Cartoon Movie 2020, au plus près de l’animation

Réunissant 850 professionnels du secteur, Cartoon Movie reste, envers et contre tout, un rendez-vous essentiel pour les producteurs et les acheteurs de films d’animation.
« Sirocco et le royaume des courants d’air » est le nouveau long-métrage animé de Sacrebleu Productions.Réalisation : Benoît Chieux. © Sacrebleu Productions

 

La crise du coronavirus n’aura pas eu raison de la 22e édition du Cartoon Movie qui a eu lieu au printemps dernier in extremis avant l’annonce de l’annulation de tous les grands rendez-vous internationaux. Avec seulement 10 % de moins de participants que l’an dernier, le forum des coproductions européennes a montré, plus que jamais, le bien-fondé de ces rencontres à l’heure où les financements de l’animation se réduisent (près de la moitié) et que la production déléguée devient de plus en plus hasardeuse.

La défection récente et inattendue d’un acteur phare de l’animation indépendante, Prima Linea (producteur nominé au Cartoon Tributes), a cependant rappelé la fragilité de la production indépendante, le score insuffisant (moins de 250 000 entrées pour un budget de 12 millions d’euros) de son dernier film, pourtant loué par la critique, La fameuse invasion des ours en Sicile de Lorenzo Mattotti, ayant entraîné sa liquidation judiciaire. « L’animation européenne existe et se montre très qualitative mais elle peine toujours à remplir les salles », constate Marc Vandeweyer, directeur général de Cartoon. « Elle pâtit de son manque de visibilité auprès du grand public, contrairement aux grosses productions américaines. »

Avec 66 nouveaux films et projets en lice (plus du tiers porté par des studios français en coproduction majoritaire ou minoritaire) au budget moyen inférieur à 7 millions d’euros, l’offre néanmoins ne faiblit pas, qui se concentre sans surprise autour des comédies familiales, même si, de l’avis de nombreux professionnels, l’édition 2020 comportait un peu moins de projets « signatures » qu’en 2019.

 

Adaptés d’albums

Avec pas moins de 21 adaptations de romans pour enfants, d’albums et de bandes dessinées, Cartoon Movie confirme que l’édition (française et internationale) constitue une valeur sûre pour lancer un film d’animation (surtout lorsqu’il s’agit d’un premier long-métrage), et que les éditeurs restent des partenaires très prisés par les producteurs. « Nous avons constaté aussi l’inverse cette année », précise cependant Annick Maes, directrice de Cartoon Movie et Cartoon Forum. « Les éditeurs européens (Mondadori Libri, Arcana, Salamandra Graphic, Editions Milan…) viennent au Cartoon Movie pour promouvoir leur catalogue, explorer les possibilités de partenariat mais aussi repérer des scenarii pouvant faire l’objet d’une édition papier… »

Deux monuments de la littérature jeunesse anglophone qui n’ont encore jamais fait l’objet d’adaptation, Molesworth de Geoffrey Willans et Ronald Searle et The Hermit and the Bear de John Yeoman et Quentin Blake, ont ainsi été approchés respectivement par Mélusine, un studio luxembourgeois mis à l’honneur cette année, et le jeune studio parisien Tant Mieux Prod (série En sortant de l’école). Des premiers films pour ces producteurs qui auront à rendre l’esprit des univers graphiques des livres.

« Sous des aspects humoristiques, les histoires de Molesworth, qui se déroulent dans un pensionnat anglais des années 50, sont un portrait de la société d’aujourd’hui avec son humour décapant, son côté trash, ses malversations… », note le producteur Stephan Roelants qui s’est adressé au réalisateur Uli Meyer, fondateur du studio Uli Meyer Animations (Grande Bretagne), pour adapter en 2D le trait de Ronald Searle. Quant à L’Ours et l’ermite, c’est Marine Blin (saison 1 En sortant de l’école), qui signera la réalisation de ce film estimé à 5 millions d’euros.

Côté français, c’est un désormais classique de la littérature jeunesse, Verte, écrit par Marie Desplechin et illustré par Magali le Huche (séries Non non, Jean-Michel le Caribou) qu’a choisi Folimage pour son sixième long-métrage. Mêlant sortilèges et rébellion (Verte, 11 ans, refuse de devenir une sorcière comme sa mère), la comédie, dont le scénario est signé par Jean Regnaud et la réalisation par Hélène Friren, sera également adaptée en 2D (budget 6,7 millions d’euros). À noter que l’album avait déjà fait l’objet d’un spécial de 26 minutes par Serge Elissalde (les Films de l’Arlequin).

