Mifa édition 1.0

En juin dernier, les éditeurs de solutions logicielles ont répondu présent à l'édition virtuelle du Marché international du film d’animation d’Annecy 2020 (plus de 4 000 accrédités) qui a mis en place, en un temps record, la plate-forme Annecy Network et des « stands » virtuels.
« Josep », réalisé par Aurel, a recouru à la solution logicielle de CG Wire. Il a reçu le prix de la Fondation Gan à sa diffusion à Annecy 2019. © Les Films d’Ici Méditerranée/Imagic Telecom & France 3 Cinéma/Les Films du Poisson Rouge/Lunanime/Promenons-nous dans les bois/Tchack/In Efecto/Les Fées Spéciales

 

Ils auront été moins visibles qu’en temps « normal », il y aura eu moins de bousculades autour de leurs démos, leurs annonces auront été un peu plus diluées… Les éditeurs de solutions logicielles, qui se sont mis en quatre pour saluer cette édition inédite à coup de présentations en ligne et de rencontres connectées, sont parvenus toutefois à se faire entendre.

Une réactivité qui souligne, une fois de plus, le dynamisme du secteur qui a souvent tenu à mettre en avant, parallèlement à l’énoncé des roadmaps et des outils, les actions initiées durant (et après) la période du confinement.

 

Substance by Adobe, un grand saut dans la 3D

Très connue des studios de jeu vidéo et de VFX et présente dans de nombreux studios d’animation (Walt Disney Animation Studios, The Mill, Mikros, TAT Productions, La Station Animation…), la gamme Substance dédiée à la création de textures et matériaux (Substance Designer, Substance Painter et Alchemist) s’est retrouvée au générique de productions prestigieuses comme Games of Thrones, Spider Man, Frozen 2

Le rachat en 2019 par Adobe de la société éditrice Allegorithmic va faire entrer un peu plus l’éditeur français (d’origine clermontoise) dans le monde de la 3D. Un secteur pour lequel le géant Adobe ne cache plus ses ambitions en éditant le logiciel de mise en scène et de rendu Dimension, Mixamo (création de personnages, rigging et animation), Adobe Aero (pour la réalité augmentée) et qui a acheté à Oculus, fin 2019, Medium, le logiciel de modélisation en réalité virtuelle. Suite au rachat de Substance, Adobe a ouvert la division Adobe 3D & Immersive que dirige Sébastien Deguy (à l’origine de Substance).

« L’un des préalables pour pénétrer le marché de la 3D était, entre autres, l’intégration dans nos produits de Color Management », remarque Vincent Gault, Community Manager chez Adobe 3D & Immersive. « Après l’avoir implémenté dans Substance Designer, nous avons prévu de le faire dans Substance Painter et Substance Alchemist. »

Cette fonction, qui gère les profils de colorisation et permet donc de réaliser un étalonnage précis et cohérent avec le pipeline de production, correspond en effet à une demande forte des studios 3D et surtout des VFX.

Autre fonctionnalité très attendue et spécifique aux VFX, les UDIM sont désormais disponibles sur Substance depuis fin juillet : « Cette fonction importante nous manquait. Grâce à elle, les artistes VFX pourront utiliser Substance dans n’importe quel cas de figure. »

Quant aux développements des outils Substance, ils continuent à suivre la même vision qui prévalait au départ. À savoir la mise à la disposition des artistes d’outils intuitifs et diversifiés, permettant de générer des textures et de les appliquer sur des objets 3D : « Sur Substance Painter, la création d’une texture se fait en peignant à la main en temps réel directement sur des objets en trois dimensions », rappelle Vincent Gault.

« Sur Substance Designer, nous proposons une manière plus procédurale – et quasiment en temps réel – de le faire tandis que Substance Alchemist, à la croisée des deux, permet de générer des matériaux à partir de n’importe quelle source (photo, scan) et de les combiner pour obtenir des nouveaux résultats uniques. »

Complémentaire des logiciels, la librairie de matériaux en ligne Substance Source (développée par l’équipe parisienne) continue de son côté à s’enrichir de nouveaux packages étonnants comme celui dédié à l’Entertainment (VFX, jeu vidéo) comprenant des textures hyperréalistes ou Fashion Design qui permet de créer, plus vrais que nature, des tissus à partir d’une centaine de matières disponibles.

 

Mercenaries sur tous les fronts

L’éditeur de Guerilla (solution de lookdev, d’assemblage de scène, de lighting et de rendu) a profité de l’édition en ligne pour porter sur le network du Mifa la série des vidéos réalisées en live lors du confinement. Particulièrement suivies par les étudiants, mais aussi par des professionnels du monde entier ; ces nombreuses vidéos étaient animées par des artistes comme Jean-Michel Bihorel ou Christophe Brejon qui a donné un cours magistral sur la lumière.

