Dossier : S’affranchir des distances en production et postproduction

La téléportation vous a toujours fait rêver ? Vous y pensez chaque matin, dans le métro ou dans les bouchons, pendant que vous vous rendez dans la société de production ou de postproduction pour laquelle vous allez monter ou étalonner un film ?
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Malheureusement, je ne viens pas vous annoncer qu’un chercheur a enfin trouvé la solution pour vous rendre à l’autre bout de la ville, ou de la planète, d’un simple claquement de doigts. Désolée… Cependant, il est de moins en moins nécessaire de nous déplacer nous-même puisque, désormais, ce sont les vidéos qui viennent à nous ! Qu’il s’agisse de flux de caméras pour la réalisation d’un live ou de rushes à traiter en postproduction, il n’est plus nécessaire d’être sur le lieu géographique du media pour pouvoir travailler. Après la transition cassette vers le tout fichier, on assiste aujourd’hui à la révolution du fichier distant !

 

Différents acteurs œuvrent dans ce sens : fournisseurs ou même accélérateurs de bande passante, éditeurs de logiciels de postproduction, fabricants de serveurs… La relative démocratisation de la fibre noire, associée aux bandes passantes grandissantes, fait que l’évolution actuelle va dans le sens d’une libération des contraintes géographiques. Les gains potentiels sont énormes, qu’ils soient en temps de transport, et donc en heures de travail gagnées, ou purement économiques : pourquoi payer très cher un logement en ville si on peut vivre à la campagne, mais surtout pourquoi envoyer des équipes techniques considérables sur un événement quand on peut récupérer les flux des caméras directement dans la régie de nos studios ?

 

TF1 a fait ce choix pour la dernière Coupe du Monde de Football. Pour limiter le nombre de techniciens déplacés au Brésil, la réalisation des matchs et des programmes autour des matchs a été faite directement à Boulogne, dans les locaux de la chaîne.

Pour offrir aux spectateurs une retransmission d’excellente qualité malgré l’éloignement, TF1 a acheté des services spécifiques à HBS : le multi-feed package de caméras isolées pour bénéficier de gros plans sur certains joueurs ou un coach par exemple, mais aussi du Two Cams Kit package (nouveauté HBS) qui permet de privatiser les signaux de deux caméras dès la veille du match, avec les circuits de coordination associés. Ainsi, sans équipe technique aux abords du stade, la chaîne a pu avoir l’équivalent de deux caméras en duplex se déplaçant au bord du terrain, dans les gradins, etc., pour lesquelles seuls les cadreurs et rédacteurs ont été envoyés sur place. Sur la quarantaine de signaux fournis au total par HBS pour chaque match, dix circulaient dans les tuyaux entre l’International Broadcast Centre installé à Rio et TF1 Boulogne, dont six canaux déterminés à l’avance et quatre commutables pendant le direct depuis Rio en suivant les ordres du réalisateur en France.

Dans un souci de qualité, de sécurité et de réactivité, le choix du JPEG2000 à 140Mbit/s s’est imposé par rapport au MP4 pour l’encodage des vidéos. Toute la Coupe du Monde étant capturée à soixante images par seconde, des convertisseurs de formats haut de gamme ont été utilisés en amont pour s’adapter aux normes européennes. Des accélérateurs de bande passante ont été nécessaires, notamment pour les datas : système de partage d’information et circuits de coordination naviguant dans les deux sens.

Ces choix techniques ont permis de gagner plusieurs secondes de délai par rapport au concurrent BeIN Sport, tout en offrant une excellente qualité d’image.

Toute l’équipe de TF1 se félicite de cette expérience très concluante. Yves Bouillon, le Responsable Technique des Productions Extérieures, remarque que cette nouvelle façon de travailler, avec des équipes plus réduites mais soudées, a été très enrichissante : « Le travail préparatoire a été très fin, nécessitant une grande rigueur et une organisation de tous les acteurs, notamment du côté de l’éditorial, pour anticiper tous les besoins et fournir un conducteur qui soit limpide pour tous, en sachant qu’il n’y aurait pas de car régie sur place pour faire le tampon en cas de souci. Une seule régie centralisée a même permis de gagner en efficacité, car les informations circulaient plus rapidement ».

