Le nuage informatique au-dessus du live !

Le cloud computing n’en finit pas de gagner en performances. Des cas d’usage de plus en plus fréquents montrent que les nuages informatiques d’Amazon, Microsoft, Google et consorts sont en mesure de prendre en charge quasiment tous les maillons de la fabrication d’une chaîne de télévision, y compris lorsque celle-ci diffuse des programmes en live. Les usages progressent toutefois moins vite que la technologie. De nombreuses chaînes doivent encore amortir leurs infrastructures, tandis que des réticences demeurent sur la maîtrise des données. Autant de phénomènes qui incitent les acteurs industriels à promouvoir des solutions hybrides mêlant cloud public et cloud privé.
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Chacun a bien en tête désormais les avantages du cloud computing dit « public » promus par les principales plates-formes AWS, Azure ou Google Cloud pour ne citer que les acteurs prépondérants de ce nouveau marché. Bien entendu, il existe d’autres clouds publics, y compris ceux bâtis par des acteurs français comme Orange ou OVH.

Dans la filière audiovisuelle, comme dans d’autres filières industrielles, les usages du cloud public se généralisent. Jusqu’ici le cloud concernait des tâches essentiellement liées au stockage, à l’encodage et à la multi-distribution des contenus sur des plates-formes OTT. Les plates-formes de publication de vidéos à la demande sont même devenues légion grâce à la facilité permise par les architectures évolutives du cloud dans la création d’un nouveau service SVOD, que ce soit en termes de prix ou de performances, qui peuvent évoluer au fur et à mesure que l’audience d’un service OTT grossit.

Ces plates-formes de services OTT comprennent généralement l’ingest des fichiers vidéo, leur transcodage en fichier pivot, le contrôle qualité, l’application de sous-titres, l’application de DRM, des fonctions de monitoring de l’audience et de monétisation.

Les facteurs de différenciation entre les acteurs de cette filière émergente se font d’ailleurs de plus en plus suivant des critères liés à l’ergonomie des services, le niveau de fonctionnalités proposé et à l’évolutivité vers de nouvelles technologies valorisant les contenus grâce à l’intelligence artificielle.

Néanmoins, depuis un an, le phénomène de cloudification du secteur audiovisuel touche aussi le dernier pan de cette industrie : les chaînes de TV linéaires. Le cloud computing fait l’objet de plus en plus de cas d’usage au cœur même des tâches liées à la fabrication et à la diffusion d’une chaîne TV broadcast.

 

 

L’essor des mélangeurs live dans le cloud

Si l’on remonte le fil de la chaîne de fabrication d’une chaîne de télévision jusqu’à son début, une des tendances émergentes aujourd’hui est l’apparition de mélangeurs live virtualisés hébergés dans le cloud. La tendance reste néanmoins timide dans la filière broadcast traditionnelle. Car, comme le souligne Alexandre Dubiez, head of global playout & studio solutions chez Red Bee Media : « Ces services que nous testons dans notre laboratoire à Londres sont perfectibles. Ils s’adressent pour le moment principalement aux marques organisatrices d’événements sportifs, qui n’ont pas forcément de récurrence dans la commercialisation de leurs droits de retransmission, ou aux médias de taille modeste qui veulent couvrir en direct du jour au lendemain un événement sportif ou culturel sans avoir à leur disposition les moyens techniques de captation, à l’exception des outils de tournage. »

C’est pourquoi, pour le moment, ce sont principalement des start-up qui s’engouffrent dans cette brèche, en espérant que la connectivité en situation de mobilité s’améliore à grands pas. Ces start-up proposent le plus souvent des solutions d’édition basées sur la captation à l’aide d’un smartphone ou de moyens de tournage légers dans la mesure où le transfert sans fil des signaux s’effectue de manière compressée en H264.

