur les produits de grande consommation. C’était une chance ! Cette première expérience a été un réel tremplin pour intégrer l’une des entreprises les plus performantes dans le domaine du marketing de grande consommation, le géant américain Mars Incorporated… »
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Marie Cornet-Ashby : Comment êtes-vous parvenu à la direction du Centre d’études d’opinion ?

Jacques Braun : L’éclatement de l’ORTF a été signé, par une loi en décembre 1974. À l’époque, en 1975 (une date historique pour les médias), mon ancien Directeur général de la Sofres m’a fait savoir que se créait le Centre d’études d’opinion de la radiodiffusion et de la télévision (CEO). Et j’ai eu la chance de rencontrer des gens formidables qui m’ont confié la direction des études du CEO.

 

M. C-A. : RMC vous contacte pour vous confier un poste assez stratégique ?

J. B. : J’étais immergé dans ce monde de la radio et de la télévision, qui était ma passion de jeune adolescent. Il se trouve que j’ai attiré les regards. RMC, en pleine expansion en 1978, m’a proposé de prendre en charge, par la création d’un nouveau poste, la direction du marketing. D’ailleurs, à l’époque, RMC était la seule station qui n’avait pas de régie publicitaire car le service commercial y était intégré. Ma fonction était double : à la fois aux programmes et à la publicité. J’avais deux bureaux : un à Paris et l’autre à Monaco.

Ensuite, je me suis installé à Nice. Je dirais que l’expérience internationale a commencé à ce moment-là. RMC avait une antenne en Italie…  En 1978, l’Italie était le pays des premières radios et télévisons commerciales. D’ailleurs, il n’existait pas de loi audiovisuelle : tout était autorisé. J’ai eu l’opportunité de créer avec RMC Italie un nouveau système de mesure d’audience des radios. Je suis resté 10 ans à RMC !

Puis, un jour, une ex-collègue de la Sofres, la première Présidente de Médiamétrie, m’a contacté. Il s’agissait de créer un département international à Médiamétrie ; elle m’a demandé si je voulais m’en charger. C’est le 1er décembre 1989 que j’ai proposé au Conseil d’Administration de Médiamétrie, un plan de développement international. C’est comme cela que l’histoire a commencé… Aujourd’hui Eurodata TV Worldwide a 25 ans !

 

M. C-A. : Un challenge assez ambitieux et quasiment irréalisable…

J. B. : J’étais inconscient, en fait, quand j’ai accepté. J’ai commencé par visiter quelques pays, il y avait des demandes. J’ai eu envie de relever le défi !

Ce que je dis souvent, c’est que si l’on m’avait demandé un business plan, j’aurais été incapable de le produire, par manque de données de références. Néanmoins, il y avait une base. Depuis plusieurs années, existait une lettre Eurodience (une coédition entre l’INA et Médiamétrie) avec une centaine d’abonnés en Europe. Elle faisait le point, tous les mois, sur les audiences de la télévision en Europe.

J’ai commencé par faire ma propre étude de marché, au MIP, en 1989. J’ai vu qu’il pourrait y avoir une appétence pour une information réelle sur ce qui se passait en dehors des frontières… Au départ, j’avais des doutes. Des soutiens, comme ceux de Pierre Wiehn et de Pascal Josèphe, ont été déterminants. De grands patrons de l’audiovisuel, en France comme à l’étranger, m’ont conforté dans ce projet.

 

M. C-A. : Vous avez commencé seul votre activité à Eurodata TV ?

J. B. : Oui, en 1989, j’étais seul à la création et au développement de cette nouvelle entité. Aujourd’hui, plus de 50 personnes salariées travaillent au sein de Eurodata TV Worldwide. En 1994, ce projet est devenu tellement important que je suis passé salarié en 1995. L’année 1994 a été une année charnière : après l’accord avec Nielsen USA, Eurodata TV est devenu Eurodata TV Worldwide ! Il faut souligner qu’Eurodata TV est nom de marque, ce n’est donc pas une société. C’est ce que l’on appelle une « Business Unit » de Médiamétrie.

 

M. C-A. : L’audience est devenue cruciale pour les programmes diffusés dans le monde ?

J. B. : Dans chaque pays, il y a une mesure d’audience « propre ». Et la mesure d’audience, c’est comme la bourse, il ne peut pas y avoir deux valeurs chaque jour, pour un programme ! L’audience, c’est ce qui sert de thermomètre pour établir les tarifs publicitaires et les valeurs des programmes (achat et vente) dans le monde. Médiamétrie est, pour la France, la mesure d’audience de référence de la télévision, de la radio, du cinéma et aujourd’hui de l’Internet.

