Le piratage audiovisuel prend des formes multiples, les solutions aussi !

Les usages ont changé en matière de piratage audiovisuel. Le peer-to-peer est en perte de vitesse au profit du direct download et du streaming illégal, voire du détournement des flux vidéo en live. Le sempiternel « jeu » du chat et de la souris entre les pirates du web et ayants droit a également pris une nouvelle dimension avec des actions judiciaires sanctionnant plus sévèrement les administrateurs de sites pirates et l’émergence de solutions techniques innovantes visant à les détecter et en limiter les effets.
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Le piratage des programmes audiovisuels a changé. Sont-ce les effets d’une volonté des usagers de copies illicites de contourner la riposte graduée de la loi Hadopi, mais la consommation de copies pirates des œuvres audiovisuelles a largement migré ces dernières années vers le direct download (DDL) et le streaming illégal, tandis que le peer- to-peer ne représente plus que 20 % du volume global de piratage audiovisuel. Pour certains éditeurs TV comme TF1, le peer-to-peer n’est d’ailleurs plus la priorité : « Du fait de son absence d’immédiateté vis-à-vis du streaming ou du téléchargement direct, le peer-to-peer a perdu de son intérêt, souligne Nils Hofet, directeur de management des médias du groupe TF1. En outre, en tant que diffuseur, nous ne souhaitons pas nous attaquer directement aux particuliers qui se livrent à des téléchargements illégaux. Cette tâche incombe aux organismes chargés de faire respecter la loi Hadopi qui repèrent individuellement les téléchargements illicites dans le cadre de la riposte graduée. Nous nous en prenons uniquement aux entreprises solvables qui sont directement ou indirectement impliquées et tirent profit du piratage. »

Face à cette forme de délinquance numérique qui ne tarit pas, voire se professionnalise, les organismes de défense des ayants droit ne ménagent pas leurs efforts ces derniers temps. L’ALPA (Association de Lutte contre la Piraterie Audiovisuelle) vient même de voir aboutir plusieurs actions pénales retentissantes à l’encontre d’administrateurs de sites web pirates. Mi- 2017, elle a notamment obtenu la fermeture du site T411. Dans ce cas d’espèce, ce sont les agents assermentés de l’ALPA qui ont réuni les preuves nécessaires à l’action en justice contre ce site de peer-to-peer qui regroupait jusqu’à 700 000 liens torrent et comptait plus de 5,6 millions d’inscrits.

 

Les administrateurs de sites pirates lourdement condamnés

Au début de l’année 2018, dans le cadre d’une procédure lancée fin 2009 contre le site de streaming illégal Streamiz, la justice a fini par trancher avec force. Le 20 février dernier, le tribunal de Nanterre a condamné l’administrateur de ce site pirate, un homme de 41 ans désormais en fuite à l’étranger, à verser 83,6 millions d’euros de dommages-intérêts, dont 80 millions uniquement pour couvrir le préjudice subi par les ayants droit audiovisuels. Rappelons que dans ce procès, l’Alpa, la Sacem, la Fédération nationale des distributeurs de films, Disney, 20th Century Fox, Warner Bros et la Société des auteurs s’étaient portés parties civiles. Pour Frédéric Delacroix, le délégué général de l’Alpa : « ce genre de site relève de l’escroquerie professionnelle, puisque son administrateur a engrangé durant près de deux ans environ 150 000 euros de recettes publicitaires grâce à des audiences records (NDLR : 250 000 visiteurs uniques par jour en 2011) ». Ce site est allé jusqu’à proposer 40 000 copies illicites de films et séries…

Depuis plusieurs mois, l’Alpa bénéficie aussi d’un nouvel outil coercitif au sein de sa palette juridique, avec la possibilité de forcer les moteurs de recherche et les fournisseurs d’accès à l’Internet, en France du moins, à déréférencer les sites qui diffusent des copies illicites de programmes audiovisuels et toutes leurs futures extensions. « Ce dispositif de blocage élargi, insiste Frédéric Delacroix, qui fait jurisprudence depuis qu’il a été confirmé en cour de cassation le 15 décembre 2017, devrait nous rendre plus efficaces vis-à-vis des sites pirates passés maîtres dans l’art de la réattribution automatique d’extensions d’URL ». En France, l’Alpa a ainsi dans le collimateur quelques dizaines de sites pirates qui ont une démarche vraiment professionnelle et qui concentrent l’essentiel de la circulation des copies illicites de programmes TV.

