À l’instar d’une Allemagne invitée spéciale, l’Europe est omniprésente au Sunny Side. Les grands enjeux sociaux, économiques et environnementaux qui questionnent le vieux continent ne sont pas étrangers à cette orientation. Le constat n’est pas nouveau ; pourtant cette édition 2019 a mis encore davantage en avant les défis que doivent relever les producteurs et diffuseurs de l’UE en termes de coproductions, transfrontalières notamment.
« Lorsque l’on parle de production franco-allemande, on pense bien entendu immédiatement à Arte. C’est bien, mais il n’y a pas que cela, il y a d’autres chaînes en Allemagne qui peuvent travailler avec d’autres canaux en France », souligne Yves Jeanneau, fondateur et commissaire général du Sunny Side of the Doc.
Les Régions de plus en plus impliquées
Alors que les Régions de l’Hexagone ont fusionné pour prendre une taille et une envergure européenne (un peu à l’image des Länder outre-Rhin), celles qui sont frontalières s’organisent progressivement afin de faciliter les collaborations extra-territoriales.
« Dans la fusion des régions, il y a une reconstruction des politiques régionales, y compris en ce qui concerne les fonds de la culture et de l’audiovisuel. Nous essayons d’accompagner les producteurs dans la compréhension des aides européennes, avec le Plan Media par exemple qui est assez complexe. Mais ce n’est pas tout : il y a également des fonds d’aides européens au développement qui ne sont pas spécifiques à la production, mais au soutien de toutes les entreprises », détaille Mischa Schmelter, responsable des politiques culturelles transfrontalières et européennes de la région Grand-Est.
Cédric Bonin, producteur de la société Seppia à Strasbourg, connaît bien ces aides non spécifiques. Il bénéficie d’ailleurs de ce type de subventions pour se rendre au Sunny Side et sur d’autres évènements documentaires : « Le Feder (Fonds européen de développement régional) est important pour nous, d’autant qu’il existe de nouvelles opportunités avec la grande région. Tandis que nous étions simplement frontaliers avec l’Allemagne à l’époque de la région Alsace, nous le sommes avec quatre pays aujourd’hui avec le Grand-Est. Nous avons créé l’Apage (Association des producteurs du Grand-Est) afin de chercher à travailler avec l’ensemble de nos pays voisins : la Belgique, le Luxembourg, la Suisse et naturellement l’Allemagne. »
La Nouvelle-Aquitaine (hôte du Sunny Side) dispose du deuxième fonds régional français de soutien à la production (derrière l’Ile-de-France). Elle est aussi très dynamique en ce qui concerne la collaboration transfrontalière.
Pour Julie Paratian, de Sister Productions installée en Nouvelle-Aquitaine, les producteurs ne sont plus uniquement locaux, mais prennent dorénavant davantage d’envergure : « Nous sommes passés d’une logique de simple accueil de tournage à une réelle politique de production, y compris extra-locale. C’est une sorte de décentralisation de l’audiovisuel et du cinéma. »
Les régions frontalières franchissent même encore un pas en s’organisant parfois sous forme d’Eurorégion. Arola Urdangarin est responsable des projets de l’Eurorégion Nouvelle-Aquitaine Euskadi Navarre : « Ce mode de structuration est issu d’une directive européenne pour dynamiser les échanges et s’inscrire dans une démarche de citoyenneté au sein de l’Union. En ce qui concerne la culture et l’audiovisuel nous lançons annuellement un appel à projets doté de 450 000 euros de budget. L’œuvre doit permettre de faire travailler l’ensemble des trois régions concernées. Le soutien peut atteindre jusqu’à 50 % du coût total de la production. »
Outre la table ronde organisée sur ces thématiques transfrontalières, le traditionnel rendez-vous « Produire en région » a permis de confirmer l’essor du secteur hors Ile-de-France. Aux étoiles de la Scam, de nombreux films produits en régions pour des chaînes nationales ou locales ont été primés.
Olivier Montels, jusqu’à présent directeur délégué de France 3 en charge du réseau régional, a annoncé son départ pour la direction adjointe du DGDAP (ensemble des contenus France TV). Il en a profité pour annoncer les nouvelles cases nationales dans lesquelles seront diffusés des films issus des régions. Ce sera le cas en deuxième partie de soirée, en lieu et place du Soir 3 qui tire sa révérence, ou encore avec un rendez-vous consacré au doc Outre-Mer (exclusivement société) le jeudi soir toujours sur France 3. « Nous restons sur un contrat d’objectif de 250 films par an signés en régions », conclut Olivier Montels qui demeure optimisme quant à la suite de l’implication des stations de France 3 dans le secteur documentaire.
