MIFA : un trentenaire au triomphe modeste

Véritable marché international pour l’animation, le MIFA d’Annecy a su s’affranchir de son statut satellitaire du festival pour mieux développer des synergies avec celui-ci tout en créant un écosystème viable. À l’occasion de son 30ème anniversaire, retour sur l’un des rendez-vous phares de l’animation internationale.
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Jusqu’au 19 juin, Annecy se fait la chambre d’écho de l’animation internationale dans toutes ses acceptions : artistique, culturelle, sociale et, naturellement, économique. En quelques années, le MIFA (son acronyme désormais érigé au rang de nom propre) a su se tailler une place de choix dans la liste – parfois un peu trop longue – des événements consacrés à l’animation. Mais force est de reconnaître que l’événement, d’abord pendant économique d’un festival en plein boom, a su se forger une identité propre basée sur un écosystème où l’on évoque plus l’acculturation générale de l’animation. Et les chiffres sont éloquents : 2 450 accrédités, 334 acheteurs et distributeurs, 513 exposants et 73 pays représentés. Et l’édition 2015, qui marque les 30 ans d’existence, devrait battre plus d’un record.

 

1985 : « Jack » a dit…

Créé en 1985 sous l’impulsion du ministre de la Culture de l’époque, Jack Lang, désireux d’offrir au festival une réponse « à la nécessité d’envisager aujourd’hui l’évolution de ce secteur dans son ensemble et plus particulièrement dans ses aspects économiques », le marché international du film d’animation est mis en place sur un rythme biennal. Il faut dire qu’alors, les projets ne sont pas légion, les auteurs disséminés dans quelques pays et, surtout, les productions sont encore en animation traditionnelle, donc avec des plannings de fabrication longs et fastidieux. Si la création d’un marché peut aujourd’hui paraître triviale, son rythme annuel incontournable, rien n’était pas moins sûr en 1985. Patrick Eveno, actuel directeur de Citia, se rappelle son premier passage sur les rives du lac en 1989 : « Folimage venait tout juste de passer en structure commerciale depuis peu et nous venions d’engager la création d’un studio d’animation. Notre objectif, qui n’était pas simple, était alors la recherche de financements pour de futurs projets ». En 2015, cela reste l’une des composantes maîtresses d’un marché. Mais pas que.

« La première édition du MIFA à laquelle j’ai participé était en 1995, rappelle Guillaume Hellouin, fondateur de TeamTO, même si, sur cette période, c’est comme patron de Sparx qu’il officie. Au départ, mon intérêt se portait plus sur le festival mais avec la professionnalisation du marché, nous avons pu à la fois porter nos projets à la connaissance de coproducteurs, diffuseurs mais aussi recruter des talents pour consolider nos équipes ».

 

2001 : l’inconnu du lac

Le marché connaît une très forte croissance à la fin des années 1990, notamment grâce à Internet qui ouvre non seulement le champ des possibles en termes de création mais aussi de découverte. L’animation traditionnelle laisse peu à peu la place à l’image de synthèse et Pixar impose sa patte. Avec des délais de production raccourcis, l’offre d’animation s’étoffe… et la nécessité de nouveaux marchés s’impose.

2001 marque une étape avant une chute sévère du nombre de participants. Pour Mickael Marin, responsable du développement du MIFA depuis 2008, il s’agit de son premier marché… C’est aussi l’année de l’éclatement de la bulle Internet, qui marque un arrêt brutal des investissements dans de nombreux secteurs économiques ; un arrêt amplifié par les attentats du 11 septembre. D’un seul coup, les grands studios et les diffuseurs ont restreint leurs déplacements, ce qui a largement impacté sur le MIFA. En trois ans, entre 2001 et 2004 – annus horribilis – le marché perd plus de 400 accrédités pour « toucher » les 1 200 professionnels. L’annualisation du marché en 1998 signe le retour en grâce d’un événement qui fédère de plus en plus, sous l’impulsion d’une équipe permanente qui assure une promotion quotidienne à l’international. 

« Pour 2015, à deux mois de l’ouverture, nous avons quasiment atteint le nombre d’accrédités de l’an passé », résume Mickael Marin. Soit plus de 500 sociétés représentées et, en termes de surface, un nouveau record battu : près de 5 200 mètres carrés occupés !

 

L’émergence d’un « vrai » marché

Aujourd’hui, le MIFA peut se targuer d’accueillir la quasi-totalité de la planète Animation. « Depuis trois ans environ, on note un fort regain d’intérêt de la part des professionnels d’Amérique du Nord – USA et Canada – qui voient dans la manifestation des opportunités complémentaires », précise le responsable du Marché. « Cela permet aux studios de recruter des talents, les écoles françaises étant largement représentées ; cela offre en outre la possibilité de plus en plus concrète pour les acheteurs de programmes de rencontrer les producteurs qui, eux-mêmes, y identifient un fort levier de promotion de leurs films. »

C’est donc bien l’émergence d’un cercle vertueux qui se consolide année après année. Guillaume Hellouin confirme : « C’est au MIFA que nous avons rencontré l’auteur de la bible graphique d’Angelo la débrouille, une série TV qui en est à sa troisième saison, sélectionnée aux Emmy Kids Awards. TeamTO a également profité de la dimension network pour tisser des liens avec Disney Channel, via son vice-président Orion Ross. »

