Les moyens de contribution IP et les Médias se disent enfin Oui !

Deux retours d’expérience sur les moyens de contribution IP : la première du Directeur Technique d’une chaîne régionale française TVSud, la seconde d’un ex-Live Editor à la BBC. Ils nous font part des réelles performances de ces technologies et de leur impact sur les workflows traditionnels, déterminants pour leur avenir.
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On entend de plus en plus parler des moyens de contribution IP dans les salons professionnels des médias du type NABSHOW ou IBC. Les marchés, notamment ceux de la TV Broadcast et le Web Digital, sont fortement intéressés par ces technologies. Aujourd’hui, avec ces moyens basés sur l’IP, il est possible de produire un reportage sur le terrain et le diffuser en direct ou en streaming live sur Internet, en haute qualité d’image et avec très peu de moyens matériels et humains. Pourtant, est-ce un modèle économique et éditorial viable ? Quels sont les retours des groupes de médias sur les performances de ces technologies nées du monde des TIC ?

Nous nous sommes intéressés à deux chaînes aux profils très différents, qui ont fait le choix d’adopter des technologies de contribution IP : TVSud, chaîne d’information régionale basée à Montpellier, et la BBC.

 

Rencontre avec Fabien Lenoir, Directeur Technique de la chaîne TVSud à Montpellier, et Guy Pelham, Live Editor au sein de la BBC jusqu’à fin 2013, aujourd’hui consultant indépendant partenaire de l’équipe Mesclado.

Ils évoquent pour nous leurs expériences et nous donnent une idée sur le réel impact de ces technologies sur les workflows existants…

 

Pourquoi avoir opté pour ces technologies et dans quel cadre ?

Fabien Lenoir : Les moyens financiers et humains de TVSud sont limités, mais notre ambition ne l’est pas ! Nous voulions assurer une présence forte sur le terrain lors des Élections Municipales d’avril dernier tout en nous démarquant de nos concurrents. Lorsque l’on sait que le coût de location d’un car DSNG et le service de transmission associé oscille entre 2 000 et 3 000 euros pour deux heures, on comprend la problématique pour une petite structure…

TVSud a pris conscience que beaucoup d’évolutions technologiques viennent de la rue, avec une utilisation décomplexée des smartphones, des systèmes de VoIP… pour transmettre de l’info (je pense par exemple à des sites d’infos nouvelle génération type ViceNews). Nous avons donc pris le parti de tester ces nouvelles technos et avons envoyé nos journalistes sur le terrain, équipés d’iPhones et de Dejero, un système léger et portable.

Guy Pelham : Même contexte de départ : la BBC News a opté pour les moyens de contribution IP pour la couverture des Élections Générales au Royaume-Uni en 2010, via l’utilisation d’unités LiveU LU-60. Ces technologies ont permis aux correspondants politiques de faire des reportages en direct, depuis les bus de campagne en cours de route.

La BBC a ensuite fait des moyens de contribution IP un élément clé lors de la couverture en direct du relais de la flamme olympique en 2012. Nos équipes ont suivi la torche pendant 70 jours à travers le Royaume-Uni ! Les moyens de contribution IP ont été la seule technologie permettant la couverture d’un tel événement en direct, sur une si large zone géographique, et ce à moindre coût. Mobile Viewpoint avait équipé un véhicule avec ces technologies afin de suivre à tout moment le porteur de la flamme. Pour les zones les plus éloignées telles que les petites îles britanniques, nous avons aussi fait appel à un sac à dos ou « backpack ».

Le recours à ces technologies a été généralisé au sein de la BBC lorsque la 4G a été largement déployée aux US. La 4G a permis aux bureaux américains de la BBC de réagir très rapidement pour couvrir les flashes spéciaux, avec une grande fiabilité et une haute qualité d’image. La couverture en direct de l’ouragan Sandy en 2012 s’est faite à 90 % avec des équipements de contribution IP.

 

Comment les journalistes se sont-ils approprié ces outils ? Quelle formation a été nécessaire ?

Guy Pelham : D’un point de vue humain, je dirais tout d’abord qu’il est crucial d’avoir un manager qui favorise l’utilisation de cette technologie.

Côté journalistes, la formation a été rapide et facile… moins d’une heure pour se familiariser avec l’appareil, puis un peu de pratique. La facilité d’utilisation est importante : nous avons constaté qu’un équipement de contribution IP est généralement moins complexe à utiliser qu’une technologie BGAN.

Une anecdote pour illustrer mon propos : l’un de nos opérateurs caméra n’avait jamais vu un sac à dos de contribution IP. Après un échange téléphonique avec un utilisateur expérimenté, il a pu passer à l’antenne avec succès.

Fabien Lenoir : Ce point mérite effectivement d’être souligné : les journalistes ont besoin du support d’une équipe technique, quelle que soit la facilité d’utilisation de ces outils.