En amont de ces actions pénales spectaculaires, l’Alpa réalise aussi régulièrement, par l’intermédiaire du prestataire TMG, la collecte de plusieurs dizaines de milliers d’adresses IP de particuliers qui téléchargent régulièrement des copies illicites et entrent dans le cadre de la riposte graduée.

 

Un spécialiste pour protéger les catalogues de films
 et séries


Le piratage est un phénomène massif et mobile qui touche en premier lieu des films et séries. Selon la plus vaste étude menée à ce jour sur la question (enquête réalisée en mars 2017 par Irdeto auprès de 25 734 répondants émanant de 30 pays) : le mode de consommation des contenus illicites est majoritairement le terminal mobile à 52 %. D’après cette même étude, les films en salles (27 %) et les séries télévisées (21 %) sont les types de contenus piratés les plus populaires.

Face à une telle « attractivité » des films et séries, la société Blue Efficience, fondée en 2008 par Thierry Chevillard, s’est taillé, au fil du temps, expérience et légitimité. Son dirigeant se définit volontiers comme un fournisseur d’expertise aussi bien juridique que technique. Blue Efficience met notamment à disposition de ses clients un outil en ligne qui sert de tableau de bord aux ayants droit qui veulent garder de manière quotidienne un œil vigilant sur leurs catalogues d’œuvres cinématographiques ou audiovisuelles. Dès lors qu’une copie illicite est repérée, Blue Efficience dispose généralement d’un mandat lui permettant d’entamer toutes les démarches juridiques nécessaires à la défense des droits des œuvres. Il est important, à ce stade premier, de qualifier sur le plan légal la ou les infractions au droit de la propriété intellectuelle constatée(s) sur le web et cette compétence ne va pas de soi à l’heure du numérique et de l’internationalisation des plates-formes de piratage.

L’autre volet de l’expertise de Blue Efficience réside dans son portail web privatif qui indique le nombre de copies illicites détectées, le nombre d’occurrences sur les moteurs de recherche, les User Generated Content (YouTube, Dailymotion, Vimeo…) ou les réseaux sociaux. On y trouve aussi des statistiques sur la qualité du piratage, un player pour visionner la copie pirate détectée et la télécharger afin de disposer d’un élément de preuve.

 

La détection par signature numérique : un process qui s’optimise…


La première activité au quotidien d’un défenseur des ayants droit comme Blue Efficience consiste à détecter et signaler les copies illicites de films ou séries présentes sur les plates-formes UGC. Selon Thierry Chevillard : « 90 à 95 % des copies illicites d’un film ou d’une série sont détectés sur les UGC uniquement grâce à un procédé d’empreinte numérique. La fiabilité n’est pas totale, car les pirates ne manquent pas d’imagination pour rendre leurs vidéos indétectables par une signature en modifiant le format d’affichage des vidéos ». Afin qu’un ayant droit puisse avoir en temps réel une vue complète et exhaustive du détournement de ses œuvres, Blue Efficience intègre les différentes technologies de signature numérique utilisées par les UGC et les réseaux sociaux et a développé sa propre technologie d’empreinte numérique.

Du côté d’un des plus importants ayants droit français, Studio Canal, cela fait plusieurs années qu’une petite équipe, composée à la fois de spécialistes techniques et de juristes, se penche quotidiennement sur la lutte contre le piratage des œuvres cinéma ou télévisuelles. À Studiocanal, la lutte s’organise autour de quatre axes : la protection web globale correspondant à la recherche de contenus sur les sites illégaux, streaming, download, p2p ; la protection UGC (fingerprint et scan) ; la sécurisation du stockage centralisé des masters et la sécurisation des diffusions/ livraisons grâce au watermarking ; le déréférencement Google. Sur chacun de ces axes, Studiocanal travaille en étroite collaboration avec le spécialiste français de l’antipiratage Leakid.

