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Un Diamant pour restaurer les joyaux du cinéma – Partie 2

Pour mieux appréhender le fonctionnement du logiciel de restauration Diamant, Aurélien Grand, spécialiste de la restauration, a répondu à nos questions pratiques.
Interface du logiciel de restauration Diamant d’HS-ART. © DR

 

Cet entretien fait suite à celui que nous avons mené avec Walter Plaschzug, créateur d’HS-ART, l’entreprise éditrice dudit logiciel (lire notre première partie). Aurélien Grand est intermittent du spectacle, opérateur de restauration et spécialiste de Diamant sur lequel il travaille majoritairement depuis sept-huit ans.

 

Aurélien, peux-tu nous présenter ton travail ?

La méthodologie de travail est simple : après import des images, Diamant pointe vers les fichiers natifs sans les déplacer ou les recalculer. Le travail de restauration peut alors commencer. Diamant est une suite de logiciels, qui se comporte comme une unique solution pour l’utilisateur. Il y a l’outil de restauration, la gestion de la timeline, qui s’appelle restauration manager et render manager, qui gère l’envoi des rendus vers les cartes graphiques. Un quatrième outil peut gérer le crop au besoin : la découpe des bords de la pellicule et le zoom.

 

Tous les formats vidéo sont-ils reconnus ?

L’immense majorité des formats professionnels ou même plus amateur peuvent être importés ou exportés, depuis le format MKV jusqu’au DPX et au Tiff 16 bits RGB. Les images peuvent alors être prévisualisées, mais aucune opération de montage n’est possible. Le travail est effectué dans le respect de la durée de la séquence originelle. Différents outils et filtres permettent ensuite de corriger les défauts présents sur le film.

 

Quand le film est importé dans Diamant, les différents plans ne sont pas séparés. Votre logiciel permet-il de le faire ?

La première étape du travail dans le cas du traitement d’images haute définition, 4K ou plus, c’est la création de fichiers de travail allégés (proxy) pour assurer une lecture en temps réel du film. Peu d’ordinateurs disposent de la puissance nécessaire à la lecture temps réel de pareilles images. Ensuite un outil est effectivement dédié à la détection des coupes entre les plans (des cuts) si cela n’a pas été fait à une étape préalable. Si on dispose d’une EDL (Edit Decision List) générée lors d’un précédent étalonnage, il est possible de gagner du temps.

La détection des coupes se fait par différence de contraste ou de colorimétrie. On vérifie ensuite les oublis ou les fausses coupes à l’occasion de scènes mouvementées. La première étape du travail de restauration c’est la stabilisation grâce à un large panel de filtres, les actions sont différentes sur les plans fixes ou en mouvement. Sur des plans fixes, il est possible de stabiliser par rapport à un point précis du plan, aux bordures du cadre si elles sont visibles, ou des perforations si le scan est assez large. Le logiciel Diamant fonctionne par principe de génération, chacune d’entre elles étant dédiée à un travail précis pour permettre une structuration du travail. Diamant calcule de nouveaux DPX pour chaque génération.

 

Chaque nouvel effet engendre la génération de nouveaux DPX ?

Oui, ce système de génération permet la fluidité du système, qui pointe sur la dernière génération effectuée pour chaque plan. Si aucune opération de restauration n’a été effectuée, Diamant utilise le média originel. Chaque filtre nécessite un calcul, une fois un résultat satisfaisant obtenu pour une génération, cela évite de multiples calculs et permet de bloquer une étape sans risques de modifications fortuites ; on gagne en souplesse de travail. Pour chaque génération une timeline vierge est ouverte, prête à accueillir les nouveaux effets à partir des DPX calculés pour la génération précédente. Ce sont des opérations en cascade.

 

Suis-tu toujours le même workflow ?

