Productions 4K, 8K : la révolution en marche… lente !

En Avril dernier, dans le cadre du MIP TV,  plusieurs conférences mettaient en lumière les dernières productions (majoritairement) documentaires 4K voire 8K, dans le monde. L’occasion de dresser un état des lieux d’un marché, certes prometteur, mais encore trop contraint et assujetti aux aléas d’une distribution linéaire.
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La production de contenus 4K – et dans une moindre mesure 8K – fait partie des axes stratégiques de bon nombre de producteurs, notamment de documentaires. Tous soulignent la nécessité « d’y aller », quand bien même la question de la diffusion linéaire demeure centrale. Et problématique. Mais, pour résumer les propos des sociétés et représentants de chaînes de télévision présentes à Cannes, «  une image 4K, même dégradée, offrira toujours une expérience qualitativement supérieure à l’audience », y compris dans un marché encore trop restreint.

 

Des ventes d’écran encore trop faibles

C’est essentiellement l’effet Coupe du Monde de Football : selon Euromédia, le marché des téléviseurs dans le monde a grimpé de 2,9 % en 2018 pour atteindre 228 millions d’unités avec un pic en amont de cet événement sportif. « Pour le dernier trimestre 2018 et pour la première fois, plus de la moitié des équipements était UHD », explique le centre d’études économiques IHS Markit. La Chine est en tête des ventes, suivie par les États-Unis. Et 63 % des écrans vendus en Europe au cours de ce dernier trimestre disposent d’une résolution UHD.

À contrario, seulement 18 600 écrans 8K ont été vendus l’année dernière, principalement au Japon où la NHK a lancé deux chaînes avec des programmes exclusivement 4K et 8K. On est encore loin d’un taux d’équipement suffisant. Pour autant, les productions sont de plus en plus nombreuses à chercher aussi d’autres ouvertures.

 

Smart TV : un autre débouché ?

C’est le cas d’Olivier Chiabodo qui a fondé The Explorers : avec une équipe de vingt personnes se déplaçant partout dans le monde, ils filment en 8K et ont déjà un catalogue de 45 films de 32 minutes, soit près de 1 500 heures de contenus 4K HDR.

Pour The Explorers, la télévision linéaire demeure un marché, quoique de plus en plus réduit, mais il n’en est qu’un parmi beaucoup d’autres. Ils ont donc conçu, en interne, une application, en quinze langues, avec leur catalogue en SVOD. « Si on a AirDrop, on peut regarder en OTT les contenus sur l’Apple TV et nous avons également des partenariats avec Samsung et Sony. On s’appuie sur les réseaux sociaux avec une volonté de créer une communauté qui va contribuer avec leurs propres films pour développer l’offre. »

L’investissement est minime – 15 000 $ pour être sur les smartbox TV – et les risques réduits. La chaîne 8K est livrée en exclusivité pour trois mois avant une installation plus large. « On filme en 8K, mais on est obligé de dégrader l’image pour une diffusion 4K. À l’instar de la majorité des producteurs de contenus 4K et 8K, l’intégralité des droits demeure conservée. » Le tournage se fait en Raw avec des caméras Sony F55 et Red Helium.

En octobre, le service SVOD sera ouvert, avec quatre nouveaux films par mois pour un abonnement de l’ordre de 2 à 3 $/mois. 10 % des recettes sont reversés à une fondation pour la préservation de la nature. « Nous sommes le premier média d’engagement », avance Olivier Chiabodo. L’équipe s’est adjoint les compétences d’un pôle VR, pour les pré-shows uniquement, et d’un staff consacré aux réseaux sociaux. Le site est bâti sur Microsoft Azure, ce qui lui assure une totale maîtrise sur la diffusion.

 

NHK : précurseur et figure de proue d’un nouveau modèle

Depuis le 1er décembre 2018, la NHK a ouvert deux chaînes – BS4K et BS8K – qui diffusent respectivement 18 et 12 heures de programmes quotidiennement.

Selon Atsushi Murayama, Deputy Director for 8K Production à la NHK, « Nous sommes convaincus que l’accélération de la vente de téléviseurs 4K ou 8K va automatiquement générer une augmentation de la consommation de contenus de ce type. Selon les prévisions, 3,1 millions de téléviseurs 4K et 30 000 en 8K devraient être vendus en 2019. »

Si BS4K est une chaîne orientée fiction, proposant huit à dix contenus hebdomadaires, BS8K est, quant à elle, orientée documentaire avec une forte teinte « voyages ». Ainsi, 2-hour Tours est une série documentaire mettant en lumière les plus belles destinations de voyage dans le monde. Pourquoi « 2-hour » ? « Parce qu’une étude récente a montré que c’était le temps maximum qu’un touriste japonais prenait sur un lieu (château, musée, etc.) », explique Mika Kanaya, Senior Producer.

