Avez-vous profité de tout ce temps disponible pour apprendre certaines techniques audiovisuelles, approfondir vos connaissances dans un logiciel particulier, voire démarrer une formation complète dans un nouveau domaine ?
Le contact direct avec un enseignant peut paraître indispensable à la transmission de savoirs, mais cette période de distanciation sociale a montré plus que jamais qu’il pouvait exister d’autres manières de s’instruire et que celles-ci étaient sans doute amenées à se développer pour tous ceux qui souhaitent se former depuis chez eux, à leur propre rythme et souvent à moindre coût.
Voilà de longues années que les éditeurs de magazines et de livres produisent des méthodes pédagogiques pour s’initier ou se perfectionner dans divers domaines, depuis les « classroom in a book » des sociétés de logiciels à toute la collection d’ouvrages détaillant des techniques de prise de vue ou des méthodes de production proposées, entre autres, par les éditions Eyrolles. C’est aussi bien sûr la vocation de la rubrique « Académie » de ce magazine. L’apprentissage en solitaire à domicile n’est donc pas vraiment une nouveauté.
Il y a une vingtaine d’années, cette offre a été complétée par des formations proposées cette fois en vidéo pour tous ceux qui préfèrent regarder les manipulations plutôt qu’en lire une description, avec les tutoriels. À l’origine, il convenait d’acheter un support, cassette puis DVD, mais avec la généralisation d’Internet l’accès aux savoirs s’est trouvé grandement facilité et les possibilités se sont considérablement multipliées.
Dorénavant, YouTube regorge d’enseignants autoproclamés qui décrivent des techniques précises, parfois avec clarté, et les sites Internet de bon nombre de fabricants proposent leurs propres vidéos pédagogiques, à l’exemple de toutes celles proposées par Adobe dans leurs sites d’aide en ligne et accessibles directement depuis les applications. Pour des formations complètes sur un thème, il faut toutefois se tourner vers les éditeurs spécialisés, dont le nombre ne cesse de croître pour répondre à une demande grandissante du public. Qu’un réseau social majeur tel que LinkedIn ait racheté Lynda et Video2brain pour créer leur plate-forme « Learning » montre l’intérêt de ses membres pour ce type de formations qui touchent des domaines très variés.
Nicolas Chaunu est le directeur de Tuto.com, site qui fête ses onze ans et se félicite d’avoir déjà formé plus d’un million de personnes à distance. Pour garantir une certaine qualité aux utilisateurs la sélection des intervenants est assez drastique : « Nous allons nous assurer avant la mise en ligne d’un tutoriel que l’auteur est légitime sur le sujet, que sa pédagogie est bonne, et que les qualités techniques de la vidéo sont satisfaisantes. »
Pour aller plus loin, ils ont développé des apprentissages longs, qui regroupent un ensemble de tutoriels sur une thématique, à l’exemple du parcours professionnel « montage vidéo avec Premiere Pro ». Certifiantes, ces formations sont proposées par le Pôle Emploi à des chômeurs en reconversion professionnelle. « L’apprenant se forme 100 % en ligne chez lui, sur plusieurs mois. En plus des vidéos, il a accès à un mentor qui va l’accompagner de manière personnalisée vers la réussite de son parcours et il peut également échanger sur une communauté privée, ce qui permet d’humaniser les relations. Parfois, on peut se sentir un peu seul face à son ordinateur. »
Pour lui, la preuve a ainsi clairement été faite que sur les domaines du numérique il est possible de se former entièrement à distance. La période du confinement a d’ailleurs considérablement bénéficié aux plates-formes de tutoriels, qui ont vu leurs ventes bondir sur les semaines concernées.
D’une technique proche de celle des tutoriels mais avec une approche différente, les conférences en ligne ou webinars sont un autre moyen d’accéder à de la formation online. Il s’agit à nouveau d’un enseignement dispensé à une vaste audience par un instructeur s’adressant à une caméra. Cette fois, l’enjeu est moins d’acquérir une technique spécifique que de découvrir des notions et des méthodes. On est dans le modèle de la conférence universitaire et des masterclasses ; à l’image d’un étudiant qui lèverait la main dans un amphithéâtre, il est possible de questionner l’intervenant par le biais du chat et de son modérateur.
Franck Payen anime deux fois par semaine des conférences en direct et en ligne pour Adobe France, avec une fréquence devenue quotidienne pendant le confinement. Il s’agit de sessions avec des invités, artistes et/ou techniciens, dont l’enregistrement se fait habituellement dans les studios parisiens d’Adobe.
