Assurément, dans la hiérarchie des chaînes, des services, des sociétés de production et autres salons professionnels, le fameux plafond de verre qui limite l’accession des femmes aux postes de responsabilités demeure épais. Pour autant, certaines sont parvenues à le briser. La preuve avec Paule Revelle, ancien bras droit de Charles Biétry et premier administrateur du service des sports de Canal +, Anne-Sophie de Kristoffy, qui succéda, en février 2008, à Charles Villeneuve à la tête de celui de TF1, ou Lise Cosimi-Breant, directrice de la Broadcast Academy* et seule femme à siéger au sein du comité exécutif d’Infront Sports & Media, l’agence suisse de marketing sportif propriétaire de Host Broadcast Services (HBS), l’opérateur hôte de la Coupe du monde de la Fifa.
La preuve, aussi, avec Barbara Slater, ancienne gymnaste de haut niveau, nommée en février 2009 à la tête du service des sports de la BBC, après avoir parcouru une carrière de vingt-sept ans à la « Beeb », Sophie Jordan, numéro deux de beIN Sports France, ou Amparo Di Fede, directrice générale et cheville ouvrière du Sportel de Monaco, la convention internationale annuelle du sport business et des médias. De même, la présentation des magazines, le casting au bord des pelouses et des pistes ou près des grilles de départ de la formule 1, sinon le négoce des droits sportifs, ont parfois de nos jours des allures de gynécée.
Cependant, à côté de cette représentation plus affirmée des femmes à l’écran, sinon dans les salons professionnels et les sphères du pouvoir cathodique, jugée au demeurant cosmétique par certains pour autant que celle-ci résulte parfois des impulsions données par la loi (respect de quotas), qu’en est-il de leur situation dans les professions techniques et artistiques en lien avec l’industrie du sport télévisé ?
Peu de femmes sur les postes techniques…
Selon la Ficam, 30 % de femmes travaillent dans le secteur de l’audiovisuel, tous postes confondus. Bien qu’il n’existe pas de statistiques sexuées se rapportant aux seuls métiers du sport télévisé, il n’est pas douteux que les femmes y sont, dans l’ensemble, largement sous-représentées. Et ce alors que leur part dans la population française est de 52 %, dans la population active de 47 % et que le public de la télévision est majoritairement féminin. Pour s’en convaincre, « il n’y a qu’à regarder autour des cars quand toute l’équipe se regroupe avant la prise d’antenne », abonde une intermittente. « Il est extrêmement fréquent qu’on se retrouve seule au milieu de trente ou quarante hommes », décrypte l’une de ses collègues.
Du côté des prestataires, « nos efforts de féminisation, notamment dès l’entrée des salariés en contrat d’alternance, ont peu d’effet », admet-on chez AMP Visual TV. Même son de cloche chez Euro Media, qui compte 190 salariés permanents dont 39 femmes. « Les fonctions techniques, qui représentent une large proportion de nos effectifs, sont majoritairement masculines.
Néanmoins, nous portons une attention particulière à l’embauche de femmes. » Ainsi, sur neuf postes d’assistant d’exploitation, deux femmes ont été recrutées depuis août 2017.
Minoritaires à l’embauche, les femmes sont également à la traîne, côté formation. Par exemple, chez le premier, seulement 26 % du personnel féminin permanent a suivi un parcours de ce type. Et parmi les 48 % de salariés « techniques » ayant été formés, les femmes ne pèsent que 5 %.
En réalité, leur situation cache des disparités plus ou moins fortes selon les filières et les métiers. « Leur présence est anecdotique dans les professions purement techniques, un peu plus affirmée dans les métiers artistiques (cadreur, opérateur ralenti…), mais toujours largement minoritaire par rapport à la gent masculine », résume l’une des parties prenantes. Ainsi, les métiers de monteur, opérateur synthé ou encore assistant son se déclinent davantage au féminin que les professions techniques dites « de terrain » et celles du numérique, notamment. Le régime du travail en est parfois la cause. En dépit de son allègement, sinon de sa miniaturisation, « le matériel reste lourd à porter, notamment en vidéo, et nous devons assumer aussi bien que les hommes », pointe l’une d’entre elles.
Très peu féminisée également la transmission satellite sur SNG. « Curieusement, car la profession ne réclame que des compétences techniques, assimilables aussi facilement par un homme que par une femme », observe une pionnière.