Les motivations qui poussent à faire ce choix ne sont donc pas seulement économiques.

 

Cette méthode de Remote Production est récente, mais a déjà été utilisée à plusieurs reprises. Lors des derniers Jeux Olympiques de Sotchi, France Télévisions avait elle aussi fait le choix d’acheter des flux de caméras pour faire la réalisation à Paris plutôt que de déplacer ses équipes en Russie.

Pour le tournoi de tennis BNP Paribas Masters, EuroMedia a envoyé les signaux des caméras directement au siège de la FFT, pour qu’ils puissent visualiser les différents angles, en plus d’un car-régie traditionnel situé à proximité de la compétition pour une réalisation « classique ».

 

La société EVS travaille dans ce sens, avec son produit C-Cast Xplore : plus besoin de déplacer les équipes techniques sur les lieux de l’action, ce système donne aux opérateurs caméra, monteurs et réalisateurs un accès à distance aux serveurs EVS via une simple application internet, pour visualiser les différentes caméras et transférer les images (en proxy) pendant le live pour les monter, en multicam, pour une première diffusion sur le web…

 

Les bénéfices pour la captation d’événements sportifs sont donc immenses, mais il en est de même pour la postproduction.

Du fait de l’émergence du tout numérique, les médias à traiter sont de plus en plus nombreux et dans des formats qui ne cessent de progresser et de gagner en volume, qui sont par conséquent plus complexes à transférer et à manipuler. Cependant, le contenu doit être livré de plus en plus vite et sur des plateformes multiples.

Heureusement les réseaux informatiques évoluent eux aussi, ainsi que la puissance des périphériques, qu’il s’agisse des ordinateurs fixes ou portables mais également des tablettes ou smartphones, qui font petit à petit leur entrée dans les flux de production. Les différents acteurs de la postproduction s’appuient sur ces progrès matériels et sur les nouvelles perspectives offertes par le Cloud pour créer des workflows qui simplifient grandement le travail des utilisateurs.

Non seulement le créatif n’a plus besoin de se trouver près des médias sur lesquels il travaille, mais il n’est plus nécessaire qu’il possède un ordinateur surpuissant puisqu’il peut utiliser les ressources de la machine à laquelle il accède !

 

Adobe a ainsi développé Anywhere, une plateforme de travail collaboratif pour la création de contenus audio/vidéo, dont l’idée est simple : regrouper différents métiers autour de la création d’un contenu, quels que soient l’endroit où on se trouve et le terminal utilisé (ordinateurs, smartphones ou tablettes). La plateforme gère en transparence les fichiers vidéos à travers les réseaux informatiques standards, pour que l’utilisateur se concentre uniquement sur son métier.

À ce jour, Anywhere regroupe Premiere Pro, Prelude et After Effects autour d’une Production commune, qui pointe vers les mêmes médias en dynamic streaming, sans création de proxies. Il ne s’agit pas d’une solution externalisée dans le Cloud car les fichiers sont sur un stockage centralisé chez le client. On connecte au serveur le Hub de collaboration qui coordonne les accès utilisateurs, ainsi que des serveurs Adobe Mercury Streaming Engine, qui assurent la lecture des flux vidéo dans leur résolution et format natifs et le compositing en temps réel. L’innovation réside ici dans la capacité à assurer tous les calculs par les serveurs sans utiliser de fichier bas-débit. Grâce à cette solution, il n’est pas nécessaire d’avoir des stations de travail surpuissantes et on peut même envisager de lire une séquence de montage 4K sur une tablette !

