À bien regarder deux récents succès internationaux – l’un dans le long-métrage, l’autre dans la série – force est de constater que sans l’animation, ceux-ci auraient eu un destin tout autre. Le premier, Moi, moche et méchant 2, est une évidence : ce film d’animation produit par Universal mais intégralement conçu au sein du studio français Illumination MacGuff est LE carton de 2013 avec plus d’un milliard de dollars de recettes, le propulsant au premier rang du film le plus rentable de l’année ! Quant au second, la série Game of Thrones, produite et diffusée sur HBO, elle peut se targuer d’être la plus piratée au monde… Et les nombreux plans truqués de Pixomondo participent de ce succès planétaire.
Au-delà de ces deux exemples, l’animation est un secteur en pointe et les jeunes artistes français parmi les plus appréciés des grands studios. Pour parvenir à ce niveau de qualité, puis le maintenir, les écoles de cinéma d’animation ont développé de nouveaux cursus, diversifié leur approche, mutualisé leurs moyens. Et même créé un réseau.
Un secteur qui se structure
Lors des dernières Rencontres Animation Formation organisées par le Pôle Image Magelis, les chiffres fournis par Audiens montraient que la masse salariale, après une première phase de forte croissance entre 2004 et 2008, suivie d’une relative stabilité entre 2009 et 2012, connaissait une croissance importante en 2013. En France, le secteur représente 103 entreprises référencées pour 4 millions d’heures travaillées et 102 M€ de masse salariale brute. On dénombre 4 200 techniciens intermittents et 600 équivalents temps plein de salariés permanents. Il s’agit donc d’un secteur restreint mais qui voit ses effectifs augmenter régulièrement avec un taux de rotation de moins en moins important, signe d’une structuration du tissu économique.
Parmi les questions récurrentes qui ne manquent pas de survenir quand on parle d’offre de formation dans des domaines aussi cantonnés que l’animation, et du hiatus entre le nombre des nouveaux diplômés chaque année et les capacités d’absorption du secteur, plusieurs écoles répondent en soulignant les possibilités d’emploi dans des secteurs voisins et la pratique répandue d’une expatriation rapide, vers le Canada et le Royaume-Uni principalement ; également vers l’Australie, la Nouvelle Zélande, l’Inde, la Chine…
Les besoins des studios
Avant de « monter » une formation, les écoles se doivent d’être en contact direct avec les studios afin de mieux cerner leurs besoins, qualifier les profils et s’appuyer sur des pipelines de plus en plus exigeants.
« Depuis le développement des écoles d’animation, rappelle Renaud Jungmann, directeur pédagogique et directeur du développement numérique de LISAA, nous avons tous mis en place une approche de la 3D très ‘full anim’, façon Pixar ou Dreamworks. Le développement de l’image de synthèse s’est fait aussi car il répondait à celui mené en parallèle dans la postproduction. »
Généralement, les studios français s’accordent sur l’excellence des formations. Pour Guillaume Hellouin, cofondateur de Sparx puis de TeamTO, « nous avons des dizaines de bonnes écoles quand les autres pays n’en ont parfois qu’une de rang international. C’est ce qui soutient l’industrie et permet aux gros studios d’avoir des équipes de qualité. »
À la question de la spécialisation versus généraliste, le PDG de TeamTO précise que « la spécialisation est nécessaire mais pas uniquement. Il faut des compétences extrêmement transverses qui allient artistique et capacités managériales. Ce sont des profils rares qui se construisent avec l’expérience. »
Autre demande récurrente mais qu’on ne penserait pas encore d’actualité : les langues. « L’anglais reste le point faible des Français, déplore Guillaume Hellouin. C’est en voie d’amélioration mais si l’on veut travailler sur des projets et avec des équipes internationaux, c’est un point déterminant pour un certain nombre de postes notamment de chefs : chef modeling, compositing, directeur ou superviseur d’animation… Tous se doivent d’être bilingues pour pouvoir exprimer des points de vue subtils sous peine d’être source de malentendus et d’incompréhension mutuelles », deux écueils qui viennent à retarder un flux de production de plus en plus tendu.