L’interface de mixage des sources vidéo sur ces nouveaux outils a une ergonomie souvent proche de celle d’un mélangeur classique, à la différence que les fonctions s’affichent sur un navigateur Internet et ouvre directement des instances de machines virtuelles dans un cloud public concernant la partie traitement des images et sons.

Les solutions d’entrée de gamme les plus en vue s’appellent ici Switcherstudio ou Livestream. Ce dernier outil, racheté par Vimeo à la fin 2017, a une philosophie hybride qui consiste à faire reposer sa solution de mélange « live » sur du matériel en complément des ressources dans le cloud.

En France, d’anciens cadres d’Orange ont fondé la start-up Dazzl, qui édite un switcher en SaaS hébergé chez Amazon. Dazzl en est déjà à sa version 2 et bénéficie d’une nouvelle interface encore plus ergonomique et adaptée à un réalisateur seul sur le terrain avec son PC ou à un réalisateur qui reçoit à distance les feeds d’un direct et les traite de son bureau. Il est aussi intéressant de constater que l’interface de Dazzl se rapproche de plus en plus d’une interface classique dédiée à l’édition de live… mais dans un navigateur Internet et des possibilités d’inserts démultipliées.

La start-up la plus avancée en la matière, qui séduit déjà des broadcasters traditionnels, est Make.tv. Cette jeune pousse de Seattle propose une application en SaaS très complète en termes de fonctionnalités, et qui peut être hébergée indifféremment dans le cloud public d’AWS, Azure ou Google. Make.tv permet de monitorer plus de 48 flux live dans son viewer et de switcher entre les sources au time-code près. Une des forces de cette application en ligne est de permettre la livraison d’un signal maître vers de nombreuses destinations différentes, mais aussi l’interface avec sa propre solution de playout dans le cloud. C’est d’ailleurs cette dernière fonctionnalité de play-out qui a convaincu la Fifa de se servir de Make.tv durant la Coupe du monde de football 2018, afin d’adresser les réseaux sociaux Facebook et Twitter avec un live spécifique, différent de la version broadcast.

 

 

Les acteurs du broadcast entrent dans la danse

Les éditeurs de solutions de « clipping », ces applications d’édition de clips vidéo au sein d’un flux live destinées à alimenter les sites web d’une chaîne et les réseaux sociaux, sont aussi parmi les pionniers de l’usage du cloud public dans le secteur de la TV linéaire. Le cas de la start-up française Wildmoka est à cet égard édifiant. À l’issue d’un partenariat prolifique depuis 2016 avec France Télévisions et de cas d’usage avec des chaînes internationales comme NBC aux USA, Wildmoka est en effet en train de s’affirmer comme un partenaire clé de la stratégie cloud d’Avid en matière d’architectures IP live dédiées à la TV linéaire.

Voyant une partie du monde broadcast se pencher sur la production dans le cloud, Sony s’est aussi lancé plus récemment sur ce créneau avec l’annonce, durant l’été 2018, d’un mélangeur logiciel hébergé sur AWS et baptisé Virtual Production Service. Ce mélangeur « virtuel » de Sony peut gérer jusqu’à six caméras, deux clip players, dont les signaux sont enregistrés en temps réel sur AWS, de même que le signal final une fois mixé.

Sony a expérimenté son dispositif pour la première fois durant l’été 2018 lors de la retransmission en direct sur le web de la course à mobylettes Red Bull Switzerland Alpenbrevet. Le terrain montagneux rendait difficile le déploiement des infrastructures de production live classiques comme une régie de production ou des véhicules DNSG, sans parler des investissements dans le matériel et le personnel que les organisateurs souhaitaient éviter. Des moyens de tournage légers ont donc été privilégiés, avec notamment deux caméras mobiles suivant le parcours et rapatriant le signal du live directement en 4G vers le mélangeur en ligne de Sony.

