Sunny Side of the Doc, une édition 2018 entre joies et incertitudes

L'incontournable rendez-vous du documentaire - qui se déroulait en Juin dernier - a une nouvelle fois permis de dresser un état des lieux du secteur. Si la vigueur du Doc n’est pas remise en cause au niveau international, au sein de l’hexagone, en revanche, des craintes demeurent sur les conséquences de la refonte de l’audiovisuel public et sur les changements des équipes de Canal+...
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La 29e édition du Sunny Side of the Doc, marché international du documentaire linéaire et interactif, s’est tenu du 25 au 28 juin 2018 dans le traditionnel Espace Encan de La Rochelle. La fréquentation était au rendez-vous avec, selon les chiffres fournis par l’organisateur, plus de 2 000 professionnels présents. Parmi eux, 300 décideurs internationaux et 110 représentants de lieux de médiation culturelle. Le Sunny Side a reçu des délégations de producteurs, distributeurs et de diffuseurs issus de 50 nationalités. Plus de 460 sociétés ont exposé sur les quelque 110 stands répartis dans l’Espace Encan et celui du musée maritime de La Rochelle, dédié quant à lui à l’exposition PiXii consacrée aux nouvelles technologies immersives.

 

France Télévisions
 tente de rassurer


France Télévisions ouvrait le bal des line up des chaînes de télé. Compte tenu des réformes annoncées du groupe de média public, avec notamment la disparition de France 4 de la TNT, et des rumeurs (confirmées depuis) concernant un sort similaire pour France Ô, Delphine Ernotte Cunci, présidente-directrice générale de FTV, avait fait le déplacement pour soutenir ses troupes et rassurer les professionnels. Si France 4 se consacre bien davantage à l’animation qu’au documentaire, il n’en est pas de même pour le canal outre-mer, comme le soulignait sa directrice des documentaires et magazines Béatrice Nivois : « la production documentaire du pôle outre-mer (France Ô et les neuf chaînes La Première) offre un regard multiple et singulier au sein du groupe France Télévisions. Car le réseau de La Première ne permet pas simplement de montrer nos paysages, nos pays, nos cultures, mais avant tout de partager, sur France Ô, ce que l’outre-mer nous apporte. »
 Qu’adviendra-t-il des ces nombreuses heures coproduites et pré-achetées à des sociétés situées en région parisienne, mais aussi partout en France et dans les Territoires d’outre-mer lorsque France Ô ne sera plus qu’une plate-forme numérique en 2020 ?
 France Télévisions demeure le principal « client » des documentaires français, et même si la structure garantit encore ses montants d’investissement, qu’en sera-t- il dans un avenir plus ou moins proche ? Autre source d’inquiétude pour les sociétés de production, la future transversalité des directions de programmes.

« Si nous avions face à nous un guichet unique FTV, pour les documentaires, nous ne pourrions plus, comme c’était le cas jusqu’à présent, rebondir et réécrire nos projets en fonction des spécificités éditoriales des chaînes démarchées », se soucie un producteur. La réponse de Delphine Ernotte Cunci se veut ferme : « la crainte d’un guichet unique est infondée. Même si les directions sont regroupées, Il y aura toujours des interlocuteurs différents en fonction d’une case, d’une thématique et d’une chaîne », affirme-t-elle.

De son côté, l’annonce d’une augmentation significative des temps d’antenne quotidiens des stations régionales de France 3, pourrait, pensait-on, satisfaire pleinement les producteurs locaux. Mais malgré un discours très positif d’Olivier Montels, directeur délégué de France 3 en charge du réseau régional, certaines personnes, craignent ouvertement que cet espace supplémentaire ne soit très largement attribué à de la radio filmée. Ces derniers redoutent en effet les répercussions de la collaboration avec les rédactions des antennes de France Bleue.

 

Canal+ dans le flou,
 les thématiques en forme, Salto en gestation


Canal+ qui était, après France Télévisions et Arte, le groupe le plus impliqué dans les line up du Sunny Side, n’a fait pour cette édition que bien pâle figure. Si l’absence sur scène du charismatique Diego Bunuels, ancien responsable des documentaires de Canal+ qui a rejoint Netflix, n’est pas étrangère à cette impression quelque peu terne, elle ne peut en être la seule cause. Malgré la présence de Christine Cauquelin, directrice des chaînes découvertes et des documentaires du groupe Canal+, les incertitudes demeurent. Les films présentés sont en effet le fruit de projets lancés par l’ancienne équipe. La saison prochaine la chaîne cryptée sera attendue au tournant par la profession, notamment en ce qui concerne les budgets alloués à la production. Les différentes déclinaisons des chaînes Planète+ semblent, quant à elles, bien se porter. Planète+ fête déjà ses trente ans.
 Les chaînes thématiques documentaires, qu’elles soient très grand public comme RMC Découverte sur la TNT, ou historiques payantes, semblent aussi gagner en parts de marché. 
Dans les coulisses du Sunny Side, il a été régulièrement fait allusion à Salto, le nom donné à la « réplique » française de Netflix. D’abord initiée par France Télévisions seul, avant de s’allier finalement avec les groupes TF1 et M6, ce service OTT payant devrait voir le jour courant 2019. Le documentaire y aura assurément sa place, puisque l’objectif est de mettre en commun sur cette plate-forme l’ensemble des contenus des chaînes des trois groupes. On parle de deux niveaux d’abonnement : le premier à 2 ou 3 euros, le second à 7 ou 8 euros en fonction du niveau d’accessibilité des programmes. Reste à espérer que Salto propose des inédits, car il y a fort à parier que le public n’aura que peu de motivation à payer si l’on y retrouve uniquement des programmes que l’on peut découvrir gratuitement sur les chaînes partenaires et leurs replays.