Sur la question des plates-formes UGC, la cellule antipiratage de Studiocanal collabore activement avec les plates-formes et génère en moyenne plus de 40 empreintes numériques d’œuvres par mois, principalement des Content ID pour la plate-forme YouTube. Les procédures autour du Content ID sont bien rodées et le blocage automatique des copies illicites aussi. Reste que certains reformatages des œuvres pour contourner les signatures sont particulièrement astucieux et passent à travers les mailles du let. « Nous avons développé avec l’aide de Leakid un outil puissant de Scan basé sur des mots clés et critères de distinction, précise Julia Lowy, responsable de l’antipiratage à Studiocanal, afin de détecter les copies illicites qui auraient fait l’objet d’un détournement particulièrement subtil de l’image ou du son (NDLR : ralentissement, recadrage, zoom…) ».

Studiocanal, qui a la charge de nombreux films de catalogues, a aussi mis en place début 2018 une nouvelle procédure avec Google, afin de garantir que les empreintes bénéficient des dernières technologies de détection et préservent les ayants droit d’une exploitation trop grande de la copie illicite qui pourrait advenir bien des années après la première sortie d’un film.

 

… et en passe de s’automatiser


Cela fait également quelque temps que le groupe TF1 a industrialisé l’usage des signatures numériques pour contrôler les copies illicites des programmes des chaînes du groupe sur les plates-formes web. L’éditeur TV a même constitué un comité de pilotage transverse visant à coordonner l’ensemble des chaînes et services autour de ces tâches complexes. Aujourd’hui, les équipes dédiées à l’anti-piratage concentrent leurs efforts sur YouTube, car c’est là que se retrouve l’essentiel des audiences, mais travaille aussi en étroite collaboration avec Dailymotion. « Nous avons généré au fil du temps, indique Nils Ho et, des dizaines de milliers d’empreintes numériques de nos programmes uniquement pour les plates-formes UGC. Toutefois, en complément de la détection automatique, nous réalisons nos propres sondages plusieurs fois par jour sur YouTube notamment, afin de détecter s’il ne demeure pas des copies illicites en circulation ».
 Le groupe TF1 a également tenté d’automatiser la notification et l’éradication des flux illégaux présents sur les différentes plates-formes. « Avec les plates-formes UGC, notamment YouTube, le process est bien rôdé, souligne Nils Ho et, YouTube envoie deux notifications et à la troisième un « strike » qui ferme le compte pirate automatiquement. Avec Facebook en revanche, le process n’est pas encore automatisé pour la fermeture des comptes ou des groupes privés qui diffusent des liens vers des contenus illicites. Du coup, nous regardons avec attention le potentiel développement de liens pirates mis en ligne au sein de groupes fermés qui échapperaient de facto à notre vigilance. Même s’ils ne sont pas référencés ces liens illicites existent et sont accessibles via une simple demande d’accès à un groupe. Jusqu’ici les réseaux sociaux ne se sont pas montrés très prompts à nous fournir des solutions techniques permettant de repérer et faire disparaître aisément ces liens pirates. » Les équipes anti-piratage de TF1 constatent également à regret que Facebook n’a implémenté que depuis un an une solution d’empreinte numérique qu’elles testent depuis, mais qui ne permet pas le retrait automatique des liens pirates.

 

Identifier et notifier 
chaque lien pirate


Le phénomène de piratage audiovisuel va bien au-delà des plates-formes UGC ou des réseaux sociaux. Chaque année, l’association MPAA de défense des intérêts de l’industrie du cinéma aux USA publie un rapport qui recense ces véritables « plaques tournantes » du piratage. Et, manifestement, le réservoir de sites agrégateurs de liens pirates ne tarit pas. Citons parmi les plus connus présents dans ce rapport : Fmovies.is (Suède) ; Gostream.is (Vietnam et Ukraine) ; Kinogo.club (Pays-Bas) ; MeWatchSeries.to (Suisse) ; Movie4k.tv (Russie) ; Primewire.ag (Suisse) ; Repelis.tv (Amérique du Sud) qui renvoient généralement vers des sites d’hébergement de fichiers comme Nowvideo.sx (Ukraine) ; Openload.co / oload.tv (Roumanie) ; Rapidgator.net (Russie) ; Uploaded.net (Pays-Bas et Suisse) ; VK.com (Russie).

