Dans son discours d’ouverture de cette journée, Martin Ajdari, DG de la direction générale des médias et des industries créatives (DGMIC), représentant la ministre de la Culture, a mis l’accent sur « l’incroyable opportunité que constituent ces plates-formes en matière de diffusion », soulignant toutefois les risques encourus, notamment sur les problématiques de financement de la création.
Si les contenus partagés sur ces plates-formes, type YouTube, Dailymotion ou même Facebook, sont le plus souvent encore amateurs ou semi-professionnels, ces canaux de diffusion s’interrogent quant à leur situation et à leur rapport vis-à-vis des médias traditionnels : vont-elles devenir une fenêtre supplémentaire d’exposition pour les chaînes de TV.
Face à ces interrogations, M. Ajdari a souligné que la collecte des données reste essentielle au partage de la valeur. Si la croissance du secteur de la publicité en ligne est plus dynamique que celui de la pub TV, celle-ci est pour l’heure principalement captée par deux acteurs, Facebook et Google. « Comment les médias traditionnels peuvent-ils résister à cette dynamique concurrentielle et mobiliser leur potentiel vidéo dans cet écosystème ? », a-t-il interrogé.
À cette question économique, s’ajoute la définition juridique. « La place prise par les plates-formes rend plus que jamais impérieuse l’instauration de règles du jeu équitables entre tous les acteurs, mais aussi de protection (jeunesse, discours de haine, etc.) », a repris Martin Ajdari.
Équité fiscale et lutte contre la contrefaçon commerciale en ligne sont deux dossiers en cours d’étude, tout comme le règlement e-privacy mis en place pour protéger les data des européens. « Ce dernier peut avoir un effet contreproductif et renforcer les Gafa qui ont un accès natif aux data », a-t-il convenu, reprenant : « Nous sommes à la lutte tout en ayant en tête de conserver notre modèle de l’exception culturelle », saluant l’accord trouvé par les trois institutions européennes lançant la voie pour l’adoption prochaine de la directive sur les services des médias audiovisuels (SMA).
Pour rappel, parmi les avancées majeures, votées le 6 juin dernier par les instances de l’Europe : les plates-formes, y compris les réseaux sociaux, devront veiller à ce que les contenus qu’elles diffusent ne portent pas préjudice aux mineurs ; elles devront dorénavant investir la même part de leur chiffre d’affaires réalisé en France que leurs concurrents français.
Enfin, Martin Ajdari a salué l’obtention après « d’âpres débats » d’un quota de 30 % d’œuvres européennes produites par les plates-formes. « C’est un résultat que nous n’aurions pas parié il y a trois ans ! Nous avons toutes les raisons d’être volontaristes, il reste beaucoup à faire. Nous ne pouvons pas attendre dix ans pour donner des réponses », a-t-il conclu en ouvrant la journée de débats.
Le partage vidéo : évolution ou révolution ?
Gilles Fontaine, responsable du département Informations sur les marchés de l’OAE, avant de présenter une étude menée sur les plates-formes de partage vidéo au cours des six derniers mois, a exposé les trois interrogations nées au cours de cette recherche : L’évolution pressentie de l’offre de ces plates-formes, notamment les investissements dans les programmes, annonçait-elle un changement de nature, une mise en concurrence avec les autres médias plus traditionnels ? Comment mesurer précisément l’audience réelle de ces plates-formes et la comparer à celle des chaînes de télévision ? Et enfin, quel est leur modèle économique, leur poids sur le marché audiovisuel ?
Selon l’analyste, l’écosystème des acteurs en présence n’est pas encore stabilisé et ne se concentre que sur une poignée de plates-formes : « un très petit nombre significatif du point de vue économique, une singularité du secteur », souligne-t-il.
Ce paysage s’est un peu complexifié avec la possibilité de partager et de poster des vidéos via les réseaux sociaux. Ceux-ci ont pris leur indépendance, devenant aussi hébergeurs. De plus, le partage vidéo n’est pas l’unique activité des plates-formes, il fait dorénavant partie d’une stratégie de services plus globale. Par exemple, YouTube se décline en un service de streaming live, de VoD transactionnelle et aux USA, un service de chaînes de TV (YouTube Red devenu YouTube Premium).