Lionel Fages, du studio CUBE, a, de longue date, entretenu une relation étroite avec les écoles : « Nous sommes très présents en amont pour trouver de jeunes talents que nous accompagnons ensuite sur leur premier film en espérant ensuite les intégrer dans nos équipes de production ». Sur les besoins du studio spécialisé en séries TV, publicités et films en relief, CUBE se dit « ravi du niveau et de la qualité des formations dispensées, qu’il s’agisse d’ArtFX pour le matte-painting, compositing ou encore de Gobelins, Emile Cohl ».
Souvent pointé comme manquant aux cursus proposés, le storyboard est un point prégnant pour un studio comme CUBE. « Je suis ravi de voir qu’une école comme Gobelins ait mis en place une section spécialisée dans le domaine », constate Lionel Fages. Cette demande avait fait l’objet de nombreux débats lors des précédentes éditions des Rencontres Animation Formation depuis 2010.
Spécialiste ou généraliste ?
Sujet ô combien épineux pour les studios et, par conséquent, pour les écoles de formation qui sont tiraillées entre ces deux demandes, de prime abord antagonistes. « Je pense que la spécialisation des profils est une bonne chose en soi, estime Lionel Fages, même si celui-ci tempère ses propos en fonction de la taille des studios. Certains d’entre nous, de taille intermédiaire, sont très heureux d’avoir des profils généralistes qui peuvent aller d’un poste à un autre avec une réelle maîtrise de l’ensemble de la chaîne. Ensuite, il me semble que de gros studios, anglo-saxons notamment, ont besoin de spécialistes pour aller plus loin dans la création d’images ou de rendu très pointus. »
À l’ESMA de Montpellier, cette question est régulièrement évoquée. « C’est un paradoxe : avoir des profils généralistes aptes à maîtriser l’ensemble de la chaîne… mais avec une hyper spécialisation », explique Gérard Raucoules, responsable de la section animation de l’ESMA. « En fait, cela dépend un peu de l’ampleur des studios. Dans le cas de structures moyennes, le besoin de généralistes est majeur pour des raisons évidentes de taille des équipes. Sur les grands studios qui emploient plusieurs centaines de personnes, la tendance est au cloisonnement sur des tâches très précises, ce qui implique cette sur-spécialisation. »
Lionel Fages souligne l’initiative de Studio Bellecour qui demande à ses étudiants non pas un film de fin d’études mais « un concept de série complet, avec bibles littéraire et artistique et pilote. Cela permet aux élèves d’avoir une vision large de ce qu’ils vont embrasser ensuite et, aux studios qui vont les recruter, de ne pas perdre de talents au prétexte que leur film ne correspondrait pas à leurs attentes à l’instant T. En disposant d’un ensemble complet de réalisation, on prend mieux la mesure de ces créatifs dans leur globalité ».
En termes de recrutement, des studios comme TeamTO scrutent des profils… avant tout. Même si des temps d’adaptation s’avèrent nécessaires pour s’intégrer dans des méthodologies propres à chaque studio, ceux-ci admettent la mise en place en interne de modules de formation complémentaires… mais aussi une flexibilité nécessaire en amont, pour justement éviter de perdre trop de temps en adaptation.
Renaud Jungmann confirme : « Cela dépend à la fois des projets et des studios. Un gros studio comme Double Negative va demander des profils d’artistes sachant tout faire mais qui va peu à peu évoluer vers ce qui lui plait le plus… ou ce vers quoi il est le meilleur. En France, l’étudiant doit continuer à afficher une spécialité forte tout en consolidant durant son parcours les connaissances de l’ensemble de la chaîne de fabrication ».
L’avènement des VFX dans l’animation
Pour le directeur pédagogique de LISAA, cela fait « cinq ans que nous avons commencé à accueillir des studios anglais comme MPC, Double Negative à l’école avec une forte demande en VFX. Or, nous avions jusqu’alors une approche très généraliste de la 3D, pas de spécialisation dans le domaine comme l’a souhaité dès le départ Gilbert Kiner à ArtFX. De ces échanges sont nées d’autres pédagogies ».
« Les VFX sont devenus très importants dans l’animation, confirme Guillaume Hellouin. Ce qui était vécu comme accessoire est en passe de devenir primordial, dans le sens où le niveau d’exigence du rendu à l’écran monte avec des productions de plus en plus haut de gamme : fluides, fumigènes, explosions, etc. Ce qui était alors l’apanage des longs-métrages est désormais commun sur la série. » Et de citer, pour les pipelines de TeamTO, l’adjonction de logiciels aussi pointus que Nuke, RenderMan ou encore Houdini, dans le cadre de séries télévisées.
