Style, esthétisme et « écoles » de montage

Avant de consacrer (dans le prochain numéro) un article à la pratique du montage, en détaillant les différentes étapes, méthodes et savoir-faire mis en œuvre autour des outils de postproduction contemporains, nous vous proposons une exploration des techniques, du langage et de la grammaire de cet art.
« La corde » (« Rope »), film américain d’Alfred Hitchcock sorti en 1948, constitué de 8 plans séquences de 10 minutes © DR

Les « écoles » de montage, les figures de style et les règles, ont été inventées, testées, suivies et aussi parfois détournées depuis plus de 100 ans. Aujourd’hui, alors que l’ensemble de ces savoirs et compétences est entremêlé dans de nombreuses œuvres, il est encore plus intéressant pour les amoureux du Septième Art d’apprendre à les reconnaître, et pour les aspirants monteurs prêts à transcender l’héritage de leurs pairs, à les maîtriser. Notre approche volontairement pragmatique nous oriente vers des simplifications conscientes pour nous concentrer sur des concepts directement applicables. La littérature traitant de ces sujets est riche ; aussi nous vous proposerons en aparté de notre article des ouvrages de référence pour approfondir la question !

 

Le montage, la réalisation et le découpage

Le montage, lieu de la troisième écriture du film, est intimement lié au scénario et à la réalisation. Le type d’œuvre – fiction, documentaire, film de commande, film publicitaire – impacte la part créative et influence le montage. Un mot, une action, un outil symbolise plus que tout autre ce lien : le découpage technique. Il peut être matérialisé par le storyboard, qui en est sa représentation dessinée et annotée. Le plan constitue l’élément de base de la grammaire cinématographique, c’est une suite de photogrammes encadrés par deux coupes.

Dotés de caractéristiques propres de temporalité et d’espace, l’assemblage des plans en séquences et en scènes constitue le montage préalablement prévu par le réalisateur selon le scénario qui peut déjà inclure des indications filmiques. La conception et la description des plans pensés par le réalisateur, avant leur matérialisation au tournage et leur assemblage au montage, est le découpage.

 

Le plan-séquence : le montage ultime ?

En maîtrisant son art, le réalisateur peut prévoir des mouvements de caméra et des déplacements de personnages dans la scène filmée permettant une évolution interne au sein d’un plan sans passer par le truchement du montage : on parle de montage interne. Il est possible de construire une séquence entière autour d’un unique plan, c’est le cas particulier du plan-séquence.

Les déplacements de la caméra ou des acteurs autorisent des cadrages alternant des plans larges intégrant les éléments du décor et situant les personnages dans leur environnement, à des plans moyens et serrés soulignant des détails importants ou les émotions exprimées par un regard. Les mouvements de caméra permettent, après une sortie de champ, le cadrage de personnages nouveaux. Certains films sont entièrement constitués d’un nombre limité de plans-séquences.

La corde (Rope), le premier film tourné en couleur par Alfred Hitchcock et sorti en 1948, est constitué de huit plans-séquences tournés avec huit bobines de pellicules de dix minutes, assemblés avec des transitions imaginées dans une volonté de discrétion pour cacher les raccords. Plus récemment, le film Timecode (2000), réalisé par Mike Figgis, a poussé le concept avec le tournage de quatre histoires simultanées filmées chacune en un seul plan-séquence.

Les récits se rejoignent parfois, complexifiant le travail des équipes techniques : aucune caméra, aucune perche ne devant être visible dans le champ des autres caméras. Les choix de montage ont été simplifiés, puisque les quatre axes sont simultanément offerts au regard du spectateur grâce à une découpe de l’image en quatre parts égales. Seize tentatives furent nécessaires pour obtenir la bonne prise, mais seulement quatre pour mettre en boîte les 96 minutes de L’Arche russe (2002) du réalisateur Alexandre Sokourov. Ce film dépeint 300 années de l’histoire de la Russie, avec 850 acteurs et près de 1 000 figurants.

