« Inséparable », une histoire d’amour tournée avec la Canon EOS C700

Quand Canon lui a proposé de tourner quelques images avec l’EOS C700, Steve Duchesne n’a pas hésité, d’autant que son appel à Tetsuo Nagata, César de la meilleure photographie en 2002 pour La Chambre des Officiers et en 2008 pour La Môme, a été entendu. Ensemble, ils ont donné naissance non pas à une bande démo, mais à un véritable court métrage : Inséparable, une belle histoire d’amour produite par Alcibal Productions. Nous avons rencontré le réalisateur Steve Duchesne, le directeur de la photographie Tetsuo Nagata et l’étalonneur Sylvain Canaux, alors que prenait fin la postproduction au sein de Saint-Louis – Post-House/Première Heure (production, postproduction, effets visuels, étalonnage).*
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Mediakwest : Pourquoi avoir choisi la caméra Canon EOS C700 ?

Steve Duchesne : Je connaissais l’équipe de Canon France, car j’utilisais déjà certaines de leurs caméras et je les avais invités à la projection de mon premier court métrage, Kitchen. Séduit par les images, l’équipe me propose de pouvoir tester une nouvelle caméra qui allait arriver sur le marché professionnel, venant concurrencer des caméras comme l’Alexa d’Arri ou les caméras de Red Digital. Je leur réponds : « Écoutez, moi je veux raconter une histoire, je veux faire un film, pourquoi on ne ferait pas un court métrage ? » Cela a suscité leur curiosité.

J’avais déjà une idée de scénario en amont, je l’ai retravaillée de façon à exploiter au mieux le potentiel de la nouvelle caméra. Il fallait valoriser le capteur. Dans une caméra, c’est le capteur qui compte, au-delà de l’ergonomie bien sûr ! J’ai donc modifié mon scénario avec des séquences qui pouvaient être tournées de jour avec de hautes lumières, mais aussi des plans que nous pouvions tourner en basses lumières, pour mettre en évidence la très grande dynamique du capteur. À défaut de budget, j’ai construit un scénario en conséquence des décors que je pouvais avoir. Tout a été créé sous la contrainte, mais une très bonne contrainte ! C’est tout ce que j’aime, ce genre de projets, la simplicité ne m’intéresse pas…

 

MK : Donc vous avez une caméra, un scénario, quelle est la suite ?

S.D. : J’appelle donc Olivier Lamy qui dirige les studios Lamy et lui demande ce que ses studios ont en stock. Il me répond : « Un bar de pirates ». C’est un peu compliqué, un bar de pirates de 50 mètres carrés en Picardie, mais ce bar il me confirme qu’il est possible de le modifier en bar américain, grâce au talent du chef décorateur Marc Pacon. Je leur réponds : « Trop petit, faisons un peu plus grand ». Ils ont construit un bar de 100 mètres carrés ! Ensuite, j’ai fait des repérages à Fort-Mahon, sur des dunes de sable. Je voulais tourner un drame très romantique, j’aime bien les histoires d’amour parce que mon précédent film, Kitchen, est un film d’épouvante. Pour Inséparable, j’ai construit une histoire d’amour, un « Bonnie and Clyde » moderne ; on est transportés dans cette aventure et le film a une fin assez atypique.

 

MK : Vous cherchez maintenant un directeur de la photographie ?

S.D. : Il me fallait quelqu’un de costaud ! J’ai tout de suite appelé l’AFC, j’ai parlé avec Vincent Jeannot, son secrétaire général, qui m’a remercié d’être passé par l’association et conseillé de contacter les chefs opérateurs avec qui je voulais travailler.

Je suis entré en contact avec Tetsuo Nagata, nous nous sommes rencontrés. J’aime beaucoup l’univers de Tetsuo, son travail, je suis totalement fan ; Tetsuo est exigeant, talentueux, ambitieux. C’est aussi quelqu’un qui apporte de la nouveauté ; faire quelque chose de standard ne l’intéresse pas et il a raison. Il avait lu mon scénario en amont et cela l’intéressait. S’instaure alors un rapide dialogue : « On tourne dans combien de temps ? – Le 5. – Le 5 janvier, cela nous laisse un peu de temps… – Non, le 5 décembre, la semaine prochaine, t’es prêt à relever le challenge ? – Oui ». Et puis cela a tout de suite « matché »… Je suis autodidacte, et j’adore la lumière, la déco, j’aime tout en fait, je me sens proche de ce métier de réalisateur parce que tout a un sens. Et Tetsuo a cette exigence, il met en valeur les comédiens, les décors, les objets, etc. Nous n’avons pas eu besoin de discuter, nous nous comprenions, c’était magique !

