Dans les coulisses du tournage de “The Forgiven” de Roland Joffé

Le long-métrage The Forgiven est un « projet de cœur », comme l’explique son réalisateur Roland Joffé... 
« L’histoire se déroule en Afrique du Sud à la fin de l’Apartheid. À une époque où Nelson Mandela et l’archevêque Desmond Tutu créent une commission nommée TRC - Truth and Reconciliation. Forest Whitaker joue Desmond Tutu et Eric Bana incarne le rôle d’un policier tueur... Mais je n’en dirai pas plus, il faut voir le film », nous enjoint le réalisateur !
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Roland Joffé a sollicité le chef opérateur ASC William Wages pour produire les images de son film et les deux hommes, sur la même longueur d’onde, ont choisi d’utiliser une caméra Panasonic Varicam LT. « Il s’agissait de ma deuxième collaboration avec William, nous avions déjà travaillé ensemble, l’année dernière, sur la série TV Sun Records. À cette occasion, nous avions déjà utilisé cette caméra que j’apprécie beaucoup pour sa vitesse d’installation et sa possibilité de travailler en basse lumière… », explique Roland Joffé qui confie même : « The Forgiven ne serait pas le même film s’il n’avait pas été tourné avec cette caméra ! »

Avec son chef opérateur, il nous livre l’approche de travail qui les motive et revient sur la genèse de ce film admirable tourné en 24 jours, avec un budget relativement modeste.

 

Un film tourné au steadicam avec des zooms !


90 % des prises de vues du long-métrage ont été réalisées au steadicam avec une seule caméra.
 « J’ai voulu tout faire avec le steadicam. Il nous fallait donc une caméra compacte et des objectifs légers car une seule et unique personne devait cadrer 12 heures par jour… », explique Roland Joffé. « Seule la séquence du procès a été tournée avec deux caméras sur pied… Et quelques séquences ont aussi été tournées au GH4 », complète-t-il, et William Wages d’ajouter : « Le tournage était très dense et chaque jour apportait un nouveau défi… À l’identique de ce que j’ai vécu lorsque je tournais des documentaires, tout gain de temps était important et la flexibilité de la Varicam LT, couplée à l’utilisation de zooms Fujinon, s’est avérée très appréciable… » Le film entier a, en effet, été tourné avec des zooms Fujinon Cabrio 19-90 mm et 85-300 mm. « Avec des optiques fixes, on perd à chaque fois trois minutes pour changer l’optique ce qui, en plus, casse la dynamique de tournage. À la fin de la journée, c’est facilement une heure de volée à la réalisation. Avec nos optiques 85-300 mm et 19-90 mm, qui ouvrent à T2.9, nous avons gagné du temps, mais nous ne les avons jamais utilisées en mode zoom. En phase de test, nous n’avons pas repéré de différence de piqué par rapport à des Prime et ces optiques ont en plus l’avantage d’être très petites… », complète le chef opérateur qui mentionne aussi que ses images ont été tournées avec une ouverture de T2.9, même en extérieur lorsque cela était possible.

 

Une histoire de relations privilégiées entre le réalisateur et son équipe


« Avec la configuration steadicam, je travaille comme un chorégraphe pour construire l’image ! Quand je dirige les comédiens, au moment où je pense leurs mouvements, je donne aussi des indications de cadre… Les acteurs vont par là, alors il faut que tu les suives derrière et après tu peux les retrouver dans l’image par devant… Nous communiquons très vite avec des signes… Parfois les comédiens ne savent même plus où se trouve la caméra ! Pour un plan travelling, les comédiens ont leurs marques, connaissent leur position finale et ont une relation avec le mouvement de la caméra très rigide, ce qui asphyxie l’émotion… Alors que lorsque l’on travaille ainsi, l’acteur peut totalement oublier la caméra… C’est le même principe que le jazz ! », explique Roland Joffé.

Le choix de William Wages en tant que chef opérateur s’est imposé de soi pour le réalisateur. « William peut créer une lumière avec un morceau de papier et une allumette, et comme il est très doué, nous pouvons travailler très vite et aller à l’essentiel avec les comédiens… »

 

Un tournage dans une véritable prison


Une grande partie du film se déroule dans un centre de détention. Roland Joffé aurait très bien pu choisir de tourner les séquences en studio, mais il a opté pour un décor réel : « J’ai décidé de travailler avec la vérité et j’ai entrepris de trouver une véritable prison. À l’intérieur, le son, l’architecture et même les couleurs développent une atmosphère et une énergie que nous n’aurions jamais pu recréer dans un décor. Nous avons en plus travaillé avec une trentaine d’anciens prisonniers qui ne sont pas comédiens », souligne le réalisateur.

