Voyage au cœur de l’audio de « Valérian » – Tournage et postproduction (2de partie)

Après un temps de préparation extrêmement long (lire ici), arrive enfin le moment du tournage de Valérian et la Cité des mille planètes. Suite et fin de l’entretien que nous a accordé Stéphane Bucher, ingénieur du son sur ce film hors du commun de Luc Besson.
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S. F. : Nous voilà arrivés au tournage…

S. B. : Oui, une énorme expérience ! Nous étions trois au son, Jérôme Rabu, mon premier assistant, s’occupait de la perche et j’avais aussi avec moi Claire Bernengo. Les horaires de tournage, c’était midi-19h30. Et quand je dis « midi », ce n’est pas 11h55, ni 12h05, c’est midi ! À midi, Luc arrive. Cet horaire a été imaginé parce que vous avez tout le matin pour préparer ce que vous souhaitez, lui aussi d’ailleurs avait des choses à faire.

Voici une journée-type. Mon assistant partait au département des costumes, il disposait de deux heures-deux heures et demie de préparation pour régler les micros, les remettre, les re-tester, tout cela était dans la partie costume. Ma seconde assistante, elle, allait sur le plateau pour vérifier tout ce qui se passait sur ce lieu, la mise en place de mes équipements, de toute la partie son, celle du fameux serveur et le test de ce serveur. Tous les jours, tout a été re-testé, en termes évidemment de fonctionnement, mais également de qualité : « Est-ce qu’on est bien ? Est-ce qu’on est au bon niveau ? Est-ce qu’il n’y a pas de retard ? Est-ce qu’il n’y a pas de décalage en fonction de la caméra qu’on utilisait ?… »

Quant à moi, je gravitais entre la postproduction, les costumes, j’allais voir les assistants-réalisateurs pour savoir que dans deux semaines on allait tourner ça, « Ah bon, mais il y a un changement ! » L’équipe son ne se voyait pas de la matinée, elle échangeait avec des talkie-walkie… C’est vous donner l’ampleur de la chose ! L’un était en studio, un autre était là-bas et un troisième s’occupait des costumes. On se donnait rendez-vous à la cantine à 11h00 pour pouvoir manger, généralement on mangeait en une demi-heure. À 11h30, on se préparait sur le plateau pour le fameux « Top départ » de Luc à 12h00 précises.

 

S. F. : Avez-vous équipé chaque plateau du même nombre de micros ?

S. B. : Pour les deux perchmen, nous avions un système extrêmement important que l’on n’a pas toujours d’ailleurs sur les plateaux, un système de retour vidéo. Luc cadre tous ses films, c’est lui qui est à la caméra. Et je dois dire, sans exagération, que c’est un cadreur de fou, hors pair, extrêmement précis ! Il est vrai que, par contre, il a un zoom sur sa caméra et peut d’un seul coup zoomer, donc aller très proche, et d’un seul coup dézoomer. Pour le perchman, il est alors extrêmement compliqué, sans retour vidéo, de savoir où placer sa perche en sachant que Luc, évidemment, si la perche est dans le champ, il part extrêmement vite, tel un fusil…

J’ai donc dû demander à Luc un retour vidéo, alors même qu’il a extrêmement peur de tout ce qui est piratage, transmission de données, etc. Il m’a répondu : « Pas de souci ! » Et nous avons pu développer un système de streaming, où le fameux serveur, dont je parlais tout à l’heure, avait un module qui permettait de faire de la conversion en flux vidéo et d’envoyer via des antennes WiFi les images dans le tout le plateau.

Nous étions deux personnes à l’avoir. Moi j’avais mon iPad pour pouvoir recevoir ce flux extrêmement sécurisé ; mon perchman disposait lui d’un petit iPod qui recevait l’image en direct. Ce qui permettait effectivement de changer l’image, utiliser une très belle image aussi avec un petit écran. Et grâce à ce principe-là, mon perchman, d’un coin de l’œil, pouvait surveiller ce qu’il se passait.

Et d’un seul coup, Luc qui dézoome ; il laisse généralement une seconde et demie au perchman pour réagir parce qu’il sait que…. Et là, il faut sortir vite du cadre. Je pense qu’en cinq mois, Luc n’a jamais adressé de remarque à mon perchman sur ce point parce que ce dernier est très attentif.

