Séries Mania 2017 – Les assises européennes au cœur des débats

Alliant à la fois un festival et des rencontres professionnelles internationales, l’événement parisien a souhaité favoriser les échanges entre producteurs et institutions du vieux continent. Forte de son succès passé et de la richesse actuelle du marché de la série, la huitième édition de Séries Mania, qui se tenait en Avril dernier au Forum des Images, a largement élargi son audience. En effet, d’autres salles ont rejoint le dispositif, comme l’UGC Ciné Cité Les Halles, le cinéma du centre Pompidou, le Grand Rex, le Luminor Hôtel-de-Ville, ainsi que L’UGC Rosny.*
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Au programme des compétitions, une sélection d’une soixantaine de séries dont 31 avant-premières mondiales et internationales. À cela s’ajoutaient une quinzaine de séries web qui disposaient également de leur propre remise de prix. La compétition officielle était cette année présidée par le showrunner Damon Lindelof. En outre, de nombreuses rencontres avec des créateurs tels qu’Adam Price et Jimmy McGovern étaient proposées sous forme de Panels.

L’importante fréquentation du volet professionnel lors de l’édition précédente a conduit les organisateurs de Séries Mania à étendre ce Forum sur quatre jours avec notamment des Co-Pro Pitching Sessions, qui avaient pour objectif de faciliter les coproductions internationales. À cela sont venues s’ajouter les Assises européennes du financement des séries.

Mises sur pied en partenariat avec le CNC, ces assises furent l’occasion de débattre de nombreuses thématiques telles que les nouveaux financements des productions indépendantes, l’explosion des séries digitales, le financement des saisons 2 ou encore l’analyse des datas dans le processus de création des séries.

 

Les investissements privés surfent sur la série

Très attendu, le panel consacré aux ressources financières de la production de séries accueillait des représentants réputés dans le domaine avec notamment Pascal Breton, producteur expérimenté et fondateur de la société Federation Entertainment. « Avant d’entrer dans le vif du sujet, je tiens à souligner que la diversité des modes de financement de la série est une chance, car elle permet de rester relativement indépendant du diffuseur pendant le processus de création », expliquait-il en préambule.

Caroline Dhainaut, de la société d’investissement A+ France, présentait les principales évolutions des dispositifs de Sofica : « Nous apportons des fonds privés, mais collaborons largement avec le CNC qui donne son accord au soutien d’un projet. Dans notre offre de financement audiovisuel, la part consacrée à la série a augmenté de manière significative. Aujourd’hui nos investissements dans le secteur sont à 55 % tournés vers la télévision (tous formats confondus) dont une part de 35 % est consacrée au développement. Le reste est attribué au cinéma. »

Pippa Lambert, de WME, a confirmé que l’apport de financements issus de fonds privés d’investissement continuait à croître. Le modérateur, Marco Chimenz, s’interrogeait alors sur l’hypothèse d’une bulle financière qui, à l’instar des débuts de l’Internet, pouvait éclater. L’ensemble des intervenants a réfuté ce risque, targuant que les montants d’investissements baisseraient sans doute un peu à moyen terme, mais ne s’effondreraient aucunement, compte tenu de la place pérenne qu’a pris aujourd’hui la série.

 

France-Allemagne recherche projets

Les aides aux coproductions franco-allemandes avaient également leur propre panel. Créé il y a deux ans, le fonds d’aide franco-allemand au codéveloppement de séries audiovisuelles de fiction aide environ quatre projets par an. Pour cette deuxième année, les partenaires du fonds sont, d’une part le CNC et la région Grand-Est, d’autre part quatre fonds régionaux allemands : la Film-und Medien Stiftung Nordrhein-Westfalen GmbH (NRW Film-und Medienstiftung), la Medien-und Film Gesellschaft Baden-Württemberg (MFG Baden-Württemberg), le FilmFernsehFonds Bayern (FFF Bayern) et le Medienboard Berlin-Brandenburg GmbH.

Un soutien financier dans la phase à risques qu’est celle du développement est un élément essentiel pour augmenter le nombre de coproductions franco-allemandes de séries. L’aide est attribuée sous forme d’avance, remboursable sous conditions, d’un montant maximum de 50 000 € par projet.