Oui, la stabilisation en premier, avant le traitement des battements lumineux colorimétriques, puis le nettoyage par un premier filtrage automatique des poussières. On n’intervient pas défaut par défaut ; on paramètre le filtre automatique pour déblayer au maximum le travail. Le réglage principal du filtre est sa sensibilité, sa capacité à reconnaître un défaut par rapport au fond. Un jeu de paramètres permet d’affiner le travail, avec la sélection de la taille des poussières, de 2 à 20 pixels par exemple.

Après une phase de tests d’une durée de dix à trente minutes, le filtre est appliqué sur un ensemble de plans. Sauf rares cas de restauration de documentaires avec des images de différentes origines, un seul type de pellicule, de granularité et de défaut doit être traité. Je peux m’organiser pour effectuer les calculs le soir.

 

J’imagine qu’il y a une phase de travail plus manuelle ?

Un set d’outils manuels est dédié au traitement des défauts qui ont résisté à l’automatisme, les quelques tâches trop claires ou trop sombres, trop grosses ou trop petites par rapport aux réglages du filtre. Je vais alors recoller de la matière à partir de la même image ou d’images précédentes ou suivantes dans le film, positionnant correctement les patchs géométriquement. C’est un travail « palette » avec des outils ressemblant à ceux d’Adobe Photoshop. Je traite également manuellement tous les éléments ponctuels comme les poinçons de films ou les collures.

Il reste ensuite à traiter les défauts réguliers, les rayures et les moisissures par exemple, où les mêmes pixels sont dégradés sur des images qui se suivent dans le temps. D’autres filtres sont prévus pour cela ; ils travaillent en comparant les images par groupes. À la pause du filtre, je choisis une image de référence et quelques images les plus saines possibles ; ensuite j’indique avec le stylet les zones les plus attaquées pour que Diamant détermine la nature des défauts à traiter avant de lancer le calcul et d’affiner les éventuels réglages. À la fin j’exporte le film.

 

Fais-tu la restauration après l’étalonnage du film ?

Je peux travailler avant ou après, mais par pragmatisme en tant qu’opérateur je préfère que les images soient étalonnées. Sur des images « flat » peu contrastées, je traite les défauts que mon œil voit, certains pouvant apparaître après remontée du gain en étalonnage, nécessitant alors une retouche.

 

Pourquoi ne fais-tu pas également l’étalonnage ?

Je ne me sentirais pas légitime, et à l’inverse un étalonneur n’est pas fait pour faire de la restauration. Pour l’INA, j’ai formé d’anciens étalonneurs en reconversion. Ils pensaient que leur regard, leur expérience, serait un avantage. C’est paradoxalement l’inverse car on ne regarde pas les images de la même manière, on ne cherche pas la même chose. Ils cherchent des teintes couleur chair, une colorimétrie ; leurs yeux sont « calibrés » pour leurs besoins. Nous, nous cherchons ce qu’on doit stabiliser par exemple : il a fallu leur désapprendre leurs mauvais réflexes.

 

Pour qui travailles-tu ?

Pour les laboratoires techniques : Eclair avant sa disparition, Digimage, Hiventy et VDM maintenant ou des plus petits laboratoires comme Cosmo Digital. Quelques distributeurs font de la restauration en interne. Le Chat qui fume est un tout petit éditeur de films fantastiques de série B, proposant un très bon travail éditorial à partir d’un scan 4K du négatif. Ils ont un Diamant depuis trois ans et font parfois appel à des intermittents.

 

Qu’est-ce qui t’attire dans ce métier ?

Il représente un juste milieu entre l’artisanat de la photochimie et la grande technicité des métiers du cinéma d’aujourd’hui. Même si on travaille avec un ordinateur, le métier conserve son côté « manuel » : on travaille sur des images d’archives avec un grain pellicule et une vraie histoire derrière les images, on a le sentiment de participer à la préservation du patrimoine.

 

Pour consulter la première partie de cet article, cliquez-ici

 

Extrait de l’article paru pour la première fois dans Mediakwest #36, p. 48-52. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.