Luc est lui aussi extrêmement attentif au son. Il sait parfaitement ce qui va marcher et ce qui ne va pas marcher, cela en donnant des priorités. Le réalisateur : le roi, l’image : la reine ; nous, on est juste derrière avec le son… Mais Luc sait que le son est extrêmement important, il refuse absolument la postsynchro, c’est une vérité !

 

S. F. : Les perches étaient-elles HF aussi ?

S. B. : Oui, j’utilise énormément les perches HF, elles donnent une grande liberté de mouvement aux perchmen. On dit souvent que le fait qu’ils ne soient pas au câble engendre une certaine perte de qualité. Alors oui, fondamentalement oui. Mais, à la limite, je préfère laisser le perchman « sans fil à la patte », qu’il soit bien à l’aise, surtout avec Luc ! Je dirais que nous étions à 60-70 % en HF et le reste en câble.

Lors de scènes plus complexes, Luc le sait parfaitement, pour des scènes d’émotion, on passe automatiquement au câble pour avoir la quintessence même du son. Cela me permet d’aller chercher les voix bien plus précisément, donc là on passait au câble, sinon on restait en HF pour une grande partie du film, effectivement.

 

S. F. : Et quels micros avez-vous utilisés ?

S. B. : D’habitude, je raisonne un petit peu à l’envers. Souvent, j’essaie d’adapter un micro à une voix, mais surtout à une idée du personnage.

Sur Lucy par exemple, l’idée était que, Scarlett Johansson, au moment où elle devient une autre personne, a utilisé, joué cette espèce de monotonie dans la voix, de parler presque comme un robot. Et cela, il fallait le faire ressortir. En plus, Scarlett a une voix extrêmement basse. Quand j’utilise les micros traditionnels comme les Sennheiser MKH 50, qu’on utilise souvent sur des plateaux, cela donnait une amplification bien trop importante, à mon avis en tout cas, un son similaire à celui des autres comédiens du plateau. Elle, je voulais la faire ressortir. Ce qui fait que, pour elle, j’ai utilisé un Schoeps avec une capsule MK4 S précise. Elle était perchée avec ce micro, les autres avec un autre micro. Ça c’est un peu le raisonnement que j’ai eu dans Taken, je me suis dit que je voulais entendre les haut-parleurs bouger dans le cinéma au moment où les acteurs parlent, là j’ai utilisé du MKH 40 qui amplifie encore plus le personnage.

Sur Valérian, en l’occurrence, je n’ai pas voulu jouer cette carte-là, faire ressortir quelque chose d’un seul coup. J’ai utilisé du Sennheiser MKH 50 sur 98 % du film. Toujours le même micro ! J’ai essayé de linéariser un petit peu tout ça. Par contre, je comptais sur Tom Johnson, le mixeur, pour utiliser les micros HF et sortir un petit peu. C’est vraiment sur ces micros-là que nous avons travaillé le plus pour pouvoir donner toute la matière en postproduction et qu’eux puissent travailler et faire ce qu’ils souhaitent.

 

S. F. : Avez-vous tout enregistré sur Aaton Cantar ?

S. B. : J’ai choisi de travailler avec le Cantar X2, même si le Cantar X3 était déjà sorti. Je connaissais très bien le X2 et je souhaitais utiliser un outil qui ait fait ses preuves. Il est hors de question d’aller voir Luc et de lui dire : « Excuse-moi Luc, je n’ai pas enregistré ». Cela n’existe pas, cela ne peut pas exister ! J’ai un enregistreur, le Cantar, et j’enregistre le backup sur un Sound Devices qui fait une copie de tout le multipiste en liaison AES numérique pour servir de véritable sauvegarde. Il tourne quasiment toute la journée en backup, au cas où quelque chose se passerait avec les fichiers. Fort heureusement, et c’est vrai aussi pour le Cantar X2, je n’ai jamais eu de réel problème, ni de fichier, de rien.

 

S. F. : Comment qualifieriez-vous le tournage au quotidien avec Luc Besson ?

S. B. : Travailler avec Luc est un challenge, il faut prendre cela comme un challenge. Mon équipe l’a aussi pris dans ce sens. Il ne faut pas le prendre comme du stress, mais le tourner vers du positif, c’est-à-dire quelque chose qui permet de se booster, de se dépasser, d’aller encore plus loin.