Le premier épisode est une coproduction avec le Château de Versailles et propose, avec un système de voix off, une visite guidée des points incontournables de ce site. Tourné avec un steadicam, en 8K (son 22.2 multicanal), chaque épisode dispose d’une timeline pour figurer le temps à passer sur chaque pièce emblématique du château. La série s’envolera ensuite à Rome pour le Colisée avant de revenir sur deux villes du Japon.

 

Musées, tourisme… et sumo !

La prochaine étape pour la NHK est de proposer des contenus sportifs en 8K. En ligne de mire, les six grands rendez-vous du Tournoi de sumo. Les premières captations ont été effectuées en 8K HDR. La qualité de la captation a permis d’agrémenter l’événement sportif de datas, notamment la force d’impact qui est calculée en temps réel et apparaît à l’écran sous forme de courbes. La NHK réfléchit à la captation 8K de certaines disciplines sportives des prochains Jeux Olympiques.

Toujours dans le volet « voyages », la NHK produit deux séries en 8K. Europe by Tram emmène le téléspectateur à la découverte de villes par le biais de déplacement dans les tramways de la ville, comme à Lisbonne. Le dispositif se veut léger pour une plus grande immersion : une caméra 8K est fixée à l’avant des tramways pour figurer le touriste en déplacement ; deux épisodes de 60 minutes sont déjà tournés, mais la chaîne nationale japonaise a déjà déroulé sa feuille de route pour le reste de l’année 2019 et la production passera par Nantes en août prochain.

L’autre série documentaire de 5 x 60 minutes s’intitule Bird’s Eye View et, comme son titre l’indique, invitera le spectateur à voler au-dessus de lieux de rêve, souvent inaccessibles ; le tournage 8K s’effectue via des drones.

Consciente des limitations d’une production interne, la NHK invite les producteurs à leur soumettre leurs projets en vue de coproductions. À la question de l’intérêt de produire des fictions en 8K pour une possible diffusion sur 30 000 écrans, la NHK précise que les contenus 8K sont bien évidemment diffusés sur les canaux linéaires en version HD. Cependant, la chaîne nippone admet que le niveau de résolution implique des surcoûts à tous les niveaux : décors, costumes, CGI. « Pour une heure de fiction en HD, le coût est d’environ 200 000 € », admet Mika Kanaya. « En 8K, il est 1,5 fois plus important, ce qui est tout sauf négligeable et nous oblige à bien réfléchir à ce qui apparaît à l’écran ».

 

Musée : la « belle » affaire ?

Conscients de la nécessité de rajeunir une audience, qui plus est de plus en plus connectée, bon nombre de musées ont entamé un virage stratégique en proposant des contenus immersifs (VR, AR) et en coproduisant des contenus 4K UHD comme « supports de communication ».

À l’instar de la NHK avec le Château de Versailles, Arte a entamé une série de documentaires en 4K, The Art of Museums, pour « dynamiser l’image des musées, souvent considérés comme ennuyeux », dixit Wolfgang Bergmann, le directeur gérant d’Arte Deutschland et coordinateur Arte de la ZDF. Sébastien Meyssan, directeur général de la chaîne Museum, confirme : « la 4K est idéale pour le secteur muséal ». La chaîne dispose actuellement d’un catalogue de 350 heures en 4K ; il y en aura 450 à fin 2019.

Peter Chang, réalisateur et co-fondateur de Golden Gate 3D, souligne : « Je ne suis pas certain que la multiplication des écrans soit synonyme de multiplication de business. Le marché est “flat” excepté dans les musées. »

Les musées et autres lieux de médiation culturelle sont donc des interlocuteurs privilégiés pour les sociétés de production 4K UHD. En 2018 déjà, Sunny Side of the Doc, le marché international du documentaire de La Rochelle, avait ouvert ses portes aux lieux culturels dans une volonté de pousser les coproductions. L’édition 2019 confirme cette ouverture avec un programme de conférences dédiées, notamment. Reste que les capacités de coproduction et de diffusion de ces musées – et on ne parle ici que des plus prestigieux, aux budgets moins contraints – ne sont pas extensibles. En outre, ils ne se positionneront jamais en alternative aux diffuseurs. Ils représentent cependant une option supplémentaire aux chaînes linéaires.

 

Inde : l’avenir est sur le web…

Si la 4K a été poussée en premier lieu pour les événements sportifs, ce n’est pas le cas en Inde. Même le « sport national » qu’est le cricket est capté en HD uniquement. La Coupe du monde de football, captée en 4K, a été dégradée pour permettre une diffusion en HD. « Le challenge n’est pas l’acquisition, mais bien la diffusion car l’Inde souffre d’un grave déficit en termes de capacités de transmission », explique-t-on chez Grey Maytter Entertainment, société de production basée à Mumbai.

« C’est donc par le biais de l’OTT qu’on peut contourner les limitations des broadcasters, mais ce n’est pas la voie royale, les chaînes de télévision linéaires étant toujours le canal le plus visionné. » À défaut, les contenus 4K sont visibles par Internet via Netflix, YouTube, Amazon, etc.