Modèle d’adaptation réussie et qui perdure, les albums d’Yves Cotten (éditeur Beluga-Coop Breizh) qui relatent les odyssées de quatre sympathiques ruminantes réunies dans un quatuor à cornes. Vivement lundi !, qui en avait déjà tiré une série 2D HD Oh la vache (10 fois 3 minutes) puis deux spéciaux de 26 minutes (plus de 100 000 entrées pour le premier), leur propose, cette fois-ci, de sortir sur le grand écran. Les quatre vaches, qui ont toujours la bougeotte, se retrouvent propulsées dans un road movie écrit tout exprès pour elles. Invitées à Bollywood, elles découvrent que l’Inde n’est pas un pays de carte postale. Doté d’un budget de 2 millions d’euros et avec Arnaud Demuynck et Benjamin Botella à la réalisation, Le Quatuor à cornes, en route pour le pays des vaches sacrées sera le premier long-métrage initié par le studio rennais (avec les Belges de la Boîte, … Productions). Ce film familial en 2D HD est prévu pour novembre 2020 (distribution Cinéma Public Films).

Pour son premier long-métrage d’animation également, la Pan-Européenne a choisi pour sa part de s’appuyer sur les bandes dessinées Les Légendaires de Patrick Sobral (qui avaient déjà fait l’objet d’un dessin animé sur TF1) et d’y consacrer le budget conséquent de 20 millions d’euros (l’un des plus élevés du forum). Réalisé par Guillaume Ivernel (Ballerina, Chasseurs de dragons), Les Légendaires est un film ambitieux, « romanesque, spectaculaire et fun » d’après son scénariste Antoine Schoumsky, qui met en scène cinq Légendaires transformés en enfants suite à un enchantement, et chargés de sauver leur planète. Mélangeant les univers et les styles (du style punk à l’heroic fantasy), il sera fabriqué tout en 3D avec des décors photo-réalistes. Sa production réunit Belvision (Belgique) et Maybe Movies. « Nous avons rassemblé 50 % du budget », annonce déjà Léon Perahia, producteur chez Belvision (sortie pour 2023).

Tu nous Za pas Vus Productions (TNZPV) s’appuie, pour sa part, non seulement sur une édition (les livres illustrés de David Merveille) mais aussi sur une grande figure du cinéma français, Monsieur Hulot. « Merry Christmas, Monsieur Hulot s’adresse à un public d’enfants qui ne sont pas familiers avec l’univers de Jacques Tati », annonce le producteur Marc Rius. « Il nous faut donc moderniser le personnage tout en respectant les codes narratifs des albums et, bien sûr, l’univers burlesque du réalisateur. » Dans ce film sans dialogue (6 millions d’euros), Hulot sème encore un beau chaos en plantant un sapin de Noël au milieu d’un rond-point parisien. Empruntant la forme d’un conte de Noël, l’adaptation se fera en 3D (Blender et Guerilla), mais celle-ci sera traitée en aplats.

 

Ovnis, polars ou road movies : les comédies familiales séduisent

Scenarii originaux, production atypique : certains projets s’adressant à un public familial sortent indéniablement du lot. Fidèlement relaté par Cartoon Movie, Les voisins de mes voisins sont mes voisins produit par Lardux Films et Marmita Films et réalisé par Anne Laure Daffis et Léo Marchand fait certainement partie des projets les plus attirants de la sélection. Procédant de l’assemblage de deux courts-métrages existants (La Saint-Festin et La Vie sans truc), le film entrecroise les histoires de plusieurs habitants d’un immeuble (ogre édenté, magicien maladroit, randonneur coincé dans l’ascenseur, vieux monsieur, paire de jambes en fuite et, bien sûr, enfants délurés). De même, son univers graphique jubilatoire procède de collages d’éléments réels, de 2D et 3D, de popups… « Nous nous considérons comme des artisans et non des industriels du cinéma », précise le producteur Christian Pfohl.

Produit par la Station Animation (Sahara, Couleur de peau : miel) et porté par le tandem de choc Benoît Delépine et Frédéric Felder, L’Inspecteur Croquettes (en développement) se présente comme un polar animalier familial et « artisanal » lui aussi, et surtout comme un film d’auteur : « Nous sommes partis de nos animaux respectifs (un chien et un chat), d’un endroit que nous connaissons bien, Angoulême… », raconte Benoît Delépine. « Et de l’envie de réaliser beaucoup de choses par nous-mêmes à la manière de Laurent de Brunhoff lorsqu’il a créé le personnage de Babar. » Doté d’un budget de 7,5 millions d’euros, le film suivra une chaîne de fabrication 2D.

Pour introduire cette offre familiale et dense, Cartoon Movie l’a judicieusement accompagnée de films inspirants présentés en sneak preview (15 minutes de diffusion) : La Traversée de Florence Miailhe et Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary de Rémi Chayé, des projets suivis par le forum tout au long de leur production. Dans la même veine épique mais déclinée sur un mode fantastique, Sirocco et le royaume des courants d’air produit par Sacrebleu Productions et réalisé par Benoît Chieux (coréalisateur de Tante Hilda ! avec Jacques-Rémy Girerd) narre les aventures de deux sœurs qui tombent, telle Alice, dans leur roman préféré, dans le royaume des vents. Arrivées au pays du terrible Sirocco, elles se retrouvent aussitôt transformées en chats. « Le vent et tous les phénomènes atmosphériques qui l’accompagnent se prêtent très bien à l’animation », souligne Alain Gagnol (Phantom Boy, Une vie de chat) qui a écrit le scénario du film. Estimé à 6 millions d’euros (distribution par Haut et Court), le film en 2D devrait être précédé d’un livre et suivi d’une série.

