Nikon ZR née pour le cinéma

Si je mentionne Nikon, il est fort à parier que vous pensez photographie. Et pourtant, la marque japonaise s’intéresse depuis longtemps à l’image animée.
Il s’agit bien d’une caméra pensée pour la vidéo, issue de la fusion des technologies Nikon Z et Red. © DR

 

En 2008 déjà, la sortie du D90 marquait l’avènement de la vidéo dans les DSLR, en 720p. Au milieu des années 2000, j’avais moi-même un peu perdu la passion pour l’image, ayant plutôt mal vécu la transition entre la pellicule et les débuts du numérique dont je trouvais l’image froide. En tournant mes premiers plans avec le D90, j’ai retrouvé le plaisir de teintes riches et d’une courte profondeur de champ, faisant fi des gros blocs de pixels. Je suis consciente de devoir assumer un statut de dinosaure en évoquant cette époque, et amusée de voir la jeune génération s’emparer de ces outils pionniers pour rechercher un look vintage.

Par la suite, il faut avouer que Nikon a un peu délaissé la vidéo, jusqu’à l’arrivée en 2018 de la gamme Mirror-less Z, et surtout il y a quatre ans de l’implacable Z9 capable de tourner en 8K. Peu après sa sortie, une mise à jour du firmware a ouvert la porte à l’enregistrement en interne du ProRes RAW et d’un nouveau codec, plus léger et très qualitatif, le N-RAW. En 2024, Nikon Corporation a secoué le monde de la vidéo en achetant Red, ce qui a initié la nouvelle gamme Z-Cinema, d’abord avec l’ajout de la monture Z sur les V-Raptor et Komodo. Mais surtout, cela laissait supposer la création d’une nouvelle caméra hybride Nikon-Red.

C’est chose faite avec la ZR, née pour le cinéma, qui a été dévoilée à l’occasion de l’IBC en septembre. Le nombre de visiteurs venus au salon pour découvrir la fusion du meilleur des Z et des Red, désirant s’équiper avec « une Red à moins de 2 000 euros HT », a montré un réel engouement pour la nouvelle-venue. Mais comme manipuler une caméra sur un stand est limité, j’en ai gardé une les jours suivants, pour faire un test approfondi, en conditions réelles.

 

Prise en main

Un menu dédié permet de facilement personnaliser les infos sur l’écran. Neumann présentait ses nouveautés dans un espace immersif. © DR

À la prise en main, on ressent tout de suite qu’il s’agit d’une caméra et non d’un appareil photo (ah, ce français qui complique tout…). L’ergonomie est très minimaliste, avec peu de boutons mais un grand écran tactile de 4 pouces très lumineux (1 000 cd/m2) à la gamme de couleurs DCI-P3. L’absence de viseur peut gêner les opérateurs qui évoluent dans des zones de forte luminosité, mais beaucoup de vidéastes ont pris l’habitude de cadrer sur un écran. Tout l’avant est occupé par la monture, bien entendu une Z, pour profiter de toute la gamme des optiques Nikkor. Ceci dit, comme celle-ci est très grande et que le tirage optique est court, il est facile d’adapter des objectifs d’autres fabricants.

La première satisfaction, lorsqu’on appuie sur le bouton « marche », est la rapidité d’allumage. Quand on vient de l’univers Red où il faut patienter une vraie minute avant de pouvoir manipuler sa caméra, c’est un réel progrès qui permet de ne plus rater d’actions. On est tout de suite prêt à tourner et à capturer tout ce qui se passe. Les molettes de réglages sont très fluides et agréables à manipuler. La ZR est aussi très légère : 540 grammes seulement.

Mais il ne faut pas se fier à son petit gabarit, elle embarque une réelle puissance. Elle est équipée du même couple capteur-processeur que le Nikon Z6III, à savoir un plein format de 24,5 millions de pixels semi-empilé associé au puissant Expeed 7. C’est cela qui lui donne la capacité d’enregistrer en interne dans une large variété de formats :

  • N-RAW jusqu’à 6K60  ;
  • R3D NE (pour Nikon Edition, en 12 bits contre 16 bits pour le R3D Red) jusqu’à 6K60  ;
  • ProRes RAW 12 bits jusqu’à 6K30  ;
  • ProRes 422 HQ 10 bits jusqu’à 6K30  ;
  • H265 10 bits jusqu’à 6K60  ;
  • H265 8 bits jusqu’à 6K60  ;
  • H264 8 bits jusqu’à HD120.

 

La science des couleurs

La grande nouveauté, c’est bien entendu l’arrivée du codec Red et de toute la science des couleurs qui a fait la renommée de la marque américaine. Ce format offre en outre une plage dynamique de quinze diaphs, qui permet une grande latitude de travail en postproduction. Le capteur a deux ISO natifs, un Low à 800 ISO et un High à 6 400 ISO, pour une gestion du bruit optimale. Pour l’instant seul DaVinci Resolve gère ce codec R3D NE, ainsi que le N-RAW, mais on sait que Premiere Pro a annoncé que le NEV ferait partie de la prochaine mise à jour, donc on peut imaginer que ce nouveau codec Red suivra très bientôt. Pour profiter au maximum de ces couleurs typiques de Red, on retrouve d’ailleurs dans les profils d’image du H265 des LUT proches du rendu du R3D, bien sûr avec une dynamique moindre et un poids de fichier bien plus léger.