 

M. C-A. : Comment avez-vous pu obtenir les audiences pour les différents pays ?

J. B. : Médiamétrie est neutre et mes interlocuteurs m’ont fait confiance de façon quasi immédiate.

Au départ, j’ai demandé à chaque pays de confier à Médiamétrie, par contrat, leurs résultats d’audience. Une forme de DATA House a été constituée. Je pourrais faire un parallèle avec les Nations Unies. Chaque pays a la même valeur : les données d’audience sont donc sur le même tarif. Elles sont, aujourd’hui, vitales pour les échanges et les transactions financières entre les acteurs du marché audiovisuel. Les contrats que nous signons, avec les propriétaires des données de chaque pays, varient : licences, commissions, minimum garantis.

Évidemment, tout cela s’est développé avec le temps. Au départ c’était très modeste… Le premier rapport que nous avons présenté au MIP TV (au niveau mondial) date de 1994 ! Il était composé de 16 pays et portait sur l’année 1993. Le dernier rapport d’Eurodata TV comporte plus de 100 territoires dans le monde et plus de 3 000 chaînes analysées !

 

M. C-A. : Les rapports et les audiences proposés sont concentrés sur le secteur TV ?

J. B. : Oui, essentiellement la télévision. Cependant aujourd’hui, certains pays (les Pays-Bas, la Suède, etc.) ont des données d’audience des programmes diffusés : sur PC, mobiles, ou sur Internet… Nous avons accès à ces résultats de référence et certifiés. Nous les recueillons et nous les marquetons : une équipe, composée de 20 chargés d’études, réalise des rapports sur des thématiques ciblées (fictions, sport, jeunesse, etc. : http://www.mediametrie.fr/eurodatatv/solutions.php).

 

M. C-A. : Quels sont pour vous les secteurs les plus lucratifs de la télévision ?

J. B. : Pour moi il s’agit de la fiction, du divertissement et du sport, devenu aujourd’hui multi-genre. Il y a le sport en live avec les retransmissions sportives, des émissions de jeux, des magazines, des émissions d’informations sportives… Le spectre que couvre le sport est immense et son succès est considérable et planétaire !

 

M. C-A. : Comment suivez-vous les nouveautés des programmes de la télévision dans le monde ?

J. B. : Ce qui est vital pour le succès des grilles de programmes, c’est l’originalité des formats ainsi que leur programmation et leur distribution ! À cet effet, Eurodata TV Worldwide dispose d’un outil inégalé : NOTA (New on the air). Il détecte, dans plus de 40 pays, quotidiennement, les émissions programmées par les chaînes. Les informations recueillies, issues de ce programme, combinent les concepts, les audiences, les mécanismes des médias sociaux associés et, depuis peu, une prévision d’audience.

 

M. C-A. : On ne peut pas trouver les audiences des chaînes thématiques ?

J. B. : Si, bien sûr. Par exemple en France, les audiences des chaînes thématiques sont dans un outil qui s’appelle Médiamat Thématik. Ces audiences ne sont pas publiées, quotidiennement, mais de façon semestrielle. Nous y avons accès et nous pouvons les monétiser. Dans d’autres pays (Allemagne, Italie, Royaume-Uni, etc.), plus de 100 chaînes sont accessibles à partir du service Eurodata TV Worldwide.

 

M. C-A. : Une petite société peut-elle se permettre d’avoir accès à vos études ?

J. B. : Oui absolument, les premières données sont à 500 euros. Un petit producteur peut, par exemple, commander le suivi des audiences de son programme en Israël, aux USA, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Suède… Nos études apportent une valeur ajoutée à l’industrie audiovisuelle. Nos rapports peuvent, aussi, permettre de définir des stratégies de grilles de programmes.

 

M. C-A. : Pensez-vous qu’Internet puisse remplacer l’écran télévisuel ?

J. B. : Cela fait longtemps que j’entends ce débat sur la fin de la télévision avec l’arrivée d’Internet. Effectivement, Internet apporte des apports de connaissances et d’images sur le monde, de façon instantanée. C’est un atout considérable. Cependant, « TV programm is still the king but not alone ! » : la multiplicité des écrans permet de démultiplier les offres de contenus. La télévision restera encore, dans 20 ans, le support d’audiences record !