 

 

Les limites actuelles

Il faut savoir néanmoins que ces solutions de mélange en ligne des sources live ont quelques limites pour le moment, comme celle de ne pas intégrer de réseau d’ordre. C’est pourquoi la plupart des professionnels qui les ont déjà adoptées y ajoutent en général un réseau d’ordre sous forme d’une application baptisée Unity Connect (http://www.unityintercom.com/) qui permet de recréer un véritable réseau d’ordre à l’aide de smartphones grand public.

De même, en dépit d’évolutions rapides dans ce registre, les fonctionnalités d’habillage intégrées à ce genre de mélangeurs restent limitées et souvent le réalisateur est obligé de peaufiner son habillage antenne dans une fenêtre HTML à part, via un outil supplémentaire comme Singular.live (https://www.singular.live/), un autre service dans le cloud qui dispose d’une API ouverte.

Ces mélangeurs en ligne introduisent aussi une plus grande latence vis-à-vis d’une solution broadcast traditionnelle. Il faut compter entre deux et trois secondes de délai entre le signal qui sort de la caméra et l’entrée dans le mélangeur virtualisé. Ce problème est en partie résolu par le fait que les éditeurs de tels mélangeurs en ligne introduisent un temps de buffering au départ du direct, afin de pouvoir ensuite réaligner la synchronisation de l’ensemble des flux, notamment en cas de chute de la connectivité en situation de mobilité.

Attention néanmoins, la latence finale chez le téléspectateur dépend également de la plate-forme de publication des vidéos en streaming. En la matière, il faut savoir que la latence peut descendre à deux ou trois secondes dans le cas d’une plate-forme professionnelle, de cinq à sept secondes dans le cas de YouTube et jusqu’à vingt secondes sur Facebook.

 

 

Le cloud computing au service des « pop-up channels »

Dans la droite ligne de l’essor de ces outils virtualisés destinés à produire, via le cloud, du live d’événements sportifs ou culturels, certains éditeurs TV se hasardent à bâtir des chaînes événementielles en s’appuyant sur des plates-formes de cloud computing. Un acteur majeur de la contribution broadcast et IP comme Globecast l’a bien compris et se positionne sur ce créneau depuis près de trois ans. Son offre s’appelle Digital Media Hub et est agnostique de la plate-forme cloud utilisée pour héberger une ou plusieurs chaînes de télévision événementielle ou expérimentale.

Samy Bouchala, responsable du marketing et de l’anticipation stratégique, précise : « Nous analysons toutes les possibilités offertes à la fois sur le plan technique et économique et choisissons la plus adaptée au client entre un fournisseur de cloud public, une solution on-premise et l’offre cloud d’Orange plus pertinente sur certains aspects liés à la localisation et la sécurisation des données. Grâce au cloud, nous mettons en œuvre les projets de nos clients de manière agile et itérative, en suivant leur stratégie marketing et en interrogeant systématiquement le ratio coût du cloud public versus on-premise et cloud privé. Il faut savoir en effet que les tarifs dans le cloud public fluctuent beaucoup suivant la loi de l’offre et la demande. Au moment du black friday par exemple, il était quasi-impossible de trouver de la ressource fiable dans le cloud public, et à un prix raisonnable. Il a donc fallu trouver des solutions de rechange pour nos clients. »

Pour Globecast, le cloud public permet surtout de tester de nouveaux concepts de chaînes de télévision à moindres frais. C’est le cas par exemple de Virgin TV. Cette chaîne en 4K a d’abord été lancée à l’automne 2018 sur une tranche horaire du soir uniquement, afin de sonder une audience de niche. Au fur et à mesure que l’audience a grandi, les plages horaires de diffusion se sont élargies sans que cela n’entraîne de surcoût considérable grâce à la flexibilité du cloud. « Mieux, précise Samy Bouchala, lors de la mise en place technique de cette nouvelle chaîne, le cloud a suffisamment tenu la charge pour assurer la distribution de signaux UHD avec des images codées sur 10 bits couleur. »