Pour Lionel Fages, cofondateur de CUBE, le MIFA 2007 est à marquer d’une pierre blanche : « cette année, nous avons présenté le pilote en relief de la série Kaeloo en cérémonie d’ouverture du Festival. Nous avions déjà été approchés par les diffuseurs sur le projet mais, avec le MIFA, la perception que l’on avait de notre studio, exclusivement prestataire, a radicalement changé. CUBE était aussi un producteur. Le Marché est également l’occasion de croiser de nombreux étudiants en vue de les recruter. Certes, nous suivons toute l’année leurs parcours, en étroite collaboration avec les écoles, mais c’est un moment privilégié. »

 

Une cartographie temps réel de l’animation

Outre les États-Unis et le Canada, le MIFA est désormais la chambre d’écho des cinématographies d’animation émergentes. « Année après année, la Chine monte en puissance au MIFA et au Festival », confirme Mickael Marin. S’ajoutent à cela des territoires qui lui sont proches comme la Malaisie, Taiwan, l’Inde et, bien sûr, le Japon. « Le deuxième continent à s’être révélé au Marché est l’Amérique du Sud. Par exemple, le Brésil est désormais un pays avec lequel il faut compter dans le secteur de l’animation, ce qu’ont illustré Uma história de amor e fúria (« Rio 2096 »), de Luiz Bolognesi, en 2013, puis l’année suivante Le garçon et le monde (titre original : « O menino e o mundo »), de Alê Breu, tous deux récompensés du Cristal du Long-métrage. »

Avec une inflation du nombre de films soumis au festival et, de facto, d’accrédités au marché, des pays comme le Chili, la Colombie, le Mexique ou l’Argentine montrent que l’animation est désormais un secteur économique viable partout dans le monde. Encore en retrait du point de vue marché, le continent africain conquiert peu à peu sa place, sous l’impulsion de l’Afrique du Sud et plus particulièrement du studio Triggerfish basé à Cape Town. Ce dernier a, coup sur coup (hasards de la distribution), présenté deux films dans les salles françaises : Drôles d’oiseaux et Khumba.

C’est dans ce contexte de « mondialisation de l’animation » que le MIFA a créé Animation du Monde, un dispositif de pitchs et d’accompagnement de projets issus de territoires bénéficiant de moins de visibilité. « En 2015, outre l’Afrique du Sud, nous ouvrons ces sessions à des projets venus de la Géorgie, Madagascar ou encore l’Indonésie. L’idée est de leur apporter un soutien et de les accompagner afin qu’ils puissent, eux aussi, avoir la possibilité d’une carrière internationale », plaide le directeur du Marché.

 

Le MIFA face au digital

Loin de se reposer sur ses lauriers, le Marché continue, selon les termes de l’équipe de Citia, « de creuser le sillon, particulièrement côté télévision, encore plus qu’actuellement ». Une réflexion est menée tout au long de l’année pour attirer encore plus de concepts, novateurs, mais surtout d’acheteurs, distributeurs.

Patrick Eveno confirme : « Nous sommes encore loin de réunir tout le monde et nous travaillons à faire revenir les départements Télévision des gros studios anglo-saxons qui ne venaient jusqu’alors que pour présenter leur dernier long-métrage ». Autre manque pointé par l’organisation, l’Europe !

« Même sur le court-métrage, nous réfléchissons à fournir une meilleure visibilité à ces films qui sont d’une grande richesse tant dans leurs écritures que dans les techniques employées ».

Qui dit ouverture dit forcément nouvelles fenêtres de diffusion. Netflix, déjà présent en 2014, fera de nouveau le voyage jusqu’au bord du lac, tout comme Amazon. « Cette multiplicité des fenêtres de diffusion et, plus largement, l’émergence du digital dans l’animation, surtout versant diffusion, bousculent les schémas », explique Mickael Marin. « Il faut que ces bouleversements soient, aussi, intégrés par les diffuseurs traditionnels car de plus en plus, on voit des producteurs devenir diffuseurs de leurs propres contenus, à l’instar de Nickelodeon, qui sera présent sous une ombrelle commune avec le territoire de Vancouver et de la Colombie Britannique, ou encore Dreamworks TV ».

 

MIFA 2015 : un lieu d’annonces !

En cette édition anniversaire, plusieurs nouveaux rendez-vous on déboulé au MIFA. Et tout d’abord, deux keynotes d’exception puisque Genndy Tartakovsky (Hôtel Transylvanie 2) et Chris Meledandri se sont prêtés à l’exercice. Ce dernier, producteur à qui l’on doit, entre autres, les sagas L’âge de glace ou Moi, Moche et méchant, est également honoré par le nouveau Prix de la personnalité de l’année.

Les Share With, localisés à l’Impérial Palace, permettent aux producteurs de rencontrer les investisseurs nationaux et internationaux : Canal+, Arte, TF1, RTVE, Amazon et France Télévisions. 

Enfin, les rencontres Focus mettent en avant les cinématographies espagnoles – pays invité au Festival – mais aussi québécoises et mexicaines…

À noter également que plusieurs studios ont fait le déplacement pour annoncer leurs projets. C’est le cas de TeamTO qui présente Herohic, un programme court sur la face cachée des héros ainsi que Lazy Mike, plus photoréaliste. Il ne sera pas le seul…

En 30 ans, le Marché du film est devenu un acteur à part entière de l’économie de l’animation comme l’assène Patrick Eveno, directeur de Citia : « Le MIFA est un vrai marché d’acheteurs et de vendeurs d’envergure internationale ». Un constat, juste, mais tout en modestie. À l’image de l’événement…

 

 


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