La fragmentation de l’offre de sport à la télévision

Le sport demeure l’un des programmes qui garantit les meilleures audiences des chaînes de TV, qu’elles soient gratuites ou payantes. Que ce soit le Tour de France sur France Télévisions, la Ligue 1 sur Canal Plus et beIN Sports ou la Coupe du Monde sur TF1, les records d’audience accompagnent le plus souvent les exploits des sportifs.
SportTV.jpeg

 

La Coupe du Monde de football en Russie a permis à TF1 et à beIN Sports de battre leurs records d’audience : l’audience définitive de la Coupe du Monde qui a sacré l’équipe de France face à la Croatie le 16 juillet 2018 a réuni 26,1 millions de téléspectateurs selon Médiamétrie. 19,1 millions de téléspectateurs ont regardé la finale sur TF1, 1,6 million sur beIN Sports et 5,2 millions dans les lieux publics, fan-zones, bars et restaurants. Huit matches ont dépassé les 10 millions de téléspectateurs. On comprend mieux la lutte acharnée que se livrent les chaînes pour diffuser les grandes compétitions sportives. Bien que très peu de compétitions sportives soient rentables – on parle de plus de 15 millions de manque à gagner pour TF1 pour la Coupe du Monde – la lutte pour diffuser les grandes compétitions fait rage.

 

Éparpillement des droits TV

Et la principale victime de cette lutte acharnée, c’est le football. La majeure partie des compétitions sont aux mains des chaînes privées et la diffusion des matches sur les chaînes en clair oblige à s’armer d’un programme TV pour pister leur diffusion. Et depuis que Canal n’a plus le monopole du foot, la majeure partie des compétitions se trouve éclatée entre plusieurs chaînes, principalement payantes. Car le sport à la télévision se divise en deux familles : les compétitions diffusées sur les chaînes gratuites et celles diffusées en exclusivité sur les chaînes payantes. Les chaînes payantes sont au nombre de quatre : le groupe Canal (avec Canal+ et Canal+ Sport), beIN Sports et ses dix canaux ; Eurosport et depuis peu SFR avec ses six chaînes rebaptisées RMC Sport. Les chaînes gratuites qui diffusent des événements sportifs appartiennent aux principaux groupes média : TF1, M6, France Télévisions et l’Équipe TV. Ces mêmes chaînes se partagent le plus souvent les compétitions les plus prestigieuses : Jeux Olympiques, Coupe du Monde de football et de rugby, Internationaux de France de Tennis, et au cas par cas, les grandes finales des sports collectifs dans lesquels les équipes tricolores excellent.

 

La course aux abonnés passe par l’OTT


L’une des principales difficultés des chaînes payantes consiste à négocier des accords de distribution avec les FAI afin de pouvoir toucher le plus large public et le convaincre ainsi de s’abonner. Face à l’éclatement des attributions de droits, les chaînes attributaires tentent de réunir le maximum d’abonnés potentiels via les opérateurs télécom dont les abonnés se comptent par dizaines de millions. Mais entre les accords de distribution exclusifs (par exemple entre Eurosport et Canal ou entre SFR et RMC Sport) et les impératifs du calendrier sportif, les chaînes payantes ont mis en place des stratégies OTT (over the top) afin de compléter leur distribution sur tous les écrans. C’est le cas des trois principaux acteurs : Canal avec son application myCanal, beIN Sports avec l’application beIN Sports Connect, Eurosport avec Eurosport Player. Il en manquait un à l’appel, le groupe Altice qui détient déjà les droits de la Premiere League anglaise et qui diffusera pour la première fois la Ligue des Champions et l’Europa League à partir de la saison 2018/2019. La fragmentation des droits est une bonne nouvelle pour les fédérations sportives, une nouvelle moyennement bonne pour les distributeurs de chaînes TV et une très mauvaise nouvelle pour les abonnés qui devront débourser plus pour voir les mêmes programmes.

 

À défaut d’accord avec ses concurrents, SFR mise sur l’OTT


Après avoir annoncé le lancement de sa nouvelle marque RMC Sport le 3 juillet dernier, composée d’un bouquet de six chaînes, le groupe Altice a annoncé le 25 juillet le lancement de son offre OTT baptisée « Connect TV de SFR » qui permettra de recevoir toutes les chaînes RMC Sport sur une box OTT, indépendante des FAI, à la seule condition de disposer d’une connexion Internet. Une décision tardive du groupe dirigé par Patrick Drahi qui, faute d’avoir pu conclure des accords avec ses concurrents FAI au rang desquels figurent Orange, Free, Bouygues Télécom, mais aussi les FAI indépendants comme Coriolis, NordNet ou Videofutur, se retrouve avec une distribution restreinte des compétitions européennes, limitée à ses seuls abonnés SFR.

