Rencontres animation développement innovation (RADI), échanges d’expériences à Angoulême

« L’innovation est au cœur de nos métiers et permet de faire face aux exigences de productivité et de répondre au double défi des territoires dont la main d’œuvre est meilleur marché ou aux incitations fiscales plus attractives. » René Broca, qui organisait avec le pôle Image Magelis les 2e Rencontres animation développement innovation (RADI) - participation en hausse de plus de 20 %-, a tenu à rendre compte des choix techniques des studios visant à améliorer la productivité, le coût et la qualité. « L’accompagnement de notre filière a profité d’une refonte du Cosip et de nouveaux dispositifs de crédits d’impôts qui permettent une relocalisation des travaux. L’innovation est la garantie de sa pérennité. »*
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Moteur essentiel de cette innovation : la R&D. Peu de studios la remettent aujourd’hui en question. En invitant Studio Hari, Supamonks et Studio 100 Animation, les RADI soulignaient néanmoins la grande diversité des pratiques. Et pointaient le fait que les acteurs de cette R&D sont « passés par le pixel avant le code ». Un avantage qui peut s’avérer un inconvénient : certains studios n’hésitant pas à noter l’insuffisance de formation technique spécialisée en animation.

À l’origine de la série courte « Chouette » (52 fois 1 minute), Studio Hari, ouvert en 2006, a vu son volume de production augmenter rapidement, ainsi que ses effectifs répartis entre Paris et Angoulême. Confronté à cette mutation, le studio n’a pas pour autant remis en question son postulat : celui de ne produire et fabriquer que ses propres projets. La chaîne de fabrication basée sur Maya (avec Guerilla Render et Nuke) découle de ces impératifs et peut traiter la saison 2 de « Chouette & Cie » (78 fois 7 minutes) et la série « Grizzy et les lemmings » (78 fois 7 minutes). Deux autres séries 3D sont en cours de développement : « Pipas » et « Douglas » (52 fois 2 minutes) et « Hollywood Pedigree », une série incluant des prises de vues réelles.

Un grand nombre de passerelles et de plug-ins, pour traiter la gestion de foule et le rendu des poils, ont été développés en interne. « Aujourd’hui, nous stabilisons les outils et l’environnement de production via la mise en place d’un contrôle qualité, ainsi que des processus de validation technique semi-automatique tout au long de la fabrication 3D. Le fait d’accorder beaucoup d’importance au layout permet aussi d’anticiper les problèmes lors du passage à la 3D », précise Antoine Boellinger, directeur technique de la R&D. « Ces procédures de qualité concernent aussi le développement en séparant les différents environnements de travail (développeur, test). D’où la mise en place d’un outil de suivi de production logiciel s’appuyant sur l’outil de gestion Redmine. » L’équipe de R&D comprend actuellement six personnes pouvant se charger éventuellement de production.

Jeune studio créé il y a huit ans à Paris, Studio 100 Animation appartient au groupe Studio 100 (parcs d’attraction, chaînes de télévision…). Venant de l’animation 2D, le studio (série Maya l’Abeille) a dû élaborer tout son pipeline 3D (sur base Maya). « Celui-ci s’est construit au fil des productions avec l’objectif de fournir des images aux autres studios du groupe pour une exploitation en licensing, pour le web, la vidéo, etc. », remarque Quentin Auger.

Outre apprendre aux TD (technical director) à communiquer entre eux, le studio a développé en particulier des outils de contrôle d’échanges de données (comme le tatouage numérique de plans afin de les retrouver) et d’extraction sans perturber les productions en cours.

« Les productions du studio nous amènent à développer des outils dans différents champs qui seront ensuite réexploitables et viendront compléter notre pipeline. Nous avons appris aussi à élaborer des codes robustes et à les documenter. Les prochains développements porteront sur des méta-outils afin de mieux gérer les configurations en place. » Le directeur technique estime les gains de productivité induits par la R&D à plusieurs semaines/homme pour une série de 26 fois 26 minutes.

Aujourd’hui, Studio 100 Animation peut se flatter d’avoir un « vrai » département R&D (quatre personnes) à même de mener en parallèle la production de trois séries (« Maya saison 2 », « Nils Holgersson », « Arthur et les Minimoys » avec « EuropaCorp »), et pour 2017, celle de plusieurs longs métrages issus de séries.

Confronté comme les autres studios à des impératifs de productivité, Supamonks, qui a grandi rapidement (jusqu’à 70 personnes), a misé sur la R&D dès sa création en 2007. « En quatre ans, nous avons multiplié par quatre notre volume de production, par deux nos ressources humaines et par 2,5 notre chiffre d’affaires », note Damien Coureau, en charge du département R&D.