 

La ZR fait aussi des photos, ça reste une caméra Nikon ! © DR

J’ai testé tous ces différents codecs sur des plans similaires. Pour trente secondes de rush en 6K50 on obtient des fichiers de 12 Go en N-RAW, 12,5 Go en R3D, 8,4 Go en ProRes RAW (plus léger car en 6K25 seulement), et 1,6 Go en H265 10 bits. Il faut bien entendu adapter le choix du format à ses contraintes de tournage, et les performances de ses cartes mémoires (CF Express type B) au codec choisi. Le N-RAW existe d’ailleurs dans deux niveaux de qualité, dont un « normal » deux fois plus léger qui est un excellent compromis qualité-poids.

Notons qu’en h265 on peut monter en HD jusqu’à une cadence de 240 images par seconde, pour des ralentis très poussés. L’effet de rolling shutter étant très réduit par la rapidité de traitement du capteur, les lignes restent droites dans les scènes en mouvement.

Pour contrôler son image, une nouvelle disposition d’informations sur l’écran a été créée, bien pensée pour apporter aux vidéastes toutes les informations nécessaires. Au lieu d’une vitesse d’exposition on choisit désormais l’angle. Un menu dédié permet d’accéder facilement à l’ajustement du zebra, du focus peaking, du view assist (pour appliquer une LUT Rec709 sur l’affichage des images tournées en Log), d’une grille, d’une ligne d’horizon, du cadre rouge d’enregistrement, ainsi que des formes d’onde et du choix du mode d’autofocus.

Car oui, il s’agit bien d’une caméra Nikon, aussi la ZR bénéficie du puissant autofocus auquel on avait pris goût avec la série Z. Il a été entraîné par l’IA pour reconnaître les humains et leurs yeux, mais aussi les animaux et les véhicules, avec une efficacité stupéfiante. Il est aussi facile d’ajuster une zone de mise au point en la sélectionnant sur l’écran, ou bien sûr en tournant la bague de l’objectif.

On peut donc désormais apprécier des images au rendu Red, mais nettes ! On apprécie aussi la stabilisation sur cinq axes, qui permet de tourner à main levée. Comme on le pressentait, les ingénieurs ont rassemblé les points forts des deux univers différents pour les combiner dans une seule caméra.

 

Autre attrait : le son

Un autre attrait de la ZR qui fera plaisir aux vidéastes, c’est le son. Il faut être honnête, nous sommes pour la plupart des opérateurs de prise de vue devant gérer aussi l’audio quand il n’y a pas de technicien son, c’est-à-dire sur la plupart des tournages. Le stress est toujours bien présent à l’idée de rater la réaction d’un personnage, qui sous le coup d’une émotion se met à crier et donc à faire saturer l’audio. La ZR est ainsi la première caméra au monde capable de capter le son en 32 bits flottant. La plage est si large que tous les niveaux de son sont enregistrés.

En postproduction on peut avoir une forme d’onde qui ressemble à un bloc, mais quand on baisse le niveau tout le détail de l’audio apparaît comme par miracle. Il n’est pas saturé, on peut donc le rattraper. C’est un avantage certain pour la tranquillité du cadreur et la qualité des rushes.

 

Nikon a développé un micro canon qui se connecte directement par le porte-griffe, sans besoin de câble. © DR

Cela fonctionne avec les trois micros intégrés, dont on peut régler la directionnalité selon cinq modes : omni, binaural, super directionnel, avant et arrière. Je les ai testés dans des conditions pas faciles, par grand vent en montagne, et ai été positivement surprise du résultat. Il est possible de tourner sans micro additionnel si les contraintes de tournage imposent une configuration minimaliste. Nikon a développé un micro canon qui se fixe sur le porte-griffe et qui est connecté par celui-ci, sans besoin de câble, pour compléter si nécessaire. On peut aussi connecter en mini-jack toute la panoplie de micros du marché, ou utiliser un module XLR.

La ZR est ainsi très performante en vidéo, en son, mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’une caméra Nikon. Elle fait donc aussi des photos ! Un commutateur sur le dessus permet facilement de passer de l’image animée à fixe. Pour celle-ci on retrouve toutes les caractéristiques du Z6III qui rappelons-le a le même couple capteur-processeur. Les « gros » pixels du capteur assurent sa forte sensibilité, qui monte jusqu’à 204 800 ISO. La rafale est aussi très rapide, et le rendu fidèle aux exigences de Nikon.

On le voit, la ZR concentre les atouts des deux univers Nikon et Red dans un corps minimaliste très léger. Elle a été pensée pour être facile à prendre en main par les débutants, avec des modes dédiés, et avec des performances qui permettent (presque ?) de s’affranchir de régler l’exposition (quinze diaphs de latitude en RAW), la mise au point (un autofocus ultra-efficace) et même le son avec le 32 bits flottant !

Mais elle peut aussi tout à fait satisfaire les professionnels, notamment par la variété de formats d’enregistrement. Elle peut être utilisée telle quelle ou être accessoirisée comme une caméra de plateau. La ZR s’associe aussi à un workflow Red multicaméras, du fait de la similarité de rendu et de codec.

 

On apprécie de retrouver le look Red sur les images. © DR

En guise de conclusion

Avec un tarif aussi attractif – moins de 2 000 euros HT – on peut imaginer qu’elle va facilement convaincre de nombreux opérateurs, mais aussi séduire les jeunes créatifs, notamment tous ceux qui participent au Nikon Film Festival. Avec plus de 3 000 films en compétition en 2024 c’est devenu un exercice incontournable pour tous les étudiants en écoles de cinéma, et les créateurs motivés par la réalisation. Il semble que Nikon ait développé une caméra pour les accompagner dans ces projets, et améliorer le rendu cinématographique de leurs films.

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #64, p.14- 16