Dans un tout autre contexte et époque, L’Inventeur entraîne à la suite de Léonard de Vinci qui n’hésite pas à traverser les Alpes pour rejoindre François 1er avec les plans d’une ville idéale. Présentée par Foliascope qui intervient comme producteur exécutif pour l’américain Leo and King, cette comédie familiale prévue pour la 3D et la stop motion (budgétée à 8 millions d’euros) sera réalisée par Jim Capobianco : un animateur et réalisateur qui s’est illustré chez Pixar (Toy Story 2, Vice-versa, Ratatouille…) et auteur du court-métrage Leonardo. À suivre donc cette coproduction franco-américaine qui pourrait constituer une première dans l’histoire de la coproduction transatlantique.

Familiers des univers extrêmes, les producteurs de TAT Productions (Les As de la jungle, Terra Willy, planète inconnue) ont choisi quant à eux, pour leur troisième long-métrage, un voyage dans le temps à la suite de Pil, une orpheline survivant dans une cité médiévale, qui va changer d’identité et sauver le fils du roi. Réalisé par Julien Fournet, Les Aventures de Pil (budget de 10 millions d’euros), comme les autres productions de TAT (Toulouse), sera entièrement réalisé en 3D et en interne.

 

La Traversée en tête de pont

Biopics, polars, drames post-apocalypse, films musicaux sur fond de crise des réfugiés (l’Ile d’Anca Damian) et autres histoires de migrations et de secrets de famille… L’offre en films ado-adultes (plus de 20 %), magnifiquement introduite par La Traversée de Florence Miailhe (production Les Films de l’Arlequin), devance désormais celle pour enfants (de l’ordre de 15 %) et se partage entre la France, la Belgique et l’Espagne qui a doublé en un an sa participation au Cartoon Movie en nombre de pitchs (9 Productions). Ces projets, qui revendiquent parfois le titre de films de « cinéma tout court », misent pour la plupart, eux aussi, sur des romans graphiques connus, des biographies, voire procèdent d’approches documentaires.

L’un des projets le plus marquant est celui initié par Fernando Trueba Producciones (Espagne) et Film Constellation (Royaume-Uni). Mi-fiction mi-documentaire, Ils ont tiré sur le pianiste (They shot the Piano Player) est inspiré d’un fait divers : la disparition mystérieuse du plus grand pianiste brésilien de bossa nova, Tenorio Jr. Réalisé par Javier Mariscal et Fernando Trueba, qui se retrouvent après Chico & Rita (nominé aux Oscars), le film est une plongée en Amérique latine dans les années 60/70, un peu avant la montée de la dictature. Mené comme une enquête et ponctué d’interviews de musiciens ayant réellement croisé le pianiste (João Gilberto, Caetano Veloso…), le film module l’animation (2D/3D) en fonction du contexte : « Ce long métrage est basé sur un important travail documentaire (160 interviews) dans lequel nous avons injecté un peu de fiction (le journaliste qui enquête) », décrit Fernando Trueba. « Le style des animations tient compte des époques et des ambiances, de très colorées et sensuelles pour dépeindre les années 60, jusqu’au monochrome lorsque surgit la dictature. » Au Cartoon, le film au budget d’environ 5 millions d’euros recherchait des partenaires européens.

Autre biopic abordé sous la forme d’une enquête, The Black Swallow, réalisé par Louis J. Gore et produit par Luna Productions (France). S’inspirant d’une biographie, le film (3,5 millions d’euros) revient sur la vie d’Eugène Bullard, premier pilote afro-américain héros de la guerre 14-18, engagé dans l’armée française, puis devenu espion pour finir liftier à New York. Porté par Need Productions (Belgique) et Les Films d’Ici, Melvile, résulte également d’une adaptation en 2D des romans graphiques de Romain Renard publiés par Le Lombard. Pour cette transposition animée très attendue, de nouveaux personnages enrichissent la fiction comme ce narrateur qui revient, après 25 ans d’absence, à Melvile, une petite ville à la veille d’être engloutie par la construction d’un barrage. « Le film rendu en 2D et 3D balaie plusieurs époques qui seront traitées différemment : le retour de Paul à Melvile, les flash-back, l’histoire de la ville maudite racontée sous la forme d’une pièce de théâtre... », remarque le producteur Sébastien Onomo (Funan).

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #36, p. 110-116. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.