Sombre à son début, le long-métrage Ma vie de Courgette gagne en légèreté et en humour, au fil d’un récit riche en émotions adapté du roman de Gilles Paris Autobiographie d’une courgette et réalisé par Claude Barras.
Ce dernier a mis de longues années pour aboutir son premier long-métrage avec le même souffle poétique et la même approche technique (des marionnettes filmées en stop motion) que ses courts-métrages et a travaillé avec Céline Sciamma (réalisatrice de Tomboy, La Naissance des pieuvres, Bande de filles) pour écrire le scénario.
Sans dévoiler une trame scénaristique riche en rebondissements, le héros du film est un petit garçon de neuf ans nommé Icare, qui vit seul avec sa mère alcoolique (c’est elle qui l’a surnommé Courgette) depuis que son père est parti avec une « poule ». Suite au décès accidentel de sa mère, il est emmené au foyer des Fontaines, où il rencontre de nouveaux amis et Camille, une fille forte au foot dont il tombe amoureux.
« J’ai eu un coup de foudre à la lecture du roman de Gilles Paris, un récit initiatique plein de poésie et de tendresse, confie Claude Barras, le réalisateur. Mais ce film est aussi et avant tout un hommage à tous les enfants maltraités, qui survivent tant bien que mal à leurs blessures. Si du fait de la description d’une violence parfois explicite, le roman s’adresse plutôt aux jeunes adultes et aux parents, j’ai souhaité en l’adaptant en film d’animation, élargir le public aux plus jeunes ».
Pour être à la hauteur de l’ambition artistique du projet, le producteur suisse Rita Productions s’est associé aux français Gebeka et Blue Spirit Productions, davantage familiers des films d’animation. Le budget final de 6,3 millions d’euros (5,4 au départ) a été complété par la contribution du programme européen Media et de structures helvétiques et françaises : Canal+, France 3 Cinéma, le CNC et Rhône-Alpes Cinéma qui a cofinancé le projet à hauteur de 400 000 €. Le tournage s’est déroulé dans les studios Lumière du Pôle Pixel à Villeurbanne, à proximité de Lyon.
Un réel décalé
Si Claude Barras avait en tête ce projet depuis plusieurs années, c’est en mars 2012 qu’il a présenté aux producteurs un premier teaser très convaincant, sous la forme du casting du personnage de Courgette. Après un premier travail de défrichage et d’écriture, les producteurs ont proposé au réalisateur suisse de travailler avec Céline Sciamma pour le scénario.
La préparation et la fabrication du film se sont déroulées entre la Suisse et la France. Le travail d’enregistrement des voix a duré près de six semaines à Lausanne. Les enfants, des acteurs non professionnels, ont été sélectionnés sous la direction de Marie-Eve Hildbrand pour leur capacité à demeurer spontanés devant le micro et à fonctionner en groupe le plus naturellement possible. Mis en situation réelle, les enfants découvraient le scénario au fur et à mesure des prises. Les dialogues enregistrés, mélange d’interprétation et de dialogues écrits, ont servi de guide pour l’animation. Les voix des adultes, en revanche, sont celles d’acteurs professionnels. Le story-board a été monté avec les voix. Il comportait au départ 700 plans, mais seulement 400 ont été retenus au final, donnant un film de 66 minutes.
Priorité aux émotions
Côté mise en scène, Claude Barras a été fidèle à un style personnel développé dans ses courts-métrages, avec des plans fixes ou de longs plans-séquences qui donnent un film intimiste, proche des personnages. « J’ai tenu à laisser le temps aux petits gestes, aux mimiques, aux clignements de paupières, aux moments d’attentes. J’ai souvent utilisé de longs plans-séquences sur les regards et les émotions plutôt qu’un découpage en champ et contrechamp classiquement utilisé pour l’animation. Cela donne au film un rythme singulier, plutôt lent », confirme le réalisateur. Les personnages sont représentés par des figurines colorées aux yeux ronds et immenses et aux têtes surdimensionnées, accentuant l’émotion retranscrite.