Un travail essentiel, souvent complexe, consiste dès lors pour les ayants droit à identifier et à notifier des sites qui agrègent des liens vers des copies illicites. En la matière, Studiocanal en tant que représentant d’ayants droit sur le monde entier, est en première ligne. Son effort porte principalement sur l’éradication des liens vers des copies illicites en direct download ou en streaming. Comme l’explique Jean- Pierre Boiget, directeur d’exploitation de Studiocanal : « Nous détenons généralement les droits monde d’une œuvre cinéma. Cela nous confère une lourde responsabilité pour laquelle nous avons mis en place des process particuliers. Tout d’abord, très en amont, nous disposons d’une chaîne technique de distribution des films en salles que nous voulons la plus pure possible pour éviter le piratage au niveau de l’exploitation en salles. Nous validons chacun des intermédiaires avec lesquels nous travaillons et ne délivrons aucune clé DCP en local. En outre, l’ensemble de nos fichiers master de distribution sont watermarkés grâce à un partenariat très étroit avec Nexguard. Et les fichiers master de distribution sont concentrés au sein d’une entité de stockage sécurisée baptisée la Digital Factory. »

Mais ce n’est pas tout, car comme l’explique Julia Lowy : « Dès lors qu’une première version technique de l’œuvre existe, nous mettons en place des fenêtres de protection élargie contre les éventuelles copies illicites présentes sur le web. La veille commence un à deux mois avant la sortie en salles d’un film. Nous surveillons activement les activités en amont de la première exploitation et jusqu’à deux à trois mois après la diffusion en vidéo à la demande ou la sortie en DVD/BluRayDisc. Parfois, nous prolongeons notre protection, en fonction des événements autour d’un film : festivals, cérémonies des Césars ou Oscars, actualité en résonnance avec l’œuvre (hommage, restauration pour ressortie en salle, etc.) qui représentent un risque de piratage supplémentaire. »

 

Déréférencer et couper
 les liens à la base


Un autre levier qu’actionne constamment les ayants droit face aux sites pirates qui proposent du direct download et/ou du streaming illégal des œuvres est le déréférencement des liens illicites sur les moteurs de recherche. L’objectif est alors de noyer les liens ou de les rendre plus difficiles ou impossibles d’accès. En la matière, des acteurs comme le groupe TF1 ou Studio Canal sont déjà organisés en interne pour mener à bien ce genre de tâche. Toutefois, il existe des prestataires spécialisés vers lesquels il est possible d’externaliser cette tâche. Comme l’explique Thierry Chevillard, « l’absence totale de copies illicites est un graal souvent difficile à atteindre. En revanche, nous sommes en mesure d’organiser au mieux et au plus vite la raréfaction des liens pirates, en ayant bien préparé le terrain en amont. Il faut aller vite, car dans le cas d’un blockbuster les liens pirates sont parfois mis en ligne moins de six heures après la sortie du film en salles. Il s’agit d’anticiper au maximum les sites web candidats potentiels au piratage grâce à une veille quotidienne des sites pirates. »
 Dans le registre du déréférencement des liens pirates auprès des moteurs de recherche, Blue Efficience a développé en 2017 une application originale, Blue Cleaner, qui s’installe gratuitement sur un navigateur web et permet aux ayants-droit de repérer et « nettoyer » par eux-mêmes les copies illicites d’une œuvre. Ils peuvent alors envoyer une demande de retrait à Google. La seule limite à la gratuité de cette extension est un quota d’œuvres qu’il est possible de protéger et de traiter simultanément.
 Blue Efficience a aussi réalisé des passerelles techniques avec les hébergeurs de fichiers comme OpenLoad ou 1 fichier.com, largement utilisés par les sites pirates de direct download ou de streaming, en vue de rendre très rapidement indisponibles les liens pirates quand ceux-ci ont été identifiés comme tels. « Mais il arrive, précise Thierry Chevillard, que certaines plates-formes d’hébergement freinent au maximum l’injonction de couper un lien illicite. Dans ce cas, nous travaillons avec un cabinet d’avocat partenaire qui va augmenter graduellement la pression sur les éditeurs du site en cause, afin qu’il comprenne quel risque juridique il prend. » Il arrive enfin que le prestataire français doive aller plus loin en demandant à l’hébergeur d’un site pirate, tel OVH ou LeaseWeb, d’intervenir directement pour couper les serveurs incriminés.

Face à l’impact néfaste des sites agrégateurs de liens de téléchargement, si la bataille se situe sur le terrain du déréférencement, depuis un an Blue Efficience utilise aussi une autre méthode complémentaire qui est de l’ordre de l’incitation. Elle consiste à concurrencer les sites pirates en créant leur clone. À l’aide d’un nom de domaine et d’une extension proche, Blue Efficience propose les mêmes liens de stream ou download… mais légaux cette fois !