 

Avid propose de son côté le système Everywhere, axé sur la connexion des créatifs et des entreprises de médias avec leur public pour plus d’efficacité, de collaboration et de rentabilité. Basé sur la nouvelle plateforme Media Central, Avid a réorganisé ses produits matériels et logiciels et présente de nouvelles solutions sous la forme de trois suites (Artist, Media, Storage) avec des options cloud ou physique sur site ainsi que des licences d’abonnement, flottantes ou permanentes, pour permettre d’inclure ponctuellement un freelance éloigné à un projet collaboratif, pour une utilisation optimale des talents quel que soit leur emplacement géographique !

Ainsi Media Composer Cloud permet aux monteurs de se connecter aux systèmes Interplay à distance, pour accéder aux médias (en proxy) et à leurs assets, les modifier et travailler avec des collaborateurs distants comme s’ils se trouvaient dans la même pièce.

 

Assimilate a créé ScratchLab, une suite d’applications de postproduction. Associée à ses outils de collaboration comme Project Repository, elle permet d’impliquer dans un projet commun des utilisateurs délocalisés, freelances par exemple, ayant les médias sur leur disque dur mais le projet dans le cloud. Au lieu de perdre du temps en échange de fichiers, les projets sont à la fois en local et sur un stockage en ligne auquel accèdent les différents acteurs, avec un système de versionning, pour un travail partagé plus sûr.

De même, la solution d’étalonnage de BlackMagic Da Vinci Resolve propose désormais avec sa version 11 un outil de montage, mais surtout des workflows innovants. La postproduction peut commencer dès le tournage en étalonnant en temps réel les images de la caméra, avec Resolve Live. Mais surtout, plusieurs monteurs et coloristes peuvent travailler simultanément sur la même timeline, qu’ils soient dans les mêmes locaux ou à divers endroits du globe, grâce à une simple connexion internet, en basculant entre séquences originales et proxies. Le gain de temps est ainsi considérable.

Les workflows de travail collaboratif à distance se développent donc, et les acteurs qui font évoluer ces méthodes de production et postproduction sont nombreux.

Parmi eux la société Aspera, citée précédemment, offre avec Drive une solution de partage et de synchronisation de médias très volumineux. Elle permet des transferts ultra-rapides et sécurisés de fichiers depuis l’ordinateur client, directement dans l’explorateur ou le finder, via des serveurs virtuels et/ou physiques.

De même, Signiant Sky Drop est un accélérateur de bande passante pour transfert de gros fichiers dans le cloud. Il réduit la latence entre le réseau de l’entreprise dans lequel sont stockés les médias et le stockage dans le cloud, en utilisant des processus d’écriture de données en parallèle. Cela permet d’aller jusqu’à deux cents fois plus vite qu’avec un transfert internet standard. Il est accessible via une petite application installée sur les ordinateurs clients.

Citons aussi XChange, une application qui permet d’accéder au contenu des serveurs Fork Production depuis n’importe où, mêlant des workflows sur terrain et dans le cloud, pour des tâches de visionnage, de montage ou d’archivage. Elle est compatible avec les navigateurs supportant le HTML5 pour pouvoir l’utiliser depuis tout ordinateur ou iPad. C’est une plateforme de téléchargement des médias, ou de portions de médias pour aller plus vite, dans différentes résolutions. On peut ainsi travailler en local ou même faire un bout-à-bout dans XChange, qu’on enverrait sur le serveur Fork pour ensuite terminer le travail au bureau. Le service propose aussi des moteurs d’encodage et des fermes de calculs extérieurs.

Autre système, Elemental a présenté au dernier NAB une application de Live-to-VOD dans un workflow broadcast en utilisant HEVC comme format de contribution pour réduire la bande passante. Celle-ci s’adapte au contenu de la source, avec un débit variable, au moment de la captation et de l’envoi dans le cloud, mais aussi à la demande (nombre de spectateurs) pour la diffusion. 

L’évolution actuelle tend donc vers un affranchissement des contraintes géographiques grâce aux technologies liées au cloud et à l’accélération des transferts de fichiers volumineux vers des lieux très éloignés. Il est désormais possible de se rallier à un projet entamé de l’autre côté du globe et d’effectuer un travail réellement collaboratif avec les autres acteurs du projet, dans un workflow très rapide et enrichissant.