Antoine de Clermont Tonnerre
Quel regard portez-vous sur le métier de producteur, aujourd’hui ?
Il y a aujourd’hui, deux façons de faire de la production. Celle de s’adosser à un groupe, donc de fabriquer et produire pour ce même groupe. Dans ce cas, les producteurs sont bien rémunérés mais ne gardent pas la propriété du film.
Le groupe finance et bénéficie de la majorité des droits sur le film. Une autre façon de faire de la production (plus compliquée et dangereuse), est ce que nous faisons. Cela nous permet, aussi, de conserver la quasi-totalité des droits du film et, cela demande de financer le développement du film de façon indépendante. Nous avons un catalogue de 50 films à notre actif en propriété surtout des films d’auteurs. Nous avons veillé à rester dans des budgets raisonnables de production, afin de garder le contrôle sur les droits du film.
MACT est une petite structure, nous sommes présents et responsables à tous les niveaux de la chaîne de la production. Déjà à l’écriture du scénario avec l’auteur et le réalisateur, ensuite pour le choix des acteurs et des grands techniciens du film avec le réalisateur et, enfin pour l’élaboration du devis de production et des choix de tournages. Le montage financier du film se fait en dernier.
Quand toutes ces étapes sont finalisées, le film devient celui du réalisateur. Notre métier consiste à lui donner dans le cadre du budget les meilleurs moyens ajustés au film. Lorsque nous sommes producteur délégué, nous sommes présents sur le tournage.
J’ai appris d’Alexandre Mnouchkine que si la présence des producteurs passait pour inutile sur un tournage ; lorsqu’ils n’étaient pas là, bizarrement, les problèmes surgissaient… Et je l’ai vérifié, les différents égos qui sont confrontés dans un film justifient que la production soit présente pour contrôler et garder le cap. Ensuite, la post-production (le montage, le mixage ou le choix de la musique) est fondamentale et stratégique.
L’intimité et la confiance sont essentielles entre le producteur et le réalisateur. Il y a, dans toutes ces étapes, des moments de joies mais aussi de doutes. La réussite d’un film est excessivement subtile.La présence, l’amitié, la connivence et la compréhension sont très importantes.
Le producteur doit comprendre un scénario et la pensée du réalisateur ; il doit être capable d’avoir des ressources intellectuelles pour se mettre à son niveau.
La beauté de ce métier réside dans le fait que chaque film est différent. L’avantage d’être deux sur un tel projet, est que l’on a moins de chance de se tromper que lorsque l’on est seul. C’est un métier collectif, le cinéma. Il y a tellement d’options dans la réalisation d’un film, c’est bien de décider à deux…
Comment se porte le marché des sociétés de production en France ?
Il y a beaucoup plus de producteurs qu’avant. Il y a plus de petites structures, qui vivent plus ou moins bien. Le marché s’est concentré autour des grands groupes comme Pathé ou UGC ou Studio Canal. La chaîne des indépendants est fragilisée, il faut aujourd’hui d’énormes moyens financiers pour sortir un film en salles. Le facteur temps est très important car on ne sait jamais quand la production d’un film va pouvoir démarrer.
Il est donc nécessaire d’avoir plusieurs projets en même temps. A MACT, nous avons environ quatre films à gérer par an, dont des coproductions. Nous travaillons beaucoup avec les distributeurs et exploitants indépendants. Heureusement, la France a relativement bien protégé son industrie cinématographique par rapport à d’autres pays d’Europe en veillant à maintenir une relative diversité au niveau de la distribution et de l’exploitation. Et en protégeant son parc de salles.
Unifrance, vous pouvez en parler ?
J’ai été Président avec plaisir d’Unifrance pendant 4 ans. J’ai décidé de ne pas me représenter pour passer la main à d’autres. Mon expérience m’a beaucoup aidé à exercer cette fonction. J’y ai complété mon expérience du monde et des différentes cinématographies. J’y ai aussi pris conscience des enjeux énormes pour le cinéma français, car il faudra s’adapter à l’évolution inéluctable du parc mondial de salles de plus en plus composé de multiplexes. Et il faudra investir les nouveaux réseaux numériques.
Quel est votre regard sur l’industrie du cinéma ?
Le cinéma français doit, comme tous les autres, faire face au piratage des œuvres au détriment de la création et de la propriété intellectuelle. C’est un combat à moyen terme, car le droit est en retard sur la technique. Le deuxième défi est celui de la diversité culturelle, qui est constamment menacée.
Malgré tous ces défis, j’ai confiance dans les progrès de la cinéphilie. Le développement de l’éducation, la création de nouvelles universités dans les pays émergents, doivent se traduire par une augmentation du public attentif au cinéma d’auteur…
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