Filmer une interview

Quoi de plus classique dans la vidéo qu’une interview, qu’il s’agisse d’un reportage télévisé, documentaire, vidéo corporate ou pour réseaux sociaux ? Et quoi de plus [...]
Règle des 180° non respectée : on dirait un champ-contrechamp. © DR

Quoi de plus classique dans la vidéo qu’une interview, qu’il s’agisse d’un reportage télévisé, documentaire, vidéo corporate ou pour réseaux sociaux ? Et quoi de plus codifié aussi ? Connaître les règles qui régissent les interviews aide grandement à obtenir le rendu souhaité, c’est-à-dire que les spectateurs soient intéressés et convaincus par le discours, sans être dérangés par des erreurs de mise en scène. Nous allons donc tenter de les répertorier.

 

Tout d’abord, il faut se poser la question du lieu de tournage. Il doit si possible avoir un lien avec la personne ou avec son sujet. On ne filme pas un spécialiste des arbres dans un bureau par exemple, ce serait se priver d’un décor qui peut apporter des informations supplémentaires, situer un contexte et être prétexte à des plans de coupe. Bien sûr, on essaie de faire au mieux dans le temps imparti, mais dans la mesure du possible on soigne l’arrière-plan, ou tout du moins on fait bien attention à ce qui s’y passe, et on prend garde aux différents éléments qui sont dans le champ. Combien de fois voit-on une personne parler devant une issue de secours, un objet risible, un lieu extrêmement passant, ou toute autre situation qui vient distraire le spectateur et donc perdre son attention. Une courte profondeur de champ aide à isoler le sujet du fond, mais ce n’est pas toujours suffisant. Une solution peut être de filmer le personnage sur fond noir, ce qui à l’inverse ôte tout contexte à la scène, mais cela donne un côté dramatique qui doit convenir avec le sujet.

En choisissant le lieu de l’interview, se pose forcément la question de la lumière. L’idéal est d’avoir un assistant, ou le journaliste qui nous accompagne, pour le mettre à la place de la personne qui va être filmée en guise de doublure. Cela aide grandement à vérifier le rendu sur un visage. Encore une fois, on cherche à se simplifier la vie, ou du moins à ne pas se la compliquer. Par exemple, mettre quelqu’un devant une fenêtre en plein jour revient à avoir un rendu visuel difficile, car on obtient un contraste trop important pour une caméra, avec un sujet sombre devant un fond surexposé. Une lumière diffuse et rasante est idéale, que l’on peut créer avec un kit de projecteurs positionnés en éclairage trois points, ou compléter une lumière naturelle avec un réflecteur pour déboucher le visage. On voit par exemple sur nos illustrations que l’interview filmée par temps gris a un rendu bien plus doux que celle filmée par grand soleil qui donne un air de panda avec des ombres bien trop marquées. Un éclairage peut donner une intention et créer un style qui vient renforcer la thématique, mais il faut bien sûr que l’effet soit voulu et non subi.

Une fois choisi le lieu de tournage, en fonction du décor mais aussi de la lumière, il faut aussi se poser la question du positionnement du sujet dans celui-ci. A-t-on envie qu’il soit debout, assis, sur quoi… Une personne debout a l’avantage de se tenir bien, mais risque d’avoir envie de bouger, de se balancer d’une jambe sur l’autre, ce qui est très vite lassant à regarder. Il est souvent plus facile d’asseoir les gens, mais mieux vaut choisir un siège peu confortable, un tabouret par exemple, pour qu’ils restent droits et peu mobiles, sauf si on cherche un cadre chaleureux propre à recueillir des confidences, auquel cas il vaut mieux un fauteuil, quitte à ce que la personne soit « avachie », mais pour qu’elle se sente plus en confiance.

Maintenant que nous avons planté le décor et installé le personnage, il faut se poser la question du positionnement de notre ou nos caméras. Comme une interview dure généralement plusieurs minutes, le cadreur choisit souvent d’utiliser un pied, pour plus de confort et surtout de stabilité. À défaut, un monopod peut aider, car un stabilisateur est souvent trop lourd pour être porté si longtemps. Sinon à l’épaule, au poing ou à la main en fonction de l’ergonomie de la caméra, en prenant une position facile à tenir dans la durée sans se mettre à trembler.

On place la hauteur de la caméra non pas pour que le cadreur soit dans une position confortable, mais pour que l’intention donnée sur le sujet soit celle voulue. Le spectateur ne le percevra pas de la même manière s’il est en frontal, plongée ou contre-plongée. On considère en général qu’une personne est mise en valeur avec une très légère plongée, qui masque les narines sans donner une impression d’écrasement. Le but est toujours de mettre en valeur la personne filmée, par respect pour elle car elle nous donne sa confiance, mais aussi pour capter plus facilement l’attention des spectateurs.