 

LES ÉCOLES HOLLYWOODIENNE ET SOVIÉTIQUE

Pour caractériser deux visions du montage, on évoque avec raison deux principales « écoles » de montage qui semblent s’opposer dans les procédés narratifs mis en œuvre.

 

  1. L’école hollywoodienne ou le montage de la continuité

On situe l’essentiel de son essor entre les années 1910 et la fin des années 50, pendant la période faste des grands studios américains. Le classicisme hollywoodien a vécu de nombreux bouleversements avant d’acquérir ses lettres de noblesse. Loin de n’être qu’une part de l’histoire du cinéma enfermée dans les ouvrages universitaires, les règles et pratiques qui en découlent constituent la trame de la majorité des films de tout genre réalisés aujourd’hui.

Les principes généraux de montage inventés et pratiqués à cette époque sont ceux du montage narratif, également nommé montage de la continuité. Ce terme évoque clairement une recherche de fluidité et de transparence dans la réalisation et l’enchaînement des plans.

On évoque très régulièrement l’expression de « montage invisible » : un standard devenu si familier aux spectateurs que sans en avoir conscience, ils ne perçoivent même plus les coupes qui sont fluidifiées dans une quête d’articulation entre les plans, grâce à l’utilisation de raccords.

David Wark Griffith a très intensivement exploité le montage de la continuité, nous vous invitons à visionner quelques séquences de Naissance d’une nation (The Birth of a Nation), sorti en 1915. Au-delà de la controverse idéologique, le film faisant l’apologie du Ku Klux Klan et du sud des États-Unis esclavagistes étant ouvertement raciste, on y reconnaît de nombreuses méthodes de réalisation contemporaines. Le montage de la continuité construit le flux des actions et des émotions du film selon les plus connues des règles que l’on apprend à tout aspirant réalisateur faisant ses premières armes.

 

  • Les règles du montage de la continuité ou du montage narratif

Pour assurer la continuité entre les plans, un montage doit respecter trois conditions dans la position des éléments dans le cadre, leurs mouvements et les regards des personnages. Un acteur cadré à droite doit conserver sa position au passage entre deux valeurs de plan, pour éviter de perturber le spectateur.

La direction du mouvement d’un objet ou d’un personnage doit être la même entre deux plans ; les vitesses apparentes doivent également correspondre. La direction des regards de deux personnes en conversation est naturellement opposée ; il est nécessaire de respecter ces directions de regard lors du passage d’un plan large à des plans serrés des acteurs.

En cassant cette règle, le spectateur pense immédiatement que les acteurs ne partagent pas la même discussion, même si c’est effectivement le cas. À l’opposé, on peut facilement mentir à ce même spectateur et inventer un échange plus vrai que nature entre deux personnes pourtant filmées dans des lieux et selon des temporalités différentes. Une règle très célèbre, certainement la plus connue, permet de respecter simplement deux de ces conditions.

 

  • La règle des 180 °

Lors de l’enchaînement de différents plans couvrant une scène donnée, la caméra doit être positionnée du même côté de l’axe d’action, ou de la ligne imaginaire reliant les regards de deux acteurs, afin de créer un espace cohérent dans l’enchaînement des plans. Cette règle appartient tout autant au réalisateur préparant son découpage qu’au monteur. Grâce à elle, l’orientation du regard d’un personnage placé à gauche et regardant vers la droite sera conservé tout au long d’une discussion avec un second personnage placé en sens inverse. Un saut d’axe ferait « sortir » le spectateur de l’action ou même du film : on parlerait alors de « suspension of disbelief » ou « suspension consentie de l’incrédulité ».

Lorsqu’on s’assoit dans une salle de cinéma, ou dans son canapé, on accepte implicitement d’entrer dans l’histoire qui nous est contée. Si les cinéastes se plient à ces règles, c’est qu’elles sont (ou sont devenues) les garantes d’une adhésion des spectateurs, s’en détourner exposant le réalisateur et le monteur au risque de voir les spectateurs suivre un mouvement similaire envers leur film.

