Personne n’est dupe : derrière le nom Auvergne-Rhône-Alpes respectant l’ordre alphabétique et la susceptibilité de chacun, la fusion de l’Auvergne et de Rhône-Alpes est avant tout l’union de deux régions à la vitalité bien différente.
Quand, avant 2016, Rhône-Alpes se situait à la seconde place en terme de PIB par habitant, l’Auvergne était à la dix-neuvième position des régions françaises. Pour le fonds d’aide à la production audiovisuelle, alors que le budget géré par Clermont-Ferrand est d’environ 350 000 euros, l’équipe de Lyon dispose d’un montant de 2 millions d’euros directement attribués par la Région, auxquels s’ajoutent 3 millions d’euros de participation à des longs-métrages via les coproductions de Rhône-Alpes Cinéma.
Ce déséquilibre aurait pu donner l’impression à l’Auvergne d’être absorbée par la Région Rhône-Alpes, si ce n’était le travail, reconnu par tous les professionnels, mené depuis des années à Clermont-Ferrand par l’équipe de « Sauve qui peut le court-métrage » qui organisera du 3 au 11 février son 39e Festival du Court-Métrage.
Cinq lieux totems
Aujourd’hui, la nouvelle région s’organise autour de cinq pôles. Quatre lieux se sont historiquement imposés dans le paysage audiovisuel rhône-alpin avec quatre événements d’envergure nationale : le Festival international du film d’animation à Annecy, la réussite de la société Folimage à Valence, les États généraux du film documentaire à Lussas et la construction du Studio 24 sous l’impulsion de Roger Planchon dans la métropole lyonnaise.
Autour de ces quatre réussites, se sont développés des lieux totems, à la fois pépinières d’entreprises, lieux de création, de diffusion et de formation : La Cartoucherie à Valence, CITIA (Cité de l’image en mouvement), les Papeteries-Image Factory à Annecy, La Maison du Doc à Lussas et enfin le Pôle Pixel à Villeurbanne. La fusion avec l’Auvergne amène tout naturellement la présence d’un cinquième pôle : celui du Court-Métrage à Clermont-Ferrand autour du lieu La Jetée.
Pour Catherine Puthod, chargée de mission cinéma, audiovisuel et nouveaux médias à la Région, « cette optique de spécialisation donne une meilleure visibilité pour les producteurs extérieurs. Ils savent où aller chercher les compétences ».
Un fonds d’aide régional
Avec le changement de couleur politique, la question se posait du choix de la nouvelle équipe dirigeante concernant le fonds d’aide. Logique d’addition ou logique de réduction ? L’assemblée, réunie en session plénière le 15 décembre dernier, a voté pour une enveloppe budgétaire globale maintenue. Les élus ont ainsi reconnu la qualité du travail mené depuis de nombreuses années. Pour les modalités d’intervention du nouveau fonds, il faudra attendre la session de février. Les deux territoires continueront donc à fonctionner indépendamment pendant quelques mois encore.
« Cependant, depuis janvier 2016 les fonds, gérés en parallèle, sont ouverts à l’ensemble du territoire, offrant ainsi des opportunités supplémentaires aux productions qui souhaitent aller tourner en Auvergne », précise Catherine Puthod. « Nous disposons d’un fonds d’aide aux courts-métrages et à la fiction TV très important, puisqu’avant la réforme territoriale, la région Rhône-Alpes se situait au deuxième rang, juste après l’Ile-de-France. Les professionnels ont toujours répondu présent et 2016 a été une année record pour les accueils de tournage de série TV. L’Auvergne, qui avait un fonds moins important, avait également un panel d’aides moins large. Le futur fonds commun devrait apporter une irrigation de l’ensemble du territoire. »
Une commission du film unique
Deux bureaux Film France existent dans la région : la commission du Film Auvergne, pilotée par Sauve qui peut le court-métrage à Clermont-Ferrand, et la commission du Film Rhône-Alpes, gérée par Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma. Dans ce domaine, la fusion s’avère relativement simple. Depuis janvier 2016, les deux commissions ont pris l’habitude d’échanger et de communiquer en faveur d’une seule grande région.
Deux points d’entrée continuent à exister, chaque bureau s’appuyant sur sa connaissance des lieux et des techniciens de son territoire. Ainsi, par exemple, les paysages de l’Allier et la ville de Moulins ont servi de décors pour « Cézanne et Moi », le film de Danièle Thomson. La Drôme et l’Ardèche ont accueilli le tournage de « L’Ami, François d’Assise et ses frères » de Renaud Fély et Arnaud Louvet, actuellement sur les écrans, etc. Mais ce sont les séries TV qui font aujourd’hui les beaux jours de la Région.
« Les séries ont représenté 500 jours de tournages en 2016 contre 350 jours pour les longs-métrages », nous précise Aurélie Malfroy-Camine de la commission du Film Rhône-Alpes. « La Traque », adaptation française de la série britannique « The Fall », produite pour TF1, se tourne actuellement dans les studios du Pôle Pixel, et la série Chérif de France 2 en est à sa quatrième saison dans la région.
Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma et Le Pôle Pixel, un travail de longue haleine
Ceci prouve que le temps du développement d’une filière ne peut pas être celui d’un mandat électoral. « Il est nécessaire d’inscrire les actions de développement dans la durée », explique Grégory Faes, directeur général d’Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma. En 1990, Rhône-Alpes Cinéma faisait le pari audacieux de remplacer les subventions de soutien à la filière cinéma par des participations en coproduction via une société anonyme.
