Les sociétés et les modes de vie se transforment à un rythme devenu vertigineux, suivant le ballet des inventions technologiques et des crises existentielles. La vidéo, qui occupe une place de plus en plus importante dans la vie des gens, est ainsi en constante évolution pour s’adapter à leurs nouvelles habitudes de consommation.
Ainsi, pour prendre la mesure de la place occupée désormais par le format vertical dans le monde de la production audiovisuelle, il faut évaluer celle de sa raison d’être principale : le téléphone portable. En deux décennies, cet appareil a envahi nos vies quotidiennes, puisque le temps moyen passé quotidiennement à son utilisation avoisine désormais les quatre heures (davantage en période de confinement), pendant lesquelles il est tenu verticalement 90 % du temps. Et qu’est-ce qui occupe l’essentiel de ce temps ? Regarder des vidéos, sur les plates-formes dédiées, les réseaux sociaux ou tous types de sites et d’applications. Les vidéos occupent désormais plus de 80 % du trafic global d’Internet et les deux tiers d’entre elles sont regardées sur un smartphone.
Il faut dire que depuis leurs débuts ceux-ci ont considérablement progressé : les écrans se sont agrandis et ont gagné en définition et en qualité. Du fait de leur coût relativement réduit et de leur facilité de connexion à Internet, ils ont atteint une population qui n’avait pas forcément accès aux ordinateurs, voire aux téléviseurs dans certains pays.
Là où des lignes de téléphone fixe et des antennes hertziennes n’avaient jamais été installées, des relais de réseau portable ont connecté les habitants des zones reculées au reste du monde. Il n’en fallait pas plus pour éveiller l’intérêt des marchands. Car, bien sûr, il ne faut pas être naïf : ce sont les intérêts financiers qui mènent les évolutions.
Il y a cinq ans (oui, une éternité !), il était possible d’évaluer la valeur monétaire de l’apparition du logo d’une marque dans un programme télévisé, en étudiant sa taille, sa lisibilité et la durée de l’image, mis en perspective avec le coût des spots publicitaires de la tranche de diffusion.
Aujourd’hui, on peut attribuer un montant à un post sur un réseau social en fonction du nombre de followers et surtout de leur taux d’engagement, à savoir les likes, les partages et les commentaires. Un post avec une vidéo génère douze fois plus de partages qu’un autre qui contient seulement de l’image et du texte.
Les utilisateurs passent 88 % plus de temps sur un site proposant de la vidéo et retiennent 95 % d’un message véhiculé par de la vidéo comparé à 10 % pour du texte. Ainsi, il n’est pas étonnant que 87 % du marketing en ligne soit basé sur du contenu vidéo et que l’essentiel de ces productions soit dans un format vertical.
L’affichage en milieu urbain s’est lui aussi mis à l’image animée, en remplaçant les supports papier des abribus et des métros par des écrans diffusant des vidéos de dix secondes, au contenu rapidement adaptable et ayant un fort impact sur les personnes passant à proximité, en reprenant le format vertical qui était celui des publicités imprimées.
Outre le marketing, le journalisme s’est aussi adapté au visionnage sur smartphone, car celui-ci est devenu la première source d’information. Dans la lignée des BuzzFeed et AJ+ à l’étranger, le média français Brut propose depuis 2016 du contenu 100 % vidéo, au format d’abord carré et maintenant 9/16e. Diffusé à l’origine exclusivement sur les réseaux sociaux et, depuis 2019, aussi sur leur propre application, Brut s’adresse à une audience jeune (70 % a moins de 35 ans) en utilisant les codes et les supports qui sont les leurs.
Les médias traditionnels aussi ont dû s’adapter et proposer du contenu spécifique via leurs applications et leurs réseaux sociaux. Ceux issus de la presse écrite ou de la radio ont créé des équipes chargées de produire du contenu pour le Web et les grandes chaînes télévisées ont décliné les sujets de leurs journaux dans les formats spécifiques au visionnage sur téléphone, mais aussi produit des vidéos pour leur usage exclusif. Les sujets sont traités de manières variées, avec du live et des reportages de durées très courtes ou plus longues, agrémentés de beaucoup de texte pour sous-titrer les discours et apporter l’information aux 85 % des internautes qui regardent les vidéos sans le son.
Ainsi la BBC diffuse bon nombre de reportages, dont le format s’adapte au support de diffusion : 4/5e s’il est visionné sur un téléphone pour laisser la place à leur profil et 9/16e s’il l’est sur un ordinateur ou une tablette, associé à la légende sur sa droite.
Le volume de vidéos mises en ligne en trente jours dépasse désormais ce que l’ensemble des médias américains a pu créer en trente ans ! Et comme on l’a vu, la majorité d’entre elles sont regardées sur un smartphone tenu verticalement. L’adaptation au format vertical est donc impérative.