Pour revenir à notre « ligne » d’action ou de regard, il reste possible de la franchir par l’entremise d’un plan filmant un acteur ou l’action « face caméra ». Une seconde solution consiste à imprimer un mouvement à la caméra traversant alors la ligne pendant la durée du plan. Lorsqu’elles sont maîtrisées et que les réalisateurs s’y adonnent en conscience, les règles sont faites pour être transgressées.

Des cinéastes ont consciemment inscrit leur art dans le rejet de certaines conventions, à l’image du réalisateur japonais Yasujirô Ozu et de la règle des 180 °. Le regard du spectateur évolue, il maîtrise aujourd’hui parfaitement les codes et se positionne beaucoup plus rapidement dans l’espace créé pour lui. Il est donc aujourd’hui courant de respecter la règle des 180 ° au début des séquences. Lorsque la géographie du lieu est assimilée, les réalisateurs se permettent de l’oublier pour concentrer leurs recherches sur d’autres effets de montage.

 

  • Le champ contrechamp

C’est une figure de style qui présente dans un premier plan le « champ », par exemple une personne regardant un paysage ou un événement qui sera dévoilé via le « contrechamp » dans le respect de la règle des 180 °. De nombreuses interviews ou des scènes d’échanges entre plusieurs personnages sont filmées ainsi. Pour inclure le personnage « à l’écoute », dans un plan cadrant le locuteur, on a pris l’habitude d’inclure au premier plan une partie de son épaule ; on dit que l’épaule est en amorce.

Lors des moments riches en émotion, on s’approche en gros plan de la personne qui parle, et on réduit l’angle entre l’axe de la caméra et la direction du regard. Au contraire, pour alléger le propos ou « détendre » une situation, on repasse sur le plan large cadrant les deux personnages ou groupes de personnages.

 

  • Le plan d’établissement et l’exploitation des différentes valeurs de plans

Les différentes valeurs de plans représentent les échelles relatives des cadrages choisis pour filmer une scène, depuis le plan le plus large permettant de visualiser l’ensemble de la scène, du décor et des acteurs au plan le plus serré, offrant à voir les détails les plus intimes. Le plan d’établissement est un plan large, souvent utilisé pour présenter la scène dans son ensemble avant de détailler les éléments et de cibler certains personnages ou certains détails.

Le cinéma hollywoodien use de différentes valeurs de plans (larges, moyens et serrés), pour décrire l’espace. Les échelles de valeurs de plans sont exprimées en fonction du sujet filmé. Si un film a pour sujet des fourmis, le plan large filmera la totalité de la fourmilière, le gros plan, la tête d’une fourmi. Pour préparer un découpage, il est conseillé de connaître le référentiel commun découpant un « humain » : très gros plan, gros plan, plan rapproché ou poitrine, plan taille, plan américain, plan italien, plan pied et le plan large qui inclut le décor.

 

  1. L’école soviétique

Mouvement débuté au milieu des années 20, le faible nombre de films et de réalisateurs y ayant contribué est inversement proportionnel à l’influence toujours aussi vive qu’ils ont exercée sur des générations de cinéastes. Le nom du théoricien et réalisateur Lev Koulechov vous évoque certainement sa célèbre expérience éponyme : l’effet Koulechov.

En alternant des plans du visage inexpressif de l’acteur Ivan Mosjoukine avec différents plans : une jeune femme lascivement allongée dans un sofa, un bol de soupe et une enfant dans un cercueil, les spectateurs lurent dans son visage une expression différente à chaque alternance, en rapport avec le plan accolé.

Éloignés du but commercial du cinéma hollywoodien, les plans étaient ici associés dans un but démonstratif et parfois politique. Nous vous invitons vivement à regarder Le Cuirassé Potemkine, le second film de Sergei Eisenstein, âgé alors de 27 ans. Ce film était une commande du comité central pour commémorer les vingt ans de la révolution avortée de 1905 considérée comme annonciatrice de la révolution d’octobre 1917.

