Dossier : influences technologiques et prises de vues

Les progrès techniques réalisés sur les équipements de captation d’images sont-ils de nature à modifier à long terme la manière de photographier une scène réelle ? Certaines tendances technologiques actuelles pourraient influencer l’évolution future des pratiques en prises de vues.
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Au cours des dernières décennies, les processus de postproduction ont été véritablement révolutionnés par les conséquences pratiques de la délinéarisation. Les opérations de visionnage, montage, trucage, étalonnage et mixage s’effectuent selon des modalités très différentes de celles du passé, avec des temps d’accès et des délais devenus insignifiants.

 

L’époque qui a vu le montage des images animées devenir virtuel n’est pas si lointaine, et déjà l’expression « montage virtuel » est passée de mode ; elle n’est guère plus utilisée que par ceux qui ont pratiqué le montage vidéo à partir de magnétoscopes connectés à des éditeurs dédiés ou, plus rare encore, le montage de la pellicule film avec coupes aux ciseaux et passage à la colleuse. Pur produit d’un multimédia innovant à l’affût de nouvelles solutions pour revisiter les pratiques de fabrication des contenus audiovisuels, le montage non linéaire est implicitement numérique. Il est devenu la norme, et fait référence dans la description des processus fondamentaux des métiers. Grâce à des masses de données véhiculées et traitées à des vitesses déroutantes par des logiciels spécialisés, avec des quantités de fichiers médias transcris en tâche de fond sur des disques numériques à accès instantané, l’évolution résultante la plus appréciable en pratique pour l’utilisateur est sans doute celle de mettre en œuvre des processus d’édition non décisionnels. Pouvoir exécuter une suite d’opérations dans un ordre choisi, et non plus imposé par une procédure rigide, pouvoir à tout moment défaire, pour refaire et finalement parfaire.

 

Les étapes des traitements en postproduction audio et vidéo sont devenues le champ d’expérimentation de cette liberté longtemps espérée. Affranchies des contraintes technologiques majeures qu’imposaient les supports linéaires, elles profitent pleinement des effets de la dématérialisation avec des bénéfices avérés en termes d’efficacité, de rapidité et de qualité créative, avec des coûts drastiquement revus à la baisse.

 

 

 

Mais qu’en est-il de la prise de vues ?

Les métiers de la captation du réel, en reportage et en tournage, connaissent-ils une révolution comparable dans leurs pratiques ? Les appareils photo et vidéo numériques ont bien évidemment bénéficié des innovations technologiques en termes d’amélioration de la fidélité des images restituées : avec les massives ressources des formats numériques sources RAW et celles des autres codages, les définitions HD, UHD, 2K, 4K et même 8K qui sont les nouveaux standards de qualité. La quantité des détails visuels captés par ces définitions extrêmes a impacté les métiers artistiques de la création visuelle en décors, costume et maquillage ; mais pas si profondément celui de chef-opérateur. Dans le même temps, on a assisté à une miniaturisation extrême des supports d’enregistrement : photo et camescopes sont devenus plus compacts, légers, mobiles et communiquants. Les prix de ces équipements ont par ailleurs fortement diminué. L’hégémonie des broadcasters est foncièrement remise en cause par l’essor des nouvelles pratiques multimédias. En partage sur internet, des sites de visionnage en ligne sont des vitrines qui montrent les savoir-faire et la créativité des particuliers, avec des images originales et de grande qualité, bien qu’elles aient été filmées par des équipements et dans des conditions qui n’ont rien en commun avec ceux du domaine professionnel. Dans ce contexte, quels sont les facteurs d’innovation technologique qui pourraient inspirer une véritable révolution dans le domaine de la captation des images ?

 

Un œil numérique décisif ?

Avant d’entrer dans la période actuelle d’innovation accélérée et permanente des technologies numériques, à laquelle nous sommes désormais habitués, les caméras et boîtiers photo reflex film 35mm avaient évolué. Ils ont profité d’améliorations notables, comme les automatismes de mise au point et d’exposition, le mode rafale, la fourchette d’exposition ou la prise de vues accélérée en vidéo. On évoquait déjà avec nostalgie « l’instant décisif » cher à Henri Cartier-Bresson, les images aux rendus stylisés de certains chef-opérateurs inspirés, et les cadrages ajustés au cordeau par des architectes de l’image. Depuis longtemps, un large champ de possibilités s’offre en postproduction pour corriger les imperfections des prises de vues en cadrage, exposition, contraste, saturation, balance des couleurs. Des outils d’ajustements sélectifs permettent même de corriger des zones délimitées de l’image.