Blue Efficience a ainsi créé trois sites clones des sites pirates (zone-telechargement.al, voir lms.al, libertyland.al). Selon Thierry Chevillard : « le résultat est loin d’être dérisoire, puisque nous avons atteint 100 000 visiteurs uniques en octobre 2017 lors de leur lancement et aujourd’hui leur audience mensuelle varie autour de 50 000 visiteurs uniques. Tandis que notre taux de transformation en achat de vidéos sur les portails de sVOD est de l’ordre de 0,5 à 1 %. Ce genre d’initiative montre selon moi qu’il faut aller chercher le public là où il est et lui redonner l’habitude de visionner des films et séries de manière légale. »

 

Les réseaux sociaux inquiètent

Aujourd’hui, chaque représentant des ayants droit regarde avec la plus grande attention ce qui se passe en termes de circulation de vidéos et liens illicites sur les réseaux sociaux. L’inquiétude vient principalement d’une part du développement de liens illicites au sein des groupes privés de diffusion d’informations sur ces réseaux que chacun imagine déjà comme la « boîte de pandore » des pirates et d’autre part de la possibilité de diffuser en streaming live des événements. « Pour autant, comme le souligne Julia Lowy de Studio Canal, à ce jour du moins, nous n’avons pas constaté une recrudescence de piratage des films ou séries par ce biais. »

 

Pour un acteur comme le groupe TF1 :

« S’il existe des solutions techniques visant à limiter l’impact du piratage, le problème doit être traité non pas seulement sur le plan technique, mais aussi au niveau juridique, indique Anthony Level, directeur des affaires réglementaires numériques au sein du groupe TF1. Il est trop simple aujourd’hui de faire apparaître ou disparaître sur les réseaux sociaux notamment des liens vers des copies illicites de programmes. Nous souhaiterions qu’une négociation plus approfondie s’engage avec les plates-formes de partage social dans laquelle interviendrait l’Alpa et les pouvoirs publics, afin que les règles de bannissement de ces liens illicites soient plus strictes qu’aujourd’hui. Il s’agit d’une bataille sur le terrain du droit et de la politique qui se joue au niveau national, voire européen. Nous militons pour sortir du système binaire et dépassé de la Directive européenne Commerce électronique qui date de 2008. Cette directive considère uniquement deux entités, d’un côté des éditeurs de contenus responsables de leurs programmes et de l’autre des hébergeurs, simples intervenants techniques qui ne seraient pas responsables des contenus qu’ils rendent accessibles. À l’instar de Mounir Mahjoubi (NDLR : secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé du Numérique), nous pensions qu’il faudrait une troisième catégorie du type éditeur passif ou hébergeur actif, intermédiaire, qui engendre des obligations de la part des plates-formes UGC et des réseaux sociaux. » Au-delà de cette question de droit, pour un éditeur comme TF1, le dilemme est souvent de choisir où mettre le curseur entre la coopération avec les acteurs du numérique afin qu’ils changent leurs pratiques car en cas d’échec des négociations, cela fait perdre deux à trois ans vis à vis des actions judiciaires qui peuvent être plus efficaces.

 

Le live streaming illicite dans le collimateur


Depuis un an, c’est aussi le piratage des programmes audiovisuels diffusés en live qui est au cœur de toutes les attentions des chaînes payantes et gratuites. Ce phénomène a pris de l’ampleur au point que ce sont désormais de véritables portails web qui proposent les flux en clair d’une multitude de chaînes. En France, la dernière décision de justice en date qui met en exergue ce genre de pratique nouvelle a été prise le 6 décembre 2018. L’Alpa, et plusieurs autres organisations professionnelles représentant des ayants droit qui s’étaient portées parties civiles en avril 2017, sont parvenues à obtenir la fermeture du portail web ARTV.watch et de son application Android concomitante. Mais, le plus étonnant dans cette histoire réside dans le fait que ce portail qui redistribuait près de 180 chaînes et comptait jusqu’à 500 000 visiteurs uniques mensuels, était administré par un adolescent de 16 ans habitant à Bordeaux.
 Bien souvent, la réplication du streaming live des chaînes s’effectue directement à partir du détournement des flux émanant des CDN vers des sites ou des applications qui tirent profit de l’audience générée. Cette manipulation, si elle n’est pas à la portée du grand public, est relativement simple à réaliser pour un bon développeur. Généralement, le pirate mélange une méthode qui consiste à faire la rétro-ingénierie et ré-ingénierie de l’encodage des flux sur le CDN, à concevoir une application Android permettant l’aspiration du flux émanant du CDN et à proposer ensuite son téléchargement. Cette dernière solution est doublement handicapante pour l’éditeur TV, car lors d’un téléchargement, contrairement à la distribution en streaming adaptatif, la qualité choisie par le système est toujours la plus haute. Ainsi, la qualité du « podcast » vidéo d’un programme TV émanant de ce genre d’application pirate est de meilleure qualité que l’original…