Aujourd’hui, quand on discute avec un client, on ne lui propose plus la création d’une vidéo, mais un plan de production, avec diverses déclinaisons d’un film principal pour tous les supports de diffusion : plusieurs minutes en 16/9e pour leur site Internet, YouTube et Facebook, moins d’une minute en 4/5e pour Instagram, carrée pour Twitter et 9/16e pour les stories, TikTok, Snapchat et InstagramTV.
Certains contenus sont créés directement depuis un smartphone, en utilisant la caméra intégrée et les outils de traitement tels qu’Adobe Rush, LumaFusion, Videorama ou Kinemaster.
Pour tous les autres, conçus de manière « traditionnelle », c’est-à-dire avec au moins une caméra et un ordinateur, il faut adapter les workflows. Les capteurs des caméras sont au format 4/3e et la grande majorité d’entre elles enregistre dans des ratios 16/9e, que ce soit en HD, UHD ou plus.
Rien n’empêche de pivoter la caméra à 90° pour profiter de toute sa définition quand on sait que le projet final sera vertical. Toutefois, dans la majorité des cas, on tourne et monte dans un format horizontal que l’on décline dans un second temps dans divers ratios carrés et plus ou moins verticaux.
Pour cela, on ne peut pas se fier au formatage effectué à la mise en ligne sur les plates-formes de diffusion, car elles coupent simplement les bords, or le sujet ne se trouve pas forcément au centre du cadre. Il est donc nécessaire d’ajuster la position du sujet dans l’image, plan par plan et même à l’intérieur de chaque plan pour suivre les mouvements. Heureusement, c’est là que l’intelligence artificielle vient au secours du monteur.
Les outils de recadrage intelligents et automatiques se développent. Parmi eux, la technologie Slim de Snatch Studio, qui propose aussi des transcriptions et incrustations de sous-titres ainsi que la génération d’extraits pour des teasers, ou Auto ReZone de Wild Moka qui analyse en temps réel le contenu de flux vidéo pour les ajuster à des formats verticaux afin d’optimiser la diffusion de lives sur différents supports.
Les logiciels de montage ne sont pas en reste, puisqu’ils intègrent désormais des outils de recadrage automatique. Fred Rolland, responsable de la vidéo à l’international chez Adobe : « Nous sommes toujours à l’écoute des monteurs et des nouvelles tendances et réfléchissons à comment améliorer les expériences utilisateurs pour que les créatifs puissent se concentrer sur leur narration plutôt que de perdre leur énergie à faire des tâches répétitives pouvant être déléguées à un ordinateur. C’est du reverse engineering : Premiere Pro s’adapte aux besoins de l’utilisateur et non l’inverse. »
On peut désormais créer des timelines dans tous les formats et laisser le logiciel replacer le sujet dans le cadre de manière automatique, puis ajuster si besoin la position avec des points clés. L’habillage s’adapte lui aussi en responsive design aux différents ratios d’image, par sa taille, sa position et sa durée. Cela fonctionne extrêmement bien pour les plans dans lesquels un personnage est clairement identifiable, ce qui fait gagner un temps considérable en fin de processus de postproduction.
Bien que décrié à ses débuts, le format vertical a conquis le monde de la vidéo, du fait de l’hégémonie des smartphones qui ont pris une place considérable dans la vie des gens. Les outils ont suivi cette évolution et il est désormais possible de produire dans n’importe quel ratio, en exploitant l’intelligence artificielle pour adapter les contenus rapidement.
Plutôt que de s’insurger contre ce qui devient de plus en plus une norme, on peut repartir plusieurs siècles en arrière et observer les cadres qui étaient en vigueur dans les arts plastiques. L’essentiel des portraits n’ont-ils pas été peints sur des toiles verticales ? Il est vrai que de tels cadrages ne sont pas forcément les plus adaptés pour des paysages, mais ils prennent tout leur sens pour des interviews. En plus du ratio, c’est donc tout le contenu des vidéos destinées à être visionnées sur les petits écrans des téléphones qu’il faut repenser et c’est très bien, cela nous pousse à nous renouveler.
Petit rappel historique
L’image cinématographique était à l’origine au ratio 4/3, avant de s’élargir au milieu du XXe siècle dans divers formats plus ou moins panoramiques. La télévision, de ses débuts jusqu’aux années 2000 était elle aussi en 4/3, avant d’adopter la norme du 16/9e, qui est également celle des écrans d’ordinateur et des smartphones, pour peu que ces derniers soient tenus horizontalement.
Souvenez-vous, il n’y a ne serait-ce que cinq ans (une éternité !), ceux qui gardaient leur téléphone verticalement pour lire une vidéo se faisaient moquer, du fait qu’ils visionnaient une image très réduite dans un espace occupé essentiellement par des bandes noires. N’étaient-ils pas en fait des révolutionnaires ?
Article paru pour la première fois dans Moovee #6, p.38/41. Abonnez-vous à Moovee (6 numéros/an) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.