 

MK : Au point de vue image, le résultat obtenu sur Inséparable est-il à la hauteur de ce que vous aviez imaginé ?

S.D. : Cette caméra a tout de suite suscité mon intérêt, parce qu’il ne faut pas oublier que le Canon 5D Mark II a révolutionné dès sa sortie le marché du numérique, même s’il s’agissait d’un appareil photo. Toutes les grosses productions, tous les grands réalisateurs français ou internationaux ont travaillé avec le 5D Mark II. Alors quand Canon m’a annoncé qu’une caméra EOS C700 allait sortir avec une très grande dynamique, tout de suite j’ai eu envie de travailler avec. Le résultat est convaincant. Je suis très content des images ! Bien sûr, il y a aussi le talent de Tetsuo ; tu peux avoir la dernière caméra haut de gamme, mais si derrière tu n’as pas la fibre artistique…

 

MK : Qu’est-ce que vous aimez dans le numérique ?

Tetsuo Nagata : J’ai découvert les caméras numériques il y a seulement 4-5 ans, c’est donc aussi une expérience personnelle. Depuis des années, je travaillais en 35 mm ; jusqu’alors je n’avais jamais pensé passer au numérique. Et puis, tout d’un coup, quelque chose a changé dans ma tête. Depuis cinq ans, j’étudie en équipe toutes les nouvelles techniques que je commence à découvrir. Surtout ce que j’aime beaucoup, ce qui est intéressant, c’est qu’en numérique, j’ai besoin de beaucoup moins de lumière, surtout les scènes de nuit, et même quand je travaille en studio. L’installation devient tellement légère que la coloration de lumière est beaucoup plus simple, plus spontanée. Le poids de chaque projecteur a été réduit de moitié, il est plus facile de les déplacer, de les accrocher au plafond. Tout devient plus léger. Je peux donc essayer des choses beaucoup plus spontanées, c’est un phénomène que j’apprécie vraiment.

 

MK : Pourriez-vous nous décrire le workflow mis en place entre le tournage et le laboratoire numérique ?

Sylvain Canaux : Il était assez classique finalement. J’ai reçu un disque dur avec les Raw, les fichiers bruts, et nous avons utilisé le logiciel fourni par Canon afin d’effectuer le transfert. Nous avons fait une première partie à partir de proxy, un teaser ; actuellement, nous travaillons sur la version définitive, nous transformons les fichiers Raw en fichiers EXR et allons travailler en ACES**.

Pour tout ce qui est workflow et import des fichiers, c’est assez compliqué parce que nous sommes sur des logiciels assez jeunes. Heureusement, Canon a développé un software qui permet de régler le gamut, de créer des fichiers proxys pour le montage, et/ou un DPX en 10-16 bits ou encore un EXR. Les éléments sont donc là. Après, je pense que l’on ne pourra vraiment juger le niveau du workflow qu’une fois que ce sera intégré dans les softs d’étalonnage ; on n’aura alors plus besoin de transformer. Par contre, les fichiers sont de toute façon assez lourds. Nous ne sommes pas dans un workflow facile, mais dans du « lourd » !

 

MK : Pourquoi le choix de Baselight et comment se sont passées les relations avec la Canon EOS C700 ?

S. C. : Parce que Baselight reste, à mon sens, la machine la plus efficace en étalonnage, surtout pour ce genre de workflow. Et ce qui est assez intéressant, c’est de pouvoir vraiment discuter avec l’équipe de développement de Filmlight qui est très réactive. Dès que j’ai eu les images, je l’ai appelée pour savoir où en était l’intégration du Raw. L’équipe s’est mise en contact avec Canon, le tout était encore au stade du développement. C’est elle qui m’a indiqué le workflow à tenir pour pouvoir finalement, en cours d’étalonnage, réintégrer le Raw. Elle m’a confirmé qu’effectivement il n’y aurait pas de différence si j’utilisais un EXR en ACES. Filmlight reste hyper dynamique sur les nouveaux kits de développement, ses équipes sont assez réactives pour les intégrer. C’est vraiment confortable de travailler avec elles !