L’offre Connect TV de SFR se présente donc sous la forme d’une Box Android, compatible 4K et équipée d’une télécommande à reconnaissance vocale. Même si l’offre comprendra du cinéma et du divertissement, il suffit de voir le packaging de la box pour comprendre que l’enjeu pour SFR est de vendre cette Box pour les droits du football. En ce qui concerne la partie Sport, les abonnés retrouveront toutes les chaînes RMC Sport : RMC Sport 1 qui se définit comme la chaîne Numéro 1 sur le football européen (138 matches de Ligue des Champions, 205 matches d’Europa League, la Premier League anglaise et la Liga Nos portugaise) ; RMC Sport 2 dédiée au basket, à l’athlétisme et au rugby anglais ; RMC Sport 3 pour l’équitation et les sports extrêmes ; RMC Sport 4 pour la boxe et les sports de combat ; RMC News Sport et enfin RMC Sport 1 en 4K.

 

L’envolée des prix du foot pour les abonnés


En attendant qu’on sache comment l’espagnol MediaPro distribuera sa chaîne en France pour la saison 2020/2021, les fans de foot sont confrontés à une véritable invitation consécutive à l’éclatement des droits TV. Même si TF1, M6 et L’Équipe se sont vues attribuer les droits de la nouvelle Ligue des Nations et de l’Euro 2020, il n’en demeure pas moins que pour les championnats nationaux et européens, les abonnés doivent casser leur tirelire. Une rapide simulation permet d’estimer le montant à débourser pour voir 100 % du football européen.

Ligue 1 Conforama Saison 2018/2019 : les droits sont répartis entre Canal+ et beIN Sport. L’abonné peut soit s’abonner via son FAI, soit via une offre OTT avec l’Apple TV, une SmartTV ou la box Satellite Canal. L’abonnement aux chaînes sport n’étant pas disponible seul, il faudra donc s’abonner à Canal et au bouquet Sport qui inclut aussi Eurosport. Il lui en coûtera 34,90 euros par mois pendant deux ans pour un engagement de deux ans. S’il choisit de s’engager pour une année seulement, cela lui coûtera 54,90 euros par mois et s’il choisit l’offre sans engagement, cela lui coûtera 49,90 euros par mois, mais uniquement sur les écrans d’ordinateurs, tablettes et mobiles. Il faudra aussi ajouter 6 euros de location par mois pour l’Apple TV ou la box Satellite de Canal. Le prix le plus bas que l’abonné devra payer sera donc de 40,90 euros par mois. beIN Sport est aussi disponible en OTT et sans engagement, sans être bundlelisé avec un autre bouquet de chaînes, au prix de 15 euros par mois.

L’offre comporte Champion’s League et Europa League, soit 343 matches par saison, mais aussi la Premiere League anglaise et la Liga Nos portugaise. Si l’abonné est un abonné SFR il devra payer 9 euros par mois sans engagement et s’il est abonné chez un autre FAI, ce sera 19 euros par mois. Mais comme les chaînes RMC Sport sont actuellement indisponibles chez les autres FAI, l’abonné devra opter pour la nouvelle box, qui coûte 69 euros.

 

63 euros par mois

Au final, et hors promotion, le prix à payer pour avoir la Ligue 1 et les compétitions européennes, hors équipes nationales, sera dès août 2018 d’au moins 34,90 euros par mois pour un abonnement Canal et beIN Sport en OTT, auquel il faudra ajouter 19 euros par mois pour les chaînes RMC, soit 53,90 euros. Ensuite, le coût du matériel pour ceux qui veulent récupérer les images sur leur TV : 6 euros par mois pour Canal et 69 euros pour la box RMC, soit, sur une période de deux ans, environ 9 euros de plus par mois.

Le prix du foot 2019 à pratiquement 63 euros mensuels est une véritable folie économique. Dans ces conditions, il n’est pas certain que les abonnés suivront et multiplieront les abonnements. Car même si l’OTT apparaît comme la solution miracle pour bâtir de nouvelles bases d’abonnés, la rumeur évoquait un chiffre très bas pour les abonnés à l’offre OTT de SFR début 2018 : à peine 30 000 souscriptions.

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #28, p. 108-109. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.