L’AVOD, nouvel eldorado de la vidéo

Avec le lancement de Peacock de Comcast/NBCUniversal et de Quibi aux États-Unis, l’idée d’une VOD 100 % gratuite financée par la publicité revient en force au moment où les offres payantes se multiplient et que le consentement à payer des internautes diminue.
Tubi.Tv vient d’être racheté par Fox pour 440 millions de dollars. © DR

 

Combattre le risque de churn

Alors que les études sur le consentement à payer des consommateurs indiquent clairement qu’il y a une limite à souscrire des services de SVOD payants et qu’une majorité serait prête à accepter de payer moins cher en contrepartie de messages publicitaires, les streamers adoptent des stratégies qui ouvrent la porte à des offres de AVOD (Advertising Video On Demand), c’est-à-dire de la vidéo à la demande avec de la publicité.

Il faut dire que le contexte du marché de la SVOD a considérablement évolué en quelques mois et que les lancements prévus des nouvelles offres laissent craindre une explosion des taux de résiliation des abonnés. Et quand on sait que le churn est l’ennemi de tous les services par abonnement, tous les regards se tournent vers les offres gratuites.

Dans une récente étude, Parks Associates constate que le taux de désabonnement des services OTT pour l’année 2019 est de 35 %, contre 28 % en 2018. Parmi les principales raisons évoquées par les churners, Parks Associates mentionne celle liée à la nécessité de faire des économies dans le foyer (environ 30 %). La seconde raison évoquée par les utilisateurs tient au fait qu’ils ne trouvent pas les programmes qu’ils veulent. Les deux motifs suivants tiennent à des questions de prix : soit une augmentation du prix du service, soit la fin d’une promotion.

 

SVOD ou AVOD ?

De plus, après s’être massivement désabonnés des chaînes traditionnelles en raison d’une overdose de publicité, une autre étude de Parks Associates révèle que 25 % des foyers américains ont regardé des vidéos sur un service OTT gratuit avec de la publicité au cours des trente derniers jours comme The Roku Channels, Pluto TV ou Crackle.

Le cabinet d’analyse Ampere s’attend à ce que les revenus du marché mondial de l’AVOD dépassent 62 milliards de dollars d’ici 2024, soit près du double des 33,8 milliards de dollars générés en 2018. Des revenus indispensables pour les plates-formes qui dépensent plusieurs dizaines de milliards de dollars dans la fabrication des programmes chaque année. Dans un marché américain où les offres payantes vont se livrer une bataille sans pitié, les offres de AVOD jouent habilement la complémentarité.

 

Les annonceurs suivront-ils ou pas ?

 Alors que le nouveau service de SVOD sur mobile Quibi déclare avoir vendu 100 % de son inventaire publicitaire annuel avant son lancement, la question se pose sur la capacité des annonceurs à confier des campagnes publicitaires à toutes ces nouvelles plates-formes. Du côté de Peacock, le marché publicitaire américain semble globalement réceptif et enthousiaste. Le site Digiday passe en revue les atouts et les freins de Peacock et considère que la puissance de NBCUniversal sur le marché traditionnel de la pub TV lui permet de sécuriser la vente d’espace pour Peacock.

Avec le repli des audiences de la TV traditionnelle, les annonceurs ont besoin d’aller chercher les consommateurs sur les plates-formes de streaming : Peacock apparaît donc comme une opportunité de toucher ces consommateurs avec des messages personnalisés. Pour l’instant, Peacock s’est concentré sur ses plus gros annonceurs, en leur proposant des forfaits allant de 15 à 25 millions de dollars d’engagements sur une période de 18 mois. Reste à savoir quelle sera l’efficacité publicitaire de ces nouvelles plates-formes et si le retour sur investissement des annonceurs s’avère payant.

 

La migration des catalogues

Pour Ampere Analysis, la montée en puissance de l’AVOD sera soutenue par la stratégie des services de SVOD qui abandonnent progressivement les catalogues les plus anciens pour investir dans leurs propres productions exclusives : Ampere Analysis cite le cas de Netflix où la proportion de son catalogue de plus de cinq ans est passée de 50 % en septembre 2015 à 35 % en septembre 2019 aux États-Unis.