Pour limiter l’essor de cette offre alternative non légale de programmes TV en clair, un cabinet d’ingénierie technologique comme 42 Consulting propose une solution basée sur le Big Data qui offre la possibilité de distinguer, au milieu de millions d’utilisateurs, les anomalies de comportements et de détecter les fraudeurs qui téléchargent par exemple dans la qualité maximum ou de manière en apparence désordonnée comme le ferait un algorithme… Ces contre-mesures proposées par 42 Consulting permettent ensuite de lancer des démarches pour éradiquer ces liens fraudeurs ou les sites qui les hébergent.

Autre solution pour contrer cette fraude : la généralisation du login et mot de passe pour la distribution web du replay et du live des programmes d’une chaîne qui permet de tracker simplement le parcours utilisateur et de facto la fraude éventuelle. « Face à ce genre de fraudes généralisées, comme le souligne Denis Vergnaud, l’objectif n’est pas de réaliser une protection à 100 %, mais de réduire au maximum l’exposition au risque sur les programmes et protéger ainsi les sources de revenus publ citaires des chaînes. »

 

Les éditeurs de chaînes sportives se regroupent


En 2017, les retransmissions sportives illicites se sont répandues largement sur les sites web pirates, mais aussi via des liens véhiculés par les réseaux sociaux. Avec le combat de boxe McGregor-Mayweather qui s’est déroulé le 27 août 2017, chacun a même pu constater un changement d’échelle du streaming illégal. La société Irdeto a relevé, dans une étude publiée en 2017, que ce combat avait été rediffusé via 239 streams illégaux, dont pas moins de 165 partagés directement sur les réseaux sociaux comme Facebook, Twitch ou Periscope. Au total, ce sont 2 930 598 spectateurs qui ont vu le match en toute illégalité. Le fournisseur de solutions de lutte contre la piraterie a également dénombré 42 publicités pour des plates-formes de streaming illégales qui apparaissaient sur des sites de e-commerce de forte notoriété comme Amazon, eBay ou Alibaba. Les sites de streaming illégal d’événements sportifs entretiennent d’ailleurs souvent l’illusion de la gratuité de certaines retransmissions en singeant les sites officiels des chaînes payantes.

Conscients de cette menace, plusieurs éditeurs de chaînes TV payantes sportives, mais aussi gratuites comme TF1, se sont associés au début de l’année 2018 autour de l’Association des producteurs de programmes sportifs (APPS). Cette association a pour but de lutter plus efficacement contre ce fléau pour les ayants droit des retransmissions sportives. La première mission de l’association est de mobiliser l’ensemble des parties prenantes (diffuseurs, ayants droit, hébergeurs, plates-formes, moteurs de recherche et fournisseurs d’accès d’Internet) face au phénomène actuel de professionnalisation du piratage. L’APPS a mis en place à cet effet un conseil d’administration composé de deux groupes d’entités représentant l’ensemble de la chaîne des droits, avec d’un côté les dirigeants des principaux diffuseurs de programmes sportifs en France (beIN Sports France, Discovery/Eurosport, le groupe Canal+, TF1…) et de l’autre les ayants droit, parmi lesquels la Fédération française de tennis, la Ligue nationale de rugby, la Ligue de football professionnel et la Fédération française de basketball. Cette association professionnelle, par la voie de son président Yousef Al-Obaidly, également président de BeIN Sports France, compte privilégier la négociation entre professionnels et la recherche de remèdes rapides et opérationnels au « phénomène multiforme » qu’est le piratage. À suivre…

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #26, p. 42-48Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.