Wilderness Films est passé à la captation numérique il y a vingt ans et, depuis 2015, « toutes nos productions sont tournées en 4K… mais fournies en HD », tempère Rupin Dang, son fondateur. Contourner les limitations de transmission des chaînes par Internet peut avoir des conséquences non négligeables en termes de pertes des droits. Mais Wilderness Films voit cependant la bouteille plutôt à moitié pleine : « Même dégradée, la distribution d’une image 4K en HD sera toujours meilleure qu’une image HD ».

 

… et à l’étranger

En avril 2018, Travelxp, spécialiste de contenus orientés voyage, est devenue la première chaîne de télévision indienne à s’installer sur la plate-forme britannique TNT Freeview, touchant ainsi plus de 75 millions de foyers… avec des programmes 4K.

« Nous avons produit 100 heures de catalogue en 4K en 2018. Cette année a également été l’occasion de notre première expérimentation d’un tournage en 8K. Si nous sommes satisfaits du résultat, nous basculerons toutes nos productions en 8K… et les proposerons en version dégradée », explique Sumant Bahl, directeur de Travelxp Royaume-Uni.

Les contenus dits « Food » ont également le vent en poupe… mais, contrairement à ce que l’on pourrait penser, le Food est l’un des genres de flux parmi les moins prisés en Inde. Alors pourquoi tourner en 4K ? Food Looking précise : « Nous avons développé notre propre plate-forme avec un investissement de plusieurs millions de dollars. Nous tournons 200 jours par an et avons fait le choix d’internaliser tout le workflow, jusqu’à la postproduction. Et pour répondre à la question : l’Inde n’est pas notre marché cible. »

 

Russie : la 4K pour stopper la chute d’audience ?

Tricolor est la plus importante chaîne payante de Russie avec 12 millions d’abonnés. C’est en 2013 que la chaîne a lancé la diffusion par satellite en 4K. L’année suivante, elle passe en UHD ; 2015 marque la collaboration avec Insight TV UHD.

En 2016, Tricolor lance son package incluant Fashion One 4K pour un tarif de 16 euros… par an ! L’année suivante, le Tricolor Ultra HD Package s’agrémente de Kino UHD et Serial UHD pour un tarif inchangé. Les chaînes Russian Extreme Ultra et Eurosport 4K intègrent le package, la dernière chaîne générant une augmentation de plus de 20 % des abonnements… toujours à 16 euros.

La même année, Tricolor annonce la disponibilité d’une nouvelle offre : Tricolor TV package Ediniy Ultra HD. « Ce nouveau package comprend plus de 200 chaînes de télévisions dont 39 en HD, 7 en UHD et 47 stations de radio pour un abonnement établi à 39 euros par an », explique Arsen Khomutov. « En avril, nous avions déjà 100 000 abonnés et espérons doubler ce chiffre d’ici à la fin de l’année 2019 ».

Avec des tarifs aussi bas, Tricolor ne vise pas la rentabilité immédiate, mais espère une visibilité internationale lui permettant, à terme, de générer des bénéfices. La 4K comme « pansement » pour stopper l’hémorragie des abonnements ?

 

8K : un futur en dégradé ?

Les productions natives 8K se multiplient, même si les producteurs présents lors de ces conférences étaient bien conscients que le téléspectateur n’en verra, dans la majeure partie des cas, qu’une version dégradée.

Au-delà de la seule question de la diffusion sur les écrans, d’autres pierres d’achoppement se font jour, sur l’adoption de la 8K en production, qui n’ont pas forcément été anticipées : le poids des datas et leur nécessaire archivage. Pour 2K Studios et son film Angkor, the lost empire of Cambodia, ce sont plusieurs térabits de données quotidiennes à transférer et stocker.

Saint-Thomas Productions confirme que le stockage et l’archivage sont évidemment deux points majeurs sur lesquels il faut réfléchir, mais la question de l’intégration d’images CG est également un challenge. Ainsi, la société de production française a produit avec Arte un court-métrage intitulé Asteroid Rush : Hayabusa, qui figure l’arrivée d’un astéroïde dans notre atmosphère. « Nous disposons d’une ferme de rendus en interne avec 128 cœurs, mais nous n’avions pas envisagé ce que représentait de faire un rendu 8K. À titre d’exemple, une frame représente… 16 heures de rendu ! Il y a là matière à réflexion », précise Bertrand Loyer.

Pablo Alemán, de la société espagnole Wild Stories Distribution, spécialisée dans les contenus Wildlife, confirme : « Rien que nos productions représentent 400 terabits par an de datas à stocker et à sauvegarder sur des disques durs. »

Entre les contraintes de diffusion sur les écrans TV, la dilution des droits sur les plates-formes numériques et les coûts liés à la production et au stockage des données, producteurs et diffuseurs semblent considérer l’avenir avec une certaine circonspection, tout en faisant preuve d’agilité pour trouver de nouvelles sources de revenus.

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #32, p.106/108. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.


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 8 septembre 2014