« Destinées à un public hétéroclite, il y est question autant de démarches créatrices que de techniques pures, pour que le public trouve de l’inspiration et des méthodes sur les logiciels. On n’est donc pas dans la formation didactique, mais plutôt dans un outil complémentaire qui vient enrichir notre vision de ce qu’il est possible de faire avec les applications du Creative Cloud. »
Les spectateurs posent des questions à l’intervenant via le chat, pour qu’on soit déjà plus dans un échange que dans un discours à sens unique. Dans un format court, une ou deux heures, c’est un outil qui vient apporter des idées sur un sujet déjà en partie maîtrisé par le spectateur.
Les formations en ligne sont tellement convaincantes que même le milieu universitaire s’y intéresse pour les cours magistraux. On peut ainsi depuis longtemps visionner de nombreuses conférences sur les sites des universités de toute la planète, certaines même gratuitement. En France, Sciences Po avait initié le mouvement il y a une quinzaine d’années déjà, pour désengorger ses amphithéâtres de la rue Saint-Guillaume, mais aussi pour proposer une expérience enrichie, tout en gardant les modules en petits effectifs et en salle de classe pour compléter l’apprentissage. À l’époque, bon nombre d’étudiants avaient protesté avant de prendre goût à cette pratique. Aujourd’hui, avec les mesures de distanciation sociale qui entrent en vigueur, il est question de développer ces méthodes d’apprentissage autant que possible.
CREA, à Genève, propose désormais une formation 100 % e-learning, une certification de marketing digital baptisée Learning 7, qui vient compléter celles en présentiel qui intègrent déjà beaucoup d’outils et de méthodes issus de l’enseignement à distance. Pour Frédéric Dumonal, responsable pédagogique, « le e-learning est habituellement un complément du présentiel pour rendre l’expérience de formation plus flexible et personnalisée, mais cette première expérience Learning 7 nous pousse à envisager de développer cette offre, qui apporte beaucoup aux apprenants. »
Ce type de formation est toutefois plus facile à mettre en place pour les enseignements théoriques que pour les ateliers pratiques, pour lesquels il faut inventer d’autres méthodes d’échange avec l’étudiant afin de le guider dans son apprentissage de manière individualisée.
Du fait de la longue période de confinement, les centres de formation destinés aux professionnels, qui accueillent généralement des groupes d’une petite dizaine de personnes dans leurs locaux ou interviennent directement dans les entreprises, ont eux aussi dû réfléchir aux moyens de continuer à assurer les enseignements sans contact physique entre instructeurs et stagiaires.
Parmi eux, 5 Formation et son créateur, Jimmy Pichard : « Ce qu’on aime c’est le contact et l’interaction, alors en distanciel on cherche de nouvelles méthodes pédagogiques pour rendre le cours le plus vivant possible car c’est souvent ce qui fait défaut dans la formation à distance. »
Les outils tels que GoToMeeting permettent de garder un contact visuel grâce aux webcams, d’afficher un tableau de prise de notes, de partager les écrans et de prendre la main sur l’ordinateur d’un stagiaire pour lui montrer une manipulation. « Cela fonctionne, mais demande d’être plus appliqué, de prendre plus de temps pour expliquer les notions. Il n’est pas vraiment envisageable d’avoir des groupes de plus de quatre personnes ni des sessions de plus de quelques heures. Au-delà on perd l’attention des stagiaires. »
Ces formules s’appliquent sans doute plus facilement à un apprentissage en one-to-one, avec un apprenant pour un formateur, qu’à un enseignement de groupe, pour peu que son budget lui permette d’opter pour cette relation privilégiée. À défaut de remplacer les cours en salle, c’est peut-être une occasion intéressante de développer de nouvelles méthodes pédagogiques, en faisant peut-être un moitié-moitié entre notions théoriques proposées à distance, complétées par des exercices à faire, et présentiel pour valider ce qui a été appris et apporter les réponses aux interrogations.
L’offre en matière de formation à distance s’élargit ainsi continuellement : livres, magazines, tutoriels, webinars, cursus universitaires, ateliers en petits groupes ou individuels… Libre à celui qui a la volonté d’apprendre de choisir dans cet éventail la méthode qui convient le mieux à ses besoins, ses capacités d’autonomie, son emploi du temps, sa situation géographique et bien sûr son budget.
C’est aussi une excellente opportunité pour les formateurs eux-mêmes d’essayer diverses techniques et de développer de nouvelles méthodes. Pour ma part, je trouve très enrichissant de multiplier ces expériences variées, car toutes se complètent. Le contact direct avec mes stagiaires, en présence ou à travers nos écrans, m’aide à prendre conscience de leurs besoins et à cerner ce qui leur pose problème, quand la formation « à sens unique », en écrivant articles et livres ou en enregistrant un tutoriel, m’aide à structurer mon enseignement et (j’espère) à gagner en clarté.
Cette évolution de la formation est donc une véritable chance, tant pour ceux qui souhaitent apprendre que pour ceux qui partagent leur savoir.
Article paru pour la première fois dans Moovee #4, p.26/28. Abonnez-vous à Moovee (6 numéros/an) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.