Côté français, la commission se compose de deux producteurs et de quatre membres du CNC. « Nous sommes très vigilants sur la qualité des scénarios que nous recevons. Attention, les sujets ne doivent pas nécessairement traiter de thématiques franco-allemandes ; il faut simplement qu’il y ait une coproduction entre deux sociétés de part et d’autre du Rhin », clarifiait Stéphanie Carrère, productrice pour la société Kwai et membre de la commission.

Philippe Alessandri a pour sa part obtenu une aide pour une série qui se déroule en Algérie. « En plus de l’aspect financier pour le développement, les retours des lecteurs nous ont été très profitables. Ensuite, nous avons pu faire collaborer un auteur français, d’origine algérienne et un auteur allemand qui n’était pas forcément concerné par l’histoire des relations franco-algériennes. Cela a été une vraie richesse créative pour la série. Enfin, quand je suis allé chez Arte pour présenter le projet, le soutien du fonds apportait une réelle crédibilité à la série. La chaîne a d’ailleurs accepté de nous suivre », affirmait Alessandri.

 

L’explosion des séries digitales

Web série ou série digitale ? Quelle dénomination donner à la série diffusée via Internet ? Très vite une réflexion émergeait des discussions : la web série (dont la première historique remonterait à 1995 !) serait destinée à une diffusion gratuite, tandis que la série digitale serait, quant à elle, réservée à un public payant.

Si l’on parle beaucoup de l’arrivée prochaine de la plate-forme de diffusion de séries courtes Blackpills, la parole était cependant donnée à Gilles Gallud de Studio+ dont l’application payante est déjà présente sur le marché depuis quelques mois. « Nous produisons des séries de 10 minutes environ. Le mode de consommation sur smartphone ainsi que le temps disponible dans notre quotidien favorisent ces formats courts », prévenait-il.

En 18 mois, la filiale de Vivendi a coproduit quelque 32 séries françaises ou étrangères. L’accent est placé sur la dimension internationale des scénarios. À l’inverse, François Jadoulle, coordinateur des créations web de la RTBF, prônait l’ancrage local de ses productions : « Avec nos séries destinées à être diffusées sur le web, nous souhaitons nous adresser à un jeune public belge francophone qui ne regarde plus du tout nos programmes à la télévision ». Les deux démarches opposées peuvent donc clairement cohabiter.

 

Tourner en anglais ? Utiliser la science cognitive ?

Quels que soient les panels visités durant les Assises européennes, une question est revenue quasiment systématiquement : faut-il impérativement tourner en langue anglaise ? Si une petite majorité a répondu par l’affirmative à cette interrogation, d’autres voix se sont néanmoins fait entendre.

Liselott Forsman, productrice des projets internationaux de la chaîne publique finlandaise Yle, a même argumenté sa méfiance à ce propos : « Je pense que la culture d’un pays, et donc de sa création, se devine également à travers l’utilisation de sa langue. En outre, comment ne pas reconnaître que le fait de tourner dans une langue non maternelle n’est pas pénalisant pour le jeu des acteurs ? » Une intervention pleine de bon sens mais qui, semble-t-il, ne devrait pas trop sensibiliser les importants marchés des États-Unis ou du Royaume-Uni.

Enfin une présentation très passionnante a soulevé nombre de questions sur l’implication des sciences cognitives et de l’exploitation des datas dans le mode créatif. L’un des représentants de The Fiction Lab, société dans laquelle intervient Patrick Georges, médecin neurochirurgien spécialisé en sciences cognitives, expliquait de manière assez rationnelle les techniques issues des recherches cognitives visant à maintenir l’attention du spectateur et susciter son envie de suivre les prochains épisodes d’une série : « Il faut, en moyenne, que de bout en bout d’une fiction, le spectateur soit à 200 pts de stress. 30 pts sont générés, par exemple, lorsque le personnage principal est confronté à un choix crucial, 40 pts s’ajoutent s’il a une arme braquée dans le dos. »

Face aux questions relatives à la place de la créativité dans tout cela, il était rétorqué que les outils cognitifs ne sont que des techniques au service de la narration, mais qu’il revient aux auteurs de trouver les clefs d’une histoire originale. Une réflexion qui n’en est pas à ses débuts puisque, en dépit des 18 ans d’existence de la Fiction Lab et de ses interventions, notamment dans les fictions américaines, un certain Alfred Hitchcock avait sans doute compris toutes ces ficelles par lui-même, bien avant tout le monde.

 

* Article paru pour la première fois dans Mediakwest #22, p.82-84. Abonnez-vous à Mediakwest (5 nos/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur totalité.