L’offre TV dans le cloud de Globecast suscite aussi l’émergence de chaînes événementielles, les pop-up channels. Ce fut le cas en 2018 avec un client comme la société de services événementiels HPower qui assura la totalité de la production et de la gestion technique du défilé Great Pilgrimage 90, ainsi que de la cérémonie One Hundred Days (les 100 derniers jours de la Première Guerre mondiale) organisés par la Royal British Legion. À cette occasion, Globecast a également eu l’occasion de tester sa nouvelle solution de clipping dans le cloud, baptisée Live Spotter, afin de générer rapidement des extraits à publier sur le web et les réseaux sociaux.

Reste que si les barrières techniques tombent peu à peu, concernant la possibilité de créer des chaînes événementielles, le modèle économique reste lui encore incertain aux yeux des éditeurs TV traditionnels. Certains d’entre eux restent en effet encore sceptiques sur la capacité du public à payer pour voir un seul événement ou sur la capacité de mobiliser suffisamment d’annonceurs autour d’un canal événementiel ad hoc. Un nouveau marché qui reste à explorer…

 

 

Play-out dans le cloud public

En matière de play-out, cela fait quelques années déjà que des start-up anglo-saxonnes ont pris le virage du cloud public. On peut citer PlayBox Technology qui tente de créer un écosystème autour de ses solutions software de play-out IP. De même, l’Indien Amagi développe depuis trois ans une solution logicielle en ligne permettant d’adresser de manière performante des contenus différenciés suivant les régions de diffusion.

Quant à Veset, cette plate-forme hébergée sur Amazon s’articule autour de deux offres distinctes qui correspondent bien aux deux principaux segments actuels de ce marché. Veset propose en effet d’un côté Media Cirrus, une offre entrée de gamme et de l’autre Media Nimbus, une offre de services plus évoluée. L’offre Cirrus inclut uniquement l’up-load des fichiers via un navigateur web, un habillage graphique sommaire, l’encodage à l’aide de codecs ne dépassant pas le H264, un seul canal stéréo, pas de technologie de sous-titres standardisée, ni de normalisation loudness standard…

À l’inverse, son offre Nimbus est plus complète et proche du broadcast ; elle a déjà séduit une chaîne comme Fashion TV. La chaîne de la mode voulait s’appuyer sur une solution cloud permettant d’adresser le marché de la SVOD et de la Social TV en même temps que ses canaux broadcast traditionnels. Fashion TV a fait migrer dans le cloud l’ensemble de sa tête de réseau de distribution pour la TV IP, le câble, le satellite, Dailymotion… Au-delà du gain financier occasionné par cette bascule, Fashion TV indique avoir gagné en souplesse pour éditorialiser de nouvelles versions de sa chaîne dans le monde entier et avoir permis plus de cohérence entre son offre de programmes linéaire et VOD.

 

 

Des premières chaînes live dans le cloud public en Asie

D’autres acteurs plus ancrés dans le monde broadcast, comme Harmonic, se sont aussi très tôt lancés dans une offre de services de playout hébergée dans le cloud public. Depuis deux ans, Harmonic propose VOS 360 qui intéresse, semble-t-il, en priorité le marché des chaînes de TV asiatiques, tandis que de nombreux POC ont lieu en Europe, y compris en France.

Premier exemple emblématique de la mise en place de cette nouvelle offre de services en ligne, le cas de la chaîne SuperSoccerTV, éditée par le groupe indonésien PT. Perada Swara Productions (Djarum Group). Cette chaîne propose, dans une région du monde où le football est encore assez peu populaire, les images du championnat Série A italien et de la Premiere Ligue anglaise. Elle a fait appel à Harmonic dès 2016 en vue de donner une dimension live à son offre OTT de matches en direct, via son application mobile. Et de fait, grâce au cloud public, SuperSoccerTV adresse une audience croissante de plusieurs centaines de milliers de fans qui va grandissante.

