En novembre 2021, s’est tenue au Satis une conférence passionnante sur l’essor des drones de prise de vues immersives (FPV= First Person View). Étaient réunis autour de la réalisatrice Aurélie Gonin, cinq professionnels : Teddy Gréaume, chef de produit drones FPV et DIY chez StudioSport et concepteur pour le bureau d’études Abbott, à l’initiative du Corsair, le premier drone FPV commercialisé pour les pros, validé par la DGAC ; Patrick Jeant, représentant le collectif de drones FPV R-Project, un écosystème de télé-pilotes, d’ingénieurs, de formateurs pour travailler autour du drone FPV ; Michael Pomat, pilote de drones et « spotter » (assistant de vol pour d’autres pilotes) ; Stéphane Couchoud, vidéaste et pilote de FPV renommé ; Arthur Maneint, depuis 2 ans télé-pilote de drones FPV à plein temps.
Sur la table du plateau étaient exposés les différents types de drone FPV utilisés par les pilotes et prestataires, du plus léger au plus lourd. Cette discipline est très différente d’une prestation de drone classique : « le drone FPV, à la base, ce sont des bricoleurs qui ont commencé il y a une dizaine d’années à faire des courses dans les bois, ça vient de l’aéromodélisme. Ça a vraiment pris son essor, il y a 7 à 8 ans avec quelques vidéos qui ont fait le buzz. » explique Teddy, de StudioSport. En FPV, la caméra retransmet la vidéo dans un visio-casque et le pilote visualise directement ce que voit le drone comme s’il était installé à bord, cela permet d’être beaucoup plus précis et sportif dans le pilotage. « Avec un drone classique, quand on lâche les joysticks, le drone attends en vol stationnaire alors qu’avec le drone FPV, si vous lâchez les commandes, il finit par terre. C’est donc un pilotage vraiment différent avec un apprentissage un peu plus intense que le drone classique. » précise-t-il.
Pour Patrick, de R-Project, « les utilisations sont nombreuses, on fait de la production vidéo, mais on travaille aussi dans le social, avec des personnes atteintes de handicap. On peut faire de la photogrammétrie. On peut faire plein de choses mais ce sont des vols d’exception avec des pilotes d’exception dont certains sont ici ». Pas de retour automatisé à la base, donc une vigilance maximale pendant tout le vol, sont, entre autres, les caractéristiques des FPV qui aujourd’hui utilisent majoritairement de petites caméras d’action stabilisées, type GoPro, et atteignent jusqu’à 300 km/h ! Ce qui implique un sens aigu de la sécurité. « Si ça se brise ou si ça percute quelqu’un ou quelque chose, il va y avoir beaucoup de dégâts, c’est un truc dangereux, c’est pour ça qu’on insiste tant sur la sécurité » rajoute Patrick Jeant. « C’est clairement un engin de mort ! » ajoute Arthur Maneint.
L’apprentissage reste donc la clé de la discipline, pour Stéphane Couchoud, « il y a beaucoup de simulateur au début, personnellement, j’ai eu un apprentissage un peu bizarre, j’ai fait ça comme un jeu vidéo. J’ai vite vu les possibilités en tant que vidéaste et réalisateur. J’ai bouffé du simulateur pendant à peu près dix heures par jour pendant six mois donc je suis devenu complètement con. Une fois qu’on est un peu à l’aise, on commence à monter ses premières machines et puis on s’entraîne. » Le passage par le simulateur est donc indispensable. On y exerce la mémoire musculaire et la spatialisation 3D. Apprentissage intense, passion et l’envie de faire de belles images, voilà la recette. « Historiquement, toutes les figures de FPV sont tirées des avions de chasse. On est vraiment en mode manuel, si on met le joystick à gauche, le drone va faire quatre tours ! Clairement, c’est du sport à l’origine, auquel vient s’ajouter aujourd’hui les technologies de stabilisation qui nous aident à faire des belles images, mais c’est complètement différent du drone conventionnel. Il y a beaucoup plus de sensations en FPV, mais il y a plus d’apprentissage » pour évoluer en direct dans un environnement 3D.
