Que mettre dans son sac pour affronter températures et hygrométries extrêmes ?

On sait tous que même si les caméras annoncent un fonctionnement garanti entre 0°C et 40°C, à 85 % d’humidité maximale, il nous arrive fréquemment de devoir affronter des météos qui sortent de cette zone de confort... Comment s'organiser pour le mieux ? ...
Le vent augmente considérablement la sensation de froid, c’est le refroidissement éolien. Dans une tempête en Alaska on ne tient pas longtemps dehors. © Aurélie Gonin

Entre températures extrêmes et moiteur, difficile de dire lequel est le plus rude. Peut-être les premières pour les opérateurs et la seconde pour le matériel ? Pour pouvoir assurer le tournage dans des conditions parfois difficiles, il faut s’être préparé et avoir dans son sac de quoi protéger le matériel bien sûr, mais encore plus nous-mêmes, des climats rigoureux.

Commençons par le froid, qui peut être particulièrement éprouvant pour une équipe de tournage. Bien sûr les températures bien en-dessous de zéro sont éprouvantes voire dangereuses, mais il n’est pas nécessaire d’aller dans ces extrêmes pour que l’impression glaciale soit très marquée.

En effet, l’humidité et surtout le vent augmentent considérablement la sensation de froid, par ce qu’on appelle le refroidissement éolien. On s’intéresse alors davantage à la température ressentie qu’à sa valeur absolue. J’ai sans doute été plus gelée en tournant à Marseille par grand mistral que sur les sommets himalayens en l’absence de vent. Pourtant, plus on monte en altitude et plus les températures baissent, mais dans le même temps l’air devient plus sec, ce qui fait que la sensation glaciale est moins marquée qu’à valeur équivalente dans un climat plus humide.

Il faut prendre garde au froid, car il peut être à l’origine d’hypothermie et de gelures, que l’on ne sent pas forcément arriver mais qui peuvent être très graves. Pour assurer la survie aux basses températures le corps concentre ses efforts sur les organes centraux au détriment des extrémités, qui sont alors moins irriguées. Il est donc fréquent d’avoir des soucis aux doigts et aux orteils, auxquels il faut porter une attention particulière.

Par exemple, pendant un tournage en montagne en hiver et en plein vent, j’ai eu une gelure aux doigts de la main droite du fait d’avoir dû la garder en l’air pour tenir la caméra, empêchant le sang de monter convenablement. J’ai eu beau tenter de le faire affluer en m’agitant entre chaque prise, cela n’a pas été suffisant. Je m’en suis sortie avec des picotements pendant plusieurs semaines, suivis d’une sensibilité accrue au froid qui semble irréversible, et qui me fait redoubler de vigilance.

Le corps s’engourdissant, on peut se rendre compte trop tard qu’on a un problème, qui sera d’autant plus difficile à résoudre qu’il deviendra malaisé d’ouvrir un sac ou autre avec des doigts raidis. En tournage dans le froid, la priorité est donc de protéger l’humain, bien avant le matériel.

 

Est-on tous égaux contre le froid ?

Non, selon Marc Koenig, médecin secouriste au Peloton de Gendarmerie de Haute-Montagne de Chamonix : « Les fumeurs résistent mal à cause de la vasoconstriction des petits vaisseaux due au tabac. La fatigue, le manque de sommeil sont aussi des facteurs aggravants. En revanche, une bonne hydratation aide le corps à lutter. »

Il est donc essentiel de boire très régulièrement, même si on n’a pas soif et que le contexte de travail ne rend pas facile l’accès à des toilettes. L’idéal est d’avoir avec soi un thermos de boisson chaude ainsi que de la nourriture appropriée, c’est-à-dire suffisamment grasse et sucrée pour ne pas congeler dans le sac. Quand le corps lutte, il réclame des calories, et il n’y a rien de plus frustrant que de voir ses vivres transformés en glaçons. Au lieu de compter sur les lunch bags fournis, mieux vaut donc avoir rempli ses poches de barres chocolatées, ne pas manger sainement pouvant parfois sauver la vie.

La meilleure protection contre le froid est déjà d’être bien habillé, des pieds à la tête. En limitant au maximum la surface de peau exposée aux éléments, on réduit leur impact. Une grande partie des déperditions de chaleur se faisant par la tête, un bonnet est indispensable, accompagné d’un tour de cou empêchant les entrées d’air. Il n’est pas évident de cadrer avec un masque de ski, mais entre deux prises cela permet de complètement isoler le visage de l’extérieur, en faisant le joint entre le bonnet et le cache-cou.

Marc rappelle qu’il faut absolument rester sec, donc avoir des vêtements de type laine merinos et des rechanges en cas de besoin. Le choix de la première couche est ainsi déterminant. Elle est complétée par une polaire, une doudoune et une veste coupe-vent, un collant et un sur-pantalon étanche. Les mains ne pouvant rester à l’air, le choix des gants est délicat : trop fins ils ne tiennent pas assez chaud, trop gros ils empêchent de manipuler nos appareils. Pour ma part j’ai opté pour un combo gants de soie et mitaines en polaire « windstopper », avec dans le sac une paire de gros gants en cuir pour les déplacements et de moufles en doudoune pour me réchauffer en cas de souci.

Les chaussures doivent être chaudes et montantes, idéalement des modèles d’alpinisme ou d’après-ski, pour isoler du sol. Il faut veiller à ne pas les choisir trop petites, car si les pieds sont serrés le sang circule encore plus mal et les risques d’engelures augmentent tout autant. Après avoir vu les orteils peu ragoûtants (désolée Jim) d’un collègue ayant subi de graves gelures, mais qui heureusement a échappé à l’amputation, j’ai investi dans des chaussettes chauffantes, parcourues de résistances reliées à des batteries pilotées par une appli. Un luxe très appréciable.