Eric Gallier, responsable des solutions vidéo chez Harmonic, explique : « Dans les débuts, les retransmissions en direct via le cloud public engendraient une latence de plusieurs dizaines de secondes. Elle n’était pas gênante car peu de retransmissions broadcast en direct des matches de football ont lieu dans cette partie du globe. Toutefois, nous avons optimisé peu à peu le play-out, de sorte que la latence est aujourd’hui réduite à quelques secondes. En outre, l’offre de programmes de SoccerTV est montée en puissance avec deux matches retransmis par semaine et le play-out de cette chaîne OTT intègre désormais une chaîne de traitement complète avec des événements principaux et secondaires, des highlights, des rediffusions… une chaîne de télévision à part entière en somme… la présence sur les canaux numériques en plus. »

La couche de services de play-out que propose VOS 360 est agnostique en matière de plate-forme de cloud public choisie. Conforme au mode de gestion de projet du cloud, Harmonic a aussi défini que chaque mois un sprint de développement introduit une nouvelle fonctionnalité. Ainsi, VOS 360 est en mesure d’aller vers des spécifications dernier cri comme le traitement des flux en UHD HDR ou encore d’intégrer le protocole CMAF dans le player vidéo fourni avec son service. « Avec le CMAF, souligne Eric Gallier, nous avons franchi une étape, en particulier concernant la latence qui descend désormais en-dessous des six secondes. » De même, dans le cas de SuperSoccerTV, VOS 360 s’interface avec la solution de clipping en temps réel de Tellyo, concurrente de Wildmoka.

 

 

Play-out hybride, dans le cloud public et privé

L’usage d’un cloud public pour héberger l’ensemble de la chaîne de fabrication et de diffusion d’une chaîne de télévision comprend toutefois des limites techniques et juridiques, comme le fait de déléguer l’hébergement de ses contenus à des acteurs américains soumis au « patriot act ». Cela constitue une raison suffisante pour nombre d’éditeurs TV européens de regarder de près les services de play-out hébergés dans un cloud privé ou hybride mêlant cloud public et cloud privé (pour les données plus sensibles).

C’est le cas, par exemple, du fournisseur de solutions d’habillage graphique et de play-out wTVision, filiale de la société espagnole Mediapro qui combine tous les modèles possibles cloud public chez AWS, cloud hybride, cloud privé avec possibilité de piloter des opérations à distance en IP tout en ayant une partie de son play-out en local et bien sûr un play-out reposant sur des infrastructures on-premise, entièrement personnalisables.

C’est aussi la proposition faite par Red Bee Media (ex-Ericsson broadcast services). Selon Alexandre Dubiez, responsable des solutions Studio et Diffusion de RedBee Media : « Les clients viennent souvent nous voir en ayant comme préjugé que le cloud public est moins cher. Nous avons donc fait des projections en termes de coûts du cloud public versus cloud privé et infrastructures broadcast pour nous rendre compte que le cloud privé peut dans certains cas d’utilisation être une solution plus économique que les plates-formes d’Amazon, Microsoft ou Google. Nous ne sommes pas convaincus qu’il y ait une équation économique viable sur le long terme à placer l’hébergement complet d’une chaîne dans le cloud public. »

Le prestataire de service britannique oriente volontiers ses clients vers le cloud public pour des tâches telles que le débordement de ressources en cas de pic d’audience, le disaster recovery ou la création de chaînes événementielles OTT ou la social TV. Red Bee Media a d’ailleurs bâti son offre autour d’une proposition hybride jouant sur la complémentarité entre cloud privé et public.