Comme chez Studio 100 Animation, celui-ci s’est orienté vers des « méta-développements » et fournit aux TD des programmes et des librairies en open source (Python, Alembic, USD [Universal Scene Description]), afin qu’ils soient en mesure de créer des outils à la demande des graphistes. « Nous avons opté pour cette séparation des tâches et la responsabilisation de l’encadrement technique. » Le studio, qui développe depuis deux ans le moteur de rendu VRAK (Vray Assembler Kit), annonce la mise à disposition des sources de Kabaret, son asset manager maison.

 

 

Temps réel, l’heure du choix

Très répandus dans l’industrie du jeu vidéo, les moteurs temps réel sont prêts à s’insérer dans le pipeline de l’animation. L’un des plus répandus (1,5 million d’utilisateurs actifs en 2016), le moteur de jeu multiplate-forme Unity a beaucoup évolué depuis sa création en 2005 et ses dernières avancées s’annoncent prometteuses.

Point faible du moteur jusqu’à présent, le rendu intègre ainsi (sous forme de plug-in en open source et bientôt d’outils intégrés dans la version 5.6) un shading et des post-traitements performants comme l’anti-aliasing temporel, l’éclairage volumétrique (dont l’aera light), le motion blur… Sans oublier le color grading, un outil identique à celui des plateaux de tournage.

L’ingénieur d’applications Mathieu Muller tenait, à ce propos, à souligner l’utilisation d’Unity en vidéo playback, comme outil de prévisualisation, voire de compositing. Le long-métrage hybride « Le Livre de la jungle » de Jon Favreau (Walt Disney Pictures) a recouru ainsi au moteur tout au long de sa production. En animation, la société Unity, qui a ouvert il y a un an un bureau de R&D à Paris, commence à afficher des références (« Mr Carton » de Tant Mieux Prod…).

Le choix du moteur temps réel pour toutes les étapes de la fabrication de la série (sauf le modeling et l’animation) n’a pas manqué d’impacter son budget (230 000 euros) et sa durée de production (6/8 mois) : « L’asset store d’Unity, qui comporte de nombreux assets (objets 2D/3D, particules, sons, scripts…) dont le séquenceur Flux (livré aujourd’hui en alpha, ndlr), a permis d’accélérer le temps de rendu. »

Sur le court-métrage « Adam » réalisé en interne qui repose sur la motion capture, l’équipe est allée plus loin encore en intégrant des fonctions de simulation physique via le plug-in Caronte FX de Real Flow. « L’idée est d’effectuer le maximum de tâches dans le moteur (lighting, rendering, compositing, FX et une partie de l’editing) : cela facilite les itérations du film », résume Mathieu Muller.

Concernant les exports, l’interfaçage (en open source) avec le format Alembic et, depuis le printemps 2016, avec le format USD (Universal Scene Description) de Pixar Disney constitue enfin un atout de poids. Plus rien ne s’oppose à ce qu’Unity, qui propose aujourd’hui gratuitement son moteur aux écoles, livre, d’ici deux à trois ans, son premier long métrage d’animation. Très attendu courant 2017, le court métrage d’animation de 16 minutes, « Sonder », réalisé par le collectif Soba, les auteurs de « Borrowed Time » (en lice pour les Oscars 2017).

Autre moteur temps réel, Unreal Engine commence également à se faire une place dans le pipeline des studios. Les RADI revenaient sur ce moteur développé en open source par Epic Games et que Cube Creative a testé pendant plus d’un an. « Au début, importer nos animations 3D dans Unreal n’était pas évident », reconnaît le directeur technique Bruno le Levier. « La qualité du rendu n’étant pas suffisante, il fallait exporter toutes les couches dans Nuke. »

Sur « Kaeloo » (saison 3), les essais se montrent plus encourageants. Pour augmenter néanmoins la qualité des images, l’équipe importe les techniques d’occlusion ambiante et d’illumination globale de Nvidia, ainsi que sa librairie OpenGL Next afin de traiter de la dynamique et des collisions.

Nouveaux tests sur les séries produites cette fois-ci par Autour de Minuit, « Jean-Michel, Super Caribou » et « No-No », réalisées sous Blender. Même en appliquant les techniques Nvidia, l’équipe constate que le moteur de jeu peine à obtenir le rendu de No-No. Sur « Jean-Michel, Super Caribou » par contre, l’image extraite directement d’Unreal se montre plus qualitative : « Le rendu non réaliste de cette série est plus approprié à Unreal », remarque le directeur technique. « Ces tests nous ont convaincus qu’il fallait partir directement du moteur temps réel et ne pas adapter une série d’animation réalisée sur Maya ou Max.