Toujours selon le cabinet d’études, les services d’AVOD ont une offre de programmes pour laquelle 80 % des catalogues ont en moyenne cinq ans d’âge ; et dans le cas de Crackle, 70 % des contenus ont plus de dix ans. Ce qui fait dire à Comcast que le marché de l’AVOD se décompose en deux catégories : les offres AVOD non premium et les offres AVOD premium sur lesquelles Peacock se positionne.

 

La satisfaction des consommateurs

L’AVOD pourrait profiter de ce que les Américains appellent la « SVOD fatigue » c’est-à-dire le fait que les foyers ne savent plus à quoi s’abonner en raison du nombre exponentiel de sites de streaming payants présents et annoncés. Une tendance qui se confirme dans le dernier rapport de Tivo : le niveau de satisfaction des abonnés à la SVOD a baissé en 2019 (33,1 %) alors que celui de l’AVOD a augmenté (37,5 %). Des consommateurs prêts à payer, mais prêts aussi à visionner des programmes avec de la publicité, histoire d’alléger la facture.

 

Embouteillage de services

C’est aux États-Unis, comme souvent, que le phénomène de l’AVOD est en train d’accélérer. Comme l’explique Jacinto Roca, le patron de Rakuten TV : « Il y a une tendance claire des annonceurs à s’éloigner de la télévision linéaire et à se tourner vers la vidéo à la demande. Aux États-Unis, l’AVOD est en croissance forte, mais pas encore en Europe. Il est donc temps de se positionner. » Plusieurs services sont présents aux États-Unis et cumulent plusieurs dizaines de millions d’utilisateurs comme Tubi, Pluto TV, Hulu, The Roku Channel, Freedive de IMDbTV.

En quelques semaines et avant le déclenchement de l’épidémie de Covid-19, deux acteurs majeurs des médias américains avaient avancé leurs pions : Fox vient de débourser 440 millions de dollars en cash pour acquérir Tubi, un des sites de streaming gratuit les plus en vue de l’année avec plus de vingt millions d’utilisateurs mensuels aux États-Unis. Tubi propose plus de 15 000 titres issus des catalogues de studios tels que Paramount Pictures, Metro-Goldwyn-Mayer, Lionsgate, Warner Bros et Universal Pictures. Côté publicitaire, Tubi utilise une plate-forme d’enchères en temps réel pour les annonceurs afin de diffuser des publicités vidéo sur différentes plates-formes.

Comcast a racheté, il y a quelques semaines, un site assez peu connu, qui revendique néanmoins cinq millions d’utilisateurs et qui s’appelle Xumo. Xumo s’est principalement déployé à travers des partenariats avec les fabricants de SmartTV comme Panasonic, LG et Vizio.

Quant à Rakuten TV, l’objectif est d’être présent dans plus de quarante pays, dont la France, où l’offre gratuite avec publicité est déjà disponible. YouTube est présent sur ce segment depuis toujours, Facebook lui a emboîté le pas plus récemment.

 

En France, l’AVOD c’est du replay

La vidéo à la demande gratuite en France s’est principalement développée à travers les sites de replay des chaînes de télévision. Avec un grand absent : le cinéma. À de rares exceptions près (sur myCanal, compte tenu de la spécificité du service qui est payant, et sur Arte), aucun site de replay de chaînes en clair ne propose du cinéma. En effet, la majorité du replay se fait à J+7 de la diffusion linéaire. Or, la chronologie des médias a positionné la VOD gratuite du cinéma à 42 mois après la sortie en salles, trop loin pour en faire un produit d’appel pour les consommateurs et les annonceurs.

Une situation qui pourrait ne pas durer selon Les Echos, qui en novembre dernier, mentionnait les avancées de France Télévisions sur le sujet, en passe de signer un accord avec les organisations professionnelles du cinéma. Si on exclut les sites de replay des chaînes, l’offre actuelle d’AVOD française est famélique, voire inexistante, en dehors de YouTube et Rakuten qui vient de lancer son offre.

Une chose est sûre, si 2019 a consacré la SVOD comme la killer application de la vidéo à domicile, 2020 déroule le tapis rouge à l’AVOD. Reste à savoir si la vague américaine atteindra ou pas la France, car jusqu’à maintenant les principaux détenteurs de catalogue de programmes français n’ont jamais été convaincus par le modèle de l’AVOD, préférant vendre leurs films aux chaînes traditionnelles.

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #36, p. 80-82. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.