 

MK : Quel regard portez-vous sur les images numériques de la Canon EOS C700 ?

S.C. : Cela a été une vraie surprise ! Le cœur de métier de St-Louis reste la publicité. Nous travaillons essentiellement sur des formats courts. Je développe aussi beaucoup de projets de courts-métrages, comme une respiration ; nous sommes moins sur les longs formats. Dès qu’une nouvelle caméra apparaît sur le marché, nous l’obtenons rapidement pour la tester, car en publicité il faut vraiment être à la pointe de la technologie, les enjeux ne sont pas les mêmes qu’en fiction.

Ces cinq dernières années, j’ai donc travaillé avec, je pense, toutes les caméras, notamment les EOS Cinema C300 et C500 de chez Canon. J’avais quelques a priori parce que, s’il est vrai que j’aime assez ces deux caméras, elles présentaient des lacunes au regard des grosses caméras du marché. Et là, finalement, sans être préparé, j’ai retrouvé tout de suite mes marques sur les carnations, l’exposition ; cela a été vraiment très simple ! J’ai appris un peu plus tard, en discutant avec Canon, que ses concepteurs avaient vraiment essayé de matcher la courbe sur celle de l’Alexa. Ce qui fait que j’ai retrouvé toutes les habitudes que j’avais avec les autres caméras, je n’ai pas été perdu et j’ai réussi à obtenir assez rapidement une texture qui me plaise.

 

MK : Quels sont, à votre avis, les principaux points intéressants de la Canon EOS C700 ?

S.D. : En premier lieu, la qualité du capteur et du traitement des images. Un point plus subjectif est le côté esthétique de la caméra ; contrairement à des marques concurrentes, la C700 offre un côté très esthétique, un design arrondi ! Mais, bien entendu, je ne m’arrête pas à cela ; ce qui est important, c’est ce qu’elle a sous le capot. Autre point, et qui montre sa versatilité, on retrouve sur la caméra une interface Arri… Alors ça, c’est intéressant, parce que les assistants qui ont l’habitude de travailler avec l’Alexa, retrouvent une interface familière, et c’est un gain de temps. Le fait aussi de pouvoir dépareiller la caméra avec des montures PL, de travailler avec différents types d’optiques, est très important

 

MK : Qu’avez-vous préféré au sein de la Canon EOS C700 ? Comment jugez-vous son ergonomie ?

T.N : Techniquement, je ne peux pas vous dire grand-chose, je ne connais pas les détails pointus. Mais ce que j’ai senti avec cette caméra, ce qui était bien, c’est la texture, la matière de cette image que j’ai sentie. Par exemple, sur le marché, existent une caméra dont le nom commence par A et une autre par R…. J’ai senti que la C700 était proche de l’Alexa Arri, je me sentais à l’aise.

 

MK : Avez-vous, vous aussi, noté des particularités sur les basses lumières ?

S.C. : Au niveau des basses lumières, il y a du détail, du bruit comme sur toutes les caméras, je ne dirais pas que l’EOS C700 est particulièrement différente en cela des grosses caméras du marché. Je n’ai pas trouvé que son point fort se trouvait tout particulièrement dans les basses lumières. J’ai plutôt été séduit par la dynamique, les stops d’exposition dans les hautes lumières assez intéressants. Nous avons le détail dont nous avons besoin. Nous avons parlé avec Tetsuo de choses que je remarquais, où il y avait moins de détails. Il me confirmait alors qu’en général il s’agissait plutôt d’endroits où il n’avait pas mis de lumière, où l’on n’avait pas besoin de détails, l’idée était vraiment qu’il y ait de la texture.

 

MK : Et justement sur la colorimétrie, quelles sont vos impressions ?

S.D. : J’ai tout de suite éprouvé le sentiment d’être entre les deux principales caméras du marché. La Canon EOS C700 est assez différente de l’Alexa ; laquelle, sur le marché depuis un certain nombre d’années, est vraiment à maturité. Par rapport à une autre caméra comme la Red, j’ai senti que nous étions un petit peu au-dessus, notamment en matière de détails sur les basses et hautes lumières, c’est assez différent, on sent vraiment les niveaux d’exposition. Alors que sur une Alexa, on sentira les hautes lumières un peu nacrées, un peu douces, là j’ai eu le sentiment que nous étions vraiment entre ces deux univers.