Luc est très dur avec son équipe technique, mais il l’est aussi avec lui-même. Il dit toujours : « Je suis très dur avec vous, mais avec moi-même c’est pareil. » C’est vrai, c’est la réalité ! Toujours à l’heure, toujours là, s’il lui faut prendre la caméra lui-même sur l’épaule pour monter là-bas, il la prend : « On y va les gars ! ». C’est en équipe qu’on avance. Après, on peut dire plein de choses sur lui, mais très souvent il a raison, bien souvent. Après, le fait est qu’il dirige un empire de production, il doit s’occuper de cinq milliards de choses à la fois.

 

S. F. : Sur le plan de la postproduction, du mixage, comment cela s’est-il passé ?

S. B. : J’ai été très heureux du choix de Luc, ce mélange qu’il a pu accomplir entre des techniciens français et américains, dont Guillaume Bouchateau qui avait déjà travaillé sur Lucy et d’autres films de Luc. Il a été le surperviseur du montage son, donc du centre d’editing. Avec lui, se trouvait Shannon Mills de San Francisco. Tous deux ont travaillé main dans la main, comme leur a demandé Luc. Shannon apporte toute l’expérience des États-Unis acquise sur ces énormes films d’action dont ils sont coutumiers et qui, pour nous, sont un petit peu nouveaux. Chacun a amené son équipe, je pense qu’ils devaient être une douzaine ou une dizaine de monteurs-son sur tout le film. Et puis au mixage, se trouvait Tom Johnson, qui doit afficher 135 films à son actif sur IMDb. Il est absolument adorable, je crois qu’il a été oscarisé deux fois.

 

S. F. : Où s’est effectué le mixage ?

S. B. : Luc Besson est arrivé chez Digital Factory environ six mois avant le tournage, et a demandé qu’ils construisent un véritable auditorium ATMOS à la cité du cinéma. Après plusieurs mois de travail, je dois dire que très sincèrement, c’est une espèce de Porsche, je le vois comme une Porsche, vous appuyez dessus et vous montez à 200 en trois secondes et demie, c’est un truc de fou ! C’est du matériel vraiment dernière génération. C’est vraiment énorme, le son qui claque, qui est extrêmement précis !

Je crois que Tom Johnson avait ramené les fichiers du Dr Strange et les avait mis en lecture pour justement tester un peu l’auditorium. Même lui a reconnu qu’on entendait beaucoup mieux les petits effets. Il s’est dit très heureux de mixer dans cet auditorium.

Mon expérience avec Tom a été extraordinaire, parce que nous avons vraiment dialogué, il était très heureux, et j’en suis extrêmement content. En parlant du son direct, il nous demandait comment nous avions fait pour avoir une telle place dans le son, parce que nous, quand on mixe, le micro est perdu dans le costume sous la quatrième couche.

Je le comprends, je sais très bien, cela m’est arrivé quand j’ai travaillé à Los Angeles. Les costume-designers s’en fichent quand on leur dit : « On va faire un trou ». Ils nous regardent… « T’es un grand malade, tu crois que je vais mettre quelqu’un pour faire passer un fil ? Tu te débrouilles comme les autres ! ». Généralement, quand c’est comme ça, je passe par le réalisateur qui confirme : « Non, non, vous écoutez ce qu’il dit. » Et là, tout se passe bien. Tom était ravi de ce son propre.

Une fois tout cela accompli à la Cité du Cinéma, ils sont partis à Los Angeles pour des tests dans de gros audis, de grandes salles, pour ajuster un petit peu. Et puis voilà, arrive le SMS de Luc : « Impec ! J’espère que ça te plaira ! ».

La postproduction s’est vraiment très bien passée. Katia Boutin montait également les directs, elle avait un vrai travail de traitement de notre son direct, mais également de création des autres sons puisque, bien évidemment, pour tous ces « Aliens », il a bien fallu rajouter des voix, les traiter, trouver un design… Cela faisait partie de son travail à elle. Ce fut super !

 

* Extrait de notre article paru pour la première fois dans Mediakwest #22, p. 10-16. Abonnez-vous à Mediakwest (5 nos/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité

La première partie de cet article est en ligne ici