Eisenstein a affirmé sa reconnaissance envers D.W. Griffith pour avoir posé les bases de la grammaire cinématographique, mais c’est une direction bien différente qu’a explorée ici le cinéaste russe, avec un découpage inédit et fulgurant, loin de la fluidité narrative de son homologue américain. Ici les plans s’entrechoquent ; les valeurs de cadres, la dynamique des compositions et les mouvements de caméras se confrontent pour créer des émotions et générer des sentiments d’indignation, ou au contraire de communion.

Eisenstein dirige la sympathie du public pour les navigateurs rebelles du bâtiment de combat Le Potemkine, attise la haine envers les représentants du régime tsariste. Il faut, une fois dans sa vie, voir la séquence de l’escalier d’Odessa à laquelle Brian De Palma a magistralement rendu hommage en 1987 dans son film Les Incorruptibles. Elle détient certainement le palmarès de la séquence la plus copiée de l’histoire du cinéma, par les plus célèbres des réalisateurs, dont Woody Allen dans Guerre et Amour en 1975 et Terry Gilliam dans Brazil en 1985. Et pour rigoler un peu, on la retrouve dans La Cité de la peur (1994) réalisé par Alain Berbérian sur un scénario des Nuls, dans Y a-t-il un flic pour sauver Hollywood réalisé par Peter Segal en 1994 et même dans un épisode des Simpson.

 

  • La fragmentation

Eisenstein crée du sens par la fragmentation, en s’arrêtant sur certains détails mis en valeur par la grosseur du cadre et la brièveté du plan : les roues d’un landau, des lunettes brisées sanglantes. Des cinéastes plus contemporains jouent également sensiblement avec ce procédé, parmi lesquels le célèbre cinéaste de la nouvelle vague, adepte des expérimentations, Alain Resnais ou le mythique réalisateur, scénariste, directeur de la photographie, producteur et monteur de ses propres films (rien que ça !), Stanley Kubrick.

Le chef d’œuvre d’Alain Resnais, Hiroshima mon amour (1959), dont le scénario a été écrit par Marguerite Duras, entremêle des images de la fiction filmant les deux amants à des images documentaires sur le musée d’Hiroshima. Stanley Kubrick a été profondément influencé par Eisenstein. On retrouve les techniques du Cuirassé Potemkine ou d’Ivan le Terrible (1955-1958) dans 2001 l’odyssée de l’espace (1968) lorsque des images du vaisseau spatial sont alternées à des gros plans sur les visages des personnes assistant aux funérailles.

 

  • Le montage discursif et le montage des correspondances

En opposition au montage narratif, deux types de montage sont régulièrement décrits. Le montage discursif et le montage des correspondances. Dans les deux cas, les plans s’articulent d’une manière discontinue ; ils sont confrontés dans le montage discursif et opposés dans le montage des correspondances. Le premier est démonstratif, là où le second fonctionne par suggestion dans l’écho que créent les plans entre eux.

 

Les « séquences montage »

Une « séquence montage » ou simplement un montage est l’assemblage d’un grand nombre de plans courts montés dans des séquences narratives. Ces dernières sont habituellement utilisées dans la construction du film pour accélérer la narration. Elles constituent souvent de superbes moments de cinéma.

On pense immédiatement à la célèbre séquence riche en émotion du film Rocky (1976) de John G. Avildsen, lorsque Sylvester Stallone, plus déterminé que jamais, s’entraîne ardemment pour son match de boxe. C’est une séquence d’événements se déroulant sur une période de temps longue, montée dans un temps compressé et présentée d’une manière dramatique, les plans étant choisis pour s’entrechoquer. Rocky court sur les rails de train, à travers les rues de la ville, fait des pompes, tape dans un punching-ball ou sur des carcasses de viande : des semaines d’entraînement résumées en deux minutes.

Ce montage est un véritable pivot du film, une évolution de l’angle de prise de vue a également été opérée à partir de ce moment. Les plans filmant Rocky précédant le montage sont cadrés en légère plongée, ceux qui le suivent sont en légère contreplongée.

