Au cœur d’un jardin, et plus exactement de trois jardins, hors du bruit et hors du temps, David François Moreau avec la collaboration de CTM Solutions, a ciselé une œuvre d’art, qui désormais ouvre ses portes pour tous les projets audiovisuels. Entretien à deux voix, David François Moreau, maître des lieux et artiste aux multiples facettes, et Jean-Christophe Perney, directeur du business development de CTM Solutions.
Nous sommes au cœur de Paris, dans un lieu exceptionnel classé monument historique. C’est ici que vous avez ouvert, il y a une quinzaine d’années, un studio d’enregistrement. Racontez-nous sa genèse.
David François Moreau : On sent l’histoire dans chacune des pierres de cet endroit si bien abrité. C’était une caserne à la fin du XVIIIe siècle. J’ai eu un coup de foudre pour ce lieu. Regardez, il y a une mésange sur le noisetier. C’est profondément inspirant. Hors du temps. Je travaille comme compositeur pour le cinéma, la danse contemporaine, le théâtre, la chanson, l’art vidéo, le dessin animé. C’est Catherine Deneuve qui a inauguré le studio. Elle était venue enregistrer une chanson pour Le Héros de la famille, film dont j’ai composé la musique.
Au fur et à mesure de la venue de musiciens, réalisateurs, producteurs et ingénieurs, le bruit a couru dans le métier qu’il existait, dans le Ve arrondissement, en plein Quartier latin, un studio à dimension très intime, dans lequel on se sentait bien, « comme à la maison ». J’ai commencé à recevoir des appels pour des productions qui n’avaient rien à voir avec mes propres projets. À tel point qu’un ingénieur, Jean-Baptiste Brunhes, a commencé à y venir travailler régulièrement. C’est ici qu’il a mixé de nombreuses musiques de film (Mustang, Gauguin). Pour ce qui est de la chanson, Christophe Miossec a mixé ici pendant cinq semaines durant lesquelles il ne cessait de répéter : « C’est fou cet endroit, on se sent comme chez soi et à la fois cela sonne super bien, c’est beau ». De même, Pierre Lapointe a enregistré et mixé ici (et à Montréal) l’un de ses disques. Idem pour Cali et Patrick Bruel dont l’album Très souvent je pense à vous, réalisé en hommage à Barbara, s’est fait intégralement au studio.
On peut tenir ici à quatre ou six personnes. Nous sommes tous tenus de nous écouter mutuellement. Pas question de tourner sa page de journal quand un comédien pratique son art !
Vous avez instauré une certaine discipline…
D. F. M. : Plus qu’une discipline, un respect, une circulation. Comédiens, musiciens, réalisateurs, producteurs travaillent dans le même espace. Notre univers à nous est « chambriste », nous sommes comme un quatuor à cordes, en interrelation. De ce studio sont sorties des bandes son bardées de prix aussi bien au Québec qu’en France ou aux César. Ces musiques ont beaucoup touché le public, peut-être aussi parce que réalisées sous des auspices particuliers…
Nous sommes dans un îlot…
D. F. M. : Je ne saurais pas mieux l’énoncer. Chacun s’accorde à dire que ce lieu a une âme. On s’y sent bien, on n’a pas envie de partir. Les arbres, le soleil rasant au matin, le Quartier latin et ses étudiants y sont aussi pour quelque chose !
Difficile d’imaginer que, derrière ces hauts murs, se cachent une telle cour, de tels jardins, et qui plus est un tel studio. Une triple belle surprise !
D. F. M. : La pièce originale était grande pour un tel endroit, avec ses 4,50 m de hauteur sous plafond et 35 m2 de surface. Elle a été volontairement réduite pour l’insonorisation. Nous avons fait ici des prises de batterie à minuit !
C’est rare de travailler le son à la lumière du jour, avec les saisons qui défilent derrière les grandes fenêtres. On prend son temps. On prend son café au pied du noisetier. Les oiseaux sont juste là. Le quartier Mouffetard que tout le monde connaît est hyper vivant, joyeux. Mais quand on entre ici, c’est le calme absolu. Nous nous trouvons dans un monde intérieur, ouvert sur l’extérieur.
L’idée est-elle de faire « en plus de » ou « à la place de » ?
D. F. M. : Ça sera une question d’opportunités. Le projet de la refonte de ce studio est né il y a plus d’un an. Il faut du temps, des corrections et de la passion pour parvenir exactement à ce bijou exceptionnel, faire de ce lieu un vrai outil de postproduction audiovisuelle sonore.