 

CNC et syndicats 
toujours en bisbille


Après les réformes, les réformes des réformes puis les différents ajustements des réformes (sur lesquels nous sommes largement étendus l’an passé), le CNC pensait sans doute avoir calmé les esprits. C’était sans compter sur les différents syndicats comme le Satev et surtout le SPI qui, via les propos de son président Emmanuel Riou (producteur de Bonne Pioche), ne cachait pas sa colère à propos des limitations des aides aux séries documentaires et aux films incarnés. « Nous assistons à une situation paradoxale. D’un côté les chaînes françaises et internationales réclament de plus en plus de séries documentaires, et de l’autre le CNC pratique un soutien dégressif à partir du neuvième épisode pour un 52 minutes. De plus, nous assistons à un rejet des œuvres incarnées qui, malgré une écriture documentaire, sont parfois assimilées à du magazine. Pourtant le CNC affirme que la forme incarnée ne lui pose pas de problème », explique-t-il.

 

Des étoiles et un Fipadoc

La Société civile des auteurs multimédia propose cette année une étude sur les modes et montant de rémunération des auteurs de documentaires en France. Disponible en téléchargement sur le site de la SCAM, cette enquête, très complète et détaillée, démontre que le travail d’auteur/ réalisateur dans le secteur est particulièrement sous financé. Cela est d’autant plus marquant lorsque l’on rapporte les salaires et autres royalties au temps passé, à la recherche, à l’écriture, au tournage et à la postproduction d’un film documentaire. Un document à découvrir absolument, même si parfois certains propos exposés se cantonnent à tirer à boulets rouges sur les producteurs qui, pour une majorité d’entre eux, sont aussi les victimes d’un sous-investissement et d’une rémunération aléatoire puisque dépendante de la distribution du programme.

La SCAM dévoilait aussi ses récompenses, les Étoiles 2018. Dix-sept diffuseurs ont été étoilés cette année. Les canaux publics (français, belge et suisse) demeurent majoritaires avec dix-sept étoiles, soit 56,66 % du palmarès. Arte conserve sa première place avec sept étoiles (comme en 2015 et 2016), soit 23,33 % des récompenses. France Télévisions cumule sept prix, soit deux de plus qu’en 2016 grâce à France 3 Région et France Ô. À noter la progression des chaînes locales qui, bien que confrontées à des économies précaires, représentent huit films étoilés (pour six diffuseurs) soit 26,66 % des résultats contre 23,33 % l’an passé.

Anne Georget et Christine Camdessus, ont profité du Sunny Side pour présenter la création du Fipadoc, qui remplace l’ancien Fipa (qui mélangeait jusqu’alors doc et fiction).

Le Fipadoc ambitionne de devenir un festival de référence pour le documentaire dans sa diversité d’expression.
 « Le Fipadoc sera une vitrine internationale des meilleurs documentaires produits pour les télévisions du monde entier. Il présentera toutes les écritures qui racontent notre monde, des formes très courtes aux séries documentaires. Il s’adressera tant aux professionnels qu’au grand public, de plus en plus sensible aux œuvres documentaires. Le Fipadoc s’articulera autour d’une programmation comportant plusieurs sections compétitives (en cours d’élaboration), ainsi qu’une sélection hors compétition thématisée. Des nouvelles journées professionnelles pratiques et thématiques permettront de répondre aux besoins de la profession et de créer de véritables moments d’échange, de rencontre et de networking », détaillent Anne Georget, présidente, et Christine Camdessus, déléguée générale.

Le Fipadoc se tiendra à Biarritz du 22 au 27 janvier 2019. Gageons que malgré l’éloignement géographique et calendaire, une synergie sera trouvée entre le Sunny Side et le nouveau festival 100 % doc. Faisons de toute façon confiance aux deux partis pour œuvrer dans ce sens ; il en va assurément de leur intérêt commun et de celui du documentaire.

 

Le mot d’Yves Janneau, commissaire général du Sunny Side of the Doc

Quel bilan dressez-vous de la 29e édition du Sunny Side of the Doc ?


Cette édition vient confirmer une internationalisation du marché du film documentaire. Nous comptons davantage de stands, de participants et de délégations étrangères.

Les acteurs du numérique sont de plus en plus représentés avec quasiment une trentaine de plates-formes de diffusion qui ont fait le déplacement. Cette année, même si la culture en mouvement était à l’honneur, nous avons eu tous types de projets documentaires « pitchés ». Leurs formats étaient aussi bien destinés à la télévision, au cinéma qu’aux nouvelles technologies. D’ailleurs nous avons accru encore le nombre de participants aux PiXii (parcours interactifs et immersifs) en regroupant les exposants dans une salle dédiée au musée maritime de La Rochelle.

L’an prochain, pour la trentième édition, nous mettrons à l’honneur l’Allemagne, mais aussi la thématique scientifique.

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #28, p. 114-116. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.


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