« Nous sommes très fiers de ces lives qui ont été mis en place très rapidement », observe Réjane Pelée, COO chez Mercenaries Engineering. « Comme nous avons une politique, pour les écoles, de licence gratuite par adresse IP, les étudiants, qui ont dû pour la plupart arrêter brusquement leur projet, ont pu utiliser Guerilla chez eux. »

Sortie peu avant le confinement, la version 2.2 de Guerilla comporte de nombreuses nouveautés au niveau de la gestion de la lumière, du shading (nouveau shader de cheveux) et des plugs in procéduraux. Le moteur de rendu a été revu pour de meilleures performances.

Enfin Guerilla 2.2 autorise l’import USD et a intégré l’Open Image Denoiser d’Intel qui permet de réduire le bruit d’images photo-réalistes dans des gains de temps optimisés (de l’ordre de 10 à 50 %).

Développée également par Intel, la bibliothèque Embree devrait être portée sur la version 2.3.

Bien connu des étudiants, l’outil Guerilla (Render et Station), qui équipe les écoles d’animation Creative Seeds, Pôle 3D, ENSI et Parallel 14 (Martinique), se retrouve sans surprise dans des films de fin d’étude comme Grand Bassin produit par l’ENSI dont le rendu 2D original a été très remarqué (sélectionné aux Oscar 2019) mais aussi sur des courts-métrages d’auteurs comme Deux Oiseaux d’Antoine Robert produit par Tu Nous Za Pas Vus (sur Blender) ainsi que sur les longs-métrages Play Mobil the Movie, Le Petit Prince, Ballerina

D’autres productions bientôt à l’affiche y recourent comme la série 3D Arcane développée d’après le fameux jeu vidéo League of Legends de Riot Games par Fortiche Production, studio à qui l’on doit les clips K-DA Pop Stars (plus de 250 millions de spectateurs sur YouTube), Rise ou Get Jinxed.

Autre adaptation sous les feux de la rampe, le long-métrage Miraculous, les aventures de Lady Bug et Chat Noir produit par On Entertainment (groupe Mediawan) à partir de la célèbre série du même nom.

Mercenaries est par ailleurs très actif sur le développement du logiciel d’animation 3D Rumba dont la version 1.0 devrait sortir très prochainement. Là encore, ce sont les mook Anima Podi proposés par Gobelins qui vont participer au déploiement du logiciel 3D. Parce que l’implication de l’éditeur auprès des écoles demeure forte et constante, un challenge international sera même proposé aux étudiants sur Rumba. Une manière de leur donner un peu plus de visibilité en ces temps de crise sanitaire.

Dans le planning de développement de l’éditeur, la version Rumba inclura le rigging sous une forme innovante et optimisée : « Les studios veulent disposer d’outils simples et légers tout en étant puissants et spécialisés », rappelle Réjane Pelée.

 

CG Wire accélère le déploiement de Kitsu

Très sollicitée lors de la période de confinement, la solution de suivi de production open source Kitsu développée par CG Wire a permis aux studios de ne pas interrompre leurs productions en cours et de continuer d’échanger autour des projets.

En un an, la société créée par Franck Rousseau a par ailleurs accéléré son déploiement en passant d’une quinzaine de sites équipés à près d’une trentaine, et fêtait son premier client américain, le studio d’animation 2D Cartoona (séries pour adultes). De fait, Kitsu, à l’origine plutôt destinée aux pipelines 3D, s’est beaucoup développée ces derniers temps en direction de la 2D.

« Les studios d’animation 2D sont en général moins bien équipés en logiciels que les studios 3D et n’emploient pas souvent de directeurs techniques (TD) », observe Franck Rousseau. « D’où leur intérêt grandissant, surtout en ce moment, envers notre solution open source car ils peuvent la mettre facilement en œuvre. »

Plusieurs productions remarquées, dont certaines ont fait l’objet d’une présentation lors d’Annecy Online, ont recouru au suivi de fabrication 3D Kitsu comme la série Mush-Mush et les Champotes (La Cabane Production et Thuristar) fabriquée sur Blender par Cube Creative, les longs-métrages Josep (les Films d’Ici), Saules aveugles, Femmes endormies (Miyu Production), Le Sommet des dieux (Julianne Films, Folivari, Mélusine)…

Autant de productions dont la fabrication, souvent répartie sur plusieurs sites en Europe, se trouve facilitée par le suivi de gestion open source : « Basé sur l’intelligence collective, l’open source nous permet d’avancer de manière itérative à partir d’échanges avec les studios (Unit Image, Xilam, Cube Creative…) et de mettre ainsi en place une application pertinente et adaptée aux besoins. Si Kitsu présente moins de fonctionnalités que d’autres logiciels de suivi de production, celles-ci se montrent plus efficaces, tel le système Review qui permet aux réalisateurs, via la playlist, de valider rapidement un épisode d’une production ou une séquence en découvrant tous les assets ou les plans qui la composent. »

Kitsu, qui s’adresse spécifiquement aux studios de taille moyenne (moins de 300 personnes), dispose également de briques importantes comme le système de planning, la gestion de casting, le suivi des tâches et d’échanges.