Comment vous y êtes-vous pris ?
D. F. M. : Je travaille de manière très étroite avec Franck Marchal, du Comptoir du son, que vous avez déjà interviewé [NDLR, paru dans Mediakwest #17 et à lire ici en ligne]. J’avais aussi pour allié de choc Alexandre Poirier, très pointu dans tous les outils de la postproduction. Franck m’a dit : « Ce lieu est fantastique, profites-en pour l’ouvrir à la postproduction sonore européenne. La plupart des équipes son seraient folles de joie de travailler dans un lieu comme celui-là. » Il est vrai que leurs périodes de travail sont souvent longues, que ce soit pour du montage son, du premix ou du mix.
Pourquoi avoir fait appel à CTM Solutions ?
D. F. M. : Le même Franck Marchal m’a conseillé de m’adresser à CTM qui s’était occupé de l’installation de ses studios. J’ai rencontré l’équipe CTM pilotée par Jean-Christophe Perney. Il était important de bien réfléchir aux objectifs, à la destination du lieu pour bien affiner. Nos outils sont à la pointe de ce qui se fait (Avid Pro tools S1 ; Avid Pro tools Dock ; Pro tools HDX ; Mac Pro dernière génération, Interface et préampli micro RedNet Focusrite Pro ; réseau Dante…)
L’installation a dû vous prendre du temps…
D. F. M. : Pour parvenir à ce bel objet, nous avons pris notre temps. Nous avons fait appel aux équipes de CTM Solutions en collaboration avec Serge Glanzberg de Studio Dealers (« la montagne brillante » !), un vrai artiste du son. Il a donné à cette pièce de l’air. J’ai voulu juxtaposer la technologie actuelle avec quelques outils analogiques, le résultat est étonnant. Nous avons procédé à une série de tests préliminaires afin de nous assurer que l’outil était bel et bien prêt. Ce temps était indispensable à notre réflexion et à notre exigence.
Jean-Christophe Perney : Sur le plan équipements, nous sommes sur une technologie de Focusrite avec des Red Pre, des interfaces qui intègrent une carte son compatible Protools, pouvant travailler en digilink avec le HDX qui est ici et nos préamplis micros. Le Comptoir du Son, mais aussi bien d’autres studios, ont eux aussi opté pour ces interfaces Avid Focusrite. Elles offrent des polyvalences plutôt orientées musique, un peu comme Antelope dans le même giron. Cela a permis de répondre aux besoins à la fois une seule interface polyvalente. Le Dante permet de pouvoir la mettre où on veut, on a pu la décaler avec la télécommande en remaillant les câbles RJ 45. Et puis on a toujours une couleur de son grâce au préampli. On a conservé, je crois, dans l’installation certains équipements mais peu, à l’exception notable de la « réverb » Sony. Je crois savoir que David n’a pas gardé les préamplis Studer.
D. F. M. : Nous avions une Studer 961, un très joli outil provenant de Radio France. Quand on m’a parlé du travail des préamplis AlSo d’Olivier Bolling, Olivier m’en a déposé un et dit : « Essaie». Évidemment, c’est toujours le piège ! On les a adoptés !
Allez-vous pouvoir accepter tous types de projets
D. F. M. : Oui, avec une bonne gestion du planning. Je sais qu’en cas de rush, nous pourrons compter sur un réseau de studios. Je pense qu’il y a des gens qui vont vouloir se baser ici, qui vont s’attacher au lieu, mais ce sera intéressant pour eux de savoir que nous avons un backup dans le XVIIe arrondissement. Il pourra arriver que des productions démarrent ici et se terminent au Comptoir du Son par exemple, ou bien l’inverse.
Avez-vous des contraintes, en termes d’horaires, de travail le week-end ?
D. F. M. : Je dirais que la règle, c’est qu’il n’y a pas de règle ! Il en a toujours été ainsi ici. J’ai cherché un côté plug et play. Chaque cas est un cas particulier qui sera accueilli comme tel.
Quelques détails Jean-Christophe, sur les technologies employées ?
J.-C. P. : Sur un projet de ce type très personnalisé, dans un lieu atypique et dans un budget contraint, il faut obligatoirement associer de multiples innovations et technologies afin de garantir la polyvalence en terme d’exploitation du lieu et garantir aussi son évolutivité. Sur ce studio, nous avons utilisé plusieurs technologies : le protocole de commande Eucon afin de piloter l’ensemble des équipements Avid en réseau ; le protocole de transport Audio sur IP Dante, maintenant commun à beaucoup d’équipements, devenu presqu’un véritable standard. On peut faire ainsi passer de multiples canaux audio via une simple connexion réseau, le tout géré par un switch commutateur Dell sur cette installation. On a pu ainsi recâbler le studio en fonction des nouveaux besoins exprimés par David assez simplement.