Je pense que pour un certain type de projet, un certain type de chef opérateur, l’EOS C700 a vraiment sa place. En termes de colorimétrie, Inséparable comporte 4-5 univers. Nous avons ce moment sur la plage qui est très doux, avec finalement une lumière rasante, beaucoup d’aberrations liées au soleil très chaud. Là, j’ai vu tout de suite qu’elle encaissait bien ! Nous avons énormément de close-up, avec beaucoup de carnation. On sent bien tous les dégradés, on est assez proche de l’Alexa, je n’ai donc pas été surpris. En tout cas, j’arrivais à obtenir le genre de texture que je voulais ! Le court-métrage intègre une partie un peu plus fluo située dans un bar, avec des couleurs beaucoup plus saturées, du bleu, des couleurs qui peuvent être un peu compliquées. Tetsuo a utilisé un ensemble de différentes sources (HMI, fluos, Led, tungstènes). Cela s’est pourtant vraiment bien passé, c’est surprenant ! J’ai fini par obtenir assez rapidement un look qui me convenait et qui plaisait aussi à Tetsuo.

 

MK : S’il y avait une séquence à retenir…

S.C. : J’aime beaucoup la scène de la plage, parce qu’elle est assez simple ; il y a là toute la magie, on sent la lumière entre chien et loup, le travail de Tetsuo, c’était assez facile. J’aime beaucoup aussi la scène du bar, nous étions davantage dans un travail d’étalonnage, avec des oppositions, des petites choses, je me suis un petit peu plus amusé dessus. Mais ma préférée demeure la séquence assez classique de la plage, qui fait de belles images. Je suis un romantique aussi…

 

MK : Quels sont justement vos choix de lumière ? Comment avez-vous tourné ? Quelles étaient les sources ?

T.N. : Les sources étaient minimalistes, je n’ai pas utilisé grand-chose. Et puis, surtout pour ce tournage au budget réduit, je ne pouvais pas prendre beaucoup de choses ; j’ai énormément travaillé en tungstène, en studio. Le tournage fut très « busy », nous n’avions pas beaucoup de temps, c’est un court métrage ; il y avait pourtant nombre de choses à faire… Mais j’ai eu un peu de chance, parce que nous avons tourné en hiver, au mois de décembre. La lumière était toujours basse, faible, ce n’était pas comme en été ; il est bien le soleil d’hiver en France, un peu voilé, doux…

 

MK : Auriez-vous envie de travailler à nouveau avec l’EOS C700 ?

S.D. : Bien sûr ! Actuellement, nous sommes en postproduction, nous finalisons le film, mais je suis content du résultat. Oui, avec plaisir, je prendrais volontiers l’EOS C700 pour un autre film ! Après, tout dépend du chef opérateur… J’ai rencontré à l’AFC d’autres chefs opérateurs qui ont l’habitude de travailler sur la pub ou le long métrage et qui se disent intéressés pour travailler avec cette caméra. C’est plutôt flatteur.

 

MK : Où et quand pourra-t-on voir Inséparable ?

S.D : L’idée est de faire tourner le court métrage dans les festivals. Il y aura une avant-première au Gaumont Opéra en avril. C’est important, parce que j’ai besoin de montrer mon travail. Inséparable sera, point très important, présenté au NAB. Nous allons aussi donner quelques images à Filmlight sur le salon. Plus le film aura de visibilité, mieux ce sera pour tout le monde. Après, nous le présenterons à Cannes ; nous allons organiser des projections privées avec le marché du film. Ensuite, au mois d’octobre, il sera à l’IBC d’Amsterdam, qui est un salon aussi très important. S’ensuivront divers festivals. Et quand le film sortira, le public décidera !

 

* Article paru pour la première fois dans Mediakwest #21, p.26-28. Abonnez-vous à Mediakwest (5 nos/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur totalité.

**ACES : Academy Color Encoding System est un standard proposé par les studios hollywoodiens pour devenir la norme de l’industrie afin de gérer la couleur tout au long du cycle de vie d’une production cinématographique ou TV.