Parmi les grands chantiers restants, l’ajout des quotats de production et surtout l’intégration de Kitsu dans les principaux logiciels 3D comme Maya et Blender, laquelle s’effectue toujours en partenariat avec Drago Network qui avait déjà facilité la percée de Kitsu dans l’univers 2D (Toon Boom Harmonie et Photoshop).

Toujours très impliqué pour fédérer la communauté, CG Wire organisait tous les mois jusqu’au confinement un meet-up pour les TDs et chargés de gestion de production et, en alternance, pour les graphistes (réalisateur, modeleur, chargé du lighting…). Grâce au sponsoring de Ranch Computing et d’UbiCast, toutes ces rencontres se retrouvent sur la chaîne YouTube.

Côté école, l’éditeur se montre également très actif et peut se féliciter de la percée de son logiciel qui équipe une dizaine d’écoles comme Gobelins, ENSI, Isart Digital, ArtFX… « C’est une satisfaction pour nous car les talents que les écoles attirent se familiarisent avec notre outil et ne manqueront pas de l’utiliser plus tard. » D’autres événements sont prévus à la rentrée comme des webinaires.

 

Quand Qarnot Computing relocalise les calculs

Il aura fallu un peu moins de dix ans à Qarnot Computing (Montrouge), créée en 2010, pour étendre au niveau national son réseau de radiateurs-serveurs utilisant la chaleur émise par les calculs informatiques. Le fait d’avoir pu lever certains freins culturels dans le secteur du bâtiment et obtenir des dérogations a sans aucun doute contribué à accélérer son implantation.

Aujourd’hui, quelque 1500 unités Q.rad dotées d’une puissance de calcul jusqu’à 4 kWh ont été déployées dans des logements sociaux et locaux professionnels. Fin 2019, Qarnot Computing a complété cette offre de mini data centers avec une chaudière numérique de production d’eau chaude dotée de 24 microprocesseurs (trois microprocesseurs pour les radiateurs), laquelle constitue un nœud de calcul supplémentaire très appréciable, et surtout performant, toute l’année.

L’ouverture récente de plusieurs data centers locaux, via la co-entreprise ScaleMax fondée avec le groupe Casino, va permettre d’augmenter de manière significative sa puissance de calcul.

« Nous utilisons les entrepôts et les magasins laissés vacants par Casino », précise Quentin Laurents, en charge des relations publiques. « La chaleur dégagée chauffe les entrepôts voisins. Cette implantation permet de réduire les latences et les transferts de données, et surtout de garder ces calculs en France et retrouver ainsi une certaine souveraineté. »

Plus d’une vingtaine d’entrepôts seront ainsi « occupés » par des clusters de machines Qarnot. Cette « relocalisation » des calculs en France, écologique, vertueuse et économique, n’a pas échappé à Illumination Mac Guff pour les besoins de sa nouvelle production, Minions 2 : Il était une fois Gru réalisé par Kyle Balda et Brad Ableson (sortie repoussée au mois de juillet 2021 en raison de la pandémie de Covid-19).

Pour ce volume très conséquent de calculs, c’est tout un data center hautement sécurisé qui a fourni la puissance nécessaire. Plus généralement, les studios d’animation, grands consommateurs de puissance de calculs (surtout en 3D), constituent une cible privilégiée de la société.

« Un film d’animation de 90 minutes à 24 images par seconde consomme en moyenne pour son rendu soixante millions d’heures de calcul », rappelle Ariane Robineau, en charge de ce secteur chez Qarnot. « Avec notre solution de radiateurs-serveurs, la chaleur fournie pour ces calculs informatiques pourrait chauffer toute une maison pendant 46 ans ou la ville de Paris pendant 16 minutes en plein hiver. »

En ligne de mire également le dynamique cluster 3D formé par les studios d’animation et de jeu vidéo bordelais et angoumoisins dont le calcul des productions, toutes confondues, pourrait chauffer de nombreux logements sociaux et bâtiments publics.

Qarnot, qui a quasiment doublé ses équipes suite à une nouvelle levée de fonds au printemps 2020 (de 6 millions d’euros), est en mesure aujourd’hui de diversifier sa distribution de puissance de calcul en étendant plus largement sa solution auprès des banques (BNP, Société générale, Natixis), des compagnies d’assurances, de la recherche médicale, mais aussi du machine learning et de l’intelligence artificielle dont les besoins en calculs sont colossaux. La société entend également renforcer sa solution logicielle QWare qui orchestre la distribution des calculs dans les radiateurs.

Une autre plate-forme, encore plus ambitieuse, baptisée Oasis, est dédiée à la gestion intelligente du chauffage d’origine informatique dans le bâtiment : « Toutes les données (température, qualité de l’air…) en provenance de capteurs sont compilées sous forme de tableaux de bord. Mais nous voulons aller plus loin en rendant le bâtiment intelligent en distribuant localement la puissance de calcul. Nous revendiquons cette gestion locale du traitement de la donnée. »

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #38, p. 137-140. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.