 

Transformer la couleur pour faire du noir & blanc est affaire courante, corriger la balance des couleurs, modifier les teintes sont des opérations communes. Mais coloriser une image monochrome peut prendre un peu plus de temps. On sait simplement ajouter du flou sur une image nette ; l’inverse reste problématique. Une part conséquente des travaux de postproduction consiste toujours à apporter des corrections à des images conditionnées par la prise de vues ; par des réglages, ajustements et mouvements décisifs, exécutés sur le terrain et en temps réel à partir d’équipements aux caractéristiques limitées.

 

Ce « déterminisme » de la captation du réel pèse fortement sur l’organisation de la fabrication des programmes, souvent aux dépens de la créativité des concepteurs. C’est un point que les technologies appliquées à la capture des images auront naturellement tendance à corriger dans le futur, au gré de leurs avancées. Avec des innovations issues des progrès de la recherche scientifique, elles ont déjà apporté une palette conséquente de nouveaux traitements au cours des dernières années…

 

 

Trois lettres pour dire « mieux »

 

La définition spatiale des images est désormais ultra haute ; elle s’annonce en Kilo-pixels par ligne. Tournés en 4K et bientôt en 8K, nos rushes vidéo UHD (Ultra High Definition) seront bien plus ajustables pour affiner la composition de notre choix dans un cadre 16/9 en définition HD. Avec les cadences de prises de vues accélérées des modes HFR (High Frame Rate), c’en est fini des flous de mouvements, et nos images seront détaillées jusque dans les scènes d’action les plus mouvementées. Elles permettront d’extraire des vues instantanées étonnantes, à partir de séquences filmées à 50, 60 et jusqu’à 120 images progressives par seconde. Nos appareils bénéficient certes des dernières améliorations apportées aux capteurs de types CCD et CMOS en termes de sensibilité et de dynamique de contraste. Mais ombres et lumières sont réconciliées par les modes numériques HDR (High Dynamic Range) qui réussissent enfin à rassembler hautes et basses luminosités dans une reproduction équilibrée des éclairages réels. La perception de la profondeur est un autre facteur d’évolution de l’imagerie numérique : les techniques de prises de vues en 3Ds (3D stéréoscopique), reproduisant le relief en dissociant les plans dans un axe Z de la vision, ont déjà profité à la renommée de certaines productions. Toutes ces technologies de traitements en temps réel à la création des images captées évoluent rapidement. D’autres prodiges techniques auraient mérité d’être mentionnés, même si le sigle en trois lettres pour les désigner n’est pas encore trouvé ; comme par exemple la correction embarquée des défauts optiques, qui permettra bientôt de rectifier en temps réel les aberrations géométriques et colorimétriques des objectifs.

 

 

 

Vers un format idéal de captation

 

Les effets de tous ces artifices techniques pourraient-ils, à terme, converger et se compléter en bonne intelligence pour donner aux images brutes une plus grande latitude de traitement? Cette attente est reconnue, elle existe de longue date. Nombreux et assidus sont ceux qui suivent l’innovation technique des équipements de prises de vues photo & vidéo et qui entretiennent cet espoir. À ce jour, ce qui concrétise l’une des applications les plus poussées de cette tendance vers l’imagerie absolue est la photographie plénoptique.

Apparu en 2011 aux USA, l’appareil photo plénoptique est numérique, mais il ne se limite pas à la reproduction des états lumineux d’une matrice de pixels ; il utilise plutôt une matrice de micro-objectifs qui permettent d’enregistrer la description de flux lumineux modélisés en quatre dimensions. À partir du champ de lumière enregistré, on peut, après coup, sélectionner le cadrage, la mise au point, la profondeur de champ et même le temps d’obturation. Ces possibilités étendues de post-traitement permettent ensuite d’ajuster une image à partir de la lumière modélisée, une image dont les caractéristiques sont réfléchies, et non plus contraintes par l’instant décisif.

Lytro est un modèle d’appareil photo plénoptique destiné au grand public, avec une résolution de 11 MegaRays pour un prix avoisinant 400$. Cette technologie plénoptique n’est pas encore au point pour révolutionner la pratique photo professionnelle. Et son application à l’image animée présente des difficultés qui semblent aujourd’hui difficilement surmontables. Comme l’ont été sans doute les difficultés liées au traitement de la couleur aux débuts de la télévision. Jusqu’à ce que le progrès les surmonte, comme l’ont été celles de tant d’autres processus qui font la valeur des caméras d’aujourd’hui.