En novembre dernier, la question des VFX était même l’objet d’une table ronde aux RAF. « Il y a une différence entre travailler pour les VFX et travailler pour l’animation : il faut les mêmes talents créatifs dans l’un et l’autre secteur, mais les VFX exigent une solide base scientifique en ce qu’ils sont étroitement dépendants de la vue réelle et doivent être fidèles aux lois physiques. Il faut aussi avoir cette disposition psychologique à trouver des solutions aux problèmes rencontrés », soulignait-on alors. Il s’agit d’un marché en croissance puisqu’on estime que 250 000 personnes y travaillent dans le monde !
Pour répondre à cette demande, plus exigeante, Gilbert Kiner de ArtFX, évoquait : « Des formations dédiées sans doute, mais en comprenant que les VFX sont une approche particulière des métiers du cinéma d’animation. C’est la même culture de base, mais il faut s’adapter à des process particuliers liés à l’obligation de réalisme et de cohérence physique. En plus d’un tronc commun fondé sur l’étude de l’animation en 3D, il faut intégrer les moyens de la prise de vues réelles, de traitement de l’image, et une culture générale de l’image photoréaliste. Les process de travail en VFX ont beaucoup évolué en 15 ans : les compétences fusionnent et l’outil 3D intègre quasiment l’ensemble du process. Et demain ? On va certainement vers de nouvelles associations de compétences : décorateur photo infographiste, scénariste, game designer, storyboarder utilisant la previz… »
La R&D s’impose… doucement
Aux pipelines de plus en plus haut de gamme, répond le besoin de profils types en recherche et développement. « C’est l’une des composantes de notre méthodologie, explique Guillaume Hellouin. Pour chaque projet sur lequel nous travaillons, le studio assigne un développeur qui va créer des outils spécifiques à une production. Au niveau supérieur, nous avons une équipe de développeurs que je qualifie de transversaux, présents tout au long de l’année dans le studio pour répondre aux enjeux technologiques d’une production dont les répercussions se ressentiront sur l’ensemble des autres et pour les prochaines ». Ce qui pointe derrière cette approche R&D, au-delà de la seule préoccupation de l’image la plus léchée possible, c’est bien la notion de productivité qui demeure cruciale en animation. « Aujourd’hui, 50 % de nos investissements concernent la R&D et nous avons une équipe de 15 personnes dédiées. »
Même si l’animation demeure la clé de voûte de la pédagogie, s’adapter pour offrir des cursus en phase avec les besoins passe aussi par l’ouverture à de nouveaux logiciels et méthodes. Au LISAA, l’accent s’est porté depuis quelques années sur le photoréalisme, en écho aux sollicitations des studios britanniques, gros recruteurs actuellement. « On propose donc aux étudiants qui souhaitent aller dans cette voie, plus technique, de travailler sur le matte-painting, la rotoscopie, le matchmove… et ensuite sur l’animation ».
La capture de mouvements est également une voie de développement pour certaines écoles. « La mocap m’a toujours intéressée, admet Renaud Jungmann, mais pas pour en faire de l’animation, plutôt pour enregistrer un mouvement, une démarche ». L’école a donc mis sur pied dans un studio un plateau dédié avec une « philosophie qui se rapproche plus du filmage, à la prise de vues. Une caméra virtuelle certes, mais une notion de cadre dans un espace défini aussi. »
Et après ? La question mérite d’être posée. Car, une fois le diplôme en poche, bon nombre d’étudiants se retrouvent devant une réalité de l’emploi qui les déstabilise : tâches répétitives, peu de place à la liberté créatrice, etc. Pour Guillaume Hellouin, la réflexion à mener serait, en formation continue, « de mettre en place des compléments de formation après une dizaine d’années d’expérience pour former des chefs de département et chefs de projet ».
Le secteur de l’animation étant lui-même en pleine mutation – et dirait-on, croissance d’un point de vue économique – celui de la formation se doit d’évoluer. Loin d’une logique uniquement mercantile, les écoles, membres du RECA ou pas, semblent réellement faire cause commune avec les studios pour offrir un réel tremplin aux étudiants tout en consolidant le tissu économique. Cette dynamique vertueuse n’est pas si fréquente ; gageons qu’elle perdure.