Sans doute les stéréotypes de genre, qui ont la vie dure, ne sont-ils pas étrangers à cette situation, dans un milieu technique audiovisuel où la sphère du masculin et celle du féminin restent plus ou moins étanches. Ainsi, « dans le métier de scripte, qui est essentiel pour aider le réalisateur à suivre son conducteur, je ne connais que des femmes », illustre une habituée des tournages de Ligue 1.
… et dans les emplois intermittents
D’autre part, les mutations technologiques, tel le passage au numérique, n’ont pas abouti à une plus grande mixité des profils. « Au départ, le digital a attiré plus de femmes. Mais aujourd’hui, ce sont de nouveau les hommes qui sont candidats aux postes que nous proposons », signale Lise Cosimi-Breant (HBS), dont le face-à-face avec Muriel de Lathouwer, CEO d’EVS, sur les questions liées à l’égalité des genres dans l’industrie de la radiodiffusion, lors du dernier IBC d’Amsterdam, a enflammé les réseaux professionnels. Si, en France, l’équipe permanente de l’opérateur hôte de la Coupe du monde de la Fifa a atteint un statut de parité (55 hommes et 55 femmes au 1er janvier 2018), ses personnels en période d’événement, intermittents pour la plupart, traduisent le même déséquilibre numérique entre les genres. En 2010, en Afrique du Sud, HBS avait ainsi salarié 2 725 hommes et 517 femmes, soit un taux de 16 %. Et en 2014, au Brésil, 2 882 hommes et 570 femmes (17 %). Cette année, pour le Mondial en Russie, la société dirigée par Francis Tellier annonce, à l’heure où nous bouclons, le recrutement de 3 091 pax dont 432 femmes (14 %).
Assurément, les emplois intermittents sont moins féminisés que les emplois permanents. Ainsi, chez AMP Visual TV, où le sport concentre 75 % de l’activité vidéomobile, « 13 % des intermittents du spectacle avec qui nous travaillons sont des femmes ». Alors que leur part dans la population de l’entreprise dirigée par Gilles Sallé est supérieure à 21 %, soit 107 femmes sur 492 salariés présents au 31 décembre 2017.
De son côté, Euro Media a employé 562 intermittents, dont 44 femmes, à l’occasion des quelque 700 tournages de sport que le prestataire a réalisés en 2017.
En revanche, côté salaires, ceux-ci se rejoignent, du moins sur les postes techniques et artistiques. Ainsi, pour une pige de 8 heures, un opérateur LSM ou un cadreur, quel qu’il soit, touche 228,48 €. Ainsi encore, chez AMP Visual TV, une technicienne d’exploitation AV comptant deux à trois ans d’ancienneté perçoit un salaire brut mensuel de 2 184 €, contre 2 163 € en moyenne pour un homme.
Une femme aux commandes d’un Grand Prix
Côté réalisation, Solange Peter, d’abord au pupitre de « Sports Dimanche », l’émission culte des années de la RTF et de l’ORTF, puis à celui de « Télé-Foot », fut une pionnière. « En sport, c’est notre mère à tous. Moi, j’ai appris une partie de mon métier avec elle », admire François-Charles Bideaux, ancien réalisateur, récemment promu au poste de co-CEO d’Euro Media Group, après avoir dirigé la production du pôle sport de Canal +. Depuis, pour des émissions de plateaux, d’autres, comme Isabelle Dupuis, ont emprunté la voie de leur aînée.
Mais diriger d’une manière presque militaire plusieurs dizaines de personnes sur une prestation extérieure requiert une autorité que l’on prête davantage aux hommes qu’aux femmes. Du coup, côté régie, on est assurément plus dans les graves que dans les aigus. Surtout quand prospèrent en coulisse des histoires comme celle de cette réalisatrice colombienne qui, officiant sur une épreuve de VTT lors des JO de Pékin en 2008, avait perdu ses nerfs et abandonné les manettes à son truquiste.
En France, elles ne sont qu’une poignée à s’être adonnées à cet exercice au fil du temps, comme Renée Père-Champagne (tennis, gymnastique, patinage artistique, basket-ball…), Natacha Fitoussi (football, boxe, volley-ball, hippisme…) ou encore Françoise Boulain. Laquelle a notamment été aux manettes de Roland-Garros et a fait école… en Belgique.