Chez TVSud, le constat est le même : les journalistes ont rapidement adopté ces technos, d’une part car la prise en main est rapide (quelques minutes à quelques heures de formation), d’autre part car elles leur permettent d’être rapidement sur le terrain, tout en maintenant un certain niveau de qualité. À noter toutefois que cette facilité d’utilisation s’est avérée vraie car toute l’équipe était impliquée et que nous n’avons fait face à aucune réticence. La typologie des équipes et la résistance au changement sont des éléments à prendre en considération.

Guy Pelham : Un élément à considérer également : l’existant. La BBC a par exemple été plus réticente à l’utilisation des technologies de contribution IP pour autre chose que les flashs spéciaux, tout simplement parce qu’elle a une flotte importante de véhicules DSNG, COFDM et VSAT à sa disposition.

 

Quels ont été les impacts sur les programmes ? Quel retour de la part des téléspectateurs ?

Guy Pelham : La diffusion en direct est un élément clé des chaînes d’informations de la BBC (BBC World et BBC News Channel). Elles ont tenu à intégrer des solutions de contribution IP, surtout après avoir perçu le potentiel en qualité des images provenant de zones couvertes par la 4G.

De ce point de vue, plusieurs directs pouvaient être mis en place à moindre frais tout en offrant au téléspectateur une bonne qualité depuis ces zones-là. De plus, le déplacement d’un endroit à un autre était beaucoup plus facile. Les zones couvertes uniquement par la 3G offraient en revanche une qualité moindre, qui reste toutefois acceptable par le public lorsqu’il s’agit d’informations de dernière minute.

Fabien Lenoir : pour TVSud, l’équation était relativement simple : offrir à nos téléspectateurs les moments forts des élections, et cela en direct de leurs villes. Le contrat a été rempli, avec 11 points de direct couverts, et un ressenti très positif de la part du public. Il est clair que la qualité proposée est en corrélation directe avec les réseaux : nous avons noté une baisse de qualité sur des zones où les réseaux cellulaires étaient très utilisés. À l’inverse, un journaliste « seul » sur site avec un iPhone muni de l’application proposée par Dejero pouvait étonnamment offrir des images de meilleure qualité qu’avec un système Dejero de type valise.

 

Comment voyez-vous l’évolution de ces technologies ?

Fabien Lenoir : Je pense qu’elles seront de plus en plus utilisées et que les avancées technologiques viendront fiabiliser leur utilisation : les nouveaux encodages (HEVC, DASH…) avec aussi H.264, la stabilisation de la 4G, les solutions Cloud…

Ces technologies ouvrent de nouvelles opportunités. De nouveaux marchés apparaissent, comme par exemple la TV Institutionnelle, les web TV…

Le futur de ces nouvelles technos passera à mon sens par des pôles de formation dédiés.

Guy Pelham : Les moyens de contribution IP iront au-delà de l’utilisation exclusive de la connectivité cellulaire. L’équipement sera parfaitement capable d’agréger n’importe quoi : la bande Ka, BGAN, wifi, Ethernet, ou fibre… afin de fournir une connectivité maximale pour les équipes sur place.

Pour compléter les propos de Fabien, je pense qu’HEVC commencera à avoir un impact sur la qualité d’ici un an.

Les technologies de contribution IP seront de plus en plus utilisées sur des appareils plus petits, tels que les smartphones.

À la fin de la décennie, nous allons commencer à voir émerger les réseaux 5G, qui seront si rapides que la nécessité d’agréger plusieurs connexions disparaitra totalement ; un seul modem sera suffisant.

Fabien Lenoir : En définitive, les technologies IP concrétisent assez bien le rapprochement des mondes IT et Broadcast.

 

En conclusion

Il semble bien que les moyens de contribution IP aient déjà trouvé leur voie jusqu’aux groupes de médias, quelle que soit leur taille. Travailler à moindre coût y est certainement pour quelque chose. Toutefois, les performances sur le terrain sont vérifiées aujourd’hui. Campagnes d’élections, couverture des JO, flashs d’information, des sujets très exigeants en qualité, que ces technologies basées sur l’IP ont pourtant su adresser haut la main. À voir comment cette tendance évoluera à moyen et long terme. Nos deux intervenants sont d’ores et déjà d’accord sur un point : les fournisseurs d’équipements DSNG sont en train d’adapter leurs flottes en y intégrant les technologies de contribution IP. Selon eux, nous assisterons sûrement à la naissance d’un modèle hybride moins cher et répondant aux contraintes du direct sur le terrain.

Rappelons que les propos de Guy Pelham l’engagent personnellement en tant que consultant indépendant et non la BBC.


 

L’agrégation, ou « bonding », est l’une des bases de fonctionnement des systèmes de contribution IP. Le principe est de mettre en commun tous les canaux de transmission disponibles afin d’obtenir la meilleure bande passante possible, et donc la meilleure qualité d’image possible. Ces canaux peuvent être 3G/4G, wifi, Ethernet, BGAN, etc.