En 25 ans d’existence, la SA a su patiemment développer un réseau de compétences sur le territoire et porter la création du Pôle Pixel. Son rôle est aujourd’hui élargi à l’échelle du nouveau territoire. Depuis sa dernière assemblée générale, le 6 juillet 2016, la structure a officiellement ajouté Auvergne à son nom. Stéphanie Paix, présidente du directoire de la Caisse d’Épargne Rhône-Alpes, en est la nouvelle présidente (la Caisse d’Épargne est l’un des trois actionnaires de la SA aux côtés de la Région et de la Banque publique d’investissement). Grâce au « 2 € pour 1 € » du CNC, la SA devrait disposer, cette année encore, de 3 millions d’euros à investir dans des films (2 millions de la Région, 1 million du CNC). Si la SA continue à porter la commission du film et la gestion des trois studios de tournage du Pôle Pixel, l’animation du Pôle est maintenant confiée à une association autonome.
« Nous avons toujours favorisé les structures qui autofinancent leur fonctionnement. Chez nous, 100% des financements publics sont investis dans des productions. Nous avons une approche très terrain, très pragmatique. Nous nous efforçons d’être à la bonne place entre institutions et professionnels. Nous ne sommes pas totalement autonomes par rapport à l’un ou à l’autre, et nous sommes utiles aux deux. Ce juste équilibre, c’était la force de l’idée de Planchon, en rupture par rapport à l’existant : ne pas rester extérieur, être plus proche de la production », explique Grégory Faes. « Aujourd’hui nous devons accompagner la montée en compétence du territoire auvergnat. Nous agissons en partenariat avec les écoles dans une culture du travail en réseau. »
L’enjeu est d’autant plus important que, victime de son succès, face au nombre croissant de jours de tournage, la région s’est trouvée en 2016 en carence de techniciens pour pouvoir répondre à toutes les demandes des producteurs.
« Ma Vie de Courgette », la success-story régionale
Le film d’animation de Claude Barras, tourné dans les studios du Pôle Pixel, enchaîne les succès. Après avoir déclenché l’enthousiasme, lors de la quinzaine des réalisateurs à Cannes, avec quinze minutes d’applaudissements, le film collectionne les prix : Prix du public et Cristal du long-métrage à Annecy, Valois de diamant au festival d’Angoulême, Prix du public au festival de San Sébastian, Meilleur film d’animation à l’European Film Awards… Nominé aux Golden Globes, « Ma Vie de Courgette » a malheureusement dû s’incliner devant « Zootopie » qui a emporté le titre.
Aujourd’hui le film est cité comme pouvant faire partie des prétendants aux Oscars à double titre : dans la catégorie des films d’animation et comme représentant de la Suisse. En effet, Ma Vie de Courgette est produit par la société Rita Productions de Genève, en partenariat avec KNM et les sociétés Blue Spirit Productions d’Angoulême et Gébéka Films de Lyon. Le budget de 6,3 millions d’euros a été complété par la participation de différents financeurs helvétiques et français dont Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma qui a contribué au financement du projet à hauteur de 400 000 euros.
Si, pour des contraintes de production, le montage a eu lieu à Genève, la postproduction à Angoulême, le travail de laboratoire à Zurich et l’enregistrement de la musique à Berlin, il n’en reste pas moins que les marionnettes ont été prototypées en Haute-Savoie, près d’Annecy. Leurs cheveux proviennent de la Drôme ; la fabrication des 60 décors, des accessoires et des 50 marionnettes finales ont été réalisées au Pôle Pixel. Et les 18 mois de prises de vue en stop motion se sont déroulés dans les deux studios Lumière de Villeurbanne.
Alors, Courgette, c’est un peu un enfant du pays ! La région Auvergne-Rhône-Alpes retient son souffle. La short-list des nominés sera connue le 24 janvier. Et la soirée de remise des prix se déroulera le dimanche 26 février. Le film figurera-t-il parmi les récompensés ? Ici tout le monde veut y croire.**
En attendant un événement qui ne manquerait pas de relancer l’engouement pour ce très beau film, le musée Miniature et cinéma de Lyon www.museeminiatureetcinema.fr invite le spectateur à aller découvrir « l’envers du décor du film de Claude Barras ». Le musée, créé en 2005 par Dan Ohlmann dans la remarquable « Maison des avocats » du vieux Lyon, a eu la géniale idée de sauver de la destruction une partie des décors et des marionnettes. L’idée est venue d’une rencontre entre Marc Bonny de Gébeka Films et Laurie Courbier, chargée des expositions.
Depuis le 2 octobre 2016 et jusqu’au 2 avril 2017, le musée propose une immersion totale dans l’univers de Courgette, à travers neuf décors originaux recomposés (la maison du foyer d’accueil, le grenier de Courgette, le chalet, la fête foraine, le commissariat, la salle de classe, la cantine, le bureau de la directrice et le dortoir des garçons) où évoluent 35 marionnettes. Des extraits du film sont diffusés en parallèle, ainsi que le making-of, à découvrir en avant-première, avant la sortie du DVD.
* Article paru pour la première fois dans Mediakwest #20, p.54-55. Abonnez-vous à Mediakwest (5 nos/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur totalité.
** Aucun Oscar, mais deux César… Lire notre article « Deux César bien mérités pour « Ma vie de Courgette » ! »