« Françoise était une réalisatrice de renom, qui m’a inspirée », confie ainsi Cécile Gonfroid. Passée à la réalisation en 1987 après avoir débuté à la RTBF comme assistante trois ans plus tôt, cette dernière a enchaîné une vingtaine de matches des « Diables rouges » (l’équipe nationale belge) et plusieurs rencontres à domicile d’Anderlecht en Ligue des champions de football. Réalisatrice jusqu’en 1995, sa carrière atteint son apex en 1993. Cette année-là, à la tête de trente-deux caméras et d’une équipe de plus de 150 personnes, elle devient la première femme à orchestrer la mise en images d’un Grand Prix de formule 1, disputé en l’occurrence sur le circuit de Spa-Francorchamps. « Le journaliste de TF1 était visiblement très inquiet quand il a découvert qu’on avait confié les clés de la réalisation du signal international à une femme », sourit aujourd’hui celle qui, depuis 2009, occupe le poste de directrice générale des Technologies à la RTBF. « À la fin de la course, rassuré par ma prestation, il attendait patiemment derrière la porte du car-régie pour me féliciter. »
Pour le sport comme pour d’autres spectacles vivants, existe-t-il une manière de réaliser spécifique aux femmes ? « Globalement, non. Peut-être qu’une femme insistera davantage sur les émotions, en privilégiant notamment les gros plans, et réalisera avec plus de finesse et de sensibilité. » Raphaël Gaborieau, qui a notamment participé à quatre Coupes du monde de la Fifa, est, lui, convaincu de la forte valeur ajoutée qu’apportent les femmes dans les professions artistiques : « Quand j’étais assistant-réalisateur, responsable des ralentis, il était très important pour moi d’avoir un maximum de femmes, car elles m’apportaient un regard différent sur une séquence, la beauté d’un geste, etc. et repéraient des choses qui échappaient parfois à leurs homologues masculins », explique celui qui est aujourd’hui réalisateur freelance.
De même, son confrère Daniel Costerg ne tarit pas d’éloges sur le savoir-faire d’une femme (Christine Fayot) derrière la caméra. « Pour moi, c’était de loin la meilleure “loupiste”. Sur un départ de 100 mètres, par exemple, elle zoomait sur le visage d’un coureur et, au fur et à mesure que celui-ci progressait dans son couloir, elle ne perdait jamais le point », rapporte le réalisateur, qui l’a souvent choisie sur l’athlétisme, le ski, le tennis…
De nos jours, cependant, « la disparition des postes de cadreurs au profit d’assistants-cadreurs peut fragiliser les femmes, préposées le plus souvent aux caméras plan large, 18 m et “pêcheur” sur les matches de Ligue 1 », analyse un vétéran du secteur. Une précarité plus grande encore en province qu’à Paris où, selon lui, « le cloisonnement des filières et des types de production offre aux femmes d’autres possibilités d’emploi que dans le sport ».
38 opératrices LSM
De la même manière, le manque d’opérateurs LSM, au début des années 2000, ne leur a pas ouvert davantage les portes de la profession, qui demeure plus ou moins un pré carré masculin. Aujourd’hui, « sur un gros match de Ligue 1, moins de 10 % d’entre eux sont des opératrices. Peut-on vraiment parler d’évolution ? », s’interroge l’une de celles-ci. Pour sa part, AMP Visual TV a fait appel, l’an passé, à 98 opérateurs ralenti ayant le statut d’intermittent du spectacle, dont 13 femmes. En l’occurrence, pas davantage que leurs homologues masculins, les femmes ne sont amenées à configurer les systèmes par elles-mêmes. « Les configurations techniques sont effectuées en amont par le chef d’exploitation ou le responsable ralenti. Aujourd’hui, l’opérateur ralenti, quel qu’il soit, doit principalement s’assurer qu’il est bien dans le réseau afin de “checker” les sources audio et vidéo qui correspondent à ses besoins. Ensuite, chacun personnalise sa machine selon ses habitudes », éclaire Aram Novoyan, manager général de Digital Vidéo Sud (DVS).
Depuis 1998 et la première session de formation destinée à l’équipe de TF1 en route pour la Coupe du monde de football en France, 337 opérateurs LSM, free-lances pour la plupart, dont 38 femmes, ont fréquenté les locaux de la filiale d’Euro Media Group à Aix-en-Provence. Parmi eux, certains, dont une poignée de femmes, ont pu ainsi se familiariser avec les systèmes brevetés de DVS (superloupes) et d’autres, avec le système Epsio (révélateur de hors-jeu pour le football) d’EVS.
De son côté, le constructeur belge, dont les outils sont implantés au sein des chaînes et chez les prestataires, chiffre à quelque 7 000 le nombre de leurs utilisateurs réguliers dans le monde, dont 10 % de femmes. En Europe, ils sont environ 3 000. Et en France plus de 200, freelances et permanents réunis, dont 15 à 20 % de femmes, parmi lesquelles une moitié environ travaille sur le sport.