 

  • Montage métrique

C’est un montage qui est utilisé dans Rocky : les plans sont coupés « mécaniquement » selon le « beat » de la musique. Quatre autres types de montage ont été décrits par Eisenstein.

 

  • Montage rythmique

Les montages rythmiques conservent une construction narrative, mais les plans sont alternés en suivant le « rythme » du film. Le film Whiplash (2014), éminemment musical, en présente un des meilleurs exemples, lors de la mémorable interprétation finale du morceau Caravan par Andrew, le héros du film.

 

  • Montage tonal

Le montage « tonal » joue sur l’expression et les différentes palettes émotionnelles des personnages, appuyé par l’éclairage et les ombres. On en trouve un exemple dans le film d’horreur érotique Les Prédateurs (The Hunger) avec Catherine Deneuve, David Bowie et Susan Sarandon, réalisé par Tony Scott (le frère de Ridley Scott) en 1983.

 

  • Montage obertonal

Le montage « obertonal » combine les trois précédents pour créer la dynamique d’une large séquence.

 

  • Montage intellectuel

Le montage intellectuel propose au spectateur une métaphore reliant deux plans, en application de l’effet Koulechov. Le jeu peut s’étaler sur plusieurs séquences répétées et modifiées pour faire évoluer les significations dégagées de la confrontation des plans.

 

Le montage, outil de construction

Il existe deux procédés alternant les plans ou les séquences : le montage alterné ou le montage parallèle ; quelles sont les différences ?

 

  • Montage parallèle

Les actions alternées sont narrativement indépendantes, elles ne présentent aucun rapport de causalité ou de simultanéité. C’est dans les domaines sémantique et logique que les cinéastes souhaitent faire émerger des sens nouveaux par la confrontation des univers et l’utilisation de figures de styles telles que la comparaison, la métaphore ou l’opposition.

 

  • Montage alterné

Vous l’aurez deviné ; ce sont deux ou plusieurs actions simultanées qui sont ici données à voir dans un va-et-vient plus ou moins rapide. En plus d’une temporalité commune, un lien de causalité peut exister entre les deux actions (mêmes causes ou/et mêmes conséquences).

 

  • Montage par leitmotiv

Un ou plusieurs plans sont insérés à plusieurs reprises et de manière récurrente dans une séquence, pour signifier un sentiment ou une idée nouvelle. Dans Les Dents de la mer, réalisé par Steven Spielberg et sorti en 1975, le leitmotiv c’est la vue sous-marine des nageurs qui revient nous annoncer l’attaque imminente du squale tueur. Le leitmotiv est très souvent musical, comme dans les différents opus d’Indiana Jones et de Star Wars.

 

  • Split screen/écran découpé

Une méthode plus radicale de présentation simultanée de plusieurs actions consiste à découper l’écran en plusieurs parties. Le film Time Code de Mike Figgis présenté au début de cet article est ainsi construit, mais nombreux sont les exemples jalonnant l’histoire du cinéma, autant que de la publicité et de la télévision.

Pour éviter les écueils qui guettent les cinéastes pensant sauver avec cette figure de style une œuvre à la construction fragile, il est indispensable de préparer finement le découpage et la prise de vue ; les défis de production et de réalisation étant surmultipliés.

De nombreuses variantes peuvent être mises en œuvre, avec la présentation dans les différents écrans d’actions parallèles ou alternées, en champ/contrechamp, dans des temps différents, en partageant ou non des liens plastiques ou mentaux.

 

  • Exemples

La mémorable séquence finale du chef d’œuvre de Darren Aronofsky, Requiem for a Dream (2000) illustre l’intérêt d’un montage alterné qui présente ici un climax dramatique pour chacun des personnages : la mère traitée par électrochocs, le fils qui se fait amputer en prison et la petite amie embarquée dans une glauquissime scène de débauche sexuelle. Pour accentuer l’effet de dégoût, s’entremêlent aux trois séquences alternées, des images de préparation de la purée des prisonniers dans une accélération du rythme et de la suggestivité des images. La séquence « purée » est également un leitmotiv !