Originaire de Chamonix, Arthur, télé-pilote réputé pour ses images acrobatiques de skieurs, a longtemps rêvé de Wing Suite sans avoir le courage de s’y mettre. « J’ai vu ce qu’on pouvait faire avec le FPV avec mon ami Martin, il m’a mis ses lunettes sur les yeux et là ça m’a complètement explosé le cerveau, j’ai compris que je pouvais monter tout en haut de la montagne, me jeter dans le vide et dévaler à 200 km/h au milieu des arbres sans avoir peur. » avec comme seuls risques, celui d’exploser son drone, perdre 600 € et faire une randonnée pour le récupérer… « on est souvent amené à suivre des athlètes, filmer des artistes et c’est quelque chose d’ exceptionnel parce qu’on est vraiment avec eux. » Après quelques mois d’apprentissage sur simulateur, « c’est venu petit à petit, jour après jour, et toutes les semaines, j’allais m’entraîner, et même aujourd’hui je continue à m’entraîner parce qu’on est dans des prestations où on n’a pas de marge d’erreur, souvent sur des clips par exemple ou des défilés de mode, on est au milieu d’une vingtaine de mannequins, on ne peut pas se permettre de toucher un bras, ou percuter un mur. Il faut être vraiment sûr de son engin, bien connaître les limites, savoir dire non aussi » à des réalisateurs qui poussent les pilotes à l’extrême : « approche de son visage, fait un tour au-dessus d’elle, et puis passe entre ses jambes… », ironise Arthur.
« On a aussi des drones avec des protections d’hélices » explique Teddy, « on peut très bien s’approcher très près de quelqu’un, même le toucher sans trop de danger si on vole lentement ». Toutefois pour la législation, on ne doit pas s’approcher si près des personnes, on ne doit pas voler à plus de 200 mètres du point de décollage, ni à plus de 120 mètres de hauteur, si vous êtes en agglomération, il est interdit d’aller à plus de 50 mètres, et on ne peut s’approcher d’un sujet qu’avec une machine de moins de 250g volant à moins de 60 km/h ce qui est contradictoire avec la tendance des prestations FPV actuelle. « Ça va deux fois plus vite qu’un drone classique pour une autonomie de 3 à 8 minutes, selon le type de machine, ça dépend aussi de votre façon de voler, en FPV si vous faites un stationnaire, vous allez rester huit minutes sans problème, mais ça n’a pas d’intérêt. Par contre si vous volez à 120 km/h pour suivre une voiture, vous n’aurez que trois minutes d’autonomie. » Et le drone FPV ne rentrant pas tout seul quand la batterie est vide, c’est au pilote de rentrer pour la remplacer, sinon le drone FPV tombe là où il est positionné.
« Comment gérer les prestations live avec de si petites autonomies ? » demande Aurélie Gonin.
« On gère façon Pit Stop comme en formule 1, on est deux pilotes et un assistant sur une prestation live, on travaille pas mal avec Red Bull, sur des courses de voitures comme les Drifts Master, il y a toujours un drone en l’air connecté aux camions avec l’image HF en 1080i, le real voit toutes les images. On ne peut faire que deux « runs » de voitures seulement. » Un pilote pilotera pendant 20 à 30 minutes d’affilée, avec plusieurs drones pré-équipés, au bout de trois minutes, le deuxième pilote prend un second drone apprêté et le remet en vol, pendant que l’assistant change la batterie, et tout cela en moins de dix secondes ! « C’est du jeu vidéo, on est à 130 km/h derrière des voitures qui font du « drift », c’est génial ! », s’exclame Arthur, à l’intercom avec le réalisateur qui nous préviens « drone live dans 3 seconds », à fond sur la voiture, on se met derrière puis on va sur l’avant pour garder les deux voitures dans l’image, attention, crash, retourne sur la voiture crashée ». Le drone en live sert donc aussi à combler des moments de creux : « le réalisateur a vu qu’on s’amusait en fait, on vole devant les tribunes avec le public qui fait coucou. Quand il y a un crash, il faut nettoyer la piste, expliquer le crash, on va à côté en stationnaire, on voit bien la scène : ils éteignent le feu, ils embarquent le pilote, ils embarquent la voiture… ça plaît au réalisateur aussi. » précise-t-il.