Les diffuseurs à la Parade
Le Sunny Side c’est aussi la grand-messe des chaînes françaises qui diffusent du doc. Catherine Alvarez, directrice du documentaire chez FTV, se veut elle aussi positive malgré la réforme que vit actuellement le groupe. Il semble que le bouleversement annoncé l’an passé concernant la transversalité des unités documentaires au sein du groupe se soit mieux passé que prévu. Même s’il a fallu compter avec quelques retards de traitement des projets, le cataclysme n’a pas eu lieu comme le redoutaient certains producteurs.
« Le documentaire est plus que jamais un enjeu fort pour France Télévisions. Chaque semaine, ce sont en moyenne 11 millions de téléspectateurs qui regardent un documentaire sur l’une de nos chaînes. Notre volume de production atteint 2 000 heures/an. Il nous faut maintenant redéployer notre offre sur les plates-formes numériques », indique Catherine Alvarez.
On retiendra plus concrètement que la science (à la fête cette année sur le Sunny Side) prend une place de plus en plus importante sur les antennes et le numérique de FTV. Caroline Behar, directrice de l’unité documentaires de France 5, est également en charge des acquisitions et coproductions internationales du groupe. Une case study lui permet de mettre en lumière Global Doc, un groupement de chaînes internationales qui s’associent à France Télévisions afin d’échanger sur les dossiers de coproductions en cours. « L’enjeu des coproductions internationales est essentiel, nous avons souhaité mettre en place Global Doc afin de favoriser la bonne circulation des projets », précise Caroline Behar.
Canal+, qui connaît de nombreux remous en interne et faisait assez pale figure l’an passé (comparé aux éloquentes présentations des éditions précédentes), a repris quelques couleurs cette année. La chaîne payante relance un rendez-vous de deuxième partie de soirée hebdomadaire et une case en prime-time dédiée à des documentaires sériels.
Du côté d’Arte, toujours très pro-actif sur le documentaire (et sur le Sunny Side), Bruno Patino, directeur éditorial d’Arte France, s’enorgueillit d’une année 2018 forte en chiffres : « 2018 a été la meilleure année de la chaîne en termes d’audience. Nous avons attribué pas moins de 48 millions d’investissement pour les productions Arte et le double si l’on considère les achats. »
Hélène Coldefy, directrice de l’unité découverte et connaissance, est à la fête tant la thématique science se porte bien. « L’anniversaire du premier pas sur la lune permet de retracer les temps forts de ce moment historique, mais aussi d’ouvrir plus largement sur l’exploration spatiale passée et à venir », se réjouit-elle. Les cases découvertes de la chaîne sont regroupées dans les créneaux suivants : ARTE Découverte, du lundi au vendredi à 19h (43 mn), FutureMag, le samedi à 13h15 (40 mn), L’Aventure humaine, le samedi à 20h50 (2 x 52 ou 1 x 90 mn) et Science, le samedi à 22h20 (43 ou 52 mn). À cela s’ajoutent certains grands documentaires, le dimanche à 20h40 ou en deuxième partie de soirée (60 ou 90 mn).
Enfin, RMC Découverte, qui est dorénavant bien ancrée dans le paysage pour ses documentaires très grand public, faisait aussi la présentation de sa grille de rentrée. La chaîne annonce des investissements assez conséquents dans ses plus importantes productions originales, de l’ordre de 50 000 à 100 000 euros l’heure.
Mais s’il est un diffuseur qui est attendu au tournant à La Rochelle, c’est sans surprise Netflix. La plate-forme américaine est un peu la « guest star » de l’édition. En effet, si elle était de toutes les conversations les années précédentes déjà, c’est la première fois que la plate-forme officie pour présenter ses programmes dans le grand auditorium. À l’instar de Our Planet, le documentaire rencontre un franc succès sur Netflix, ce qui modifie un peu l’image d’un « pure player » dédié principalement à la série.
Transfert de Canal+ depuis quelque temps déjà, le charismatique Diego Bunuel explique en anglais les us et coutumes de la plate-forme. Malgré l’imposante taille de l’auditorium, deux sessions sont nécessaires pour satisfaire un public venu en nombre (du jamais vu en 30 ans de Sunny Side). Objectivement nous n’apprenons finalement pas énormément de choses : les sujets doivent avoir un intérêt international fort et nécessitent une réalisation soignée qui doit captiver le spectateur. Bref, rien de bien surprenant.
Notons qu’au final il est difficile d’imaginer plus de quatre ou cinq productions tricolores financées par le géant US, ce qui est très peu à l’échelle du marché. Nous n’avons pas obtenu de chiffres d’investissement par projet, mais il semble que les moyens soient conséquents. Alors comment proposer un projet à Netflix ? La réponse de Diego Bunuel : « Envoyez-moi un synopsis de quelques lignes en anglais par mail et je reviendrai vers vous… » Bon, on a un peu de mal à y croire, mais pourquoi pas après tout.