À défaut, on peut remplir son sac de chaufferettes que l’on fourrera dans ses bottes ou gants pour quelques minutes de chaleur bienvenue. Lors des derniers Jeux Olympiques d’hiver, en Corée, le froid était tel que d’importants stocks de ces chaufferettes ont été distribués à tout le staff.

 

Qu’en est-il de nos équipements ?

Ils ne sont certes garantis que pour fonctionner à des températures positives, voire au-delà de 5 °C, ils résistent plutôt bien au froid. Une fois qu’ils sont en fonctionnement, leurs systèmes de ventilation maintiennent une température suffisante. Mais la difficulté est parfois de les allumer. Pour ça, diverses techniques en fonction de la taille de l’appareil et du contexte : le mettre en contact avec des chaufferettes, à l’intérieur de ses vêtements, ou utiliser un chauffage sur bouteille de gaz. Et surtout ne plus l’éteindre !

Sur les lives du Freeride World Tour, les équipes de Switch Productions installaient la régie sous une tente, en montagne, et se relayaient jusqu’au moment du live pour alimenter les groupes électrogènes afin que le matériel reste allumé et ainsi être sûrs qu’il soit opérationnel. Une fois en Alaska, ils ont enchaîné cinq jours de tempête sur une crête, sans secours possible : une expérience inoubliable.

Pour certains modèles de caméras, par exemple celles d’épaule, il existe des housses isolantes en sorte de doudoune synthétique. Elles ne sont pas décisives, mais peuvent aider un peu au bon fonctionnement.

Les batteries étaient auparavant très mauvaises et se vidaient en très peu de temps, mais elles ont connu des progrès considérables. Malgré tout, il faut les garder au chaud autant que possible. Encore une fois, selon leur taille (et leur quantité), on essaiera de les préserver du froid aussi longtemps que possible, par exemple en les transportant dans les poches intérieures de nos vêtements pour les maintenir à bonne température.

Pour les drones l’enjeu est de taille, aussi les équipes de Visionair et 5 Elements Production transportent leurs batteries dans une glacière remplie de chaufferettes pour pouvoir assurer des heures de live sur des événements de ski. Pas toujours facile selon les lieux de tournage, mais capital.

Une fois le tournage en extérieur terminé, il faut anticiper la transition du froid vers le chaud qui engendre une importante condensation sur les appareils. En entrant dans une pièce tempérée il faut tout de suite ouvrir les sacs et caisses, enlever les bouchons des objectifs, et patienter jusqu’à ce que les matériaux se soient mis à la température de la pièce. Il est inutile de tenter d’essuyer ses optiques avec un chiffon pour commencer à tourner, car la buée se reforme instantanément. De manière générale, il faut veiller à bien faire sécher tout son matériel et ses affaires personnelles pour être prêt à repartir pour une nouvelle session dans le froid sans souci.

Qu’en est-il à l’inverse des températures très élevées ? Il faut qu’elles le soient vraiment pour que cela pose problème au matériel, mais il arrive qu’il se mette en sécurité en cas de surchauffe. Dans ce cas il n’y a guère d’autre solution que de l’arrêter un moment pour le laisser refroidir ou de le déplacer dans une zone plus aérée ou fraîche. Quant aux humains, ils tenteront à nouveau de réduire leur exposition aux éléments en portant cette fois des vêtements longs et amples et s’abreuveront abondamment, en évitant les boissons diurétiques (dont café, thé et bière font partie) pour ne pas accentuer la déshydratation.

Lorsque la chaleur s’accompagne d’humidité, ce qui est le cas dans bon nombre d’endroits de la planète, cela devient plus problématique. La moiteur est pesante pour les individus, qui n’ont pas grand-chose pour s’en prémunir, et elle peut endommager les équipements. Les caméras tropicalisées sont bien étanches, mais les accessoires le sont nettement moins.

Et quand l’humidité se transforme en trombes d’eau, matériel et opérateur souffrent de concert et se vêtent de leurs capes de pluie respectives. Il n’est pas toujours très aisé de manipuler les caméras sous ces housses, mais elles sont néanmoins nécessaires pour éviter à l’eau de s’infiltrer partout. À défaut, de grands sacs poubelles peuvent faire l’affaire, complétés par un rouleau de film plastique pour entourer les accessoires. Quand cela est possible, s’abriter sous des bâches ou un immense parapluie – qu’on peut fixer au trépied ou sur les caisses avec un bras magique – reste la meilleure solution.

Sur un tournage très arrosé, mes filtres avaient été piqués de moisissures entre les couches, ils étaient foutus. Pour limiter ce genre de problèmes il est bon de garnir ses sacs et caisses de petits sachets de gel de silice ou de riz, qui aideront à absorber un peu de cette humidité. Si les nuits se font en chambre climatisée, c’est une bonne opportunité pour tout assécher, en ouvrant à nouveau tous les sacs et caisses, pour être au top le lendemain.

 

En conclusion

Ces quelques conseils peuvent laisser penser qu’il est absolument horrible d’aller tourner dans des climats difficiles et que rien ne vaut un studio climatisé. Au contraire ! Il faut certes une préparation soignée pour affronter des températures extrêmes dans lesquelles le corps lutte et fatigue, mais la magie des hautes altitudes ou des latitudes nord compense largement ces désagréments, pour peu qu’on en revienne avec tous ses doigts. Il suffit donc d’avoir minutieusement préparé son sac.

 

Article paru pour la première fois dans Moovee #5, p.28/31. Abonnez-vous à Moovee (6 numéros/an) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.