Alembic, en natif aujourd’hui sur Unreal, permet d’importer des objets complexes, mais cela reste assez lourd. » Plusieurs projets recourant à Unreal sont en cours chez Cube, qui vient d’utiliser avec succès le moteur temps réel pour la prévisualisation du film « Extraordinaires Voyages » du Futuroscope (avec le casque Oculus Rift), comme cette série web feuilletonnante (10 fois 10 minutes) à base de capture de mouvements ou cette nouvelle série cartoon (52 fois 11 minutes) de Rémy Chapotot. « Le recours à des assets du marché permet encore de baisser les coûts de production. Mais cela demande un temps d’adaptation. Le moteur temps réel représente certainement le futur des productions. »

 

 

Des logiciels encore plus intuitifs et efficaces

Développés pour la plupart par les studios eux-mêmes, les logiciels retenus par les RADI visent à améliorer les processus tout en libérant les graphistes des tâches fastidieuses. Toujours dans l’idée d’optimiser la chaîne de fabrication en matière de coût et de qualité, « Simone », initié par Blue Spirit Lab, permet de suivre en temps réel la fabrication des programmes du studio : « Nos outils de suivi doivent être performants : nous produisons 40 à 50 heures de programmes par an dans nos studios d’Angoulême et Montréal », précise Eric Jacquot. Utilisé depuis plusieurs années, « Simone » sera commercialisé au premier semestre 2017.

En parallèle, Blue Spirit Lab a mis au point des outils de suivi de distribution interne ainsi que de répartition de recettes (en cours) qui facilite l’écriture des contrats. « Le métier de producteur devenant très technique, nous développons des outils afin de gagner du temps. Notre outil de rendu automatique nous a ainsi permis, sur les dernières productions, d’avoir un bon rendement. »

Mis au point par Team TO (avec Mercenaries Engineering et Inria), Collodi, déjà introduit aux RADI 2015, repense l’animation 3D afin qu’elle devienne plus intuitive : « Nous avons listé des tâches voraces en temps comme le posing, etc., rappelle Jean-Baptiste Spieser. Avec Collodi , l’animateur manipule la marionnette au moyen de surfaces actives et non plus de contrôleurs. Nos rigs sont plus efficaces et se jouent en temps réel, les géométries des personnages se trouvant dans la mémoire de Collodi. » Utilisé sur la saison 4 de « Angelo la débrouille », Collodi est donné en test dans les écoles, et sa commercialisation annoncée pour courant 2017.

Alternative intuitive à la déformation de personnages, Implicit Skinning est une nouvelle technique d’animation proposée par Gaël Guennebaud (Labri-Inria) : la déformation s’opérant ici par contact et étirement de la peau à partir d’un maillage 3D et d’un skinning. Cette technique devrait être disponible sur les logiciels 3D du marché.

Automatiser et faciliter certaines étapes en animation (squelette et déformation faciale), telle est la vocation de l’outil créé par Eisko. Depuis l’automne 2016, la société spécialisée dans les doublures numériques propose ainsi une plate-forme de services à la demande. À partir d’un maillage de visage, l’outil génère les expressions faciales (150 expressions sous forme de blend shapes) adaptées à la morphologie du modèle. De même, son service en ligne d’animation de squelette à la demande (Rig on Demand) est compatible avec la motion capture, l’animation keyframe et le tracking vidéo. Les deux kits sont directement intégrables dans les pipelines d’animation.

Pour Les Films du Poisson rouge (Angoulême), le développement d’outils créatifs répond au besoin de se différencier sur un marché concurrentiel. Puissant moteur de rendu créé en 2012 par Anaël Seghezzi, M.O.E. (Mode of Expression) se charge ainsi d’appliquer, sur des zones prédéfinies de séquences 2D, 3D ou prises de vues réelles, des effets personnalisés de brosses et textures. Procédant par reconnaissance d’images, leur application se fait en automatique.

De même Houdoo permet des gains de temps appréciables en animation 2D en générant les intervalles d’animation entre deux images. Des références, dont les prochains films « The Boxer in the dark » coréalisé par Enki Bilal (production RnB ! Films) et « Charlotte de Bibo » (January Films), sont à mettre au compte de ces logiciels propriétaires. S’ils sont prêtés aux écoles, ceux-ci ne visent en aucun cas la commercialisation.

Une fois n’est pas coutume, les RADI tenaient aussi à mettre en avant un logiciel de dessin prometteur propre à intéresser le secteur. Développé par Bleank, Black Ink (sur Windows uniquement) est un logiciel d’art génératif et procédural à très haute résolution. À l’inverse de MOE, le logiciel n’entend pas reproduire les outils traditionnels (aquarelle, etc.) mais créer intuitivement des brosses procédurales originales au moyen de contrôleurs. La prochaine version permettra de programmer des effets pour ses propres brosses afin de mieux personnaliser encore ses productions.

 

 

*Article paru pour la première fois dans Mediakwest #20, p.94-96. Abonnez-vous à Mediakwest (5 nos/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur totalité.