Les institutionnels toujours au rendez-vous
SPI, Satev… les différents syndicats des producteurs, réalisateurs et autres agences de presse ont cette année encore dressé le bilan de leurs combats pour défendre les différentes corporations dont ils sont issus. La vigilance sur l’évolution du CNC, notamment du compte de soutien automatique, était une fois de plus l’un des leitmotivs des syndicats. À cela s’ajoutaient naturellement les réformes déjà bien lancées chez France Télévisions et le cadre européen du droit d’auteur.
Les auteurs, réalisateurs et producteurs ont fait connaissance avec la nouvelle présidente de la Société civile des auteurs multimédia : Laetitia Moreau. Une fois les bilans et les travaux en cours établis (ils sont accessibles sur le site de la Scam) la présidente se déclare un peu soucieuse : « Si le volume des productions documentaires est satisfaisant, notamment grâce au service public, nous devons maintenir une vigilance permanente quant à la diversité des sujets traités, mais aussi sur la singularité de forme que doit pouvoir prendre chaque œuvre. »
Laetitia Moreau avait également accordé la parole à une nouvelle association syndicale. La Guilde des auteurs réalisateurs, représentée par l’un de ses fondateurs Stéphane Bentura, se montre particulièrement vindicative face aux producteurs présents dans l’assemblée. « Nous ne souhaitons plus que notre rémunération, dont la plupart du temps 50 % sont versés sous forme de droits d’auteurs et non de salaires, soit la variable d’ajustement des budgets des films. Nous allons être très vigilants sur le respect de nos droits, notamment en termes de perception après les ventes des œuvres », prévient-il sur un ton un peu agressif.
Le CNC est représenté par Olivier Henrard, directeur général de l’établissement, qui assure alors l’interim après le départ de Frédérique Bredin et avant la nomination du nouveau président, tant décrié, Dominique Boutonnat. Pour Olivier Henrard, les réformes portent leurs fruits : « Depuis les réformes de 2017 et leurs adaptations, l’apport horaire du CNC a augmenté de 19,7 %. Nous aidons un peu moins de projets, mais avec davantage de moyens financiers. »
Dans les faits, la subvention horaire moyenne pour les films soutenus est passée de 30 000 euros en 2008 à 36 000 euros en 2018. L’ensemble des bilans 2018 et autres analyses sur de plus longues périodes est consultable sur le site du Centre national du cinéma et de l’image animée. Les échanges avec les producteurs portent principalement sur les ajustements des points bonus accordés aux différentes composantes des équipes artistiques, mais aussi sur l’augmentation probable de l’apport annuel minimum des chaînes (passage de 70 à 80 000 euros) afin de pouvoir bénéficier du compte de soutien automatique.
Les pitchs ont du succès !
Organisées depuis quelques années déjà, les séances de pitchs permettent à des auteurs (associés à un producteur) de proposer directement leurs projets aux diffuseurs et futurs coproducteurs. « Je suis très fier de ces pitchs, ils attirent beaucoup de professionnels à la recherche de bons projets. Nous effectuons un travail important de sélection en amont du Sunny Side pour n’en retenir que six dans chaque thématique. Les projets pitchés doivent avoir un fort potentiel international et disposent déjà d’un producteur avec au moins 30 % du budget déjà obtenu. Le succès est donc très régulièrement au rendez-vous et les films voient le jour », déclare Yves Janneau, fondateur et commissaire général du Sunny Side of the Doc.
Durant les quatre jours du Sunny Side, cinq sessions de pitchs sur les sujets suivants sont proposés : Sciences et Nature, Histoire, Arts et Culture, Société et Investigation, Histoire et Animalier. Chaque pitch dure 15 minutes avec 7 minutes de présentation du projet (incluant le trailer) et 8 minutes de questions-réponses avec les décideurs.
Trente bougies sur le gâteau
Nombreux sont ceux qui ont tenu à féliciter publiquement Yves Jeanneau pour sa pugnacité et la grande idée qu’il a eue de créer le Sunny Side of the Doc, devenu au fil des ans un passage incontournable pour tout le petit monde du documentaire. Nous le rencontrons juste avant la fermeture de cette trentième édition, un peu fatigué par ces quatre jours intenses, mais aussi satisfait par l’évolution de son événement. Impossible de ne pas s’associer aux bravos, car si pour les auteurs, réalisateurs, producteurs, distributeurs et diffuseurs, le Sunny Side est un moment privilégié de discussion, c’est aussi, pour la presse spécialisée, l’endroit où l’info circule le plus précisément avec la possibilité de rencontrer les acteurs majeurs du secteur. Pour cela aussi Yves, Merci.
Extrait de l’article paru pour la première fois dans Mediakwest #33, p.96/100. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.