Pour Alexandre Dubiez : « Les éditeurs TV de chaînes linéaires continuent de privilégier la qualité du signal TV et préfèrent travailler sur des flux non ou peu compressés en passant dans des cartes réseaux qui utilisent les couches basses des réseaux IP. S’ils veulent migrer vers le cloud, on peut leur proposer une solution du type cloud privé, robuste et qualitative, tout en restant sur une plate-forme ouverte sur le cloud public. »

 

 

Programmation et cloud privé made in France

Le logiciel Chyro, qui facilite la programmation d’une chaîne TV linéaire via un mode SaaS très flexible, propose également depuis quelque temps déjà d’héberger l’intégralité d’une chaîne en mode cloud privé.

Parmi les fonctionnalités de Chyro, rappelons que ce soft gère la planification des programmes aléatoire ou pas, mais aussi les coupures virtuelles, les droits de diffusions, les métadonnées, les coming next, la planification des replay, les exports XML des EPG… le tout via un simple navigateur web. Cette application en ligne est aussi capable de s’interfacer avec des plays-out tiers comme ceux d’Harmonic, Playbox ou Softron (c’est déjà le cas via des chaînes distribuées par Pixagility, DVMR ou TV Tours).

Toutefois, Chyro dispose également de ses propres datacenters à Paris et Toulouse reliés entre eux par une fibre optique de 10 gigabits/s, qui lui permettent de proposer à ses clients de virtualiser l’ensemble de leur process de fabrication d’une chaîne TV linéaire. Le cloud privé Chyro a l’avantage de fournir un fort niveau de supervision et de sécurisation des médias. Chyro sert de la sorte déjà plusieurs chaînes en Suisse, Afrique et Birmanie qui utilisent tout ou partie de ses outils en ligne de planification, de gestion des workflows, des métadonnées associées, du transcodage, des replays, des extraits… mais aussi ses outils de multidiffusion en streaming comme un CDN bénéficiant d’un point de présence aux États-Unis.

 

 

Migrer sa chaîne dans le cloud en vue du disaster recovery

Aujourd’hui, une des applications hébergées dans un cloud public qui intéresse le plus les chaînes de télévision est le « disaster recovery ». Rétablir en ordre de marche ses médias à chaud à partir de sa propre infrastructure IT coûte cher en équipements et en personnel de maintenance. C’est pourquoi de plus en plus souvent la redondance des médias d’une chaîne TV linéaire est assurée de manière synchrone via le cloud public et une couche d’intelligence permettant la restauration rapide des éléments on-premise. Dans un tel cas de figure, les technologies ont suffisamment évolué pour que la restauration des médias ne dépasse pas les vingt minutes.

Aux États-Unis, ce sont les chaînes sportives les premières qui ont utilisé une telle architecture de services dans le cloud, notamment lors des « super bowls » où les enjeux publicitaires sont tels que les chaînes hôtes de l’événement clonent systématiquement l’ensemble des médias et process on-premise. Lors de l’IBC 2018, la société Carrick Skills a démontré quant à elle grâce à son Carrick Flow, son outil de pilotage dynamique des workflows et l’outil d’automation de SGT, sa capacité à fournir un service de disaster recovery dans le cloud à la fois fiable techniquement et abordable sur le plan économique.

Christophe Remy-Neris, PDG de Carrick Skills, met en avant un concept original qui tient aussi de l’opportunisme fonctionnel : « À l’heure du cloud, nous devons réfléchir de manière plus opportuniste vis-à-vis des plates-formes IT. À partir du moment où les médias d’une chaîne TV sont copiés dans le cloud, il est possible de leur appliquer de nouveaux traitements à un coût marginal, chaque plate-forme cloud bénéficiant d’un environnement fonctionnel souvent très riche. »

En outre, rappelle Christophe Remy-Neris, « notre société ne vend aucun cloud, ni système de stockage. Elle est donc totalement agnostique aux offres cloud du marché et va aller vers la plate-forme de services qui répond le mieux aux besoins d’un éditeur TV. »

Ainsi, à IBC, Carrick Skills s’est orienté vers l’offre de stockage froid d’Orange Business Services, car elle permettait d’archiver au fil de l’eau et de restaurer rapidement de plus gros fichiers que dans l’offre S3 d’Amazon et donc de réduire les coûts de stockage tout en ayant un meilleur niveau de services. Au moment du disaster recovery, Carrick Flow est en mesure, en vingt minutes, de récupérer les playlists, les éléments d’automation d’une chaîne, d’organiser le rapatriement des médias froids vers les espaces de stockage de médias chauds et de permettre progressivement le retour à un fonctionnement normal d’une chaîne.