« Initialement, les FPV étaient faits pour la compétition et ils sont « customisables », on peut monter ce qu’on veut comme composants et surtout monter des machines pour des missions spécifiques. » reprend Patrick. « Parfois, on équipe des drones avec des caméras Red assez lourdes, on peut utiliser des drones très lourds, jusqu’à 14 kg et plus. En fait, on monte les machines en fonction de l’utilisation, on se sert de composants du marché et cela devient une machine personnalisée avec ses propres réglages et une programmation spécifique selon les différentes missions. »
DJI a bien senti la tendance et a sorti son drone FPV grand public en 2021. Pour Stéphane, « ça a démocratisé le FPV. Monter son drone, c’est la partie désagréable pour moi. Aujourd’hui, je suis réalisateur et pilote ; chaque pilote doit connaître son matériel, quand il arrive un problème, il faut savoir changer sur place un moteur, un bras, une hélice. DJI a démocratisé la transmission numérique en HD, et pour moi ça c’était une révolution ! Mais on s’est rendu compte que ce n’est pas le grand public qui pouvait s’en servir. Ça peut vite te coûter cher. Mais chez DJI, ils savent que c’est possible, et ils sortiront d’autres choses, mais ça reste un milieu de niche. »
« Quelle est la part de FPV dans les productions ? Est-ce que le FPV prend le pas sur le drone classique ? » demande Aurélie.
« Tous les télépilotes pros qui font du FPV travaillent. Il y a une grosse tendance dans les publicités, énormément de clips de musique, au cinéma ça commence à arriver beaucoup aux États-Unis, il y a des gros films qui vont sortir avec de très belles prises de vue. Le FPV est quasiment partout maintenant, au début de l’année prochaine ce sera un standard. » estime Stéphane qui n’imaginait pas, il y a 4 ans, les progrès de la stabilisation des caméras d’action. Patric explique que du coté de l’innovation, chez R-Project, « on est en train de développer des drones étanches, on développe aussi un drone avec de la réalité augmentée, pour placer des graphiques à distance sur une scène en temps réel. Ça peut être pour du live, mais l’idée c’est d’avoir des graphiques qui suivent ce qui se passe au sol. Il faut quand même préalablement scanner le sol, mais concrètement, on peut très bien imaginer avoir des graphiques pilotés en temps réel depuis une tablette sur un drone. »
Avec les drones en général, les prestations en hélicoptères se sont raréfiées. « Maintenant avec le FPV, c’est plus sportif, et on commence à monter de la grosse caméra, on peut mettre de la Red, on peut mettre de la Phantom, de la caméra Slowmotion. Effectivement, on ne remplacera jamais les zooms à 500 mm depuis un hélico, ce n’est pas possible. Mais quand vous voyez les trois gros drones Ciné-lifter ici, effectivement, tu préfères casser du matériel à 15000€ plutôt que des machines à 500 000 € avec des gens dedans… Maintenant, l’hélicoptère a plus d’autonomie, et il va plus vite. » accorde Stéphane. « La législation joue énormément. » poursuit Arthur. « On a pensé pouvoir faire du drone live sur des prestations comme le tour de France, mais c’est peu envisageable parce que l’hélicoptère est beaucoup plus intelligent là-dessus. On ne peut pas faire des vols de drones sur 50 km. Seuls des petits tronçons très spécifiques sont envisageables. Alors qu’un hélicoptère a le droit de se balader au-dessus des routes, de se mettre à 15 mètres au-dessus de la foule et surtout, il peut faire des distances énormes, d’un point A à un point B, aller à l’arrivée en quelques minutes, rester en vol pendant trois heures, et il a des grosses caméras à bord avec des zooms sur-stabilisés. Donc, le FPV n’est pas près de remplacer un hélicoptère dans ce type de situation. »
« A partir du moment où le pilote met ses lunettes, il ne voit plus son environnement, tout ce qu’il voit, c’est ce que lui retransmet la caméra du drone, il ne sait pas ce qui se passe autour de lui. » ajoute Michael Pomat, qui assiste fréquemment Stéphane. « Quand vous êtes sur une production, le pilote a besoin d’un top départ pour suivre un coureur cycliste, ou une voiture, il faut que quelqu’un lui donne. Il faut vérifier au moment où il va décoller qu’il n’y ait personne à côté du drone. Et au moment où il vole il y a aussi des informations à lui donner. Il n’y a pas longtemps sur un tournage dans un stade, il y a eu une volée d’oiseaux qui décollaient dans sa direction, et si on ne lui dit pas « ça arrive par derrière », ça peut mal se passer… » atteste Michael.