De plus ce protocole permet à de nombreux constructeurs de pouvoir collaborer ou cohabiter ensemble afin de participer à la réussite commune d’une intégration. C’est le cas de cette installation avec son système Avid Pro Tools HDX qui fonctionne remarquablement bien avec les interfaces audio RedNet de la marque Focusrite Pro en utilisant ainsi à la fois ces capacités d’E/S Audio mais surtout ces huit préamplis micro spécifiques à la Red 8-PRE. Qui a dit que Avid n’était pas ouvert aux tierces parties… En plus on peut affecter grâce au réseau Dante simplement les différents appareils avec des configurations spécifiques d’exploitation que l’on peut mémoriser pour les rappeler le moment utile.
L’autre avantage de cette installation est qu’on bénéficie aussi de toute la force de développement de Avid Protools qui a voulu mettre à disposition des créatifs de nombreuses possibilités offertes grâce au Pro Tools | Control. Disponible gratuitement sous iOS (et Android), il est installé sur tablette iPad au studio qui permet de piloter l’ensemble des commandes de transport et d’accéder à différents modes d’automatisation. Il permet aussi, en termes d’affichage, un rapide aperçu du mix en cours, pour visualiser non seulement le nom et le numéro de la piste, mais aussi l’enregistrement, l’état mute et solo. En outre, chaque piste peut disposer aussi d’un indicateur de niveau. Via la tablette iPad on peut préparer des configurations, des presets, ce qui fait qu’à un moment ou à un autre, on va pouvoir adapter le studio en appuyant sur le bouton comme par magie.
Pour la petite histoire, la nouvelle télécommande RedNet-R1 nouveau contrôleur de moniteur Dante de Focusrite Pro permettant la configuration de sortie des différents moniteurs de mono à Surround mais aussi le déport des interfaces Audio à distance pour éviter le bruit, est arrivée juste à temps pour l’ouverture du nouveau Studio des Trois Jardins. Cette télécommande est le fruit d’un travail collaboratif avec Focusrite Pro et CTM Solutions pour répondre aux besoins des clients. Le nouveau Studio des Trois Jardins est d’ailleurs le premier en France équipé de cette télécommande. C’est un lieu particulier où se côtoient le dernier Mac Pro et l’ancienne Reverb Sony DRE S777 que nous avons intégrée et « Dantifiée » pour l’occasion à l’aide d’un petit convertisseur Audinate. Bref, un véritable laboratoire d’idées et d’expériences…
« Un bijou de technologie dans un lieu compact », diriez-vous ?
J.-C. P. : Quand David évoquait en début d’entretien la longueur des travaux, c’est aussi parce que lui-même a évolué dans ses choix et ses configurations. Nous nous sommes régulièrement déplacés, pour nous adapter en collaboration avec nos partenaires technologiques au fur et à mesure des nouveaux besoins exprimés par David. Le contrôle du studio, le confort d’écoute, l’ergonomie du poste de travail conçu sur mesure avec nos amis de Keoda à partir de la série des mobiliers « Dagon » ; la rencontre et la collaboration avec Serge Glanzberg de Studio Dealers pour travailler sur l’acoustique du lieu… Ce qui me plaît dans mon métier est la rencontre avec les autres autour d’un projet, chacun apportant ses compétences et son envie… Le studio est très évolutif, il est pensé pour maintenant et pour demain. Il pourrait passer très facilement en Home Atmos par exemple…
Ce qu’on a connu, ce qu’on connaît encore avec la situation sanitaire, en particulier le travail en présence ou à distance, est-il selon vous amené à se prolonger au-delà de la crise actuelle ?
D. F. M. : Aujourd’hui un tel outil nous permet de travailler en présentiel et en distanciel (Source Connect) mais rien ne remplacera l’humain et l’âme de ce lieu.
Pour revenir à la postproduction audiovisuelle, pensez-vous ouvrir ce studio au long-métrage ou plus simplement au documentaire, à l’animation ?
D. F. M. : Ce sera en fonction des projets. Cet endroit est multiforme. La technologie n’est plus une affaire d’ingénieur. C’est une histoire d’envie. Avez-vous envie de venir au Studio des Trois Jardins ?
Article paru pour la première fois dans Mediakwest #41, p. 72-75. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.