Pour Carrick Skills, placer l’archive en continu de sa chaîne TV dans un cloud public ira de soi à l’avenir. C’est la seule solution qui entraîne un surcoût marginal dans le cas du disaster recovery de plusieurs chaînes, la communication avec des partenaires extérieurs à son architecture IT est plus aisée…

En fait, selon Christophe Remy-Neris, « quand on choisit un cloud public pour son disaster recovery, il faut se focaliser sur la souplesse d’usage et le cycle de vie de ses médias, et avoir toujours en tête la manière dont on va assurer la continuité de services, y compris lorsqu’on veut changer de plate-forme cloud, ce qui nécessite une réversibilité progressive. Faire la bascule en une seule fois coûtera forcément plus cher. »

 

 

L’IA pour changer le paradigme du play-out dans le cloud

Les réticences moins fortes de certains éditeurs TV vis-à-vis de l’hébergement complet d’une chaîne dans le cloud public, font naître des vocations parmi les start-up promptes à disrupter ce marché. C’est le cas notamment de la jeune pousse française Quortex. Fondée par des spécialistes expérimentés du secteur – Marc Baillavoine CEO, Thierry Trolez CSA, Jérôme Vieron CTO et Julien Villeret COO – Quortex considère que le paradigme de l’hébergement d’une chaîne TV doit changer de manière radicale avec l’essor des technologies cloud.

Quortex a développé une solution logicielle utilisant des algorithmes d’intelligence artificielle conçus pour optimiser la distribution de vidéos dans le cloud. Ces algorithmes servent de système d’orchestration suffisamment flexible pour qu’il soit possible de modifier en temps réel et de manière dynamique une architecture de distribution quelle qu’elle soit, afin de se mettre à l’échelle automatiquement en cas de pic d’audience par exemple.

Pour ce faire, Quortex s’abstrait de l’existant qui nécessite généralement de la redondance et des ressources par silos de fonctionnalités, en insérant son logiciel intelligent entre la couche de contrôle des CPU et la couche de services. Ainsi, aucun service n’est attaché à une grappe de serveurs donnée. C’est l’algorithme de Quortex qui détermine à tout moment quels CPU seront adressés entre toutes les machines disponibles à un instant TV dans le cloud. La subtilité réside dans le fait que ces algorithmes prennent en compte dans leur modélisation l’ensemble des fonctions de base d’une chaîne de télévision de l’encodage jusqu’à la distribution, en étant capable d’anticiper en temps réel les défaillances au sein d’une étape dans la chaîne de traitement des flux et d’allouer de manière dynamique de nouveaux serveurs suivant les nouveaux besoins décelés.

La solution de Quortex reposant sur des briques open source comme Kubernetes, un éditeur TV qui souhaite s’appuyer sur cette IA peut aisément l’intégrer au sein d’une architecture multi-cloud ou mélangeant cloud public et privé.

Jérôme Vieron souligne : « Avec notre technologie, une chaîne de télévision peut être entièrement distribuée via une plate-forme cloud avec une grande fiabilité et sans que l’on ait à se préoccuper de sa maintenance, y compris si l’on veut intégrer de nouveaux services dans son workflow ou faire évoluer ses capacités de traitement ou de distribution. » Si l’on en doutait encore, la création complète d’une chaîne de TV linéaire sans infrastructure IT internalisée est à portée de main…

 

 

Extrait de l’article paru pour la première fois dans Mediakwest #31, p.70/76. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.


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