« Comment vous organisez vous sur un tournage ? » demande Aurélie.
« Je fais l’office de spotter (celui qui garde les yeux sur le drone et ses environs, ndlr), je m’occupe de simplifier la tâche au pilote pour qu’il puisse se concentrer sur son vol et je m’occupe de tout ce qui est autour de lui de manière à ce qu’il n’ait pas de surprise. Il pourrait prendre un coup d’épaule, et quand vous êtes dans votre pilotage cela peut être gênant. » explique Michael, « il sait que la caméra est en route, la batterie lipo chargée, il n’y aura pas de surprise. L’assistant pilote est indispensable aux yeux de la loi ».
« La législation tend à évoluer, la DGAC découvre le FPV, c’est très lent, et ils ont peur. » renchérit Arthur. « Avec Benoît Finck, on a beaucoup communiqué sur Paris avec la DGAC pour essayer de faire avancer les choses. On a pas mal de soucis dans la capitale où tous les vols de drones ont été bloqué. Pourquoi ? On ne sait pas trop. Ils ne savent pas comment les gérer, c’est un peu le flou, il y a une loi européenne qui est sortie début 2021 et qui tend à uniformiser les vols mais tout est très lent. Dans un cadre légal, il faut avoir un GPS, un baromètre, des limitateurs de hauteur… Dans la pratique, nous n’allons pas forcément les utiliser. Avoir un GPS et un « return to home » sur un drone FPV, c’est quelque chose qui est clairement suicidaire quand on tourne par exemple dans un stade qui est une cage de faraday énorme. Si le drone perd le signal GPS, pour essayer de le retrouver, il va partir à 60 km/h vers le haut, il va taper et va repartir dans les tribunes et c’est incontrôlable. En termes de sécurité, on ne fait pas ça, bien que la législation l’impose, car notre sécurité à nous c’est de savoir que notre drone tombe de sa hauteur dès qu’on coupe. C’est ça ma marge de sécurité, je sais que si je suis trop proche d’un athlète je vais couper, le drone va tomber. Donc c’est des choses qu’il faudrait vraiment faire évoluer. Les drones FPV sont très particuliers, il n’y a pas de pilotage automatique » clarifie Arthur.
Depuis janvier 2021, la législation européenne supplante la loi française et permet de voler près des personnes avec un aéronef sans équipage à bord de classe C0<250g ou C1< 900g, ce qui inclus donc les drones FPV. « Le problème en France, c’est qu’il faut des coupables. J’ai été contacté par la Tour Eiffel pour la reprise du tourisme après la Covid, on allait faire une belle vidéo justement pour représenter la France. Il y a un responsable qui a dit non, alors on se retrouve avec des vidéos complètement illégales, et on passe encore pour les derniers de la classe. Il y a un vrai coup de gueule à faire, car ce n’est que le début, et ça pénalise vraiment les parisiens qui veulent bosser. Paris ça devient compliqué, il y a beaucoup de projets, mais c’est au compte-gouttes. » s’insurge Stéphane.
« En France, qui et combien de pilotes en FPV ? » demande alors Aurélie.
« Il y a ceux qui viennent vraiment de l’écosystème FPV et qui s’entraînent, ils viennent du modélisme. Mais il y a de plus en plus de personnes qui viennent du milieu vidéo, des cadreurs qui s’y mettent et, entre ces deux profils, il y en a qui sont doués en pilotage et qui vont se mettre à éditer leurs vidéos, à les stabiliser, à faire la colorimétrie et à aller vendre leur prestation, c’est aussi un vrai boulot. Et de l’autre côté, il y a ceux qui font du FPV mais qui vont devoir monter en compétences audiovisuelles. Impossible de savoir qui va finir par avoir le meilleur niveau. » explique Patrick.