Côté modèle économique, d’un schéma purement basé sur la publicité sans nécessairement engager un partage avec les créateurs, ce partage s’est dorénavant ouvert (cf. en fin d’article « Le poids de la publicité sur les sites de partage de vidéos »). « Les plates-formes ont vendu de la publicité et sont devenues des régies se rémunérant sous forme de commissions », détaille Gilles Fontaine, arrivant à l’apparition de YouTube Red, YT Premium, un abonnement global à la plateforme.
Dans leur évolution, ces services ont glissé du partage simple de contenus, à une stratégie tournée vers la naissance de nouveaux talents à qui elles ont proposé des « modalités particulières de collaboration » (accès aux recettes pub, accord de formation, de droits à l’image, etc.).
Tout naturellement, les plates-formes semblent décidées à investir dans la création originale. Ce phénomène d’investissement dans les programmes de ces services reste relatif, rassure l’analyste : « On est encore dans une phase de test : soit on assiste à des acquisitions de droits de programmes événementiels, type sport ; soit les plates-formes s’essaient à des formats de natures extrêmement diverses (courts, fiction, documentaire), sans réelle stratégie éditoriale d’achats de droits clairement définie ».
Quid des montants investis par ces plates-formes de partage ? Un milliard d’euros sont annoncés pour Facebook, quelques millions pour YouTube. « Des montants relativement modestes par rapport aux acteurs historiques de l’audiovisuel, mais aussi aux grandes plates-formes de SVOD », convient-il, soulignant le flou sur le terme d’investissement. Dans l’économie des plates-formes de partage, il peut aussi comprendre du partage de revenus pub, du minimum garanti classique, des accords de licence…
« Nous sommes à un moment de balance », assure Gilles Fontaine. Selon lui, ces plates-formes préparent leur entrée dans l’écosystème des services traditionnels des SMA ou bien elles « amorcent la pompe » en attirant des producteurs, et des contenus professionnels, tout en n’ayant, à terme, pas du tout l’intention d’investir sur le long terme, laissant le soin à ces mêmes producteurs de financer la création…
Actuellement, les contenus en tête des classements sont extrêmement différents des programmes TV et pourtant ils captent, selon une étude de l’Ofcom, le régulateur britannique, 20 % du temps passé devant des vidéos sur ces services de partage.
Enfin dans sa conclusion, l’analyste s’interroge sur une « uberisation des programmes ». Les plates-formes de partage n’auraient-elles pas in fine l’ambition de proposer une « solution universelle de diffusion des programmes » ? Celle-ci permettrait alors de court-circuiter les acteurs traditionnels. « Si cette solution perdurait, la question du préfinancement serait déportée vers les détenteurs de droits et producteurs ».
Loin de combattre ces plates-formes, Nathalie Sonnac, membre du CSA, et ses invités, Philippe Alessandri, président du SPFA, Renaud le Van Kim, créateur de Brut, Anthony Level, directeur des affaires réglementaires numériques groupe chez TF1 et Hélène Chartier, directrice du SRI, ont convenu qu’il n’était plus l’heure de vouloir combattre le poids de ces plates-formes, mais plutôt de trouver les modalités les plus efficaces pour s’en servir, pour profiter de ces nouvelles portes de diffusion.
Entre Brut, média créé pour répondre aux usages de la vidéo sur les réseaux sociaux ou la mutation du groupe TF1 pour qui l’hybridation est déjà réalisée, les acteurs sont pleinement conscients que les plates-formes de partage sont désormais entrées dans une phase de transformation qui devrait les mener à embrasser à terme le rôle d’éditeur. Pour preuve, les tentatives d’achat de droits sportifs par ces services. « Et là, ils vont intégrer un écosystème, celui des chaînes, des éditeurs de contenu, et les règles du jeu ne seront plus les mêmes », a conclu Anthony Level.
LE POIDS DE LA PUBLICITÉ SUR LES SITES DE PARTAGE DE VIDÉOS
Publicité totale en France : 30 Mds €
Publicité en ligne : 4 Mds €
Ces 4 Mds € se décomposent :
• pub. Search : 2 Mds €
• pub. Display : 1,5 Md € dont 699 M € imputables à la publicité diffusée sur les sites de partage de vidéos, en hausse 38 % depuis l’an dernier. Dans ces 600 M €, la part de la vidéo sociale représente 90 % et dans ceux-ci, 60 % reviennent à Facebook. Les chaînes de TV drainent 16 % de la pub Display (1,5 Md €) et 40 % vont à YouTube.
Source : SRI France
Extrait de l’article paru pour la première fois dans Mediakwest #28, p. 88/89. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.