Sa décision a eu un impact sur la façon d’aborder le projet. Une dizaine de jours de répétitions dans les lieux ont été planifiés avant d’entamer le tournage et l’équipe a dû adopter une configuration technique minimaliste.

« Il fallait s’équiper légèrement, notamment parce qu’à l’entrée tout est contrôlé. Nous étions les premières personnes autorisées à tourner dans cette prison !
 Heureusement, la sensibilité de la Varicam et son rendu à 5 000 ISO offre un très grand confort de travail pour les tournages en intérieur. Les plus puissantes lumières que j’ai utilisées étaient quatre Arri M18 re. J’ai aussi utilisé des HMI que je développe moi-même et surtout des petites lumières Led très performantes… Si nous avions envisagé de déployer des câbles, nous aurions dû tirer des lignes sur cinq kilomètres ! J’ai donc pris toutes les batteries que je pouvais et nous nous branchions parfois çà et là sur les quelques prises murales de la prison… Les batteries étaient donc très importantes ! Le principe d’éclairage sur batterie nous a en plus permis de gagner deux à trois heures d’installation par jour. Nous avons pu ainsi tourner environ deux plans supplémentaires par jour, ce qui a représenté un grand confort par rapport à l’économie dans laquelle nous nous inscrivions ! » explique William Wages, qui a éclairé tous ses plans par réflexion.

 

Une validation de l’étalonnage en mode délocalisé


« Sur le tournage, nous n’avions pas de DIT sur le plateau, mais un monitoring très fiable ; le moniteur était réglé pour un rendu en mode Rec. 709 et les images témoins étaient conformes à 100 % avec celles de la caméra.

Pour l’étalonnage, nous avons notamment légèrement diminué la saturation de l’image. L’étalonnage est très important pour moi : le matériel filmique est une étape et cette phase représente l’aboutissement ultime ! La postproduction, tout comme le tournage, s’est déroulée en Afrique du Sud ; je n’ai pas pu le suivre de près car le budget de la production ne le permettait pas. En revanche, pendant les week-ends du tournage, j’ai passé du temps avec le coloriste pour corriger et étalonner quelques plans qui ont servi de repères de look et de style.

En phase de postproduction, le labo m’envoyait des plans retouchés que je regardais sur ma tablette et je retournais mes commentaires. J’ai ainsi écrit des pages de notes et si cette façon de procéder n’est pas idéale, elle fonctionne toutefois très bien ! Roland Joffé, qui était resté en Afrique du Sud, pouvait aussi aller voir les images sur site et tout s’est très bien passé !… » conclut William Wages.

 

The Forgiven

• Budget > à 3 millions de dollars


• Tourné en 4:2:2 10 bits avec enregistrement dans la caméra


• Durée du tournage : 24 jours


• Tournage et postproduction en Afrique du Sud

• Sorti aux États-Unis le 9 mars (pas encore de distributeur pour la France)

 

Trois raisons déterminantes dans le choix de la Varicam LT

« Nous avons choisi cette caméra pour trois raisons très simples : sa taille et sa souplesse d’utilisation dans une configuration couplée avec le zoom Fujinon apportent un confort de travail sans précédent. L’autre atout de cette caméra, c’est sa latitude d’exposition : donnée pour 14 stops, celle-ci est plutôt de 15,5 à 16 stops sur le terrain, en tout cas, de la façon dont je l’utilise, c’est-à-dire de façon empirique sans avoir les yeux rivés au vectorscope.

Enfin, sa sensibilité de 5 000 ISO, combinée au HDR, a changé complètement ma façon de travailler », explique William Wages avant de compléter : « Même avec un budget deux fois supérieur, j’utiliserais aujourd’hui la même caméra et la même configuration ! »

 

Filmographie sélective de Roland Joffé

Roland Joffé a commencé sa carrière sur de nombreuses séries pour la télévision. Il connait le succès avec son premier long-métrage La déchirure  (1984) puis Mission  (1986), Les maîtres de l’ombre  (1989), La cité de la joie  (1992), Vatel (2000)…

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #26, p. 58-59Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.

 

** Retrouvez également Roland Joffé et William Wages dans les interviews qu’ils nous ont accordé pour notre Web TV…

 

Le film sortira en France le 9 Janvier prochain sous le titre Forgiven – Distribution : SAJE Distribution