Une fabrication en deux étapes
La préparation des décors et des marionnettes a commencé quatre mois avant le début du tournage et s’est poursuivie pendant presque un an. La fabrication des décors physiques en miniature et des accessoires (des bouches et des paupières) a eu lieu au sein du pôle Pixel à Lyon, où se tenaient les studios de tournage. Avec près de 30 m2, le décor de l’orphelinat est le plus grand.
Par ailleurs, cinquante-quatre marionnettes ont été fabriquées avec trois déclinaisons de costumes et environ vingt bouches par personnage. Ces marionnettes ont été prototypées et fabriquées par Initial à Seynod, vers Annecy. Elles étaient composées de silicone, de mousse polyuréthane, de résine et de pièces métalliques. Les costumes ont été cousus et tricotés à la main à Genève et les cheveux ont été fabriqués par une entreprise spécialisée dans la Drôme. Les marionnettes ont été assemblées à Annemasse, dans un atelier installé pour les besoins du film. L’impression 3D a constitué une alternative intéressante aux techniques de moulage et a permis de simplifier et d’accélérer la fabrication des têtes articulées par des armatures métalliques et a permis de les alléger. Les bouches et les paupières, elles aussi fabriquées en impression 3D, étaient interchangeables et étaient fixées sur la tête par un système d’aimants. Les décors étaient réalisés avec des matériaux traditionnels, bois et polyester, complétés par des éléments en impression 3D.
Neuf, puis seize plateaux
Au départ, le film devait être tourné sur moins d’un an, d’avril 2014 à février 2015, en mobilisant une équipe de vingt-cinq personnes. La sortie était attendue sur les écrans à l’automne 2015. Le tournage était prévu sur neuf plateaux, dont six fonctionnant en simultané (et les autres dédiés à la préparation). Tous les mouvements de caméra et d’éclairage étaient pré-enregistrés lors de la préparation d’une séquence, puis reproduits en réel lorsqu’étaient animées les marionnettes. La directrice d’animation Kim Keukeleire a réuni une équipe internationale d’animateurs stop motion, qui avaient travaillé avec de grands réalisateurs comme Tim Burton, Nick Park (Aardman Animations) ou Wes Anderson, réalisateur de The Fantastic Mr Fox (2009).
Au départ, l’objectif visé était de 4 à 5 secondes d’animation par animateur et par jour, mais le soin mis à animer a fait que la productivité était seulement de 2,5 secondes par jour. Plusieurs partenaires ont alors accepté d’augmenter leur participation et de nouveaux coproducteurs, Kateryna et Michel Merkt de KNM, se sont joints au projet.
Avec cet apport d’argent frais, le nombre de plateaux de tournage a pu être porté à quinze, le rythme demeurant à trois secondes par jour et par animateur. David Toutevoix, le chef opérateur volume, a filmé en utilisant un Canon 5D avec, comme contrainte, un tournage sur des décors miniatures et des profondeurs de champ réduites.
Au final, le tournage s’est achevé au début du mois de mai 2015, après presque un an et demi de travail au sein des studios du Pôle Pixel. Six à huit mois supplémentaires furent ensuite nécessaires pour sonoriser le film et pour la postproduction : pour enlever les rigs et nettoyer les images, pour assembler les prises sur fond vert avec les premiers plans et les arrière-plans, les cieux et les nuages, ainsi que les autres fonds de décors créés par ordinateur.
Le montage a eu lieu chez Rita Productions à Genève, le travail de compositing à Angoulême dans les studios de Blue Spirit et le travail de laboratoire chez Andromeda à Zurich. En parallèle, la musique, composée par Sophie Hunger, a été enregistrée en studio à Berlin.
* Cet article est paru pour la première fois, dans Mediakwest #17. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour recevoir, dès sa sortie, notre magazine papier.