La plus célèbre séquence du film Le Parrain (1972) de Francis Ford Coppola alterne des plans de massacre avec les plans de baptême où le parrain parjure les paroles échangées avec le prêtre. Les puissantes notes de l’orgue et les cris de l’enfant répondent au bruit des mitraillettes.

Il nous serait impossible de parler de montage alterné en passant à côté de Babel. Réalisé en 2006 par Alejandro González Iñárritu, qui nous présente quatre histoires dramatiquement reliées par un simple objet. Une carabine a été offerte par un touriste japonais à un guide marocain ; ses fils tireront par erreur sur un bus américain, blessant grièvement Susan (Cate Blanchett) une touriste américaine immobilisée au Maroc avec son mari Richard (Brad Pitt) qui tente de la sauver, forçant alors leur nounou mexicaine Amelia, gardant leurs enfants aux États-Unis, à embarquer les enfants du couple au mariage de son fils, sans les prévenir.

 

Le temps

Il est possible, et même souhaitable, d’apprendre à jouer avec le temps : l’accélérer, le ralentir ou le suspendre, voire le remonter. Je vous entends penser à la trilogie Retour vers le futur de Robert Zemeckis ou à Inception de Christopher Nolan, sorti en juillet 2010. C’est un réalisateur habitué à manipuler le temps, qu’il renverse dans Tenet, sorti en août 2020.

Pour étendre le temps apparent au montage, on utilise des plans supplémentaires couvrant la même action (voir montage cubiste). On donne le temps au spectateur de s’arrêter sur une émotion, de faire corps avec elle. À l’inverse, pour contracter des temps longs – des semaines, parfois des années – en un instant, on insiste au découpage et au montage sur des moments clés à forte signification dramatique et sur des moments d’émotion.

 

Exemples

Andy Warhol a réalisé en 1964 deux films expérimentaux, des « anti-films », Sleep et Empire durant respectivement 5 heures et 21 minutes et 8 heures et 5 minutes. Les deux films ont été réalisés et montés en temps « objectif ». Warhol refuse la diffusion abrégée de ses films ; la difficulté de ces longs visionnages du poète John Giorno en train de dormir et de l’Empire State Building filmé en plan fixe depuis le coucher de soleil jusqu’à la nuit noire, fait partie intégrale de l’expérience artistique.

La scène de la seringue de Pulp Fiction, sorti en 1994 et réalisé par Quentin Tarantino, illustre à merveille le ralentissement du temps par la multiplication des plans.

Nous espérons qu’après la lecture de cet article vous regarderez les films d’un œil nouveau. Et pour les monteurs en devenir : à vous de jouer !

 

QUELQUES LIVRES POUR UN MONTEUR

Pour poursuivre cette exploration, cette découverte, cette plongée dans le monde du montage, voici la sélection littéraire de Moovee :

  • Lettres à un jeune monteur, Henri Colpi et Nathalie Hureau – Éditions Séguié – 2014
  • Raconter en images ou l’art du montage, Nathalie Hureau – Éditions Scope – 2005
  • Esthétique du montage, quatrième édition – Vincent Amiel – Éditions Armand Colin – 2017
  • En un clin d’œil / Passé, présent et futur du montage, Walter Murch – Éditions Capricci – 2011
  • Le montage “la seule invention du cinéma”, Jacques Aumont – Éditions Vrin – 2015
  • Les conceptions du montage, Collectif sous la direction de Pierre Maillot et Valérie Mouroux, Collection CinemAction n° 72 – Éditions Corlet – 1994
  • Théorie du montage : énergie des images, Thérésa Faucon – Éditions Armand Colin – 2017
  • La sagesse de la monteuse de film, Noëlle Boisson – Éditions J.-C. Béhar – 2005

 

Extrait de l’article paru pour la première fois dans Moovee #5, p.72/79. Abonnez-vous à Moovee (6 numéros/an) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.