La production, une filière convoitée
Cependant, si les femmes ne percent pas davantage dans les professions qui nous occupent ici, c’est aussi que tel est leur choix. « La porte ne leur est pas fermée, mais les compétitions ont lieu généralement le soir, généralement le week-end, et amènent à beaucoup voyager. De leur côté, les femmes mettent en avant les enfants, la famille, sinon le temps partiel auquel elles sont attachées. Pour toutes ces raisons, il est très diffcile de les convaincre de s’investir dans des métiers un peu nomades. J’ai pu le vérifier lorsque j’étais directrice générale de la télévision suisse alémanique », confiait un jour à l’auteur de ces lignes Ingrid Deltenre, alors directrice générale de l’Union européenne de radio-télévision (UER).
Du coup, « les femmes qui intègrent ces métiers demandent rapidement à pouvoir évoluer vers des postes plus sédentaires et à horaires fixes », indique-t-on chez AMP Visual TV. Surtout si elles veulent conjuguer travail et maternité. Laquelle précarise un peu plus les femmes, et particulièrement les intermittentes. « On se retrouve sur la touche suffisamment longtemps pour que les plannings nous oublient ou nous remplacent plus facilement que les hommes », lâche une jeune mère de famille.
Chez AMP Visual TV, si, dans la filière technique, les femmes comptent pour 33 % des techniciens d’exploitation AV et/ ou numérique, 22 % des opérateurs son, 14 % des techniciens audiovisuels supérieurs et 9 % des chefs opérateurs son, leur part s’envole à 43 % dans la filière production. Soit 40 femmes sur 92 salariés permanents.
Même constat chez Euro Media, où le service production emploie dix-huit salariés permanents dont neuf femmes (quatre assistantes et cinq chargées de production) qui, entre autres, travaillent sur le sport. Dans cette filière convoitée par les femmes, « on ne porte rien, on ne charge pas les camions, on ne tire pas de câbles et on n’exploite pas la technique en direct, même si un bagage en la matière est parfois nécessaire », justifie l’une d’entre elles. Une autre évoque même une mixité inversée, citant en exemple son cursus où « dès le BTS, il n’y avait que deux hommes pour huit femmes en option production ».
En la matière, les femmes reviennent de loin : « Quand j’ai commencé, en 1991, à travailler sur les sports comme directrice de production, nous étions seulement deux : Brigitte Haegeli à VCF, qui avait ouvert la carrière aux femmes quelques années plus tôt, et moi à la Société française de production (SFP) », rapporte Anne Souché, aujourd’hui directrice du département transmissions et du nodal de France Télévisions.
Comme d’autres, le métier était perçu comme un bastion masculin. Depuis, si des étapes ont assurément été franchies, la route vers une plus grande mixité, sinon la parité, reste encore longue.
Paroles de femmes
Une opératrice LSM : « Pendant une grossesse, les horaires de nuit, le port de charges ou les longs trajets sont fortement déconseillés. Or, ils sont inhérents à nos métiers et il est souvent compliqué de disposer de toilettes propres ou à proximité. D’autre part, l’heure octroyée par le code du travail pour les mères allaitantes est extrêmement difficile à obtenir, voire impossible. »
Anne Souché (France Télévisions) : « En 1992, j’ai eu droit à un petit article dans Elle, à l’occasion des JO d’hiver d’Albertville. Comme si, pour une jeune femme, travailler sur des retransmissions de ski relevait de l’exploit. J’ai trouvé cela très vexant, alors que l’on trouvait normal qu’il y ait également sur ces JO des hommes aussi jeunes, qui avaient passé le même concours et possédaient le même niveau d’expérience et de qualification que moi. »
Une cadreuse : « Par rapport à d’autres spectacles vivants (concerts, opéras…), les captations sportives ont une mauvaise réputation. Certaines femmes ont décroché à cause de la manière dont parlent certains réalisateurs, qui crient beaucoup. »
Cécile Gonfroid (RTBF) : « Dans les années 80, certaines personnes m’ont refusé des montages sous prétexte que je ne connaissais rien au foot. Ou encore, d’autres ne souhaitaient pas de femmes dans leur équipe. Parfois aussi, j’ai eu des difficultés pour avoir accès aux infrastructures sportives. Heureusement, les temps ont bien changé. »
Une opératrice son : « Sur mes premières piges en télévision en tant qu’assistante son, on me laissait systématiquement déplacer seule les caisses les plus lourdes en me faisant comprendre qu’ayant voulu faire ce métier, il fallait que j’assume. »
* Article paru pour la première fois dans Mediakwest #27, p. 30-33. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité