CTpro : la caméra des Mojo devient outil de montage, de streaming, et régie multicaméra

Le Mojo, c’est la source des incroyables prouesses d’Austin Powers. Mais Mojo est aussi le doux nom donné aux journalistes mobiles ; est-ce une coïncidence ?
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Redevenons sérieux ! Les journalistes mobiles mettent à profit la puissance et la qualité des récents smartphones pour inventer ou réinventer une nouvelle forme de journalisme. Les moyens : un être humain et un téléphone. Le but : délivrer une information dans les meilleurs délais avec un minimum de contraintes techniques pour des télévisions d’information en continu, des chaînes locales, mais aussi sur les réseaux sociaux, des sites Internet de médias alternatifs ou même des sites de clubs sportifs, d’institutions ou d’entreprises.

Pour convertir un simple téléphone, ou plutôt l’outil extrêmement complet qu’est le smartphone d’aujourd’hui en caméra pro, les utilisateurs disposent d’une multitude d’accessoires, notamment pour le son et la stabilisation, et d’applications. Parmi elles, certaines sont dédiées à la prise de vue : Filmic Pro est une des plus célèbres et Mavis une des plus pointues. L’outil des Mojo doit permettre également le montage des vidéos. LumaFusion de LumaTouch est une application très appréciée ; Kinemaster propose également de riches fonctionnalités.

 

La genèse

Bertrand Samimi est un étonnant inventeur multicasquette. Rédacteur en chef d’une télévision locale, il propose, avec l’application CTpro Mobile Video Suite de la marque CTpro, un véritable écosystème pensé par un professionnel de la télévision et initialement conçu pour les propres besoins de ses équipes. Après une première vie sous le nom City Producer, c’est le 9 avril 2018, à l’occasion du NAB, que l’application fraîchement renommée et relookée a été véritablement lancée. Fruit de quatre années de travail, cette suite offre des fonctions de prise de vue pro exploitant les caméras de l’iPhone, mais également de media management, de montage et une solution multicaméra (en association avec l’application « switcher studio »). CTpro est également un outil de diffusion live très évolué convertissant un iPhone en véritable studio ultraportable. La société éditrice de l’application est française. Douze développeurs du monde entier travaillent sur l’application, parmi lesquels trois Français. L’équipe s’est constituée sur la toile, lorsque Bertrand Samimi était en phase de réflexion et imaginait son outil. De nombreux spécialistes l’ont aidé dans un esprit collaboratif ; certains sont devenus développeurs aux côtés (mais à distance) de Bertrand, aujourd’hui chef de projet de CTpro.

Pour des raisons commerciales, toutes les applications iOS disponibles dans l’AppStore doivent l’être pour tous les devices. CTpro recommande cependant l’utilisation d’iPhone 7+, 8+ ou X pour une expérience satisfaisante.

Le choix de travailler sur un nombre restreint d’appareils, à l’exclusion des téléphones Android, est totalement assumé. Pour professionnaliser son application, Bertrand Samimi s’interdit tout compromis et doit maîtriser le matériel qu’il exploite. C’est ce que lui permet l’optimisation de l’application pour un nombre restreint de téléphones. CTpro exploite les caméras et outils de processing de l’iPhone au maximum de leurs capacités en bypassant en cas de besoin le framework AV Foundation. La vidéo est traitée en YUV dans l’espace colorimétrique Rec 709 ; c’est pour cela par exemple que le réglage du Zebra s’étend jusqu’à une valeur de 108 IRE.

Autre point technique important permis par un codage du pilotage de la caméra à plus bas niveau qu’AV Foundation : le signal est traité nativement en framerate constant. Le nombre d’images par seconde enregistrées (en 25 ou 30 i/s) ne varie jamais, alors que, selon les conditions d’évolution de ses paramètres (dont la température du processeur), l’iPhone module parfois la cadence d’enregistrement des vidéos en cours de captation. Pour une longue interview, cela peut poser de véritables problèmes de gestion de la synchronisation en postproduction.

Nous avons souhaité vérifier par nous-mêmes les promesses de CTpro.

 

Création d’un projet

C’est la première étape du travail. 
Il s’agit simplement de nommer son projet, d’en indiquer une durée estimative et de choisir le codec (HEVC ou H-264) et la cadence (25 ou 30 i/s).
 Le temps renseigné ne servira qu’à indiquer en pourcentage le rapport entre la durée du montage et la durée cible.
 Une information intéressera les plus techniciens : les vidéos sont enregistrées avec un débit avoisinant les 20 Mbits/sec.

 

Prise de vue

Apple a fait de la qualité de ses caméras un important argument de vente. L’iPhone 7 est par exemple équipé de deux caméras, l’une bénéficie d’un grand angle équivalent à un objectif 28 mm pour un appareil « 24 x 36 » avec une ouverture 1.8 et l’autre d’un objectif à focale plus longue équivalent à un 58 mm ouverture 2.8. Le grand angle est stabilisé. CTpro permet de choisir entre ces deux caméras et la caméra « selfie » pour l’enregistrement de plateaux avec retours images par exemple. Alors que les caméras de l’iPhone permettent de filmer en 4K, CTpro travaille pour l’instant uniquement en haute définition ; cela permet de proposer pour chaque caméra un zoom x2 sans perte de qualité. On bénéficie donc d’une plage focale allant de 28 à 56 mm (équivalent 24 x 36 mm) avec le premier objectif et une seconde allant de 58 à 116 mm. Pour régler l’exposition, l’icône en forme de diaphragme indiquant par défaut un fonctionnement en mode « auto » permet de débrayer la sensibilité et la vitesse d’exposition.

 

Pour la sensibilité, si on prend l’exemple de l’iPhone 7, la plus basse valeur est de 22 Iso et au dessus de 300 Iso le bruit commence à dégrader l’image. Pour éviter ce bruit on peut utiliser un temps d’exposition de 1/25 de seconde. En cas de forte luminosité, à la limite de 22 Iso, le temps d’exposition est raccourci pour éviter la surexposition. Deux outils vous aident au réglage de l’exposition, un zebra (traits noirs superposés à l’image) et un oscilloscope de profil (waveform) en couleur (plus facile pour repérer les visages). On peut être surpris de disposer d’un outil habituellement exploité en postproduction ou sur des caméras pro. Mais, dans la pratique, son apprentissage est relativement rapide. La mise au point est également débrayable pour faire des rattrapages de focus esthétiques ou régler la netteté sur un objet situé hors du centre de l’image. Lorsque la mise au point et l’exposition sont en mode automatique, on peut sélectionner avec le doigt une zone de l’image sur laquelle ces deux paramètres seront réglés (tap to focus et tap to expos). Pour la balance des blancs, on dispose en plus d’un mode automatique, de deux presets, intérieur (3 200K) et extérieur (5 600K), et de trois réglages utilisateurs. Dans le mode « edit », on retrouve également un outil très pro avec un vecteurscope et deux molettes pour régler sa balance sur l’axe « chaud-froid » et l’axe des teintes magenta-vert. On peut également bloquer un réglage automatique pour éviter les effets d’évolution de la balance pendant l’enregistrement. Pour assurer l’horizontalité des images, un niveau est affiché sur l’iPhone. Situé derrière le bouton baguette magique, le stabilisateur logiciel va beaucoup plus loin que le stabilisateur optique de l’iPhone, grâce à un traitement proche de celui d’un logiciel de postproduction effectué en temps réel. Il est quasiment possible de se passer d’un stabilisateur type gimbal.

 

Le montage

On accède à l’interface dédiée via le bouton « edit » de la page principale (home). La première étape consiste à choisir les plans qui peupleront le dossier de travail (chutier). Ils seront affichés dans l’ordre de sélection. L’application a été pensée pour une utilisation naturelle du téléphone en mode portrait, les outils principaux sont donc directement à portée de pouce. Pour cette raison CTpro recommande l’utilisation d’un modèle + d’iPhone, afin de travailler sur une interface de taille suffisante. On ne peut que remarquer des traits communs avec Final Cut Pro X. Les développeurs de CTpro affirmant volontiers leur préférence dans l’utilisation de cet outil pour le montage sur ordinateur. Les plans sont proposés sous forme de vignettes en bas de l’interface ; on peut les visualiser et les sélectionner par un mouvement du pouce de gauche à droite. Au-dessus, on trouve une timeline avec une piste vidéo principale et une piste vidéo d’illustration, ainsi qu’une piste pour les titres. Côté audio, la piste « voix off » est complétée de deux pistes pour les musiques et les illustrations sonores.

 

Les pistes « vidéos » sont en fait des pistes « audiovisuelles » ; comme dans FCP X, elles incluent l’image et le son des plans. Au-dessus, on dispose d’un outil qui servira à sélectionner les points d’entrée et de sortie des plans avant le montage ; puis, juste au-dessus, une barre d’outils. Le visualiseur occupe le haut de l’écran, il s’adapte à votre sélection. Si vous travaillez sur un plan du chutier, il l’affiche ; si vous travaillez sur votre montage, c’est ce dernier que vous visualisez. Lorsque vous avez sélectionné la zone d’un plan, vous pouvez l’envoyer en V1 pour la construction principale du montage et en V2 pour les illustrations. Une fois montés, les plans peuvent être affinés via un double tap (suppression, déplacement, amélioration des transitions). Les plans en V2 sont connectés aux plans en V1 (comme sur FCPX) ; ils se déplacent ensemble. La modification de l’ordre des plans du montage est permise grâce à une timeline magnétique (fonctionnalité créée dans Final Cut Pro X). Lorsque l’on déplace les plans vers la gauche, ils sont automatiquement insérés là où on les glisse (entre les autres plans) ; la timeline s’adapte « auto-magiquement ». Si on déplace un plan vers la droite, une autre fonction est proposée : tous les plans à droite de celui-ci sont déplacés, laissant la place à une respiration qui sera comblée par des plans d’illustrations. « Arrange » est une interface originale dédiée à l’organisation du montage. Les plans sont affichés les uns en dessous des autres dans l’ordre du montage, prêts à être réarrangés. Attention, cette fonctionnalité ne fonctionne que si vous n’avez que des plans sur la piste V1.

 

Asset Management

L’application est construite autour d’une base de données. Les médias sont associés au projet pour faciliter leur gestion. Contrairement à d’autres outils, les vidéos ne sont pas présentes nativement dans la bibliothèque de l’iPhone pour éviter les risques de suppression de médias dans les projets en cours.

Lorsque vous récupérez des médias à partir d’un autre projet, ils sont recopiés dans le projet en cours.

Si vous souhaitez importer des musiques, des illustrations sonores ou des éléments d’habillages, vous utilisez la fonction « asset management » qui travaille avec l’application CTpro Connect sur votre Mac ou avec l’application Dropbox intégrée. Depuis la dernière version, on peut utiliser les clés iXpand de SanDisk (lightning USB et USB 3.0) d’une capacité de 256 Go maximum pour décharger très rapidement les médias.

 

Habillage

Pour les habillages (overlays), on importe actuellement des images fixes en HD au format PNG préparées avec Photoshop ou une autre application en suivant par exemple la charte graphique de la chaîne. On peut alors choisir de travailler sur des éléments simples (simple overlays) sans couches de textes ou des templates avec textes éditables.

 

Le mixage

Véritable force de cet outil, les automatisations ont été bien pensées et la modification des niveaux reste possible manuellement. La première étape du mixage consiste à entrer dans l’interface « sound mix ».
 Les sons sont automatiquement normalisés (les niveaux sont réglés en fonction des crêtes des sons). Pour affiner les réglages des rôles sont attribués à chaque plan.
 Les plans en V1 ont le rôle ambiance et sont réglés après normalisation à -17 dB FS. Les plans en V2 sont réglés à 0 dB FS. Vous pouvez tagger les ITVs qui seront normalisées à -12 dB FS. On peut affiner les réglages manuellement et découper des plans pour que la normalisation soit effectuée par zone.

Le bouton « voiceover » permet l’enregistrement d’une voix off. L’utilisateur est assisté d’un décompte et peut entendre le retour du montage via son casque ou l’interface audio connectée à l’iPhone.

« Ice on the cake » : une fonction de mixage automatique (appelée automatic ducking sur certains logiciels de montage ou de mixage) permet de créer une automation de la piste musicale sur la piste dédiée, 1 ou 2, en fonction des interviews. Cette fonction est pour l’instant uniquement disponible pour automatiser le mixage de la piste musicale 1 ou 2 par rapport à la piste V1 (ITVs). Les fonctionnalités devraient être complétées pour automatiser le mix par rapport aux voix off notamment.

 

Multicaméra

Le travail en multicaméra fonctionne en partenariat avec l’application « switcher studio » qui doit être installée sur votre iPhone. Cependant, l’éditeur a souhaité nous indiquer les limites de cette fonctionnalité due aux limitations du smartphone. À la suite d’un enregistrement multicaméra, les transferts de fichiers sont relativement longs, ce qui peut entraver l’intérêt de l’outil pour de longues interviews ou la captation de conférences par exemple. L’application sera intéressante pour un multicaméra relativement court (interview par exemple).

 

Diffusion live

Une autre fonctionnalité phare de l’application, la fenêtre live streaming vous permet de diffuser en live l’image de votre iPhone. Vous pourrez filmer une actualité « chaude » et la diffuser en direct en renseignant l’adresse URL d’un serveur RTMP (pour un Facebook live, un live YouTube ou via une solution de webcasting). L’application adapte automatiquement le débit en fonction de la qualité de la connexion. Vous pouvez même préparer des sujets, et éventuellement des génériques de début et de fin de diffusion. Les sujets peuvent être diffusés pendant le live. Des vidéos peuvent être marquées pour être lues au lancement du live lorsque vous cliquerez sur « start live » ou lorsque vous mettrez fin à la diffusion.

 

Compilation et export

Une fois votre produit terminé, vous le compilez dans l’interface « compile et export », soit en H-264 soit en HEVC. 
Le film est alors disponible dans la bibliothèque de votre iPhone et dans CTpro. Six options vous permettent également de partager votre œuvre : « my FTP server » l’envoie directement via les coordonnées renseignées pour votre entreprise (TV ou autre), Facebook et YouTube envoient directement la vidéo vers vos comptes sur ces réseaux sociaux, FTP vous permet de choisir ce que vous souhaitez envoyer vers le compte de votre destinataire ; et maintenant Dropbox et iXpand Flash Drive complètent l’ensemble.

Vous pouvez également envoyer votre projet vers FCP X via un export dédié.
 Tous les médias nécessaires sont générés, ainsi qu’un fichier fcpxml. Une fois rapatrié sur le Mac, il est possible d’affiner le montage dans FCP X. Les médias peuvent également être importés dans d’autres logiciels de montage (sans toutefois bénéficier du transfert du montage via le fcpxml). Via cette dernière option, les rushes sont transférés sans nécessiter un passage par iTunes.

 

Tarifs

Solution professionnelle, les tarifs sont plus élevés que ceux des applications habituelles ; l’offre étant également totalement différente. CTpro est disponible à la location dans le monde entier, en Europe au tarif de 24,99 euros TTC ou à l’année à 249 euros TTC. Les entreprises peuvent choisir un modèle d’acquisition par volume (via un revendeur) avec un tarif qui s’échelonne de 199 euros HT pour deux à neuf licences et jusqu’à 100 euros pour plus de 100 licences.

L’application est utilisable en version « démo » ; complète, elle interdit les fonctions d’export et le support.
 Les centres de formation et les écoles peuvent accéder (via un revendeur) à une version gratuite complète. La seule limitation étant l’intégration d’un watermark sur les vidéos.

 

Support

L’orientation pro est également remarquable par les options de support qui sont proposées aux utilisateurs. Vous pouvez contacter l’assistance via Skype aux heures de bureau en semaine, directement depuis l’application. Cette fonctionnalité est comprise dans l’abonnement. L’équipe de CTpro pourra, si vous le souhaitez, utiliser Teamviewer, également disponible directement dans l’application, pour prendre la main sur cette dernière et vous guider dans la résolution de vos problèmes.

Pour paraphraser Philippe Baudet, chargé du déploiement de CTpro, le terme Mojo est déjà éloigné de la réalité ; on parle aujourd’hui de Mocon, de création de contenu avec un mobile. L’application de CTpro est un véritable workflow. Des choix affirmés ont permis la création d’un outil abouti et terriblement efficace qui séduira à coup sûr le public ciblé… et il est vaste.

 

* Article paru pour la première fois dans Mediakwest #27, p. 12-15Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.