« Personnellement, je suis assez suivi sur Internet et évidemment c’est plus facile pour moi de trouver du boulot, avec des vidéos qui font des centaines de milliers de vue. J’ai un regard de réalisateur, je ne vais pas faire des figures complètement bizarres à travers un arbre. Ce n’est pas ça le boulot. Tout ce que je fais est assez simple, en fait, et ça suffit pour la production en général. Ce que l’on voit dans les grosses productions, dans le cinéma, ce sont des lignes assez simples. » ajoute Stéphane, « C’est un milieu très fermé. Il y a quelques pilotes sur Paris, quelques pilotes dans le sud de la France, en gros porteur, avec des grosses caméras cinéma. Il y a peut-être entre 10 et 20 pilotes professionnels en France. En GoPro, je tape dans un arbre, il y en a 50 pilotes qui tombent, parce que maintenant avec la technologie, tout le monde peut faire des belles images. Aujourd’hui, avec n’importe quelle caméra, on se met en auto, et ça marche. Après c’est le regard artistique. Si tu connais un peu la postproduction, que tu es bon sur l’étalonnage, sur la musique, sur le montage… À la fin tu as un beau packaging et pas besoin d’être le meilleur pilote. Un pilote pro en prestation, il va faire ce qu’on lui demande. Les compétences vidéaste, film, c’est un domaine complémentaire. » Patrick précise que « n’importe qui peut acheter des machines vraiment pas chères et commencer. Sur la partie FPV, il n’y a pas beaucoup de personnes qui peuvent piloter à un bon niveau pour l’instant. »
« Y a-t-il encore de la place pour les jeunes créateurs qui veulent se lancer dans le milieu drones ? » demande le public.
« Tout dépend de l’envie et comment on veut être payé. » reprend Patrick. « Quand on a monté la société R-Project, beaucoup de pilotes travaillaient à des tarifs différents pour des missions différentes et donc il y a eu un gros travail sur les tarifs. Pour telle mission c’est tel prix… et finalement, il y a de la place pour tout le monde. En vivre, c’est différent, tu as des profils où le pilote est à la fois commercial et post-producteur pour la correction des images, jusqu’à la livraison. Chez R-Project, on a des pilotes qui font juste pilote et qui ne savent pas monter leurs images, ni faire la colorimétrie, jusqu’au profil où la personne fait tout. Il y a plein d’usages, de pratiques qui restent à inventer. Si la personne est créative et a envie de faire, évidemment elle a sa place, maintenant faut pas se cacher que c’est un marché de niche où il y a des pilotes qui sont déjà en place et si tu veux aller sur leurs prestations, ça va être compliqué, ils ont déjà prouvé qu’ils étaient compétents et il faudra se faire sa place. »
« 90% du trafic d’Internet concerne la vidéo. » reprend Aurélie, « il y a quand même énormément de possibilités de produire, ça ne coûte plus cher aujourd’hui de tourner ce qui était complètement différent il y a 10 ou 20 ans, donc profitez-en ! »
Pour Stéphane, « dans le milieu du film en France, il y a beaucoup de copinage, il faut être honnête. Quand je suis arrivé dans le FPV, j’étais une cible, et j’en suis toujours une : « on va voir ce qu’il va faire le petit vidéaste. » Personnellement, j’ai refusé des projets en me disant que je n’étais pas à la hauteur, on m’avait contacté juste parce que j’étais suivi sur Internet. » Pour Teddy « il n’y a pas que le cinéma. Des copains font de la vidéo pour des agences immobilières de luxe, c’est hyper pointu. Ils volent avec ça dans des super appartements de luxe. Il faut aussi développer des nouvelles prestations. » Patrick complète : « Dans notre écosystème, on a des formateurs certifiés. Si tu as envie de faire de la formation, il y a de la place aussi. »
« Et le rattrapage d’exposition en vol ? » questionne Aurélie.
« Je ne filme jamais en full auto. Je règle toujours l’obturateur au double sauf avec les petites caméras, qui sont montées sur des « bumpers » (silentblock) et vibrent peu, il n’y a pas d’ondulation à l’image. Avec une GoPro, tu ne vas pas la régler à 1600 iso, ça va être dégueulasse. C’est tellement stable que tu peux mettre ton obturateur en auto. Tu appliques la règle des 180° en fonction de la stabilisation. Sur tous mes autres drones, je fixe mon obturateur autour du 1/60 s – 1/120 s et je laisse varier mon iso entre 200 et 400 iso, au maximum, parce qu’effectivement en FPV, on peut passer de la lumière à l’ombre. Donc il faut trouver une moyenne. » explique Stéphane.
« Comment vendre ça à un chef opérateur, un réalisateur ? » demande le public.
« Ça m’arrive de leur dire : « pour le plan que vous voulez, j’ai 100 mètres à faire dans un bâtiment avant de sortir et rentrer, il faut forcément que je change mon expo et souvent ils ont beaucoup de mal à comprendre qu’une GoPro fait le boulot plutôt bien. Dans l’audiovisuel se mettre en auto, c’est un sacrilège ! » ironise Stéphane. « Souvent la solution, c’est la mienne. Quand il n’y a pas de solution, il faut trouver un juste milieu. Si les chef opérateurs et les directeurs photo sont bons, ils vont rééquilibrer l’éclairage. Si possible, j’essaie de privilégier un environnement où tu ne vas pas avoir de changement d’expo. Il n’y a pas de solution miracle. »
« Comment est-ce que tu arrivé là où tu es et combien de drones as-tu cassé ? » demande le public. « Les six premiers mois, j’ai pété 12 drones. Heureusement je travaille en collaboration avec StudioSport… Je n’ai jamais acheté un drone de ma vie, ni une batterie, les sponsors sont derrière, j’ai cette chance donc je vais prendre plus de risques. Mais ça se répare, j’ai cassé un seul bras dans ma vie, ça coûte 5 ou 10 euros. On casse des hélices, ça coûte 4 euros, c’est dérisoire et franchement c’est costaud. J’ai cassé plus de GoPro que de drones ! » plaisante Stéphane. « On casse beaucoup. » renchérit Teddy de StudioSport, « tu vas avoir des pilotes qui vont prendre le coup tout de suite, pour d’autres, il va falloir quelques années pour faire quelque chose de correct, c’est mon cas. Ça fait plus de sept ans que je vole en FPV, je n’ai pas le niveau de Stéphane qui fait ça depuis deux ans de façon intensive comme un sportif de haut niveau. Moi, j’ai peur de casser, pourtant je bosse chez StudioSport, mais je paye mon matériel donc j’ai peur de casser. La peur de casser freine la progression, par contre si tu as un budget illimité, c’est là que tu vas progresser. Tant que tu n’as pas le niveau, tu ne mets pas la GoPro et ce n’est pas grave… ou alors monte des caméras Action 2 moins onéreuses. »
« Alors, comment est-on sûr de ne pas casser quand on est en presta ? » demande Aurélie. Pour Arthur « il faut s’entraîner pour ne pas perdre la main, et être vraiment sûr de ses machines. La veille de certaines prestations, je me dis que là, c’est compliqué quand même, qu’il y a du monde sur le plateau, que ça va être compliqué, les trajectoires ne sont pas évidentes. Alors, sur le simulateur, le soir, je répète les trajectoires pour la mécanique musculaire, et j’arrive sur le plateau sans ce stress-là. Car il y a d’autres sources de stress, le réalisateur qui dirige, tous les écrans connectés, les clients, c’est vite stressant de voir tout ce monde qui brasse, et le réal qui lance : « vite, on tourne maintenant ! » Il faut toujours être prêt et ne pas se laisser emporter par le stress, il faut savoir souffler. »
« Si tu casses une machine, ce n’est pas la fin du monde, sauf si tu as blessé quelqu’un. » précise Teddy, « Il faut garder à l’esprit qu’on peut se permettre de perdre une machine… À l’inverse d’un gros drone de type DJI Inspire où on va tout faire pour ne pas le mettre dans un arbre. En FPV, si tu mets une machine dans un arbre, ce n’est pas grave, on en prend un autre et on redécolle. »
« En fait, c’est pareil avec les grosses caméras, moi ça m’est arrivé, j’ai explosé une Panasonic. » avoue Arthur. « Alors on prend le deuxième drone et une autre caméra et on y retourne. On ne se pose pas de question, on verra plus tard. Il ne faut pas avoir peur de casser sinon on n’avance pas. Mais il faut quand même rester dans les limites de sécurité et de ce qu’on sait faire, il ne faut pas se surestimer non plus… Il faut savoir dire : « non, je ne le fais pas, trop dangereux pour le sujet ! » donc tu trouves une autre solution. Certaines machines font 4,5 kg, lancées à 100 km/h, si on se la prend dans la tête avec des hélices en carbone, clairement on meurt ! Je pense qu’il y a un gros problème au niveau de la législation là-dessus. Il faudrait un permis qui autorise à piloter des engins comme ça parce que c’est extrêmement dangereux. Il faut savoir rester dans sa zone de confort, faire ce qu’on sait faire, connaître ses limites et ne pas se surestimer. On est là pour satisfaire un client, on n’est pas là pour faire le plan de notre de vie ou des trucs extrêmes à chaque vol. »
Il y a une grosse part de confiance aussi à mettre en place avec les artistes et les athlètes. « Parfois, avec des danseurs je me retrouve très proche d’eux à passer entre les jambes, tourner autour d’eux sans qu’ils sachent ce qui se passe derrière avec mon drone, c’est stressant et dangereux pour eux aussi. Il faut les mettre en confiance. On a fait un truc assez sympa en ski avec Kevin, on a développé une machine spécifiquement pour ça, avec une poignée en dessous. Il a attrapé le drone, il a plongé dans le « pipe », fait un « tricks » avec, et il a relâché le drone en vol autour de lui, il y avait une vraie interaction entre la machine et l’athlète. Avec le FPV, on n’a pas de limite, tout est possible, tout est envisageable, il faut juste établir un cadre de sécurité. »
« On se demande quelles sont les limites de distance Teddy ? » demande Aurélie.
« Légalement, cela dépend des scénarios, ça va être 100-200 m en général, vous pouvez aller jusqu’à 1000 mètres légalement dans un scénario précis, mais le FPV n’est pas concerné. » répond Teddy, « C’est un peu compliqué de faire passer ça au niveau de la DGAC. Par contre, techniquement, les machines peuvent aller à 5,5 km sans trop de soucis en vertical ou horizontal. Il n’y a quasiment pas de limites avec les drones classiques, type DJI Mavic. En FPV, 5 km, c’est sans intérêt, quand on a cinq minutes d’autonomie ! »
Pour Arthur, sur le plan légal, « c’est plus simple en Suisse. On s’est retrouvé avec mon collègue Martin à faire une prestation dans Genève, en plein centre, avec l’aéroport juste à côté. On a contacté les autorités, on voulait faire voler des gros bestiaux. En France, il nous aurait directement dit non, qu’il faut des parachutes, qu’il soit homologué, il faut que tout soit parfaitement carré, et ce n’est pas possible. » En Suisse, ils nous ont juste dit : « ah, il fait moins de 25 kg votre drone, il n’y a pas de problème. », Puis on leur a demandé : « Est-ce qu’on peut passer sous les ponts ? Arriver du jet-d’eau, passer sous un pont et allé jusqu’à un bâtiment qui est un peu plus loin ? » Ils ont dit oui : « mais faites attention les ponts sont quand même bas et si vous passez au-dessus, ne passez pas trop bas parce que vous allez faire peur aux automobilistes, au moins dix mètres. » Il y a des endroits où c’est beaucoup plus ouvert qu’en France. Ici, il aurait fallu découper toutes les parties sur lesquelles j’allais travailler par rayon de 150 mètres, et filmer en plusieurs prises. Avec des skieurs qui sont vraiment loin sur des grandes faces abruptes, je fais la randonnée avec 30 kg de matos sur dos et puis on tronçonne. On les laisse partir, on les filme au départ, puis ils nous attendent un peu, et on refait une ligne un peu plus bas, ce qui évite des distances extrêmes. Si on perd le drone, ce qui arrive très souvent en montagne, au moins on n’a pas deux kilomètres de marche pour aller le chercher.
« Il y a trois ans, pour le premier vol du Corsair sur la Tour Eiffel, on avait demandé des dérogations » rajoute Teddy. « C’était un vol de nuit et on avait demandé 350 mètres d’altitude, auprès de la préfecture et la DGAC. Aujourd’hui, une demande de dérogation est acceptée ou refusée en moins d’une semaine et la plupart du temps 100 m sont suffisants pour faire le travail, notamment avec des Fisheyes qui donnent une grande sensation de hauteur. »
« Quels matériels pour s’entrainer et quel simulateur ? » demande le public.
« Il existe des simulateurs avec des beaux graphismes. » répond Teddy. « Il suffit d’une radiocommande qui se branche en USB, le PC la détecte comme une manette de jeu vidéo et en avant ! De préférence, la même télécommande qu’on utilise pour le drone. Uncrashed est un simulateur qui vient de sortir, il y a Liftoff qui a des dynamiques de vol pas forcément réalistes, Ai Drone Simulator qui reste au-dessus du lot, il propose des voitures qui se déplacent sur un circuit, donc on peut s’amuser à les suivre et vous avez des bâtiments abandonnés, vous vous amusez à passer dans des portes, à filmer en intérieur, ressortir… on arrive à reproduire toutes les conditions qu’on pourrait trouver dans la vraie vie, et les deux derniers sont développés par des français. C’est 15 € le jeu. Au niveau graphisme, c’est super beau. »
« Quand un drone vole à l’intérieur de bâtiments, n’y a-t-il pas des problèmes de transmission ? » demande le public. « On est bridé en France à 25 milliwatts, donc il faut passer en 1200 mW » répond Stéphane. « Légalement, on n’a pas le droit d’émettre à plus de 25 mW sur un appareil volant, c’est le maximum. Comme sur vos téléphones, on a une puissance maximale d’émission. Donc, en effet, dans un immeuble, ça va vous cantonner à un seul étage. Mais on peut la débrider à 1200 mW, c’est extrême et ce n’est pas légal, mais s’il faut travailler sur trois étages dans le bâtiment, il n’y a pas le choix. Chacun prend ses responsabilités, car il n’y a pas de contrôle là-dessus. » rajoute Teddy. « C’est beaucoup plus sécuritaire d’être à 1200 mW, car tu sais que tu ne vas pas perdre la connexion. En France, à 25 mW, tu passes derrière un arbre, il y a des ondes partout, le truc qui tombe sur une tête… Ceux qui font les lois ne sont pas sur le terrain… avec tout le respect qu’on leur doit. C’est parfois plus dangereux de respecter les lois. Quand une zone de vol est bien prédéfinie et que tu ne vas pas dépasser, autant mettre l’émetteur à fond en mode micro-ondes et tu sais que tu n’auras pas de problème… Tu risques de capter la TV en même temps, mais au moins tu n’as pas de problème. » conclut Stéphane sourire aux lèvres.
Propos recueillis par Aurélie Gonin et résumés par Marc Salama.
StudioSport, référence en matière de drones en France, assemble divers composants haut de gamme pour réaliser des drones de prise de vues FPV compatibles avec les scenarii S1 et S3 offrant une qualité HD 1080p 60ips parfaitement exploitable en postproduction. Notamment, le Corsair HD, le CineWhoop d’Holybro, sont proposées par le constructeur/revendeur français et le Redback d’Hexadrone (en collaboration avec le vidéaste Stéphane Couchoud). Ce dernier est un chassis nu à équiper de son électronique de vol, capable d’embarquer 1,5kg, soit la plupart des petites caméras DSLR 4K.
Par ailleurs, l’entreprise Grenobledronevision.com a conçu le Turtle X8 FPV, capable d’embarquer la plupart des DSLR du marché (Sony A6400, A7SIII, GH4/5, Fujifilm XT3, ainsi que des caméras de type cinéma comme une Red Komodo, Lumix BGH1, Z-Cam E2), stabilisé par la technologie AlphaGel de SteadXP. Conçu par Laurent Athenol, pour pouvoir embarquer au plus 2kg pour 6 minutes de vol et répondre aux exigences légales des scenarii S1 & S3, et européennes STS01, le Turtle X8 intègre une balise de signalement (obligatoire depuis le 1er janvier 2021).
Toutefois, il est important de rappeler que la pratique du vol en immersion reste réservée aux pilotes confirmés et entrainés. Un entrainement permanent sur simulateur FPV est nécessaire pour maitriser cette discipline et se maintenir à un bon niveau de pilotage toute l’année, car dans ce sport il n’y a pas de capteur d’évitement. À ce jour, l’autonomie des batteries limite, en outre, le temps de vol FPV en dessous des 10 minutes.