Si on tourne à une seule caméra, l’idéal, si celle-ci le permet, est de tourner dans une taille d’image plus grande que celle de la vidéo finale, par exemple 4K pour une sortie en HD. On se donne ainsi la possibilité d’avoir deux échelles de plan pour une même prise sans perte de qualité, l’UHD étant quatre fois plus grande. Au montage quand on alternera les deux vues, celles-ci se raccorderont bien si les échelles de plan sont suffisamment différentes, sans quoi on aura l’impression d’un plan sur plan. On considère généralement qu’il faut sauter une valeur dans les échelles de plan établies : moyen, américain, taille, poitrine, gros plan et très gros plan. C’est la règle du raccord dans l’axe. Entre UHD et HD, on passe facilement d’un plan taille à un gros plan, donc c’est idéal. Pour la composition du cadre, nous gardons en tête la règle des tiers, qui consiste à placer le visage sur un tiers de l’image plutôt qu’au centre, avec de l’air dans l’axe du regard.

Si on a la chance de tourner à deux caméras, cela donne un second angle qui va grandement aider à masquer les coupes au montage. Mais pour bien les placer, il faut respecter deux règles essentielles : celle des 30° et celle des 180°. La première est proche de celle du raccord dans l’axe, l’idée est que deux plans trop similaires ne s’enchaînent pas bien dans un montage. Il faut donc s’assurer qu’il y a un angle d’au moins 30° entre les deux axes de caméra. La seconde est plus complexe, elle concerne la manière dont on perçoit le personnage et la représentation qu’on se fait de son environnement. On regarde les yeux d’une personne, aussi on imagine une ligne qui parte face à elle et on place les caméras du même côté de cette ligne, d’où l’appellation règle des 180°. On voit ainsi toujours le même côté du visage, c’est beaucoup plus fluide à lire. L’erreur classique est de placer le journaliste entre les deux caméras, ce qui fait qu’elles se retrouvent chacune d’un côté de l’axe du regard et ne se raccordent pas du tout au montage. On a alors l’impression qu’il s’agit d’un champ-contrechamp entre deux personnages qui dialoguent. On aide le spectateur aussi en positionnant le personnage dans la même partie de l’image sur les deux caméras, car en passant d’un plan à un autre, l’œil reste en position et n’a pas à faire d’effort pour lire le plan suivant. On peut trouver contraignant de suivre ces règles, mais, pour le coup, s’en extraire c’est s’assurer que la scène aura un rendu un peu dérangeant, et donc fera perdre l’attention des spectateurs.

Côté technique, il faut effectuer les réglages en manuel, sans quoi la caméra fait une moyenne qu’elle ajuste en continu. Pour l’exemple cité plus haut, de la personne placée devant une fenêtre, en automatique elle serait sous-exposée pour compenser la luminosité de l’arrière-plan. Quelqu’un filmé dans une rue pourrait être bien exposé jusqu’à ce qu’un camion blanc passe derrière et que la caméra ferme le diaphragme pour compenser ces soudaines hautes lumières. Pour un sujet placé dans un tiers de l’image, la mise au point automatique se fait au centre, et donc sur l’arrière-plan. La liste est longue d’exemples qui incitent à se passer des automatismes, même si ceux-ci ont beaucoup progressé. Si on tourne à deux caméras, on va gagner un temps considérable à l’étalonnage si leurs images sont semblables dès la prise de vue. Même à marque et modèle identiques, il y aura de légères différences, mais elles seront d’autant plus minimes que les picture profiles, balance des blancs, sensibilité, vitesse et diaphragme seront identiques.

Pour le son, on préfère aussi régler les niveaux manuellement. On choisit pour la captation le micro qui convient le mieux à notre configuration : si la personne interviewée est en mouvement, un micro-cravate avec liaison HF ; si on a un assistant, une perche, surtout si on a plus d’une personne dans le champ. On connecte les micros à la caméra principale et, si possible, on assure un son témoin sur la seconde qui permettra de les synchroniser plus facilement en postproduction, les logiciels pouvant analyser l’audio pour effectuer la synchro entre les sources.

Finalement, la mise en place peut prendre un certain temps, donc mieux vaut se préparer avant d’accueillir la personne pour ne pas la faire patienter trop longtemps, ou alors compter sur le journaliste pour la détendre pendant ce temps. On placera ensuite le journaliste au plus près de la caméra pour que le regard en soit proche sans pour autant être un vrai regard caméra, sauf si c’est une intention choisie. Les Anglo-saxons adorent les interviews dans lesquelles on voit côte-à-côte questionneur et questionné, mais à une caméra cela donne une vue de profil des deux, qui ne plaît pas beaucoup en France. Une fois l’interview terminée, on pensera à filmer en plus les plans de situation ou de coupe, en lien avec le sujet bien sûr, qui serviront au montage à masquer les coupes et à dynamiser la vidéo. Même une personne charismatique et passionnante est très vite lassante à regarder, donc il faut absolument avoir de quoi illustrer le discours.

Voici les règles essentielles de prise de vue pour une interview. La dernière, qui n’en est pas une, concerne notre conduite vis-à-vis de la personne filmée. Faites l’essai vous-même, filmez-vous réellement, et vous verrez qu’il est difficile de se concentrer à la fois sur ce qu’on dit, notre attitude, faire attention aux tics de langage, à formuler des phrases courtes et claires, etc. On aura donc de meilleurs résultats si on met la personne à l’aise et en confiance, et l’impression sur la vidéo n’en sera que meilleure.

 

Article paru pour la première fois dans Moovee #1, p.94/96. Abonnez-vous à Moovee (4 numéros/an) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.